DEUX CENT QUATORZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 29 août 1946.

Audience de l’après-midi.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, je continue avec l’activité militaire des SA. J’en étais resté à la page 62, à la dernière phrase : En Tchécoslovaquie, les SA fourniront le principal soutien au corps franc des Sudètes. En octobre 1938, quelques semaines après la crise de Munich, l’officier de liaison entre l’OKW et le corps franc rendait compte dans les termes suivants :

« Le ravitaillement avait été organisé par les SA. L’armement restreint était composé de carabines autrichiennes, les armes fournies par les SA autrichiens. Avec une camaraderie et une absence d’égoïsme magnifiques, la direction des SA s’était occupée matériellement des corps francs. L’équipement et le ravitaillement restaient à la charge de la NSDAP et des SA. »

Monsieur le Président, je voudrais rappeler au Tribunal que, dans l’appendice de ce document, on trouvera une liste des prisonniers, du butin pris par les corps francs et des pertes infligées par eux alors qu’on était en temps de paix. Cet appui donné aux corps francs était certainement compris dans la « surveillance frontalière » comme l’a admis Jüttner lui-même.

Les crimes des SA ne s’arrêtèrent pas quand la guerre fut déclenchée. De nouveau, je cite le témoin Jüttner :

« Au commencement de la campagne de Pologne, le groupe SA des Sudètes procéda à des transports de prisonniers de guerre dans les camps. D’autres groupes SA dans l’Est ont pu être utilisés dans des buts analogues. Plus tard, la direction des SA et les SA, en tant qu’organisation, n’ont plus rien eu à faire avec cette question. »

Quand vous considérez les témoignages que vous avez entendus sur les conditions épouvantables dans lesquelles les prisonniers venant de l’Est furent transportés dans leurs camps, êtes-vous convaincus que la tâche de garder les convois était aussi innocente qu’elle le semble ?

Jüttner nous a également laissé un rapport, daté de juin 1941, décrivant l’activité des SA pendant la guerre. Dans les zones communes, leurs membres ont aidé les chefs politiques dans leurs tâches d’éducation et d’orientation, vingt et un groupes de SA ont été utilisés pour garder les prisonniers. L’organisation des groupes SA à Dantzig, Posen, en Silésie et dans les provinces de la Baltique est ainsi décrite :

« Dans ces régions aussi, comme au combat, les SA représentaient l’unité d’assaut du Parti... Dans ces régions aussi, le service SA, du point de vue pratique, est orienté vers le renforcement des forces défensives. Il était donc nécessaire de vaincre le complexe d’infériorité des Allemands de race qui était le résultat de la répression en Pologne, et d’accorder leur comportement à l’attitude SA. » PS-4011 (GB-596).

Comme ces innocentes paroles deviennent sinistres en présence de tous les témoignages de ce qui s’est passé dans ces provinces de l’Est et de la Baltique. L’administration du ghetto de Vilna était entre les mains des SA et ses habitants étaient gardés par des gardes SA.

« Certains Juifs vivaient dans ces ghettos et les SA leur attachaient des chaînes autour des chevilles et de la taille ; elles pesaient deux kilos chacune et nous ne pouvions faire que des petits pas quand nous les portions. Nous les avons portées sans interruption pendant six mois. Les SA disaient que quiconque enlevait ses chaînes serait pendu. » D-964 (GB-597).

Leur travail consistait à déblayer des fosses :

« Nous déterrâmes en tout 80.000 corps... Parmi ceux que je déterrai, je trouvai mon propre frère. » D-964 (GB-597).

A Vilna aussi, les gardes SA forçaient les Juifs à extraire avec des crochets l’or des dents de leurs frères morts, à le laver à l’essence et à le mettre en boîtes de huit kilos que l’officier SA, chargé de l’opération, enlevait en personne...

M. BÖHM

Monsieur le Président, je crois que l’exposé qui vient d’être fait se rapporte à un affidavit D-964 que le Tribunal a refusé au Ministère Public de laisser produire. C’est l’affidavit GB-597. Toute cette déclaration sous serment est présentée ici à la page 64 et son contenu provient de l’affidavit dont vous n’avez pas autorisé l’utilisation.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, je ne suis pas d’accord avec Dr Bohm. J’ai devant moi l’affidavit D-964, déposé sous le numéro GB-597. Le paragraphe 7 s’exprime ainsi :

« Notre travail consistait à ouvrir les fosses, à déterrer les cadavres qui devaient être incinérés... »

LE PRÉSIDENT

Oui, mais le Dr Böhm dit que nous avons rejeté cet affidavit.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, ce n’est pas cet affidavit. Je me souviens fort bien de l’avoir lu et il a un numéro de dépôt. J’ai choisi un affidavit pour chaque cas, et en particulier pour les affaires de Vilna cet affidavit de Szloma Gol.

LE PRÉSIDENT

Dr Böhm, quelles raisons avez-vous de dire qu’il a été rejeté ? Si vous pensez qu’il a été rejeté, vous devez avoir une raison. Où sont les procès-verbaux ? Les avez-vous ?

M. BÖHM

Je suis d’avis que cet affidavit appartient au groupe de déclarations que le Tribunal avait rejetées. Pour l’instant, évidemment, je ne puis l’examiner, mais je le ferai par la suite et je me rendrai compte si c’est exact. Je crois que cet affidavit appartient au groupe d’affidavits refusés en raison de la fin du dépôt des preuves.

LE PRÉSIDENT

Est-ce l’un des onze affidavits qui ont été rejetés ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Non, Monsieur le Président. Vous vous souvenez que j’avais environ une demi-douzaine de témoins juifs des provinces baltes et que le Tribunal avait décidé que je pourrais en citer trois qui seraient mis à la disposition du Dr Böhm pour un contre-interrogatoire. L’auteur de cet affidavit, Szloma Gol, est un des trois que j’avais choisis et j’ai déposé son affidavit sous le numéro GB-597. Je me le rappelle, Monsieur le Président, comme le colonel Griffith-Jones et le commandant Barrington qui m’ont aidé à ce moment-là : le fait qu’il ait un numéro de dépôt est une preuve que le Tribunal l’a accepté.

LE PRÉSIDENT

Je crois qu’il vaut mieux continuer. Si le Dr Böhm prouve qu’il a été rejeté, il sera rayé de vos explications et on n’en tiendra aucun compte.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Très bien, Monsieur le Président. Le ghetto de Schaulen, au sud de Riga, était sous la direction des SA. Il y avait là 700 à 800 hommes reconnaissables à leurs uniformes bruns et leurs brassards à croix gammée.

« En août 1941, les SA entourèrent tout le ghetto et un certain nombre d’entre eux allèrent dans les maisons et prirent les enfants et les vieillards, les mirent dans les camions et les emmenèrent. Je vis tout cela moi-même. C’était fait exclusivement par des SA. Je les ai vus prendre des enfants par les cheveux et les jeter dans les camions. Je n’ai pas vu ce qui leur est arrivé, mais un Lituanien m’a dit par la suite qu’ils avaient été conduits à 20 kilomètres de là et fusillés. Il m’a dit qu’il avait vu les SA obliger ces Juifs à se déshabiller et leur tirer dessus avec des pistolets automatiques. » D-969 (GB-600).

Les SA gardaient le ghetto de Kaunas, où 10.500 Juifs furent fusillés au cours de « l’action » horrible du 28 octobre 1941. D-968 (GB-599). Ils gardèrent aussi les camps de travail de Sakraw, Mechtal, Markstedt, Klettendorf, Langenbielau, Fsulbrück, Reichenbach et Annaberg en Haute-Silésie, où des Polonais, des Français, des Belges, des Hollandais et des Grecs ont peiné et sont morts de mauvais traitements et de sous-alimentation et où « les méthodes des SA ne le cédaient en rien à celles des SS ! » PS-4071 (GB-603).

On ne peut douter de la véracité de ces témoignages des Juifs qui ont passé ces années de cauchemar dans les ghettos et les camps de travail de l’Est. Non seulement les conditions qu’ils décrivent sont confirmées à maintes reprises par d’autres sources et par les documents des Allemands eux-mêmes, mais même l’identité d’un SA qu’ils mentionnent en particulier est confirmée.

Leib Kibart vous a donné le nom du commissaire du district dans la cour duquel les Juifs du ghetto de Schaulen étaient journellement insultés et frappés par leurs gardes SA. Il vous a dit que l’intéressé s’appelait Gewecke et qu’il était membre des SA. Nous avons la signature de Gewecke sur l’une de ses lettres, datée du 8 septembre 1941, dans laquelle il se plaignait de ce que les SS intervinssent dans ses arrangements pour la confiscation méthodique des biens juifs. L’en-tête de cette lettre porte : « Le commissaire régional de Schaulen ». PS-3661 (GB-601).

Ce n’était pas seulement à des fonctions de garde qu’on employait les SA. Ils formaient des Einsatzkommandos à eux, et des unités de SA partageaient la besogne sanglante de l’anéantissement des partisans. Le commandant régional de la Police de sûreté et du SD de Cracovie, écrivant à l’accusé Frank, parle de la mission d’un Einsatzkommando spécial SA formé en vue de ramasser des travailleurs dans la population civile. D-970 (GB-602).

Le commissaire général de la Russie Blanche rapportait, en juin 1943, que :

« Par ordre du chef chargé de la répression des bandes, l’Obergruppenführer SS von den Bach, des unités des Wehrmannschaften ont également pris part à l’opération. Le Standartenfùhrer SA, Kunze, commandait les Wehrmannschaften. » R-135 (USA-289).

Cette action à laquelle faisait allusion le commissaire général, était la terrible opération Cottbus, dont vous vous souvenez et dont le commissaire général rapportait que « l’effet moral sur la population pacifique est simplement horrible en raison des nombreuses fusillades de femmes et d’enfants ». R-135 (USA-289).

Les SA avaient été organisées en 1941 dans le Gouvernement Général. Prenant la parole en décembre 1943, Frank disait :

« Quand, il y a deux ans et demi, j’ai donné des ordres pour que soient formées les SA, j’étais guidé par un sentiment que je ressens aujourd’hui plus que jamais. Je me suis efforcé de faire en sorte qu’il y ait en toutes circonstances dans le Gouvernement Général une réserve de secours de nationaux-socialistes absolument inébranlables. Il est bien évident que cette réserve de fer de combattants nationaux-socialistes avérés ne peut être constituée que par les SA... Ici, en tant que SA, avec mes camarades SA, je peux agir dans la vie politique de cette région où je dois prendre de nombreuses choses en considération et où je dois avoir sans cesse un fouet en main, comme un dompteur dans la cage aux lions, pour conserver le contrôle des bandits. C’est un point de vue dont un Gauleiter du Reich n’a jamais besoin de se soucier... Pour la première fois, les SA ont été employés ici dans une région, nouvelle avec des méthodes nouvelles et des fonctions nouvelles qui, pourtant, ont été adoptées à cause du fait même que le SA est ici comme il était au temps de la lutte dans le Reich. »

Entre temps, à l’intérieur du Reich, les SA assumaient :

« Les fonctions confiées jusqu’alors aux SS, à la Sipo et à l’Armée, par exemple : la garde des camps de prisonniers de guerre, la surveillance des travailleurs forcés en Allemagne et dans les territoires occupés. Cette coopération des SA avait été étudiée et mise sur pied par des services supérieurs, à Berlin, dès le milieu de 1943. » PS-3232 (USA-435).

En Styrie, le camp de Frauenberg était utilisé comme camp de travail pour les ivrognes invétérés, les délinquants et les réfractaires. 300 internés travaillaient dans les carrières de pierre voisines et à la construction de routes. Les SA fournissaient les gardiens. Pouvons-nous nous imaginer les conditions dans lesquelles ces délinquants et réfractaires vivaient ou mouraient ?

Violence et meurtre, domination des rues pendant les années de lutte, arrestations illégales, camps de concentration non autorisés, sadisme incroyable pendant les années de triomphe 1933 et 1934, suppression impitoyable et persécution brutale des Juifs, des chrétiens et de toute opposition, joints à un entraînement belliqueux et agressif pendant les années entre 1934 et le déclenchement de la guerre. Et après cela, encore plus de camps de concentration, encore plus de sadisme, de répression et de persécutions, cette fois pour les peuples de race prétendue inférieure qu’ils avaient vaincus, violence et assassinat — mais non comme aux jours lointains de 1923 — d’individus, mais de masses. C’est la même méthode qui se continue pendant des années. Allez-vous permettre à ces gens de terroriser de nouveau les populations d’Allemagne et d’Europe ?

Monsieur le Président, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de s’étendre longuement sur les témoignages à la charge des SS. Vous avez déjà trop bien pu vous rendre compte du caractère de cette organisation et de l’activité de ses membres. Les lettres SS sont liées à presque tous les crimes, grands ou petits, dont nous avons entendu parler tous les jours pendant presque dix mois. Tout peut être résumé par les paroles de leur chef, Himmler, même si elles sont au-dessus de la réalité :

« Je sais qu’il y a des gens, en Allemagne, que la vue de ces uniformes noirs rend malades. Nous en comprenons la raison et nous ne nous attendons pas à être aimés de beaucoup. » PS-185 (USA-440).

Je vais donc vous présenter seulement un ou deux des points particuliers qui ont été soulevés et auxquels le Ministère Public attache une importance spéciale.

L’histoire de l’évolution des SS peut être exposée en quelques mots. Formés, à l’origine, pour être des gardes du corps d’élite destinés à la protection de Hitler lui-même, ils constituaient, avec les SA, une armée nazie privée et la base de ce qui devait devenir l’instrument vital du complot ourdi en vue de faire une guerre d’agression. Leur valeur, en tant qu’« instrument du Führer » absolument sûr, fut démontrée en juin 1934 quand ils jouèrent le rôle de bourreaux dans la purge sanglante qui accompagna l’assassinat du chef SA Röhm.

« Tout le monde est terrifié » — dit plus tard Himmler — « cependant tout le monde est certain qu’ils recommenceront si de tels ordres leur sont donnés et si c’est nécessaire. » PS-1919 (USA-170).

La bonne volonté des SS à recommencer devait être démontrée à l’infini dans les années suivantes.

Jusqu’en janvier 1933, les SS constituèrent une seule unité. Il n’y avait pas de branches spéciales et, si ce n’est leur rôle commun de gardes du corps de Hitler avec les SA, ils n’avaient pas d’autres tâches particulières.

Cependant, après que le Parti nazi fut arrivé au pouvoir, surtout après 1934, le nombre de ses membres augmenta et son organisation s’étendit et devint plus complexe. De nouvelles unités furent crées telles les Totenkopfverbände SS dont le rôle était et continua d’être la garde des camps de concentration. Quelques unités choisies reçurent des armes et devinrent, en fait, l’armée privée de Himmler, connue sous le nom de Verfügungstruppe SS. En même temps, certaines fonctions devinrent la spécialité d’autres groupes qui, tout en n’ayant pas de statut d’organisation différente, finirent par être considérés comme des subdivisions séparées, par exemple le SD qui était le service de renseignements des SS et qui devait, plus tard, travailler en collaboration si étroite avec la Gestapo.

Bien qu’il soit devenu habituel de faire une distinction nominative entre les subdivisions et formations des SS, en matière d’administration et de commandement elles faisaient partie des seules SS, toutes sous le commandement du Reichsführer SS et toutes administrées et contrôlées par les principaux différents services du commandement suprême SS.

Quand la guerre éclata, la majorité des Allgemeine SS, la grande masse des membres des SS qui étaient restés sans armes, furent appelés dans la Wehrmacht. De nouvelles recrues furent enrôlées dans la Verfügungstruppe, qui fut élargie pour former les divisions combattantes des SS, et ce sont ces divisions combattantes qui, aux environs de 1940, furent connues sous le nom de Waffen SS.

Le Tribunal a vu, dans le rapport de l’institut statistique SS, comment les SS s’étaient développées vers le 30 juin 1944, D^878 (GB-572). Elles comptaient alors 795.921 membres en tout. Les Allgemeine SS — noyau original des SS — avaient perdu de leur importance pendant la guerre parce que plus de la moitié de leurs 200.000 membres avaient été appelés dans la Wehrmacht, le service du Travail ou autres services particuliers nazis. Le reste, 594.000, appartenaient aux Waffen SS. Le Tribunal a vu comment 368.000 Waffen SS se trouvaient dans les unités de campagne. 160.000 environ servaient dans des unités de formation d’entraînement et de réserve. 26.544 se trouvaient dans d’autres unités et services sous les ordres directs du Quartier Général des opérations du Haut Commandement SS, 39.415 étaient dans les services principaux des SS.

Il est particulièrement significatif de voir comment ces 39.415 membres des Waffen SS furent répartis ; le Tribunal le verra sur un tableau que j’ai joint, D-878 (GB-512). Les témoins vous ont dit que les Waffen SS n’avaient rien à faire avec les camps de concentration. Mais pas moins de 24.000 d’entre eux étaient au WVHA, service qui organisait l’administration et le personnel des camps de concentration et en était responsable. Ces 24.000 ne comprenaient pas les Totenkopf SS qui fournissaient les gardiens. Les Waffen SS fournissaient aussi la main-d’œuvre des différentes organisations nazies destinées aux assassinats et opéraient dans et pour les SS, service principal des questions raciales et de colonisation, service du commissaire du Reich pour la consolidation du germanisme, service pour les personnes de race allemande, état-major personnel de Hitler, y compris l’infâme institut Ahnenerbe de Sievers.

On a dit des Waffen SS qu’elles étaient en effet une organisation purement militaire dont le caractère ne différait pas de celui de n’importe quelle unité de la Wehrmacht. D’après les témoignages, il n’en est pas ainsi. Il est exact que le Waffen SS était l’élément de combat des SS. Mais bien que ces formations de combat fussent placées sous les ordres de l’Armée en vue d’opérations, elles demeuraient toujours partie intégrante des SS. En réalité, l’ordre de Hitler concernant le rôle des SS à la mobilisation prévoyait que si elles étaient placées sous le commandement de l’Armée, elles restaient politiquement une unité de la NSDAP, PS-647 (USA-443). Recrutement, entraînement, avancement, administration et ravitaillement des Waffen SS pendant toute la guerre restaient à la charge du commandement supérieur des SS. Le recrutement se faisait par le service principal SS. Elles étaient organisées, administrées et ravitaillées par le bureau des opérations SS qui était le siège de leur Quartier Général de commandement. Les membres des Waffen SS étaient soumis à la compétence judiciaire du service juridique principal SS. Comme toutes les autres formations SS, les Waffen SS étaient sous la juridiction de Himmler en sa qualité de Reichsführer SS. Elles étaient, en théorie et en pratique, tout autant partie intégrante de l’organisation SS que n’importe quelle autre branche de celle-ci. Vous vous rappelez la déposition qu’a faite von Rundstedt :

« Les unités de troupes n’étaient soumises qu’à Himmler. Je n’avais aucun pouvoir disciplinaire ou judiciaire sur elles. Je ne pouvais leur accorder ni permission ni récompenses. Je n’étais responsable que de l’utilisation tactique de ces divisions, de la même façon que j’aurais pu utiliser une division hongroise ou yougoslave. »

Telles étaient donc les grandes lignes des SS, cet « État dans l’État » tout puissant, comme le décrivait le général Detzel. La Défense cherche maintenant à diviser la vaste unité des SS en différentes parties totalement séparées, unies seulement dans la personne de Himmler. Lui-même et trois ou quatre de ses subordonnés sont seuls responsables des millions de crimes commis. Mais cette prétention viole à la fois la vérité et le bon sens. Nous ne nous occupons pas, dans ce Procès, de l’assassinat de dix hommes ici ou de vingt hommes ailleurs. L’Acte d’accusation leur impute non seulement l’assassinat de millions d’êtres, mais aussi un plan démoniaque de génocide, de destruction des nations, de peuples et de races entiers. Les SS étaient l’instrument désigné pour l’exécution de ce plan qui dépasse celui d’Hérode. Ce plan ne pouvait être exécuté qu’avec l’aide de tous les SS, de toutes les branches des SS travaillant à l’unisson et en coopération les unes avec les autres. Les preuves données au cours de ce Procès ont montré que les crimes des conspirateurs nazis n’auraient pas pu être exécutés d’une façon improvisée et par des actes sporadiques. Ces actes étaient soigneusement prémédités, préparés et exécutés par l’intermédiaire des SS et d’autres organisations criminelles. Les hommes des SS étaient particulièrement qualifiés pour un plan criminel. Physiquement entraînés et choisis, ils étaient politiquement endoctrinés dans le nazisme et engagés à une obéissance aveugle aux commandements de Hitler, de Himmler et des autres chefs nazis. « Les ordres doivent être sacrés », dit Himmler (PS-1919). Non seulement l’adhésion a été volontaire pendant les seize premières années de l’existence des SS, à partir de 1925, mais elle a été soumise à une sélection des plus soigneuses dans le but de produire ce que les SS appelaient une « élite raciale mâle », un « fondement de qualité supérieure », un « groupe d’Allemands de race nettement nordique ». Les SS devaient être des nazis fanatiques d’origine « aryenne ».

La Défense a beaucoup insisté sur le fait qu’au cours de la guerre la base du recrutement volontaire a été remplacée par le service obligatoire. Le témoin Brill a déclaré :

« A la fin de la guerre, il y avait dans les Waffen SS plus de mobilisés que de volontaires. »

Il pourra être utile au Tribunal que J’examine brièvement la déposition de ce témoin. Alors qu’il n’est pas douteux qu’à une certaine période de la guerre un nombre considérable d’hommes ont été enrôlés arbitrairement dans les Waffen SS, la date à laquelle cette pratique commença et la mesure dans laquelle elle fut appliquée sont toutes deux contestables. Il nous a dit que les premiers 36.000 furent enrôlés entre l’automne 1939 et le printemps 1940. Dire que ces 36.000 furent enrôlés de force dans les SS, c’est vouloir délibérément induire en erreur. Lors de son contre-interrogatoire par le commissaire, à propos d’une affirmation similaire, il reconnut que ces 36.000 étaient déjà membres des SS auxquelles ils s’étaient affiliés volontairement. Ils n’avaient pas été enrôlés, on les avait simplement mutés d’une partie des SS à une autre. Les chiffres qu’il indiqua pour ceux qui furent appelés par la suite sont les suivants : en 1942, 30.000 ; en 1943, 100.000 et en 1944, 210.000 ; au total 340.000. Même avec ces chiffres, il s’en manque de beaucoup pour qu’il puisse justifier sa déclaration selon laquelle, vers la fin de la guerre, il y avait plus d’appelés que de volontaires. Il avait indiqué que le total général des Waffen SS était de 910.000, nombre qui comprenait les effectifs de 1940 et tous les renforts successifs, tant volontaires qu’obligatoires. Le chiffre de 340.000 ne représente qu’un peu plus d’un tiers de ce total.

Sur la question de la date à laquelle les recrues furent enrôlées pour la première fois dans les SS, il y a une quantité considérable de preuves qui permettent de confondre ce témoin. En février 1940, Hess donnait des instructions aux services du Parti pour qu’ils prêtent leur concours au recrutement volontaire pour les SS. Dans les décrets qu’il promulgua, il n’était pas question d’enrôlement obligatoire. En avril 1942, une brochure de recrutement soulignait, en ces termes, que le volontariat constituait la base de l’organisation des Waffen SS :

« Le jeune homme du Reich national-socialiste sait qu’il doit lui-même commencer à remplir les formalités afin d’accomplir son service militaire dans les Waffen SS. Que tant de jeunes Allemands se soient engagés dans ses rangs est un témoignage vivant de la confiance que la jeune génération d’aujourd’hui a dans les Waffen SS, dans leur esprit et, par-dessus tout, dans leur commandement. » PS-3429 (USA-446).

L’ami du soldat, un almanach destiné aux troupes allemandes, publié en 1943 — l’année pendant laquelle Brill voudrait vous faire croire que 100.000 hommes furent contraints au service — décrivait les membres des SS comme de jeunes hommes pleins d’espoir qui avaient décidé volontairement de rejoindre les rangs des Waffen SS. Cette brochure déclarait :

« Chacun s’est familiarisé avec le manuel détaillé des Waffen SS. Les points de principe sont les suivants : 1. Le service dans les formations armées SS compte comme service militaire ; seuls les volontaires sont acceptés. » PS-2825 (USA-441).

En avril de la même année, Himmler donnait à Kaltenbrunner des instructions au sujet de l’admission des fonctionnaires de la Sipo dans les SS :

« Je désire préciser à nouveau que je ne veux l’admission que si les conditions suivantes sont remplies : 1. Si l’intéressé le demande librement et volontairement. » PS-2768 (USA-447).

Et le livre d’organisation de 1933 explique que les Waffen SS, en admettant des volontaires pour la durée de la guerre, permettent à ces volontaires de combattre dans la bataille pour l’évolution de l’idée nationale-socialiste. Je suis également en droit de faire ce commentaire sur le témoignage de Brill. Vous vous souviendrez que je vous ai déjà renvoyé aux déclarations de ce témoin sur l’activité de la division SS Leibstandarte qui, comme je le soutiens respectueusement, doivent être considérées comme de faux témoignages. Étant donnée la nature suspecte de son témoignage et des preuves qui s’y opposent, je soutiens que quelle qu’ait pu être l’importance du service obligatoire dans les SS, celui-ci était beaucoup moins général et fut réalisé beaucoup plus tard qu’il le prétend.

Mais, quelle que puisse être la vérité sur cette question, nous soutenons que le fait qu’un certain nombre d’hommes aient été obligatoirement enrôlés ne doit pas et ne peut pas constituer une défense pour cette organisation. Les exemples de crimes commis par les SS pendant la guerre se rencontrent dans un domaine si étendu, ils ont été si répétés et si grands, que vous ne pouvez faire autrement que d’en déduire que la grande majorité de leurs membres, qu’ils aient tout d’abord donné leur adhésion volontairement ou autrement, ont facilement accepté la tradition des SS et ont participé volontairement à leur activité criminelle. J’aimerais considérer, dans leurs grandes lignes, certains seulement des témoignages d’après lesquels on doit tirer cette conclusion.

Vous savez déjà quelle forme d’éducation et de formation recevait le SS, une formation en vue de « la lutte raciale » que Himmler lui ordonnait de poursuivre « sans merci ». Théories raciales, géopolitique, eugénisme, c’était là leur programme. Mein Kampf était leur Bible. Leur philosophie fondamentale était exprimée par Himmler dans les termes suivants :

« Il doit être évident que l’éducation la plus riche devrait venir de ces couches supérieures, au point de vue racial, du peuple allemand. En vingt ou trente ans, nous devons être réellement capables d’offrir à toute l’Europe ses classes dirigeantes. Si alors les SS et les fermiers dirigent la colonisation à l’Est largement, sans contrainte, sans qu’intervienne aucune espèce de tradition mais avec vigueur et avec un élan révolutionnaire, nous pousserons, en vingt ans, nos frontières nationales à 500 kilomètres à l’Est. » PS-1919 (USA-170).

La propagation d’idées comme celles-ci ne pouvait qu’habituer les SS à l’idée d’un monde dans lequel la destruction, la mise en esclavage et la dégradation de peuples « inférieurs », étaient considérées comme un devoir honorable. Des tourments de conscience ne troublaient pas, ne pouvaient pas troubler ces hommes. Que le Tribunal veuille bien se rappeler les paroles de Bach Zelewski lorsqu’on lui demanda si l’assassinat de 90.000 Juifs par un petit Einsatzgruppe auquel, par hasard, les Waffen SS avaient fourni la plupart des assassins, concordait avec la philosophie nazie. Il disait :

« Mon opinion est autre : lorsque pendant des années, des dizaines d’années, on a prêché la doctrine que la race slave est une race inférieure et les Juifs pas même des êtres humains, un tel résultat est inévitable. »

Il n’y eut pas que des généraux SS comme Bach-Zelewski et Ohlendorf eux-mêmes qui furent infestés par ce poison. Notre thèse est que cette doctrine a empoisonné — et elle devait le faire — les SS qui procédèrent aux exécutions :

« L’extermination des Juifs que vous avez accomplie est une page de gloire de notre Histoire. » PS-1919 (USA-170).

La gloire ! L’assassinat massif de sang-froid considéré comme une gloire ! Avons-nous besoin d’autres témoignages du type. d’hommes que cette éducation honteuse à donné ? Bien avant d’être entrés dans les SS, leurs membres avaient été imprégnés de haine raciale et d’adoration pour le Führer. L’entraînement des SS n’était qu’un cours supérieur. Lorsqu’ils entraient dans les SS, dans quelque branche que ce fût, ils y rayaient la mise en pratique de ce qu’ils avaient appris auparavant. Partout, l’assassinat était la tâche de chaque service, de chaque unité. Et partout où il y avait un assassinat à exécuter, c’était les membres des SS qu’on enrôlait pour le faire.

L’Ahnenerbe était un département des SS. La liste de ses membres comprenait les noms de plus de cent professeurs et autres savants, — tous membres des SS, qui comptaient sur les assassinats commis par des centaines d’autres membres SS pour leur fournir des corps pour leurs expériences et des spécimens pour leurs collections — corps de commissaires qui devaient être pris vivants puis décapités, en ayant soin de ne pas abîmer la tête. »

Le professeur Hirt a écrit :

« En nous procurant les crânes de commissaires bolchevistes juifs qui représentent le prototype répugnant mais caractéristique de l’être humain inférieur, nous avons maintenant l’occasion d’obtenir un document scientifique. » NO-H 085 (GB-574).

Le service pour le maintien du germanisme était un service SS ; c’est lui qui est responsable du crime épouvantable de génocide et de tout ce qui s’y rattache. Le RSHA et le WVHA qui contrôlaient les camps de concentration et en étaient responsables étaient recrutés dans les SS. Il n’est pas nécessaire d’évoquer encore les crimes des SS dans les camps de concentration sauf pour marquer que les enquêtes entreprises par l’appareil judiciaire SS sur lesquelles le témoin Morgen a déposé, n’étaient pas des enquêtes sur les assassinats en masse, mais sur des cas de corruption parmi les fonctionnaires SS. Ce témoin fait partie de ceux dont j’ai déjà suggéré qu’ils n’étaient pas dignes de foi. Comment peut-on prendre au sérieux le récit d’une enquête d’un juge SS sur les meurtres commis à Auschwitz par Höss, et qui n’ont été interrompus que par l’avance des Alliés ? Quel besoin aurait-on eu d’une nouvelle enquête, alors que Morgen lui-même, connaissait tous les détails des exécutions pratiquées à Auschwitz en 1943 ou 1944 ? Doutez-vous que si les Alliés avaient perdu la guerre, Höss continuerait à commettre ses assassinats en masse, dans ce camp de concentration, et que les juges SS continueraient à enquêter sur des cas de corruption et des crimes isolés ?

En principe, les Einsatzkommandos étaient formés de SS. Ils montrent en petit ce qu’était la collaboration entre les différentes branches du système de Himmler et l’union de tous les SS. L’Einsatzgruppe « A » était composée ainsi, L-180 (USA-276) : Waffen SS................................ 34,4%

SD............................................ 3,5%

Police criminelle.......................... 4,1%

Gestapo..................................... 9,0%

Police auxiliaire........................... 8,8%

Autres polices........................... 13,4%

L’extermination des Juifs était exécutée par des SS. Le ghetto de Varsovie n’en est qu’un exemple. La déportation, l’assassinat et le pillage des Polonais et autres peuples vivant sur un territoire exigé pour l’établissement de ressortissants allemands étaient entrepris par les SS. Vous devez vous rappeler le rapport de Globocznik au sujet de l’action au cours de laquelle des milliers de Polonais furent arrachés à leurs foyers et 178.000.000 de Reichsmark acquis pour le WVHA, action qui, selon les paroles de Globocznik lui-même, était « exécutée sur l’ordre du Reichsführer SS ».

« Seules la décence et l’honnêteté, aussi bien que la surveillance des SS employés à cet effet, pouvaient assurer une remise intégrale. » PS-4024 (GB-550).

On est surpris qu’il n’ait pas ajouté ; pecunia non olet (l’argent n’a pas d’odeur).

Les Waffen SS devinrent l’avant-garde dans les guerres nazies d’agression, particulièrement dans l’invasion de l’Union Soviétique, et donnèrent un exemple de la tyrannie et du meurtre inhérents à la domination nazie.

« Nous n’abandonnerons jamais cette arme merveilleuse, cette réputation terrible d’épouvanté qui nous a précédés dans les batailles pour la chute de Kharkov, mais nous lui ajouterons constamment une nouvelle signification » disait Himmler aux officiers de trois divisions SS à Kharkov en 1943.

Les Waffen SS réussirent à ajouter sans cesse une signification nouvelle à leur réputation de terreur. De nombreux exemples ont été présentés au Tribunal de la perpétration par des unités de Waffen SS de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Ils sont encore présents à la mémoire du Tribunal et je ne les répéterai pas. J’aimerais seulement rappeler au Tribunal que quelques-unes des pires atrocités eurent lieu en 1943 et en 1944, années pendant lesquelles une certaine partie des Waffen SS était formée de conscrits.

Comment peut-on soutenir que les membres des SS et, en particulier, des Waffen SS, n’étaient que des soldats, des soldats qui ignoraient ces crimes et n’y prirent aucune part ? Comment peut-on dire que ce n’était pas eux qui avaient des visées criminelles ? Partout où nous trouvons des crimes commis par des nazis, nous trouvons aussi des SS qui y sont mêlés. On dit toujours que ces SS étaient d’une espèce particulière, membres du SD ou de quelque autre branche spéciale, membres des SS qui avaient été détachés pour servir dans des unités spéciales, tels les Emsatzkommandos, membres des SS qui n’étaient pas du tout vraiment des SS mais qui étaient des docteurs ou des policiers. Peut-il en être ainsi ? Oublions les preuves des camps de concentration, des Einsatzkommandos, de tous les crimes nombreux et brutaux commis contre les populations des territoires qu’ils envahissaient, des exterminations massives de Juifs à travers la moitié des nations européennes, des innombrables exemples de crimes et de sadisme individuels, des innombrables autres exemples de meurtres au cours même de la bataille et de toutes les violations des lois de la guerre. Oublions les preuves de tous ces crimes, quoique chacun d’eux ait été commis par des SS différents dans des villes et des villages différents à travers tout le Grand Reich allemand. Oublions-les, quoiqu’ils n’aient pas constitué une vague soudaine de crimes mais qu’ils aient été commis jour après jour, pendant des années. Oublions le fait que dans presque tous les crimes dont nous avons entendu parler, il ne s’agissait que de SS. Oublions tout cela si vous le voulez. Sans toutes ces preuves, la culpabilité des SS, du plus grand au plus petit, est établie par les comptes rendus que nous avons de trois discours que Himmler a prononcés devant les officiers de ses unités SS. PS-1918 (USA-304).

En avril 1941, il parlait à tous les officiers de la division SS Leibstandarte. En octobre 1943, il s’adressait à ses Gruppenführer à Posen. Le même mois, les officiers commandant les régiments de ses trois divisions SS écoutaient ce qu’il disait à Kharkov. Ces discours ont été cités à maintes reprises devant vous, vous connaissez les sentiments qu’ils exprimaient et les questions qu’ils traitaient. Essayez d’imaginer un général de vos propres pays parlant à tous les officiers de l’une de vos propres divisions de traîner en esclavage « des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers » de gens ; de fusiller « des milliers de Polonais influents ». Essayez d’imaginer un commandant en chef britannique, américain, soviétique ou français disant à ses généraux :

« Ce qui arrive à un Russe, à un Tchèque, ne m’intéresse pas le moins du monde... Que 10.000 femmes russes succombent à l’épuisement en creusant un fossé anti-char ne m’intéresse que dans la mesure où le fossé anti-char qui doit servir à l’Allemagne est achevé. » PS-1919 (USA-170).

Ou disant ceci :

« Je veux vous parler aussi très franchement d’une question très grave... Je veux dire la disparition des Juifs, l’extermination de la race juive. C’est une de ces choses dont il est facile de parler. « La race juive est en voie d’être exterminée » dit un membre du Parti, « c’est très clair, cela fait partie de notre programme ; l’élimination des Juifs, c’est ce que nous faisons ». Alors viennent 80.000.000 de bons Allemands et chacun d’eux a son bon Juif. Naturellement, les autres ne sont que de la vermine, mais celui-ci est un Juif de premier ordre. Aucun de ceux qui parlent ainsi n’en a été le témoin, pas un n’y est passé. La plupart d’entre vous doivent savoir ce que cela signifie quand 100 cadavres sont étendus côte à côte, ou 500, ou 1.000. En être sorti et, en même temps — sauf quelques exceptions dues à la faiblesse humaine — être restés des individus convenables, voilà ce qui nous a rendus forts. » PS-1919 (USA-170).

Le voyez-vous disant à tous les officiers commandant une de ses divisions :

« L’antisémitisme, c’est comme l’épouillage. Se débarrasser des poux n’est pas une question d’idéologie. C’est un problème de propreté. Exactement de la même façon, l’antisémitisme n’a pas été pour nous une question d’idéologie mais une question de propreté. » PS-1919 (USA-170).

Si vous avez assez d’imagination, pouvez-vous imaginer ce que vous auriez dit des officiers et des soldats qu’il commandait ? Est-il possible que des officiers et des soldats de ces divisions de la Waffen SS à qui on parlait ainsi aient eu un esprit élevé, un genre de vie convenable, aient été des soldats probes et honorables ? De tels hommes, qu’ils soient natifs d’Allemagne ou de toute autre partie du monde, n’auraient pas toléré ces paroles. Ces discours ont été assez rebattus au cours de ce Procès, mais ils n’ont jamais perdu leur signification. Ils démontrent que chaque membre de ces unités SS était un prototype de son Fùhrer SS. S’il n’en était pas ainsi, Gôring n’aurait pas pu conter à Mussolini les horreurs de la méthode allemande dans la lutte contre les partisans :

« Les membres du Parti accomplissent leur tâche avec beaucoup plus d’acharnement et d’efficacité .. . Les SS, la garde des vieux combattants du Parti qui ont des liens personnels avec le Fùhrer et qui forment une élite spéciale, confirment ce principe. » D-729 (GB-281).

S’il n’en était pas ainsi, Hess n’aurait pas pu écrire :

« Les unités des Waffen SS... sont plus aptes que les autres armées aux problèmes particuliers à résoudre dans les territoires occupés de l’Est, étant donné leur entraînement national-socialiste intensif sur les questions de race et de nationalité. » PS-3245 (GB-267).

Nous savons ce que Hitler avait en tête quant au rôle futur des Waffen SS : une Police d’État en vue d’imposer l’autorité de l’Allemagne dans les pays conquis ; une Police d’État qui ne fraterniserait pas avec le prolétariat et la pègre. Tel était le rôle qui leur était destiné, rôle que l’Armée tout entière connaissait car, sur ordre de l’OKW, il avait été entouré de la « plus grande publicité ». Nous en savons assez sur la Police d’État nazie, l’éducation et l’entraînement au cours de ces années de guerre pour les adapter à la tâche qui les attendait et aussi pour connaître le genre de méthodes qu’ils auraient à employer. Ce sont ces hommes, les hommes qui étaient choisis et qui avaient été entraînés pour faire la police de l’Europe, qui constituent l’organisation des SS que nous vous demandons de condamner comme criminelle.

Voici les principales considérations relatives à ces trois organisations : le Corps des chefs politiques, les SA et les SS, sur lesquelles je désire attirer votre attention. C’étaient ces organisations qui fournissaient le mécanisme au moyen duquel étaient exécutés les crimes que ces accusés concevaient. Ces trois organisations n’étaient pas séparées ni distinctes l’une de l’autre comme la Défense a essayé de les représenter. C’étaient leurs membres qui, ensemble, constituaient et constituent encore le dangereux noyau du national-socialisme. En tant que ramifications distinctes de l’élite nationale-socialiste, ils avaient les mêmes buts et desseins et ils travaillaient et coopéraient l’un avec l’autre en employant les mêmes méthodes criminelles dont chacun pouvait se rendre compte. Ce fut ainsi depuis le commencement et continua ainsi jusqu’à la fin. Rien ne peut démontrer plus clairement ces choses que les preuves de la façon selon laquelle le Parti et le Gouvernement nationaux-socialistes avilirent les concepts de Droit et d’ordre et corrompirent les usages judiciaires de leurs tribunaux afin de se protéger, eux et leurs adeptes, dans la voie criminelle qu’ils suivaient.

A peine le Gouvernement nazi étail-il arrivé au pouvoir que les ministres nazis, la Police nazie et la Justice nazie se mirent à excuser les violences et les assassinats commis par les SA, les SS et la Gestapo. Et pour quelles raisons ? Les raisons qui doivent avoir démontré à toute l’Allemagne et doivent démontrer à tout le monde aujourd’hui la pourriture même du national-socialisme :

« Comme l’acte n’avait pas pour origine un motif ignoble mais servait plutôt à l’accomplissement d’un dessein excessivement patriotique et au progrès de l’État national-socialiste, l’arrêt des poursuites... ne semble pas incompatible avec l’administration régulière de la justice criminelle. » D-923 (GB-615).

Telle était l’opinion du Procureur général de Nuremberg à l’égard des SA qui avaient frappé un communiste à mort, qui l’avaient frappé jusqu’à ce que la plante de ses pieds fût si gonflée que, — et je cite :

« ... du fait de la quantité de sang amassée là, après que le sang eût été évacué au moyen d’une incision, des poches se formèrent où l’on pouvait presque entrer le poing. » D-923 (GB-615).

A Munich, le ministre de l’Intérieur donnait des raisons similaires pour arrêter les poursuites contre les gardes SS de Dachau qui avaient frappé un prisonnier sur la tête jusqu’à ce qu’il mourût :

« Le fait de procéder à une enquête causerait un grand tort au prestige de l’État national-socialiste, étant donné que cette mesure serait dirigée contre des membres des SA et des SS et que ces organisations, en tant que principaux protagonistes de l’État national-socialiste, seraient immédiatement touchées. »

En accord avec le commandement supérieur SA, des juges nazis suspendaient les poursuites engagées contre des membres de cette organisation.

« Les actes et intentions des SA avaient seulement pour but la prospérité du mouvement national-socialiste. La raison politique et la pureté des intentions ne peuvent donc être mises en doute. »

Quand des juges, non encore habitués à ces nouvelles conceptions de Droit, condamnèrent des gardes SA qui « non seulement essayèrent d’arracher des aveux aux internés, mais agirent poussés par une véritable soif de tortures », ces juges furent expulsés immédiatement du Parti. Le procureur, qui se trouvait être lui-même membre des SA, fut averti d’avoir à démissionner, et le Gauleiter écrivit à la cour suprême l’informant qu’un arrêt de grâce devait remplacer la condamnation qui avait été prononcée. Peut-on douter que ceux qui désiraient appartenir à ces organisations ignoraient que le fait d’en être membres leur donnait le droit d’assassiner ?

Ces conceptions de Droit n’étaient pas non plus limitées aux tribunaux de l’État et du Parti. Les militaires ne purent résister à leur attrait. Vers 1939, un juge militaire accorda à un SS des circonstances atténuantes :

« ... parce qu’il avait été incité à tirer par un caporal qui lui avait tendu un fusil. Il était dans un état de colère motivé par les nombreuses atrocités commises par des Polonais contre des personnes de race allemande. En tant que SS, et particulièrement sensible à la vue des Juifs et à l’attitude hostile de la juiverie à l’égard des Allemands, il a donc agi sans aucune réflexion et sous l’impulsion de l’esprit aventureux de la jeunesse. »

Ces soldats SS avaient été condamnés à l’emprisonnement pour homicide, ce que le commandant d’armée refusa d’approuver. C’était pour une sorte « d’homicide » connu seulement des nationaux-socialistes, des nationaux-socialistes qui, ainsi que nous l’avons vu à ce Tribunal, montrent une curieuse sensibilité vis-à-vis du mot « meurtre ». Voici ce qu’ils appelaient « homicide » :

« Lorsque 50 Juifs environ, qui avaient été employés dans la journée à réparer un pont, eurent fini leur travail, dans la soirée ces deux hommes les menèrent tous dans une synagogue et les fusillèrent tous, sans raison. »

Permettez-moi, pour terminer, de vous rappeler l’avis de la cour suprême — suprême gardienne de l’honneur et de la discipline nationaux-socialistes — à l’autorité et à la juridiction augustes de laquelle étaient soumis les membres de toutes ces organisations. Pour les meurtres commis au cours des manifestations de 1938 par des Hoheitsträger et des membres des SA et des SS, et dont l’enquête avait été confiée à la Police secrète d’État et à la compétence des Gauleiter et des autres chefs politiques, on a allégué que :

« Dans les cas où des Juifs ont été tués sans ordre ou en infraction à des ordres donnés, on n’a pas pu constater de motifs ignobles pour ces meurtres. »

Les raisons de ces poursuites par les tribunaux du Parti étaient :

« ... de protéger ces camarades du Parti qui, poussés par un état d’esprit vraiment national-socialiste, avaient dépassé le but de leur propre initiative. »

Vous voyez, dans ces quelques lignes, le secret de toutes les morts, de toutes les souffrances, des horreurs et des tragédies que ces accusés et les membres de ces organisations ont répandues sur le monde. Vous voyez jusqu’à quel degré de méchanceté ils avaient corrompu la conscience humaine. Pas de motifs indignes. Le meurtre de femmes et d’enfants est « un état d’esprit et des initiatives nationaux-socialistes convenables ». Telle était la foi nationale-socialiste, foi acceptée fanatiquement par les membres de ces organisations, la foi — qui peut en douter ? — qu’ils chérissent encore et que, s’ils en avaient la possibilité, ils feraient revivre.

En ce qui concerne le Haut Commandement et l’État-Major général, il n’est pas dans mes intentions d’empiéter sur le terrain qui sera si efficacement abordé par mes collègues. Je veux néanmoins déclarer, aussi clairement et nettement que possible, que la Délégation britannique se joint à eux entièrement pour demander la condamnation du groupe accusé sous la désignation d’État-Major général et Haut Commandement.

Les hommes qui s’y trouvent compromis ont participé à des guerres qu’ils savaient être d’injustes guerres d’agression. Ils ont joué des rôles essentiels dans des actes qui, en raison de la qualité de leurs auteurs directs, sont incontestablement des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité. Et pourtant, ils protestent de leur innocence.

Notre accusation contre eux est basée aussi nettement sur les faits de ce Procès que sur les leçons de l’Histoire. Ils ont exécuté des ordres qui, de l’aveu même de beaucoup d’entre eux, affectèrent profondément ce qui leur restait de conscience. Ils savaient que ce qu’ils faisaient était injuste, mais ils disent maintenant que « Befehl ist Befehl », un ordre est un ordre.

Tous les hommes convenables trouvent qu’il est difficile de reprocher aux autres leur manque de courage moral ; il ne sont que trop conscients de leurs propres défaillances à cet égard. Mais il arrive un moment où en face de crimes qui, de toute évidence, ne sont qu’assassinats ou barbarie, un devoir plus impérieux s’impose. Le Dr Laternser lui-même admet la chose. La suggestion qu’il a faite au témoin Schreiber, selon laquelle ce dernier eût dû protester contre les propositions de l’État-Major de l’Armée en vue d’une guerre bactériologique, résonne étrangement dans la bouche d’un représentant de ces hommes dont la défense même devait être de déclarer l’impossibilité et l’inutilité de protester. Quelle absurdité, quelle énorme absurdité, représente ce que l’on vous a demandé d’entendre de la bouche de ces accusés et de leurs généraux lorsque leurs propres avocats, pour discréditer un témoin, durent poser la question même que le Ministère Public posa lui-même depuis le jour du début de ce Procès. Pour faire justice à la tradition militaire, on ne devrait pas pouvoir dire que des soldats se sont retranchés derrière la lettre d’un ordre pour éviter d’avoir à faire face à des problèmes moraux et d’avoir à les considérer, à tort ou à raison, comme tels. Les grands capitaines ne sont pas des marionnettes qui ont à obéir aveuglément sans réaction de leur volonté. Je n’ai pas besoin de parcourir l’Histoire de nos propres figures militaires, la philosophie de Montrose, les sombres méditations du maréchal Ney, le cœur tourmenté de Robert E. Lee en 1861, pour trouver des exemples. Deux noms parmi les plus grands de l’Histoire militaire allemande viennent à l’esprit : von Clausewitz quittant l’armée prussienne pour servir dans l’armée russe ; Yorck von Wartenberg optant pour la neutralité. Tous deux mirent ce qu’ils estimaient répondre aux besoins de l’Europe et de l’Humanité au-dessus des ordres du moment. Combien le devoir était plus clair et plus évident quand le travail de rédaction, de promulgation et d’exécution du décret « Nacht und Nebel », l’ordre sur les commandos, l’ordre des commissaires, l’ordre de Hitler d’assassiner 50 officiers aviateurs, signifiaient la profanation de toutes les idées que tout soldat aime et chérit ; quand — comme tous ceux qui servirent sur le front de l’Est purent le voir de leurs propres yeux — on leur demanda d’aider et de coopérer à un système calculé d’extermination en masse d’une brutalité absolue.

Ces hommes savaient, entre tous, que leur chef était un assassin sans pitié et pourtant, pendant des années, ils s’étaient réunis dans maintes et maintes conférences et assis à ses pieds pour écouter ses paroles. Ils satisfaisaient sa soif de pouvoir et d’asservissement avec toute leur habileté professionnelle. Tandis que les peuples sans défense de l’Est, les hommes, les femmes et les enfants de Pologne, de l’Union Soviétique et des États baltes étaient délibérément massacrés et déportés en esclavage pour donner aux Allemands leur espace vital, ces hommes parlaient des nécessités de la guerre. Quand leurs propres villes furent bombardées et des Allemands tués, ils appelèrent cela un assassinat. Ce ne fut qu’en juillet 1944, lorsque l’étoile de Hitler pâlit, que trois maréchaux et cinq généraux d’armée se rendirent compte qu’il assassinait aussi leur propre pays, et agirent. Quand cette étoile montait vers la victoire, ils l’avaient acclamée et ignoré la couleur rouge sang des nuages dont elle émergeait.

Voilà pour les faits et leur appréciation. Il est peut-être permis de dire un mot sur les prescriptions du Statut. L’emploi des deux mots « groupe » ou « organisation » signifie sûrement que l’entité en question a pu être, soit organisée officiellement par les nazis, soit choisie par l’Accusation comme un groupe qui avait une réalité vivante. Ce groupe était uni par la connaissance particulière qui lui avait été donnée au cours de nombreuses conférences et lié, de son plein gré, à la transmission de ces ordres criminels. Pour cette raison, nous demandons qu’il soit condamné.

A propos du Gouvernement du Reich également, je désire seulement montrer que le Ministère Public britannique demande à nouveau, sans hésitation, une condamnation. En dehors de cela, je ne veux attirer l’attention que sur deux points.

Des questions ont été soulevées à propos de la situation de ces nazis connus qui sont entrés dans le cabinet en 1933. Si un membre quelconque de ce cabinet ignorait le 30 janvier 1933 à quoi il s’engageait, il a dû en avoir une idée très claire en mars, lorsque les Juifs furent attaqués. Sa connaissance s’est accrue en avril quand le boycottage des Juifs par toute la population fut organisé et que le chiffre de 20.000 personnes arrêtées parut officiellement dans la presse allemande. En juin 1934, il a su que le meurtre était utilisé comme instrument de politique. En 1935 et 1936, il a su que la politique étrangère était menée en escomptant le risque d’une guerre.

L’autre point que je veux commenter est l’image, donnée par la Défense, de ministres qui ignoraient complètement ce qui se passait. A mon avis, les gouvernements ne fonctionnent pas de cette façon. Qu’il soit totalitaire ou démocratique, un Gouvernement ne peut agir qu’en traitant avec des êtres humains. La vie des êtres humains ne se déroule pas dans des compartiments étanches, leurs intérêts, d’une infinie variété, sont entremêlés de façon inextricable. Le ministre le plus entièrement partisan de l’autorité doit tenir compte des répercussions de ses actes sur les actes de ses collègues. En d’autres termes, il doit savoir ce qui se passe. C’est parce que les hommes de ce groupe savaient ce qui se passait, y ont aidé et se sont octroyé les postes principaux et les récompenses les plus riches de l’État comme prix de cet appui, que nous demandons aujourd’hui la condamnation de l’organisation. Je me suis efforcé de montrer comment le SD et la Gestapo s’adaptaient au plan de l’État nazi. Comme on pouvait s’y attendre, les témoignages que j’ai mentionnés les chargent d’innombrables façons. Après avoir souligné, une fois de plus, l’appui que j’apporte à la demande de mon collègue pour leur condamnation, je n’ai pas l’intention de faire d’autres commentaires sur ces organisations.

J’ai profondément conscience que l’une des plus grandes difficultés et non le moindre des dangers de ce Procès réside dans le fait que ceux d’entre nous qui s’en sont occupés jour et nuit pendant neuf mois en sont arrivés au point de saturation de l’horreur.

Shakespeare a essayé de décrire ce point de saturation dans les lignes célèbres :

« Le sang et la destruction seront devenus une telle habitude

« Et les objets épouvantables si familiers

« Que les mères se contenteront de sourire lorsqu’elles contempleront

« Leurs nouveaux-nés dispersés par la guerre,

« Toute pitié sera étouffée à force de voir des actes sauvages. »

Ce n’est que lorsque nous nous tenons un peu à l’écart de ce qui a été notre compagnie quotidienne pendant quarante semaines que nous réalisons que « la fureur intérieure et la lutte civile sauvage », résultat que prophétisait Marc Antoine, sont une bagatelle insignifiante à côté des faits que nous avons eus à examiner.

Ce n’est pas simplement la quantité d’horreurs — bien que ces organisations aient été les instruments de la mort de 22.000.000 d’êtres humains — c’est la qualité de la cruauté qui a produit les chambres à gaz d’Auschwitz ou les fusillades, devenues naturelles, des enfants Juifs à travers un continent qui se prétend civilisé. Il n’y a pas une de ces organisations qui ne soit directement mêlée à ce triste commerce de l’assassinat sous une forme brutale. Qui peut douter que le Cabinet du Reich ait pris connaissance de l’euthanasie utilisée pour conserver les ressources physiques de l’Allemagne pour la guerre ? Il est hors de doute que le Haut Commandement et l’État-Major ont transmis les ordres dont vous avez tant entendu parler et qui se réduisent tous, finalement, à l’assassinat pur et simple, que le Corps des dirigeants politiques a participé à l’assassinat des Juifs et à la ruine de la santé des travailleurs forcés. Je n’ai qu’à mentionner les SS : les crimes viennent spontanément à l’esprit sans que j’aie besoin d’en parler. Être complice, aider et trouver une raison à ces crimes, telle fut la tâche du SD et de la Gestapo. Les SA entraînèrent leurs recrues baltes à atteindre le niveau SA qui se réalisa dans le ghetto de Kaunas ou les fosses de Vilna.

Feu le président Woodrow Wilson a dit un jour :

« Il est indispensable que les Gouvernements unis contre l’Allemagne sachent, à n’en pas douter, à qui ils ont affaire. »

Si l’Europe doit être nettoyée du mal nazi, il est indispensable que vous et le monde connaissiez ces organisations pour ce qu’elles sont.

Ce fut notre sombre tâche de vous aider à acquérir cette connaissance ; ayant agi ainsi, nous nous demandons parfois si la puanteur de la mort pourra jamais entièrement disparaître. Mais nous sommes déterminés à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour veiller à ce qu’elle disparaisse d’Allemagne et que la mentalité qui l’a produite soit détruite. Il peut être présomptueux de la part d’hommes de loi qui ne prétendent pas être plus que le ciment de la société, de spéculer — ou même de rêver — sur ce que nous voulons voir la remplacer. Mais je vous donne le Credo d’un juriste. Quelques choses, cependant, sont certainement universelles : tolérance, honnêteté, bienveillance. C’est parce que nous croyons qu’il faut faire table rase avant que ces qualités puissent se développer en paix, que nous vous demandons de condamner ces organisations du mal.

Quand on aura donné à ces vertus la possibilité de se développer sur le terrain que vous aurez déblayé, un grand pas aura été fait. Ce sera une étape vers la reconnaissance universelle du fait que « ... les visions et les sons tous heureux comme le jour, et le rire d’amis, et la gentillesse et les cœurs en paix », ne sont pas la prérogative d’un pays en particulier. Ils sont l’héritage inaliénable de l’Humanité.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue.)
M. THOMAS J. DODD (Avocat Général américain)

Depuis le 20 novembre 1945, le Tribunal Militaire International a siégé presque sans interruption. Au cours de ces longs mois un dossier de plus de 15.000 pages a été réuni. Plus de 300.000 affidavits ont été présentés. Environ 3.000 documents ont été versés au dossier et quelque 200 témoins ont déposé en personne.

Cette grande accumulation de preuves écrites et verbales, d’origine presque exclusivement allemande, a établi, sans le moindre doute, l’existence des crimes, de conspiration criminelle, de guerre d’agression, d’assassinats en masse, de recrutement obligatoire de main-d’œuvre, de persécution raciale et religieuse et de mauvais traitement brutal de millions de personnes innocentes. Les quatre Puissances accusatrices ont accusé et tiennent individuellement pour responsables de ces effroyables crimes les vingt-deux accusés cités dans l’Acte d’accusation. Mais les quatre Puissances accusatrices, reconnaissant que les vingt-deux accusés ne pouvaient pas avoir procédé seuls à l’exécution de ces énormes crimes, ont également cité, dans l’Acte d’accusation, les organisations nazies comme moyens principaux par l’intermédiaire desquels ces infractions ont été commises. Ces organisations — les unes créées par les nazis, les autres déformées par eux — étaient les organismes sur lesquels comptaient les accusés et dont ils se servaient pour remplir leurs desseins criminels contre la population satisfaite de l’Allemagne et les peuples vaincus d’Europe.

Les organisations citées se divisent en deux catégories : dans la première catégorie sont classées celles qui sont tout particulièrement des créations nazies et qui n’ont pas d’équivalent en dehors du régime nazi et n’avaient pas de desseins intrinsèquement légitimes. Ce groupe comprend les chefs politiques, les SA et les SS. Dans la seconde catégorie se trouvent celles qui existaient, sous une forme ou une autre, avant le régime nazi, mais qui ont été corrompus par les nazis. Ce groupe comprend le Cabinet du Reich, le Haut Commandement supérieur et l’État-Major général, la Gestapo. En ce qui concerne cette seconde classe, nous ne prétendons pas que les institutions elles-mêmes étaient fondamentalement criminelles mais, plutôt, qu’elles devinrent criminelles sous la domination nazie. Cependant, de par sa nature même de système de police secrète, la Gestapo fut la plus aisément adaptée aux desseins criminels et devint le plus efficace de tous les instruments de la criminalité nazie.

Ce serait une erreur de considérer ces organisations nommées dans l’Acte d’accusation comme des réunions de personnes isolées fonctionnant de façon indépendante, chacune accomplissant des missions et poursuivant des buts distincts. Elles étaient toutes une partie essentielle de l’État policier prévu par Hitler et dont sa clique fit un instrument perfectionné de la tyrannie la plus complète des temps modernes. Cet État policier fut le Frankenstein politique de notre ère, qui apporta à l’Allemagne la terreur et la crainte et répandit à travers le monde l’horreur et la mort. Le Corps des chefs politiques était son corps ; le Cabinet du Reich, sa tête ; ses bras puissants étaient la Gestapo et les SA, et quand il parcourait l’Europe à grands pas, les forces armées et les SS étaient ses jambes. Ce fut Hitler et ses cohortes qui créèrent ce monstre d’État policier qui conduisit l’Allemagne à la honte et les nations d’Europe à la ruine.

Il serait de même erroné de considérer l’armature de ce système de police comme quelque chose de fortuit ou sa croissance et son développement comme des phénomènes politiques normaux. Il fut en effet projeté dès les premiers jours par les conspirateurs : les « Vieux lutteurs » nazis avaient des visées despotiques. Ils créèrent les SA au début comme une troupe privée composée d’hommes aux bras vigoureux destinés à manier la matraque contre les adversaires politiques et le fouet contre le Juif. Ils établirent les SS comme la garde redoutée du Führer et d’eux-mêmes. Lorsqu’ils s’emparèrent du pouvoir, ils supprimèrent la protection par la Police et lui substituèrent la persécution par la Police qui était la tâche de la Gestapo. Ils firent disparaître toute apparence de gouvernement libre et s’installèrent eux-mêmes dans le Cabinet du Reich avec les pleins pouvoirs. Ils avilirent les plus hautes traditions de la morale militaire et substituèrent aux officiers des « instruments dociles ». Ils firent disparaître tous les autres partis politiques et mirent au peuple allemand une camisole de force politique, sous la forme du Corps des chefs politiques.

Privez les conspirateurs nazis de ces organisations et ils n’auraient jamais pu accomplir leurs desseins criminels. Supprimez les SS et ils n’auraient pas eu le système des camps de concentration. Supprimez la Gestapo et ils n’auraient pas eu le moyen de procéder à des arrestations illégales et de retenir indéfiniment des prisonniers. Supprimez le Cabinet du Reich et ils n’auraient eu aucun corps législatif servile. Supprimez les militaires obséquieux et ils n’auraient pas pu préparer secrètement leurs attaques ni, finalement, faire leurs guerres.

Les stipulations du Statut donnant au Tribunal pouvoir pour déclarer criminels un groupe ou une organisation et le rôle du Tribunal qui découle de ces clauses ont été abordés dans les arguments juridiques et les mémorandums soumis antérieurement au Tribunal par les Procureurs Généraux. A ce moment, en réponse à une requête du Tribunal, M. le juge Jackson indiqua les motifs qui, d’après nous, justifient de déclarer criminels un groupe ou une organisation. Avant d’entreprendre le résumé des témoignages, il peut être bon d’énoncer à nouveau ces remarques :

1. Il doit s’agir d’un « groupement » ou d’une « organisation » dans le sens de l’article 9 du Statut, c’est-à-dire que ce doit être une réunion de personnes associées ayant des rapports reconnais-sables, un but général collectif et poursuivant un plan d’action commun.

2. L’appartenance à l’organisation doit avoir été basée sur le volontariat, c’est-à-dire que le recrutement de l’organisation, dans l’ensemble, sans avoir égard aux cas particuliers de contrainte exercée dans l’organisation contre des individus ou groupes d’individus, ne doit pas avoir été le résultat d’une contrainte légale.

3. L’organisation doit avoir participé directement et effectivement à l’accomplissement des desseins criminels de la conspiration, et elle doit avoir commis des crimes contre la Paix, des crimes de guerre ou des crimes contre l’Humanité, comme il est indiqué dans l’Acte d’accusation.

4. Les desseins ou les méthodes criminels de l’organisation doivent avoir eu un caractère tel que ses membres puissent être, en général, accusés à juste titre d’en avoir eu connaissance.

5. Selon les termes du Statut, le Ministère Public doit aussi établir que l’un au moins des accusés présents, qui est membre de l’organisation, est coupable d’un acte qui puisse servir de base pour déclarer l’organisation criminelle.

Ce sont là les remarques sur le caractère criminel que le Ministère Public américain a estimé devoir exister contre chaque organisation avant qu’une déclaration de criminalité soit prononcée contre elle. Mon distingué collègue, Sir David Maxwell-Fyfe, a examiné dans son réquisitoire les preuves existant contre la plupart des organisations, et les Procureurs russes et français passeront en revue les crimes particuliers qu’elles ont commis. Je ne parlerai pas du Haut Commandement, car il doit faire l’objet de l’exposé spécial d’un membre du Ministère Public américain.

Avec le consentement du Tribunal, je m’attacherai à déterminer si le Ministère Public a réussi à établir, par des preuves pertinentes, que chacune des organisations citées est criminelle d’après tous les principes établis.

Les témoignages établissent clairement que les cinq organisations en question sont des groupements ou organisations, au sens où nous interprétons ces termes dans le Statut, c’est-à-dire que chacune constitue une réunion de personnes associées ayant des rapports reconnaissables et un but général et collectif.

Il est évident que le Corps des chefs politiques constituait un ensemble de personnes reconnaissable, qui avait un but commun et opérait en tant que groupement. On trouvera des témoignages nombreux sur sa structure et ses fonctions dans des publications nazies : le livres d’organisation de la NSDAP, Der Hoheitsträger, revue officielle du Corps des dirigeants politiques, et dans un tableau d’organisation du Parti lui-même. Les quelque 600.000 membres de ce groupe avaient des uniformes spéciaux, étaient détenteurs de cartes spéciales d’adhérents et jouissaient de privilèges spéciaux innombrables. Le terme « Politische Leiter » n’est pas un terme que nous avons inventé dans le but de donner une apparence de cohésion à un nombre d’individus sans aucun rapport les uns avec les autres, remplissant des fonctions similaires mais sans coordination dans le Parti. Le livre d’organisation du Parti lui-même traite de tous les collaborateurs du Parti comme d’une unité désignée sous le nom de « Politische Leiter ». Il montre la structure hiérarchique selon laquelle ils étaient organisés et la façon dont les ordres étaient transmis automatiquement par la voie hiérarchique à l’échelon le plus bas, et étaient mis à exécution par tous les membres du groupement. Il démontre encore que, dans le fonctionnement de ce corps, le principe du chef atteignit la perfection. Tous les collaborateurs du Parti étaient liés par des serments identiques à l’obéissance sans conditions au Führer et à tous les chefs nommés par lui. A chaque échelon, des conférences fréquentes et régulières étaient tenues et les échelons inférieurs et supérieurs se réunissaient périodiquement pour des discussions politiques. Le Corps des dirigeants constituait une pyramide parfaite dans laquelle chaque pierre, à chaque échelon, était nécessaire pour le maintien de l’édifice tout entier. Il avait un seul but commun, l’entretien de l’organisation et de l’idéologie du Parti nazi.

L’Accusation définit la « Reichsregierung » (Cabinet du Reich) comme comprenant trois catégories de personnes : 1. Les membres du cabinet ordinaire, après le 30 janvier 1933 ; 2. Les membres du Conseil des ministres pour la défense du Reich, et, 3. Les membres du Conseil de cabinet secret. Ces trois catégories constituent ensemble le groupe des quarante-huit membres que nous sommes en train de juger sous le nom de « Reichsregierung ». Chacune de ces classes, prise à part, représente une réunion reconnaissable travaillant dans un but commun. Le cabinet ordinaire de tout gouvernement est le meilleur exemple qu’on puisse trouver d’un groupement. Le cabinet ordinaire du Reich nazi ne différait pas, à ce point de vue, d’institutions similaires dans d’autres gouvernements. Il se réunissait souvent en tant que cabinet, dans les premiers temps du régime nazi, et lorsque plus tard les réunions devinrent rares, il continua à fonctionner sous forme de groupement, promulguant des décrets et des lois, employant une méthode consistant à faire circuler parmi tous ses membres les projets de lois. Le Tribunal a sous les yeux un exemple de cette méthode sous forme d’un mémorandum de l’accusé Frick au chef de la Chancellerie du Reich.

On trouve la même cohésion et la même unité de fonctions dans le Conseil des ministres pour la défense du Reich, conseil créé en 1939. Comme le cabinet ordinaire, ses membres délibéraient au cours de réunions effectives, ainsi que le prouvent les procès-verbaux de ces réunions, en septembre, octobre et novembre 1939. Et, comme le cabinet ordinaire, il fonctionnait aussi en utilisant la méthode de transmission dont la lettre du Dr Lammers aux membres du Conseil des ministres pour la défense du Reich est un exemple typique.

Le conseil de cabinet secret, corps consultatif en matière de politique étrangère, composé de huit membres, était une collectivité identifiable et unifiée ainsi qu’il ressort du décret qui l’a créée.

La réunion de ces trois éléments sous un seul titre, celui de « Reichsregierung », ne constitue pas une tentative de créer un lien artificiel entre trois entités distinctes et indépendantes. En fait, ces trois entités représentaient, dans leur collectivité, un groupe, dans la même mesure qu’elles étaient individuellement indépendantes, car le Conseil des ministres pour la défense du Reich et le Conseil de cabinet secret étaient en réalité composés de membres du cabinet ordinaire. Les décrets créant ces deux comités montrent que leur personnel tout entier était constitué par des personnes qui faisaient partie du cabinet ordinaire. Le cabinet ordinaire et ses comités n’étaient pas seulement unifiés en ce qui concerne le personnel, mais aussi en ce qui concerne l’activité, les fonctions et les buts. Les membres du cabinet ordinaire qui n’étaient pas membres de ces comités assistaient cependant aux réunions du conseil des ministres, ainsi que le prouvent les procès-verbaux de ces réunions et recevaient, en vertu de la méthode de transmission, les projets des décrets préparés par le conseil des ministres. Cette réunion — le cabinet et les comités composés de certains de ses membres — avait un but collectif unique, celui de gouverner le Reich de manière à réaliser les plans des conspirateurs nazis.

Les SA, qui furent créées en 1920, sont un des exemples les plus élémentaires du type de groupement ou d’association envisagé par les articles du Statut. Elles ont été définies par une loi allemande comme une partie composante du Parti, ayant leur propre personnalité juridique, et ont été dépeintes par le livre d’organisation du parti nazi comme une entité distincte. Elles avaient un ensemble identifiable de membres s’élevant de 1.500.000 à 2.000.000, liés les uns aux autres par des règles communes, portant un uniforme distinct, ayant des buts et des desseins communs et poursuivant la même activité. Le but général des SA, but auquel se consacrait la totalité des membres, était exposé de la manière suivante dans le livre d’organisation du Parti : « Être le soutien de la volonté armée du national-socialisme » et, selon le manuel du Parti, un membre devait se retirer s’il n’approuvait plus les vues des SA ou n’était pas en mesure de remplir complètement les devoirs qui lui incombaient en tant que membre des SA.

Comme les SA, les SS étaient, à n’en pas douter, une organisation unifiée. Elles ont été crées par une loi allemande qui en faisait une partie constitutive du Parti ayant sa propre personnalité juridique. Selon le livre d’organisation du Parti, c’était une « force de combat homogène et fermement soudée, liée par des serments idéologiques ». Elle avait des membres nettement identifiables dont le nombre s’élevait à environ 600.000 vers la fin de la guerre ; elle était composée de personnes qui répondaient aux mêmes standards uniformes fondamentaux de l’idéologie raciale. En dépit de ses nombreuses fonctions et activités et de ses nombreuses sections, bureaux et services, c’était une organisation complète et unifiée et c’était, selon la tirade de Himmler adressée aux Gruppenführer SS le 4 octobre 1943 « un bloc, un corps, une organisation ». Elle avait, bien entendu, son uniforme propre et jouissait de privilèges spéciaux, tandis qu’elle poursuivait les buts généraux des conspirateurs nazis, allant des fanfaronnades de voisinage jusqu’aux guerres d’agression et aux crimes contre l’Humanité les plus violents et les plus révoltants, en passant par les cruautés politiques, raciales et religieuses.

Dès les tout premiers jours, les nazis ont considéré cette portion des forces de Police appelée « Gestapo », ou Police secrète d’État, comme un groupe séparé, une masse nettement identifiable accomplissant une fonction commune. Le but même du décret de Göring du 26 avril 1933 établissant la Gestapo en Prusse était de créer dans cette province un seul corps de Police politique secrète, séparé des autres forces de Police prussienne, une force indépendante ayant sa propre tâche particulière, sur laquelle il pouvait entièrement compter. Les mêmes motifs ont conduit à la création de groupes identifiables analogues de Police politique secrète dans d’autres provinces allemandes. Les étapes par lesquelles ces groupes ont été tous rassemblés en une seule force de Police politique secrète pour tout le Reich sont entièrement détaillées dans les décrets et lois qui ont été cités au Tribunal. Lorsque le RSHA, le Service principal de la sécurité du Reich, fut créé en 1939, la Gestapo ne fut pas dissoute mais devint une section distincte de ce service, comme le démontrent le statut du RSHA présenté comme preuve et les témoignages des témoins Ohlendorf et Schellenberg. Ils ont facilement évalué que le nombre de personnes faisant partie de la Gestapo était de 30.000 à 40.000.

Tout au long de ce Procès, la Gestapo et le SD ont été considérés ensemble, du fait que les entreprises criminelles dont chacun est accusé ont été soutenues, dans une mesure plus ou moins grande, par les deux. Le Ministère Public accuse la Gestapo de criminalité en tant que groupement ou organisation séparé ou indépendant. L’Acte d’accusation englobe le SD en s’y référant particulièrement comme faisant partie des SS puisqu’à l’origine il fit partie des SS et garda toujours son caractère d’organisation du Parti, distincte de la Gestapo qui était une organisation d’État. Le SD, bien entendu, avait sa propre organisation, un Quartier Général indépendant avec des posées établis dans tout le Reich et dans les territoires occupés et avec des agents dans tous les pays étrangers. Il se composait d’un personnel de 3.000 à 4.000 spécialistes professionnels, assistés de milliers d’informateurs bénévoles, connus sous le nom de « V-Männer », et d’espions dans d’autres pays, mais nous n’y englobons pas les informateurs bénévoles qui n’étaient pas membres des SS. Nous n’y comprenons pas non plus — et je l’ajoute — les membres de l’Abwehr qui ont été mutés au SD à la fin de la guerre, même si ces membres de l’Abwehr appartenaient aux SS.

Si nous nous demandons où trouver le membre du SD omniprésent, il n’est pas difficile de répondre à la question, bien que, comme nous le craignions, certains arguments et certaines déclarations puissent induire le Tribunal en erreur.

Jusqu’en 1939, on trouvait toujours le membre du SD au service principal du SD du Reichsführer SS ou dans les différents services régionaux du SD. Pendant toute cette période, le SD était sans cesse désigné dans les schémas de l’organisation SS et dans les décrets et instructions du Gouvernement comme une section des SS.

Pendant cette période, le SD était le service de renseignements politique des SS, du Parti et de l’État, et donnait aux services d’exécution de l’État et du Parti, avant tout à la Gestapo, des informations politiques secrètes.

Après 1939, on trouve les membres du SD dans les Ämter III et VI du RSHA, dans les divers services régionaux du SD à l’intérieur de l’Allemagne, dans les territoires occupés, et dans les Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD dans les territoires situés sur les arrières directs du front.

Au cours des explications, quelques confusions se sont glissées dans les caractéristiques du RSHA, du WVHA, de la section d’Eichmann et des Einsatzgruppen. Le RSHA était un élément des SS et son personnel appartenait en gros aux SS. Il était placé sous les ordres du SS-Obergruppenführer Kaltenbrunner. En dehors du SD qui demeura une formation SS, il comprenait la Gestapo et la Police criminelle qui étaient deux services d’État. C’est la raison pour laquelle le RSHA était aussi un service du ministre de l’Intérieur du Reich.

Une autre formation SS exclusive était le WVHA. Il était sous les ordres du SS-Obergruppenführer Pohl qui était chargé de l’administration des camps de concentration et de l’utilisation de la force de travail de leurs internés.

Il n’y avait pas de service Eichmann en tant que tel. Eichmann dirigeait seulement les services de la Gestapo qui étaient chargés des questions religieuses et de la question juive. C’était le service de la Gestapo qui avait, au premier chef, mission de rassembler les Juifs d’Europe et de les enfermer dans des camps de concentration. Ce service d’Eichmann, comme on l’appelait à l’intérieur de la Gestapo, n’était pas plus indépendant de la Gestapo qu’aucun autre service sous les ordres de Müller.

Les Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD — nous considérons qu’il est important de nous rappeler ce nom à jamais — étaient des services de la Police de sûreté et du SD qui opéraient en campagne sur les arrières de la Wehrmacht. Dès que le contrôle policier avait été suffisamment installé dans les territoires nouvellement occupés, les Einsatzgruppen mobiles intervenaient et constituaient des services régionaux aux ordres des commandants de la Police de sûreté et du SD dans les territoires occupés.

Les Einsatzgruppen étaient une partie de la Police de sûreté et du SD, du RSHA, et en tant que telle, une partie des SS, avec cette restriction qu’un certain nombre de gens affectés aux Einsatzgruppen n’étaient pas membres des SS.

En 1939, les services principaux du SD et de la Gestapo furent réunis au RSHA. Mais le SD conserva en permanence son indépendance.

Le Ministère Public a sûrement satisfait aux exigences de la preuve du caractère de groupements de ces organisations, non seulement d’après les règles qu’il s’est imposées à lui-même, mais aussi suivant toutes les règles ordinaires de la raison et de l’expérience.

L’adhésion au Corps des dirigeants était incontestablement volontaire. Personne, n’était obligé d’entrer dans la NSDAP, encore moins de devenir un des chefs du parti nazi. Nous ne doutons pas que beaucoup entrèrent dans le Corps des chefs pour des raisons commerciales, sociales ou pour d’autres raisons égoïstes. Ce sont des motifs banaux d’un prestige politique à bon marché, mais ils ne peuvent pas être équivalents à une contrainte légale. Personne ne fut enrôlé dans le Cabinet du Reich. De plus, quelques-uns de ses membres donnèrent leur démission lorsqu’ils se trouvèrent en désaccord avec ses buts et desseins. Schlegelberger partit à la suite d’atteintes à l’indépendance de la magistrature ; Schmidt donna sa démission parce qu’il était convaincu que le chemin suivi par Hitler menait à la guerre ; Eltz von Rübenach donna sa démission à cause de la politique suivie par Hitler contre les Églises chrétiennes. La grande ambition de la plupart des nazis était d’obtenir une place dans les milieux du cabinet avec ses titres et son clinquant. La rivalité pour ces places était ardente et tout effort actuel pour se protéger, par l’excuse d’une adhésion forcée, contre une déclaration de criminalité de ce groupe, est ridicule.

L’adhésion aux SA était si libre de contrainte que le livre d’organisation du Parti, jusqu’en 1943, pressait les SA de se retirer de l’organisation s’ils ne se sentaient pas capables d’accepter ses buts et son idéologie et d’accomplir toutes les tâches qui leur étaient imposées. Les membres du Parti n’étaient pas obligés de s’inscrire aux SA. Les contrôles et les disciplines imposés aux membres SA dans le cadre de l’organisation n’avaient rien à faire avec le caractère volontaire de l’adhésion elle-même. La soumission volontaire du SA au commandement SA n’est pas la même chose qu’une entrée forcée et involontaire dans l’organisation.

Non seulement les candidats aux SS étaient volontaires mais, de plus, ils devaient satisfaire aux règles très strictes de la sélection, comme l’indiquent le manuel du soldat SS et l’insistance de Himmler pour des demandes d’adhésion libres et volontaires, telles qu’elles sont fixées dans la lettre de 1943 à Kaltenbrunner. Les SS se désignaient elles-mêmes comme un corps d’élite et de choix, annonçaient qu’elles élimineraient soigneusement tout candidat qui ne répondrait pas aux standards raciaux, biologiques et idéologiques des SS, et montraient clairement à tout le monde que des qualités exceptionnelles étaient exigées pour l’adhésion. C’est ce dont Himmler se vantait vis-à-vis de la Wehrmacht lorsqu’il disait :

« Si je réussissais à sélectionner dans le peuple allemand, pour l’organisation, ceux qui appartiennent autant que possible à la race désirée, en leur enseignant la discipline militaire et la compréhension de la valeur de la race et de toute l’idéologie qui en dépend, il serait alors vraiment possible de créer une organisation d’élite qui pourrait se défendre avec succès dans tous les cas graves. »

L’« élite » devait établir son origine nordique. Dans le cas d’un candidat officier, il fallait qu’il remonte à 1750 et, pour un candidat ordinaire, à 1800. En outre, d’extraordinaires standards de taille et de singulières exigences d’apparence nordique étaient fixées, et le passé idéologique et politique de chaque candidat d’« élite » était soigneusement étudié. Il est extrêmement significatif que nous ayons la preuve de l’importance donnée à ces qualités raciales et idéologiques jusqu’en 1943, même dans les Waffen SS. On a prétendu que parce que certains hommes furent incorporés aux Waffen SS dans les dernières étapes désespérées de la guerre, l’organisation, dans son ensemble, n’était pas volontaire. Ceux que l’on a incorporés réellement de force dans les divisions de Waffen SS pourront avoir une défense suffisante au cours des procès à venir, mais nous insistons sur le fait que cette contrainte, née d’un effort énorme fait pour retarder la défaite dans les toutes dernières heures de la guerre, ne change pas l’aspect essentiellement volontaire du recrutement dans son ensemble. Quelle que soit la pression qu’on ait pu exercer pour augmenter le nombre de membres de cette organisation, elle fut à l’origine et resta essentiellement volontaire et basée sur le principe de la sélection.

Le SD, partie des SS, était formé de SS aux qualités particulières. Les actes de cette organisation expliquent très bien la nature de ces qualités particulières, car les dossiers de ce Procès sont, dans ce cas, pleins d’affreux récits de leurs exploits. Un SD était tout simplement un SS renforcé. Si l’adhésion aux SS était, en principe et fondamentalement volontaire comme nous prétendons qu’elle l’était, il s’ensuit automatiquement que l’adhésion au SD était également volontaire.

Le Gestapo fut, de tous temps, une organisation d’État, une branche du Gouvernement semblable, sous tous les aspects ordinaires, à toutes les autres branches du Gouvernement. En considérant le caractère volontaire de ses membres, toutes les autres considérations passent après cette classification essentielle de la Gestapo comme organe de l’État. Si l’adhésion à la Gestapo était obligatoire, l’adhésion à la Police d’ordre, au service de la sûreté, au ministère des Finances même, doit également avoir été obligatoire. Quand la Gestapo fut créée, aussitôt après la prise du pouvoir, il est exact que de nombreux membres du système de Police politique existant déjà dans les différents Länder y furent mutés. Mais ils n’étaient pas légalement obligés de s’y joindre. Comme l’a déclaré Losse, homme de confiance de la Gestapo :

« ...s’ils s’y étaient refusés, ils auraient dû s’attendre à être congédiés sans pension et auraient été menacés de chômage. »

Le témoin Schellenberg a déclaré que les nouveaux membres de la Gestapo étaient recrutés par volontariat. N’importe lequel d’entre eux pouvait donner sa démission et chercher un emploi dans d’autres branches du Gouvernement ou occuper des situations n’ayant pas de rapports avec le service de l’État. Pour devenir membre de la Police secrète d’État, on faisait une demande exactement comme pour faire partie de tout autre service de l’État. Le témoin Hoffmann, au cours de sa déposition devant la commission, a déclaré qu’il avait posé sa candidature pour un emploi dans trois branches du Gouvernement, dont la Gestapo. La Gestapo accepta sa candidature, et c’est ainsi qu’il devint membre de l’organisation. Rien ne pouvait empêcher un fonctionnaire de la Gestapo de donner sa démission si les buts, les activités et les méthodes de cette organisation lui déplaisaient. Le témoin Tesmer a déclaré devant la commission que si un officier refusait d’exécuter un ordre criminel il était probablement renvoyé de son poste. Même pendant la guerre, alors que tous les fonctionnaires du Gouvernement étaient plus ou moins retenus à leur place, les membres de la Gestapo pouvaient donner leur démission. Le témoin Tesmer lui-même démissionna de la Gestapo pendant la guerre, et le témoin Straub déclara qu’on pouvait démissionner de la Gestapo, mais au risque d’être envoyé au front comme combattant. Ce n’était certainement pas une obligation au sens légal du mot. Les sacrifices auxquels les membres de la Police politique pouvaient avoir à faire face à la suite de la démission, tels que la perte des droits d’ancienneté ou la suppression des droits à une pension, ont paru décisifs à ceux qui restèrent dans la Gestapo, mais de telles considérations ne pourraient en aucun cas être interprétées comme une obligation légale justifiant l’appartenance discontinue à une organisation si connue pour ses crimes. Il peut exister des cas particuliers où quelques membres de la sûreté aux armées ont été mutés plus tard à la Gestapo. Dans de tels cas, ces individus peuvent, en raison des ordres militaires reçus, se défendre personnellement d’être responsables des crimes commis par la Gestapo pendant qu’ils en étaient membres. Mais de tels cas particuliers, qui seront jugés au cours des autres procès, ne peuvent en aucune façon affecter le caractère fondamental de la Gestapo en tant que service isolé du Gouvernement, dans lequel il n’était pas plus obligatoire d’entrer ou plus légalement difficile de sortir que d’aucun autre service de l’État.

Il faut de la force de caractère pour supporter les grands maux. Il en a toujours été ainsi. Il peut s’avérer nécessaire à l’homme d’affronter une certaine humiliation et certains sacrifices, afin de refuser d’exécuter les ordres mauvais d’un mauvais maître. Mais la responsabilité des crimes de ces organisations ne doit pas être détournée par l’application d’une idée de contrainte aride, technique ou dénuée de tout sens.

Depuis la fondation du parti nazi, en 1920, jusqu’à la fin de la guerre, en 1945, ces organisations furent utilisées par les conspirateurs dans l’exécution de leurs desseins, et chacune d’entre elles commit un ou plusieurs des crimes indiqués à l’article 6 du Statut et participa à la conspiration générale. Le Corps des chefs fut la première des organisations à entrer en scène. La prochaine étape fut celle de la création, en 1920, d’une organisation semi-militaire, les SA, afin d’obtenir, par la violence, une place prépondérante pour le Parti sur la scène politique. De ce groupement furent tirées, en 1925, les SS, plus choisies et plus fanatiques encore, pour remplacer les SA pendant que ces dernières étaient interdites et se joindre ensuite à elles pour préparer les bases de la révolution. Lors de la prise du pouvoir en 1933, l’organisation qui vint ensuite, le Cabinet du Reich, prit sa place dans la conspiration. Avec le Gouvernement entre leurs mains, les conspirateurs se hâtèrent de réprimer toute opposition latente et, dans ce but, ils créèrent la Gestapo et le SD. La sécurité intérieure étant garantie, ils obtinrent ensuite, pour la réalisation de leurs plans d’agrandissement, le dernier de leurs instruments sous forme d’armée.

Chacun de ces groupements était nécessaire à la réussite de la conspiration. Le Corps des chefs l’était pour diriger et contrôler le Parti, qui devait prendre le pouvoir politique. Les SA et les SS pour combattre, par la violence, les adversaires politiques et, après 1933, pour assurer le contrôle nazi sur l’Allemagne par des activités extra-légales ; le cabinet, pour imaginer et promulguer les lois nécessaires pour assurer la continuité du régime ; la Gestapo et le SD, pour découvrir et supprimer l’opposition intérieure ; et une soldatesque servile, pour préparer et effectuer l’expansion du régime par le moyen de guerres d’agression.

Chacune des organisations continua à jouer un rôle nécessaire et vital constant pendant toute la conspiration. Le programme du régime nazi avait ses racines dans le parti nazi. Ainsi que l’a dit Hitler en 1933 : « Ce n’est pas l’État qui nous donne des ordres, c’est nous qui donnons des ordres à l’État ». Et en 1938, Hitler déclarait encore :

« Le national-socialisme possède entièrement et complètement l’Allemagne depuis le jour où, il y a cinq ans, je quittai la maison de la Wilhelmplatz comme Chancelier du Reich... La principale garantie de la révolution nationale-socialiste réside dans la mise en tutelle complète du Reich et de toutes les institutions et organisations, à l’intérieur comme à l’extérieur, par le parti national-socialiste. » PS-2715.

C’était le Corps des chefs qui formulait la politique de ce Parti. C’était le Corps des chefs qui maintenait l’unité du Parti. C’était le Corps des chefs qui, par l’intermédiaire de la hiérarchie descendante de ses Führer jusqu’au Blockleiter, exerçait son contrôle sur quarante foyers dont les membres tenaient la population entière fermement en mains. Chaque crime figurant dans l’Acte d’accusation était un crime commis par un régime contrôlé par le Parti et c’était le Corps des chefs qui contrôlait le Parti et dirigeait son activité.

Tandis que le Parti, par l’intermédiaire des chefs politiques, donnait des ordres à l’État, c’était le Cabinet du Reich, représentant le pouvoir législatif, exécutif et administratif de l’État, qui transformait ces ordres en lois. De même que le Corps des chefs dirigeait l’activité du Parti, de même le cabinet dirigeait l’activité de l’État. Tous les crimes que nous avons prouvés étaient des crimes de l’État nazi, et le Cabinet du Reich était l’organisme le plus élevé pour le contrôle et la direction politique à l’intérieur de l’État nazi.

Mais la politique et les lois ne suffisent pas. Elles doivent être appliquées et mises en vigueur. Les quatre autres organisations constituaient les organismes exécutifs du Parti et de l’État. Lorsqu’il s’agissait d’appliquer les lois, de découvrir, d’arrêter, d’emprisonner et d’éliminer des adversaires possibles, le SD, la Gestapo, les SS et le mécanisme des camps de concentration entraient en jeu. Le rapport étroit qui existait entre le SD et la Gestapo et l’importance du premier dans le choix des fonctionnaires nazis sont révélés par l’affidavit que Karl Weiss a donné à la Défense et qui affirmait que tous les fonctionnaires de la Police politique étaient triés par le SD avant d’être acceptés dans la Gestapo. Le SD viola l’intégrité des élections allemandes en divulguant les votes au scrutin secret de la population. Quand la politique demanda la guerre, les organisations para-militaires comme les SA et les SS en posèrent les fondements, et des militaristes éminents préparèrent les plans d’une puissante armée allemande. Lorsqu’il s’agit d’exterminer la population des territoires conquis, de la déporter aux travaux forcés et de confisquer les biens, l’OKW et les SS eurent à organiser des opérations communes et, avec la collaboration de la Gestapo, à les mettre à exécution.

Ainsi, le Parti organisait, le cabinet légiférait, et les SS, les SA, la Gestapo et les chefs militaires exécutaient. La façon dont cela a été fait peut être illustrée en prenant un certain nombre des principaux crimes cités dans l’Acte d’accusation et en montrant comment les cinq organisations participèrent à la perpétration de chacun d’eux.

On peut trouver le programme fondamental de l’agression dans les vingt-cinq points du programme du parti nazi, proclamé par Hitler en 1920 et déclaré inaltérable. Ce programme réclamait la réunion de tous les Allemands dans la plus grande Allemagne, l’abrogation des Traités de Versailles et de Saint-Germain, exigeait des territoires et des colonies et la création d’une armée nationale. Comme le montre le manuel du Parti, ce programme était la table des commandements d’où était tiré le dogme de chaque chef politique. Tous les membres du Corps des chefs politiques s’engageaient formellement à suivre ces préceptes et à répandre cette doctrine.

Dès avril 1933, à la suite d’une résolution, le Gouvernement du Reich créa le Conseil de défense du Reich, un corps de membres du cabinet dont la fonction consistait à préparer la nation à la guerre. En octobre 1933, le Gouvernement annonça que l’Allemagne se retirait de la Société des Nations et de la Conférence du Désarmement. Un an et demi plus tard, en mars 1935, il rétablit la Wehrmacht et promulgua le service militaire obligatoire. Il poussa plus loin ses mesures de préparation de la guerre en promulguant, en mai 1935, une loi secrète sur la défense du Reich qui ne fut pas publiée, prévoyant la nomination d’un plénipotentiaire général à l’économie de guerre avec des pouvoirs étendues, et décidant que le plénipotentiaire commencerait sur-le-champ son travail, même en temps de paix. En février 1938, à la veille de l’attaque de l’Autriche, une deuxième partie constitutive du Gouvernement du Reich, le Conseil de cabinet secret, fut créée pour conseiller Hitler dans sa politique étrangère. Et ce fut l’accusé von Neurath, nommé président de ce conseil, qui prit les mesures diplomatiques pour justifier et excuser cet acte d’agression. Après que cette prise de possession eût été accomplie, ce fut le Gouvernement qui assura l’annexion de l’Autriche au Reich, Six mois plus tard, en septembre 1938, par une autre loi secrète non publiée, le cabinet établit un collège de trois plénipotentiaires dont le rôle était de tenir prêts, à tout moment, des plans complets et des mesures pour une guerre soudaine sans déclaration préalable. En novembre 1938, ce fut une loi du Gouvernement qui décida du rattachement du pays des Sudètes à l’Allemagne et, en mars 1939, du rattachement du territoire de Memel. Le Tribunal se souviendra de la réunion dramatique du Conseil de défense du Reich tenue en juin 1939, au cours le laquelle furent achevés les préparatifs pour la guerre à venir et furent approuvés des plans, tels que l’utilisation des prisonniers de guerre et des internés des camps de concentration pour la production de guerre, le travail obligatoire pour les femmes en temps de guerre et l’apport de centaines de milliers de travailleurs du Protectorat qui devaient être rassemblés dans des baraquements.

En août 1939, à la veille de l’attaque contre la Pologne, le conseil des ministres pour la Défense du Reich, la troisième partie constitutive du Cabinet du Reich, fut créé et formé de membres du cabinet pour exercer, en tant que groupe de travail plus réduit, les pouvoirs législatif et exécutif en temps de guerre. Par la suite, ce fut cet élément du Cabinet du Reich, plutôt que le cabinet ordinaire, qui promulgua la plupart des lois afférentes à la poursuite de la guerre, mais avec la connaissance et la participation de tous les membres du cabinet ordinaire.

Tandis que le Gouvernement préparait le cadre administratif et juridique de l’agression, les autres organisations s’occupaient, d’une façon active, de préparatifs relatifs au même but. Une psychologie militariste d’agression du côté du peuple et la création d’une armée puissante étaient essentielles pour préparer la nation à la guerre. Les SA se consacrèrent entièrement à la tâche d’atteindre ce but. D’abord en 1933, en s’engageant dans une campagne intensive de propagande, en réclamant des colonies, un espace vital, l’abolition du Traité de Versailles, en attribuant faussement des desseins agressifs aux voisins de l’Allemagne et en répandant d’une façon générale les lieux communs maintenant bien connus du Parti. Presque en même temps, elles organisaient pour la jeunesse allemande un programme d’entraînement à la technique de la guerre moderne, d’abord dans le plus grand secret puis, à la fin, ouvertement, lorsqu’elles se sentirent elles-mêmes suffisamment prêtes et se furent assurées qu’aucune intervention extérieure ne se produirait. Mais les SA ne se contentèrent pas de simples préparatifs. Lorsque fut entreprise la première action d’agression, dirigée contre l’Autriche, des unités de SA marchèrent à travers les rues de Vienne et s’emparèrent des principaux bâtiments du Gouvernement ; et dans les plans pour s’emparer du pays des Sudètes, les SA formèrent une partie du corps franc Henlein et lui fournirent approvisionnements et équipements.

Les activités des SS étaient semblables à celles des SA et même plus étendues. Comme les SA, elles servirent d’organisation paramilitaire au cours des années précédant 1938. Comme les SA, elles participèrent à l’agression de l’Autriche et au travail de minage de la Tchécoslovaquie au moyen du corps franc Henlein. On ne peut distinguer leurs activités de celles des SA dans ces questions que parce qu’elles jouèrent le rôle le plus important. Leurs forces professionnelles de combat se joignirent à l’Armée pour la marche sur le pays des Sudètes et la Bohême-Moravie, ainsi que pour l’invasion de la Pologne. Un de leurs services principaux, le Volksdeutsche Mittelstelle, était un centre pour l’activité de la Cinquième colonne. Le SD du Reichsführer SS étendait un réseau d’espionnage sur le monde entier et ses agents espionnaient déjà aux États-Unis avant que l’Allemagne leur eût déclaré la guerre. La branche la plus importante des SS, la Waffen SS, fut créée et développée dans le seul but de faire la guerre à l’Est et à l’Ouest. L’histoire honteuse de ses atrocités de guerre n’a pas besoin d’être développée ici. La Gestapo et le SD furent également impliqués dans la perpétration de crimes contre la Paix. L’incident même qui servit de prétexte pour l’invasion de la Pologne et déclencha ainsi toute la guerre fut créé par la Gestapo et le SD. Je parle de l’attaque simulée des Polonais contre la station émettrice de radio de Gleiwitz, où des prisonniers de camps de concentration, habillés avec des uniformes polonais, furent assassinés et laissés comme preuves d’un coup de main polonais afin de fournir à Hitler une justification pour l’attaque de la Pologne. Naturellement, la clique professionnelle militaire prépara et participa à toutes les agressions, depuis la militarisation de la Rhénanie en 1936, jusqu’à l’attaque contre la Russie soviétique en 1941.

La conduite de ces guerres d’agression ne fut possible, pour l’Allemagne, que par l’emploi de millions de travailleurs forcés, et le programme de travail forcé ne fut possible qu’avec l’aide de ces organisations. Sauckel était le maître négrier, mais il avait besoin de 1.000.000 d’hommes du Parti pour faire respecter ses ordres impitoyables. Les SS, la Gestapo et le SD, sur sa demande, conduisirent les esclaves étrangers à l’intérieur des frontières du Reich sous le coup des mensonges, des enlèvements, des séparations de familles désolées, des incendies volontaires, des tortures et des assassinats. Le Corps des chefs, en coopération avec le Front du Travail allemand et les chefs d’entreprises, constituait l’organisme de réception de Sauckel pour ces infortunés. A l’échelon du Reich et à celui du Gau, les membres du Corps des chefs aidèrent à organiser les conditions de logement, de nourriture et de garde pour ces épaves humaines, leur apportant moins d’attention et s’en occupant moins que l’homme primitif ne s’occupait souvent de ses bêtes. Les Gauleiter faisant fonction de commissaires à la défense du Reich dirigeaient, sur l’ordre de Speer et de Sauckel, et dans des conditions de transport les plus révoltantes, les esclaves des dépôts réceptionnaires sur les usines d’armement où, comme des bêtes à l’attache, ils étaient soumis à des hontes indignes de l’homme et travaillaient jusqu’à la mort. Les soins médicaux et même les plus simples fournitures médicales leur étaient refusés. Ils n’étaient même pas logés dans des étables convenables et ils devaient défendre leur existence dans des conditions inférieures à celles d’une bonne écurie. Avec une ignorance profonde des soins à donner en pareil cas, ignorance telle que ne l’a jamais connue un animal domestique ordinaire, des ordres prévoyant l’avortement des travailleuses étaient distribués aux Gauleiter, aux Kreisleiter et à leur personnel. Les gardiens appartenaient à la Gestapo et au SD, et les cellules des camps de concentration attendaient toute personne qui s’élevait contre ce traitement cruel. Encouragés par Speer, les Gauleiter astreignaient les prisonniers de guerre au travail, et les satellites de Rosenberg, stimulés par les exigences de Sauckel, glanaient dans les territoires de l’Est de nouveaux millions d’individus pour l’esclavage. L’Armée en attelait des millions à la construction de fortifications militaires ou à la production militaire, et Keitel exécutait les ordres de Hitler en clouant d’honorables soldats, prisonniers de guerre, à des machines qui fabriquaient du matériel de guerre. Le cupide Göring cherchait des esclaves prisonniers de guerre pour ses industries d’aviation et proposait d’appliquer sous de nouvelles formes les vieux ordres violant les lois reconnues de la guerre ; et son aide de camp Milch pensait à employer de force les prisonniers de guerre russes pour servir des batteries anti-aériennes, à titre de délassement comique dans l’insanité opprimante du moment. La dépravation succéda à la dégradation, et la mort devint le but déclaré des établissements de travail des camps de concentration dirigés par les SS. Par nécessité, tout cela se passait avec la haute approbation du Gouvernement, car le remous causé par l’application de tout ce terrible programme créait de nouveaux problèmes pour l’Allemagne.

Ainsi, les esclaves devaient vivre et souffrir au milieu de la population allemande, car des milliers d’entre eux étaient affectés pour le bien et pour le mal à des chefs de famille, à des grandes et à des petites industries. Jusqu’à ce que, à la fin, aux dernières heures du conflit, sous la pression des nécessités menaçantes de la situation de la guerre, et seulement pour accroître l’effort de guerre, le Gouvernement nazi lui-même fût forcé de donner un ordre pour diminuer la violence contre ceux qui étaient enchaînés. La grande importance de cet ordre ne peut être exagérée. Par ses propres termes, il rend parfaitement clair le fait que la cruauté envers les esclaves était une politique d’État, appliquée par le peuple allemand. C’est une preuve accablante contre toute la nation allemande. C’est, à notre avis, l’un des documents les plus importantes de cette cause. Il est révoltant de constater qu’il émane de la Chancellerie du Reich et de l’Office principal de la sécurité du Reich (RSHA), tous deux organismes importants de l’État, et qu’il fut adressé, par écrit, à tous les chefs politiques jusqu’aux Ortsgruppenleiter et, verbalement, jusqu’aux couches les plus basses de la société allemande.

L’étendue des crimes commis contre les Juifs est trop vaste pour que l’esprit humain puisse la saisir complètement. Toute notre expérience de la vie empêche notre cerveau de le faire. Nous frémissons devant un meurtre bestial, nous reculons devant quelques crimes repoussants, mais lorsque nous sommes en face d’une horreur générale, nous tâtonnons pour trouver une réaction convenable. Nous ne pouvons tout simplement pas concevoir 6.000.000 d’assassinats. Au cours de la vie normale, il est bon qu’il en soit ainsi, mais en pesant les preuves de cette cause, cette impossibilité à réaliser est plutôt une charge pour toutes les parties, excepté pour les coupables. De certains faits, cependant, nous avons effectivement une pleine connaissance et une pleine compréhension. Ils ont tous été prouvés devant ce Tribunal. Nous savons que les organisations accusées partagent toute la responsabilité ides crimes immenses commis contre le peuple juif. Nous savons que les génies du mal du plan nazi ont compris comment entretenir la haine dans une nation. Ils ont facilement commencé, en faisant inscrire par le Corps des dirigeants dans le programme électoral nazi, que seul un membre de la race pouvait être citoyen. Ils posèrent ainsi les fondations’ de l’édifice fondamental qui servit à déposséder les Juifs des droits humains en Allemagne. Ensuite, ce même Corps des dirigeants entreprit la tâche de mener une campagne d’insultes contre tout le peuple juif. Tout échec, tout ennui, toute déception, toute peur, étaient résolus dans le creuset de la responsabilité juive. Dans tout le Reich, des comités hostiles aux Juifs furent créés et placés sous la direction de différents chefs politiques ; et, conduits par le Gauleiter Streicher, des membres du Parti se livrèrent ouvertement à des violences sur les Juifs et leurs biens, en détruisant la synagogue à Nuremberg, ici même. Puis eurent lieu les terribles événements de la nuit du 10 novembre 1938, à l’instigation de Goebbels, chef de la Propagande du Parti, ouvertement assisté par le Corps des chefs et les SA. Pour ajouter la moquerie à leurs méfaits, les nazis créèrent une cour suprême du Parti pour instruire ces crimes, et bien qu’elle eût découvert que les instructions ordonnant ces pogroms avaient été données par téléphone par les Gauleiter à leurs subordonnés, cette cour décida que, dans l’exécution des Juifs, sans ordre ou contrairement aux ordres, « les hommes étaient convaincus du fond de leur cœur avoir rendu un service à leur Führer et à leur Parti ». Couverts par cette hypocrisie judiciaire, pas un des participants ne fut seulement chassé du Parti.

Au cours des années, tandis que ce mouvement de haine se développait, toutes sortes d’actes législatifs d’exception furent mis en vigueur pour restreindre le droit du Juif de se déplacer, pour l’appauvrir et le dégrader. La preuve d’un grand nombre de ces monstruosités législatives, toutes créations du Cabinet du Reich, se trouve dans ce dossier. Les nazis se tournèrent rapidement vers de nouvelles cruautés, et partant d’une politique confuse qui exigeait le départ des Juifs et impliquait leur détention dans des camps de concentration allemands, ils s’enfoncèrent dans leur honte par une proposition du Cabinet du Reich pour la stérilisation de personnes même à demi-juives. Dans une froide atmosphère de sadisme et de péché, le Cabinet du Reich examinait la manière dont il fallait traiter les demi-Juifs et les propositions du Cabinet du Reich furent soumises à Hitler en vue des dispositions définitives. Les SA furent parmi les premiers à employer la force et la brutalité vis-à-vis des Juifs en Allemagne. A la barre, le témoin Severing a dit au Tribunal que durant les années qui suivirent 1921, les SA se livrèrent à une terreur organisée envers les Juifs. Les bandits des rues, ayant presque achevé leurs orgies vis-à-vis des adversaires politiques habituels, trouvèrent alors un nouvel emploi pour leurs matraques et leurs fouets, et de nouvelles issues pour leurs penchants pervers. Chaque Juif était un gibier autorisé et la chasse aux Juifs était ouverte toute l’année. Ils se précipitaient dans des maisons privées, insultaient et terrifiaient les habitants juifs sans aucun semblant de motif ou de provocation, et ils entremêlaient leurs actes de violence et leurs continuelles tirades de propagande calomnieuse antisémite.

L’oppression, la persécution, la mise à l’index et la brutalité employées par le Corps des chefs, le Cabinet du Reich et les SA n’étaient que le commencement du sort atroce que les nazis préparaient aux Juifs. De cette manière, le terrain était préparé pour les sinistres activités de la Gestapo quand celle-ci entra en jeu. Alors vinrent ces agents de la Police secrète avec leurs méthodes de spectres. Les Juifs tremblants furent tirés de leur lit au milieu de la nuit et envoyés dans les camps de concentration sans même un semblant d’accusation, et souvent les membres de leur famille constataient leur disparition au réveil. Des milliers de Juifs disparurent de cette façon, sans qu’on les revît jamais ou sans qu’on en entendît parler et, dans toute l’Europe, les familles survivantes, le cœur douloureux, recherchent des indices ou des renseignements sur leur sort. Il est triste de dire que la seule réponse à toutes ces recherches se trouve seulement dans les dossiers de ce Tribunal, dans les documents des SS, du SD et de la Gestapo, qui ont été saisis, et dans les registres mortuaires des chambres à gaz, des fosses communes et des fours crématoires.

Entre temps, les nazis avaient pris pied sur une grande partie de l’Europe Centrale. Se vautrant dans leurs premiers succès, gonflés d’une confiance prématurée en leur pouvoir de dominer le continent, ils perdirent toute pudeur à propos des Juifs en Allemagne et firent connaître leur condamnation définitive. Les Juifs devaient disparaître d’Europe, non par émigration ou par mouvements de masse, mais par extermination. Ce fut Göring qui ordonna à Heydrich, chef de la Police de sûreté et du SD, d’étudier une « solution totale » du problème juif dans tous les territoires occupés par le Reich. Et c’est Heydrich, en sa qualité de chef de la Police de sûreté et du SD, et agissant sur l’ordre de Göring, qui commanda à la Gestapo d’assassiner tous les Juifs qu’on ne pourrait pas employer au travail forcé. Les membres de la Gestapo, sous le commandement d’Eichmann, se rendirent dans les territoires occupés et, avec l’aide des fonctionnaires locaux de la Police de sûreté et du SD, réussirent à rassembler pratiquement tous les Juifs d’Europe dans des camps de concentration et des centres d’extermination. Avec une furie persistante, les nazis sautèrent de la « solution totale » à la « solution définitive » de Himmler. Ce fut leur dernière mission. Et qui d’autre que Himmler, chef des SS, pouvait mieux s’acquitter de cette mission diabolique ? A ses mains sales et à celles de ses SS fut confiée la mission de détruire complètement les Juifs. Il se sentait attiré par sa mission. Ses SS, qui avalent fait leurs preuves dans le ghetto de Varsovie et dans la suppression des Juifs de Galicie, étaient prêts pour les raffinements des usines d’extermination. Et, avec l’ordre de Hitler à Himmler, le bourreau Höss ouvrit le plus grand centre d’assassinats de l’Histoire. 2.000 êtres humains périrent à la fois dans son abattoir moderne. Dans toute l’Europe occupée par les Allemands, des usines du modèle Höss-Auschwitz gazèrent rapidement des Juifs vivants et détruisirent leurs restes dans des fours qui répondaient aux exigences modernes des opérations massives. Ainsi, les SS permirent à Himmler de déclarer dans son discours de Posen :

« Je veux également vous parler très franchement d’une très grave question, je veux dire la déportation des Juifs, l’extermination de la race juive. C’est une page de gloire de notre Histoire qui n’avait jamais été écrite... » (PS-1919).

Et je tiens à dire, Monsieur le Président, que la citation qui est à la page 29 du texte est incorrecte ; elle doit être supprimée au profit de celle que je viens de lire.

A la fin de la guerre en Europe, un monde incrédule se refusa à admettre le fait de ce crime, un crime qu’on ne comprendra jamais complètement, qu’on n’expliquera jamais entièrement, qu’on ne punira jamais comme il le mérite. Lentement, l’Humanité en vint à l’accepter avec tristesse et avec calme. Mais ce n’était pas fini, car les nazis, par le canal de leur propagande, avaient amené leur poison racial et religieux dans la plus grande partie du monde. Restaurer la santé morale de l’Europe Centrale ne suffit pas, les fuites des égouts des calomnies nazies, ont pollué de nombreuses sources de l’enthousiasme de l’homme, et le virus de la haine, du fanatisme et de l’intolérance a souillé les eaux. Il faudra des générations pour un assainissement mental et moral et pour étouffer cette peste nazie. Ainsi le crime survit aux criminels, aux accusés et à ces organisations.

Le passage des mauvais traitements infligés aux adversaires politiques et aux groupements raciaux et religieux, aux injures et à la mise à mort des prisonniers de guerre, en violation des lois de la guerre, était chose facile pour les membres des organisations accusées. Ces crimes étaient le résultat des buts de la guerre d’agression dont le Cabinet du Reich a la responsabilité directe. L’histoire des mauvais traitements infligés à d’honorables soldats qui avaient dû se rendre est trop bien connue de ce Tribunal pour qu’il soit nécessaire de l’examiner en détail. Il vaut cependant la peine de rappeler que les Reichsleiter Goebbels et Bormann, parlant au nom du Corps des dirigeants du parti nazi, furent bien ceux qui instituèrent la méthode de faire lyncher les aviateurs alliés par la populace allemande. Cette politique sauvage fut exécutée par le Corps des dirigeants du parti nazi tandis que, au même moment, des unités militaires des SS exécutaient de gaîté de cœur des prisonniers de guerre sur tous les champs de bataille. C’est à la Gestapo et au SD qu’incombe la responsabilité principale dans l’exécution de l’ordre barbare donné par Hitler le 18 octobre 1942 et des amendements qui le suivirent, réclamant l’exécution sommaire des commandos et des parachutistes alliés. On ne doit pas oublier non plus que pendant toute la guerre la Gestapo tria les Juifs et les communistes dans les camps de prisonniers de guerre, pour les assassiner délibérément. Le Tribunal se souviendra du document concernant le triage dans les camps de prisonniers de guerre. Ce document a été présenté au cours des dernières parties du Procès et prouve, de façon concluante, que les services locaux de la Gestapo à Munich, Regensburg, Furth et Nuremberg, triaient les prisonniers de guerre en Bavière en vue de séparer les catégories qui devaient être envoyées à Dachau pour être liquidées par les gardes SS. Ces services de la Gestapo étaient critiqués par le Haut Commandement parce qu’ils n’effectuaient pas le triage aussi efficacement qu’il le désirait. La Défense s’est bien gardée de parler de ce crime lorsqu’elle plaida la cause des organisations accusées. C’est un des cas les plus nets de l’assassinat prémédité et entièrement voulu de prisonniers de guerre, en violation du Droit international établi. C’est une démonstration positive complète de la sauvagerie des organisations responsables en ce qui concerne le traitement infligé aux prisonniers de guerre. L’infâme décret « Kugel », en vertu duquel la Gestapo renvoyait les officiers prisonniers de guerre repris au camp de concentration de Mauthausen en vue d’être exécutés par les gardes SS, est une nouvelle preuve du caractère criminel de ces organisations.

Les nazis savaient dès le début que l’Église chrétienne était un obstacle insurmontable à leurs mauvaises intentions, mais avec la fourberie qui les caractérise, ils agirent d’abord contre elle sous le masque de la nécessité d’une législation exceptionnelle, décrétée par le Cabinet du Reich, et qui posait les bases nécessaires pour permettre à une législation ultérieure d’apporter toutes sortes de restrictions aux activités habituelles de l’Église. Ce fut le premier pas décisif, et quand il fut fait, le sort de l’Église chrétienne fut fixé ; il ne fallait qu’attendre et voir la tournure des événements pour le réaliser. Dans tout le Cabinet du Reich de cette époque, composé presque exclusivement d’hommes qui prétendaient porter l’étendard du christianisme, un seul homme, le baron Eltz von Rübenach, se dressa pour la défense de la foi. Les intentions des décrets du cabinet étaient si claires qu’il n’hésita pas à affirmer que le nazisme et la chrétienté ne pourraient jamais s’accorder. Mais pour un Eltz von Rübenach, il y en avait beaucoup d’autres qui étaient prêts à jouer la carte nazie. Pour un brouet politique, ils renièrent leur foi et tendirent aux dirigeants politiques la première arme à utiliser contre le clergé. Ce sont, sans aucun doute, ces premiers pas qui sont à l’origine d’une décadence morale jusqu’alors inexpliquée ; de ces débuts, date le déclin rapide de l’influence de l’Église. C’était ce que voulaient les nazis. Dans leur philosophie politique, il n’y avait pas de place pour César et pour Dieu. Schirach et Rosenberg, en tant que Reichsleiter et membres du Corps des chefs, aidés par d’innombrables complices, s’acharnèrent contre toutes les forces spirituelles, jamais en les attaquant de front, mais toujours en les prenant de flanc, pendant que la meute du Corps des dirigeants diffamait systématiquement le clergé et minait constamment les pratiques religieuses les plus sacrées. La campagne anti-cléricale s’étendit bientôt à la confiscation des biens de l’Église et, dans les dernières années, se manifesta brusquement par la suppression de l’éducation religieuse et même des simples activités spirituelles. On ne peut avoir aucun doute sur l’attitude véritable adoptée à l’égard de l’Église chrétienne, car elle apparaît clairement dans le système d’espionnage organisé institué contre le clergé par la Gestapo et le SD. Pour cette tâche vile, on entraîna soigneusement des membres de ces deux organisations à adopter une ligne de conduite hypocrite permettant d’établir un dossier qui servirait plus tard de base pour une suppression totale de l’Église chrétienne en Allemagne après la guerre. Le mensonge, la falsification, les pièges, furent les principaux moyens employés pour constituer ces preuves fabriquées. La Gestapo ne se contentant pas de briser les organisations religieuses et d’interdire aux groupements religieux les réunions sociales, ou de préparer un faux témoignage, opéra des arrestations massives de membres du clergé, les mit en détention de sécurité et les envoya finalement dans des camps de concentration. Il ne fallait pas s’attendre à ce que les SS se tinssent à l’écart de ce programme fondé sur le mal. Quoique très occupées par leur action néfaste dans l’Europe entière, elles trouvèrent le temps de confisquer, de leur propre chef, les biens de l’Église et des monastères, et assassinèrent sans pitié des centaines de prêtres catholiques dans le camp de concentration de Dachau.

Ainsi, des chrétiens et d’innombrables Juifs furent unis dans une communauté de souffrance. Et, par un étrange concours de circonstances, il se peut que les nazis qui essayèrent de les détruire tous les deux aient jeté les bases d’une entente qui peut devenir meilleure, parce qu’elle a survécu au pire.

Le camp de concentration était l’arme maîtresse de l’arsenal de la tyrannie nazie. C’est aux SA que revient la honte d’avoir les premiers établi et maintenu ces camps, dans lesquels ils envoyaient ceux qu’ils avaient illégalement arrêtés. Même les lieux de réunion des SA furent utilisés pour l’emprisonnement des opposants éventuels qui avaient été abattus et insultés par les SA Les membres des SA servirent de gardiens dans les camps de concentration de l’État pendant les premiers mois du régime nazi et y appliquèrent la méthode de brutalité qu’ils avaient acquise en exploitant leurs camps illégaux. Bien que la base légale de la détention de sécurité eût été le décret extorqué au Président du Reich pour la protection de l’État en 1933, décret q’il suspendait les clauses de la Constitution de Weimar garantissant les libertés civiques du peuple allemand, le Cabinet du Reich institua une procédure sommaire qui rendait plus expéditif l’internement des adversaires politiques et autres personnes indésirables, dans les camps de concentration. Les membres du Cabinet du Reich étaient si intéressés à l’établissement de ces camps que Frick, Rosenberg et Funk, alors qu’ils servaient dans ce corps, inspectèrent les camps. Et le budget du Cabinet du Reich a prévu 125.000.000 de mark pour les SS, pour l’administration et l’entretien des camps de concentration. Afin d’achever la mise en tutelle du peuple allemand, l’organisation des camps de concentration fut placée à la disposition du Corps des dirigeants qui se servit des camps comme d’une décharge pour des milliers de Juifs arrêtés par son ordre au cours des pogroms de novembre 1938. Comme on l’a vu dans l’affidavit du témoin de la Défense, Karl Weiss, les Gauleiter firent souvent pression sur la Gestapo pour faire placer leurs ennemis politiques dans ’des camps de concentration ou pour empêcher qu’ils fussent libérés normalement.

Les collaborateurs militaires avaient un intérêt direct à l’organisation des camps de concentration. Les prisonniers de guerre soviétiques étaient envoyés dans les camps de concentration pour travailler dans les usines de l’armement du Reich et les officiers de l’OKW dressèrent avec la Gestapo les plans suivant lesquels les prisonniers de guerre soviétiques repris devaient être envoyés au camp de concentration de Mauthausen et y être mis à mort pour avoir tenté légitimement d’échapper à leurs tortionnaires.

Mais les deux organisations qui furent le plus intimement liées et engagées dans le système des camps de concentration furent la Gestapo et les SS. Tout au début, les camps politiques étaient sous la direction politique de la Gestapo qui donnait les ordres pour les châtiments à infliger aux internés. Le décret de 1936 stipulait que la Gestapo allait administrer les camps de concentration, mais ce furent les SS qui fournirent les gardiens en les prenant dans leurs bataillons « Tête-de-mort » et qui, finalement, devinrent responsables de toute l’administration intérieure des camps de concentration. La Gestapo resta la seule autorité de l’État nazi qualifiée pour envoyer les prisonniers politiques dans les camps de concentration, quoique le SD se soit joint à la Gestapo pour interner des Polonais qui n’étaient pas aptes à la germanisation. La Gestapo envoya des milliers et des milliers de gens dans les camps de concentration pour le travail forcé et expédia des millions de gens dans des centres d’extermination pour y être exterminés.

Les atrocités commises par les SS dans les camps de concentration sont en elles-mêmes suffisantes pour que les SS soient déclarées organisation criminelle. Le témoin Höss a déclaré que vers la fin de la guerre, environ 35.000 membres des Waffen SS étaient employés comme gardiens dans les camps de concentration. Au cours de sa confession, à jamais inoubliable, il déclara dans cette salle d’audience qu’à Auschwitz seulement, à l’époque où il était commandant, les SS exterminèrent 2.500.000 hommes, femmes et enfants en les gazant et en les brûlant, et qu’un autre demi-million mourut de faim et de maladie, et qu’en outre, parmi ceux qui furent tués, se trouvaient 20.000 prisonniers de guerre russes. Lorsque les SS ne tuaient pas les malades alités, ils les affectaient à un travail qu’ils pouvaient accomplir dans leur lit. Ils ordonnèrent que des femmes prisonnières fussent frappées par d’autres prisonniers et, dans leur sauvagerie sans bornes, ils tuèrent, mutilèrent et torturèrent des internés de camps de concentration en faisant ce qu’ils appelaient des expériences médicales, mais qui n’étaient en fait que des actes de sadisme.

Le système des camps de concentration constituait le noyau du plan nazi de tyrannie. Les conditions dans ces camps étaient cruelles parce que les nazis avaient besoin d’employer la terreur pour maintenir leur emprise sur le peuple. Derrière chaque loi nazie et chaque décret, se dressait le spectre de la captivité en camp de concentration. Les services qui créèrent, maintinrent, dirigèrent et utilisèrent ces camps sont les organisations désignées par l’Acte d’accusation. En plus des crimes tels que la conduite d’une guerre d’agression, la persécution des Juifs, le travail forcé, la persécution des Églises, de même que les camps de concentration, qui ont été examinés, les organisations accusées participèrent à beaucoup d’autres crimes en aidant à la conspiration. Le Corps des chefs joua un rôle .actif en détruisant le mouvement des syndicats libres et les SA entreprirent l’action directe initiale contre les syndicalistes. Les trésors d’art d’Europe furent saisis et pillés par l’Einsatzstab Rosenberg, du Corps des chefs, conjointement avec la Gestapo et le SD. Les SS exécutèrent le programme barbare de germanisation selon lequel les citoyens des territoires occupés étaient privés de leurs foyers et arrachés à leur pays pour faire place aux Allemands de race. La Gestapo et les officiers de l’OKW conçurent et exécutèrent le décret infernal « Nacht und Nebel », selon lequel de malheureux civils des territoires occupés disparaissaient à l’intérieur du Reich de sorte qu’on n’entendait plus jamais parler d’eux. Ainsi, dans ce crime dont les nazis étaient seuls capables, l’angoisse terrible des parents et des amis s’ajoutait à l’assassinat commis de gaîté de cœur.

En aucune façon les activités criminelles de ces organisations ne peuvent être mieux illustrées que par le travail d’assassin des Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD qui furent d’abord organisées par le SD en septembre 1938 en prévision de l’invasion de la Tchécoslovaquie. Avec leurs chefs qui provenaient du SD et de la Gestapo, et les membres des Waffen SS qui se trouvaient dans leurs rangs, ils coordonnaient les massacres et pillages avec les manœuvres militaires, et des rapports sur leurs activités étaient envoyés aux chefs politiques par l’intermédiaire des Commissaires à la Défense du Reich. Même les SA participèrent à ces expéditions anti-partisanes de chacals dans l’Est.

Quand les armées allemandes envahirent la Tchécoslovaquie et la Pologne, le Danemark et la Norvège, les bandits des Einsatzkommandos les suivirent dans le but de réduire toute résistance, de terroriser la population et d’exterminer les groupes raciaux. Ces spécialistes de la terreur firent si bien leur travail que quatre nouvelles unités furent organisées avant l’attaque contre l’Union Soviétique, l’une d’elles commandée par l’infâme chef du SD, Ohlendorf, qui témoigna dans cette salle d’audience sur l’incroyable brutalité de ses actes et sûr les détails horribles de l’opération exécutée en coordination avec les services de l’Armée. On se souviendra de son témoignage en raison de ses récits d’assassinats sans pitié, d’asservissement, de pillages et surtout à cause de l’horrible programme de destruction des hommes, femmes et enfants juifs. L’Humanité n’oubliera pas de sitôt son récit écœurant de l’assassinat des femmes et des petits enfants emmenés dans des camions à gaz, ni les tueurs endurcis dont le cœur se souleva devant l’horrible spectacle quand ils ouvrirent les portes des sinistres voitures au bord des tombes. Ces hommes sont ceux qui s’asseyaient au bord des fossés anti-chars, la cigarette à la bouche, tirant calmement à l’aide de leur pistolet mitrailleur une balle dans la nuque de leurs victimes dénudées. Ces hommes sont ceux qui, d’après leurs propres listes de cadavres, assassinèrent quelque 2.000.000 d’hommes, de femmes et d’enfants. Ces hommes étaient les hommes du SD.

Le tableau d’organisation de la Police de sûreté et du SD, qui se trouve maintenant entre les mains du Tribunal, a été préparé et certifié par Schellenberg, fonctionnaire du SD, chef de l’Amt VI du RSHA, et par Ohlendorf, également fonctionnaire du SD, chef de l’Amt III du RSHA. Ce tableau montre que ces Einsatzgruppen faisaient intégralement partie de la Police de sûreté et du SD et étaient placés sous le Commandement suprême de l’accusé Kaltenbrunner et n’étaient pas, comme on l’a prétendu, des organisations indépendantes placées directement sous les ordres de Himmler. Les officiers de ces groupes étaient pris dans la Gestapo et le SD et, dans une moindre mesure, dans la Police criminelle ; ils recevaient leurs ordres des différents services du RSHA, c’est-à-dire des Ämter III ou VI pour les questions se rapportant au SD, et de l’Amt IV pour les questions se rapportant à la Gestapo. Ils remettaient leurs rapports à ces services et ceux-ci établissaient des rapports groupés qui étaient distribués aux hauts fonctionnaires de la Police et aux Commissaires de la Défense du Reich et dont plusieurs exemplaires ont été versés au dossier au cours de ces débats.

Ici je m’écarte un peu du texte pour répondre à l’argument de la Défense. Le défenseur de la Gestapo a soutenu que la Gestapo a été accusée à tort, mais il a dit que ces crimes avaient été commis par les SS. Ensuite, l’avocat des SS a déclaré devant le Tribunal que les SS avaient été accusés à tort et que les crimes avaient été commis par le SD. Ensuite, l’avocat du SD a dit à ce Tribunal que le SD avait été accusé à tort et que la Gestapo était le véritable coupable.

L’avocat des SS a expliqué que la Gestapo portait également l’uniforme noir et tant redouté, et qu’ainsi des membres de la Gestapo ont pu être, par erreur, pris parfois pour des SS. L’avocat des SS rend la Gestapo responsable de l’administration des camps de concentration, et l’avocat de la Gestapo en a chargé les SS. En fait, chacun de ces organismes de direction a pris part à ces crimes monstrueux contre l’Humanité. C’est un aspect étrange de ce Procès que les défenseurs des différentes organisations ne pensent pas à nier ces crimes mais seulement à en rejeter sur d’autres la responsabilité. Les militaires accusés blâment les chefs politiques d’avoir pris l’initiative de guerres d’agression ; la Gestapo blâme les soldats pour le meurtre des prisonniers de guerre évadés ; les SA blâment la Gestapo pour les meurtres des camps de concentration ; la Gestapo blâme le Corps ’des dirigeants pour les pogroms anti-juifs ; les SS blâment le cabinet pour le système des camps de concentration ; et le cabinet blâme les SS pour les exterminations dans l’Est.

Le fait est que toutes ces organisations s’unirent pour exécuter le programme criminel de l’Allemagne nazie. Comme elles se complétaient mutuellement, il n’est pas nécessaire de définir de façon précise les limites de leur propre action satanique. Quand le Cabinet du Reich promulgua le décret destiné à assurer l’unité du Parti et de l’État, il engagea ces organisations d’une manière indissoluble, pour le bien et le mal. Lorsque les membres de ces organisations prêtèrent à Hitler un serment déraisonnable, ils se lièrent pour toujours à lui, à son œuvre, à sa culpabilité.

Tous les membres du Cabinet du Reich avaient pleine connaissance des fonctions et des activités du cabinet. Ils travaillaient ensemble. Ils se réunissaient en tant que corps. C’est en tant que groupement qu’ils étudiaient les mesures proposées et ils agissaient en tant que cabinet. Tantôt ils se réunissaient en tant que Cabinet du Reidi, tantôt en tant que Conseil de défense du Reich. Mais dans chaque cas ils examinaient en commun la législation proposée et promulguaient les lois qui fournissaient le cachet de la légalité aux machinations des principaux conspirateurs. Les membres du cabinet furent nécessairement informés très largement, chaque année, du régime nazi, par le seul budget du Reich sinon par une autre source, de ce qui se passait en Allemagne. Ils étaient au courant du système des camps de concentration parce qu’ils avaient voté l’argent nécessaire à l’entretien de ces camps, et parce que leurs ministres les inspectaient. Ils étaient au courant des plans en vue d’une guerre d’agression parce qu’ils avaient jeté les bases législatives de l’économie de guerre. Ils étaient au courant des travaux forcés des prisonniers de guerre dans l’industrie d’armement parce qu’ils en avaient établi le projet bien avant la guerre. Ils avaient préparé les projets politiques de tout le programme d’agression et d’extension. L’établissement d’un projet exige des consultations et les consultations communiquent la connaissance.

Tout membre des SA capable de lire avait pleine connaissance des buts et objectifs poursuivis par les SA. L’hebdomadaire Le SA et la revue mensuelle Le Chef SA, exposèrent à maintes reprises les buts, objectifs, travaux et méthodes des SA. Les missions et activités du SA, lorsqu’il se battait dans les rues, lorsqu’il insultait ses adversaires politiques, lorsqu’il infligeait une correction aux Juifs, sont indiquées dans chaque numéro de ces publications. Le caractère paramilitaire de l’organisation sautait aux yeux. Les SA participèrent à l’organisation des élections, au projet d’incendie du Reichstag, aux pogroms anti-juifs, aux opérations de boycottage. Leurs activités étaient très étendues et bien connues, et leur criminalité était publique et notoire. Le Dr Wilhelm Högner, premier ministre de Bavière, a déclaré par affidavit :

« Les gros excès des SA et SS au service de la NSDAP furent commis si publiquement que toute la population les connaissait. Tous ceux qui adhéraient à ces organisations étaient au courant de ces excès. » (D-930).

Les chefs politiques s’occupaient d’information et de propagande. Ils étaient les représentants de l’idéologie et les détectives politiques qui contrôlaient les réactions du peuple. Pour eux, la connaissance était un circuit à double sens. Ils connaissaient le plan et son exécution et ils en connurent les résultats. Un exemple typique est fourni par l’ordre de lyncher les aviateurs alliés. Cet ordre devait passer par le Corps des chefs pour atteindre les échelons inférieurs chargés d’exécuter le lynchage. Ils veillèrent à ce que l’ordre fût mis à exécution et ils firent des rapports sur son efficacité Il n’y avait dans aucune cellule ou block nazi, aucun secret qui leur fût inconnu Le mouvement d’un bouton de radio, la désapprobation indiquée par un visage, les secrets inviolés entre le prêtre et le pénitent, l’ancienne confiance entre père et fils, même les confidences sacrées du mariage, étaient leur fonds de commerce. Leur affaire était de savoir.

Tout membre des SS prêtait serment d’obéissance jusqu’à la mort à Hitler, et on inculquait à tout membre des SS toute la signification de l’idéologie luthérienne. En 1936, Himmler, décrivant les SS comme une organisation de lutte contre le bolchevisme, déclarait ouvertement :

« Nous veillerons à ce que plus jamais en Allemagne, le cœur de l’Europe, la révolution judéo-bolchevique d’une humanité inférieure ne puisse être allumée soit de l’intérieur, soit par des émissaires du dehors. » (PS-1851).

Peut-on douter que les SS aient compris la signification de ces mots ? Ou, encore, cet aveu de Himmler :

« Je sais qu’il y a des gens en Allemagne que la vue de ces uniformes noirs rend malades. Nous en comprenons la raison et nous ne nous attendons pas à être aimés de beaucoup d’entre eux. » (PS-1851).

Le malaise qui accablait les gens à la vue des uniformes noirs était la maladie de la peur, la peur des méthodes brutales des SS, des meurtres qu’ils commettaient dans les rues et des coups qu’ils distribuaient "dans les camps de concentration. Tout le monde savait que les SS aux uniformes noirs étaient les auteurs des meurtres du 30 juin 1934. Von Manstein lui-même, qui appartenait à la Wehrmacht, affirma ici que ses soldats craignaient tant les mauvais SS qu’ils avaient peur de relater les assassinats en masse commis par des SS à l’Est. Ce qu’il est nécessaire de savoir pour incriminer l’organisation SS, c’est ce que savait un membre d’un bataillon « Tête-de-mort » des atrocités commises dans les camps de concentration,, ce que savait un membre des unités destinées à lutter contre les partisans, des assassinats, des enlèvements et du pillage qui avaient lieu derrière la ligne de feu, ce que savait un membre des SS Panzer Divisionen de l’exécution des prisonniers de guerre, ou ce que savait un membre du service de santé SS, des expériences sauvages faites sur des êtres humains. Ils accumulaient ces connaissances grâce au changement fréquent de leur affectation. Les bataillons « Tête-de-mort » qui, tout d’abord, étaient chargés de garder les internés des camps de concentration, furent ensuite envoyés au front, tandis qu’au cours de la guerre les troupes de combat, les Waffen SS, servirent à garder les camps de concentration et à faire des exécutions dans les camps d’extermination. Les lettres SS devinrent le symbole général d’une organisation à la fois sinistre et sauvage.

Les desseins de la Gestapo étaient fixés par la loi et bien souvent examinés dans des publications semi-officielles telles que le Völkischer Beobachter, Das Archiv, la revue de la Police allemande et le manuel fondamental de Best pour la Police allemande. Tout membre savait que la Gestapo était la force spéciale de police organisée par Göring et développée par Himmler en vue d’abattre les adversaires possibles de la tyrannie. Tout membre savait que la Gestapo opérait en marge de la loi, que la Gestapo pouvait arrêter de sa propre autorité et emprisonner d’après son jugement personnel indépendant. Tout membre savait que la Gestapo était l’organisme qui remplissait les camps de concentration d’adversaires politiques. Tous savaient que la Gestapo était organisée dans le but bien défini de persécuter les victimes de l’oppression nazie : les Juifs, les communistes et les Églises. Le droit d’appliquer la torture dans les interrogatoires devait nécessairement être connu de ceux qui les dirigeaient. On ne pouvait faire aucun secret des buts criminels de la Gestapo ou des méthodes criminelles par lesquelles le premier organisme de terreur remplissait sa tâche. Et non seulement ses membres savaient qu’elle était un instrument de terreur, on le savait dans toute l’Allemagne, dans toute l’Europe et dans tous les pays du monde. Le nom même de Gestapo devint le mot d’ordre de la terreur et de la peur.

Nous demandons que le Tribunal fasse preuve de connaissance réaliste et de bon sens dans le jugement de ces organisations et reconnaisse qu’elles sont les plus diaboliques et les plus mauvaises de toutes les inventions nazies. Elles n’échapperont sûrement pas à la condamnation pour les grands crimes qu’elles ont commis à la faveur d’une défense mensongère et peu convaincante qui allègue l’ignorance des faits parmi leurs membres. Pendant de très longues années, après que cette salle aura été vidée et pendant des siècles infinis, l’appel de terreur exercé contre l’Humanité sera fait sous les noms suivants : Nazi, direction du parti nazi, SA, SD, SS et Gestapo.

Plus de 300.000 membres de ces organisations ont été entendus, soit en personne, soit par affidavits. Une clause du Statut stipule qu’il doit y avoir un membre de chacune des organisations présent au banc des accusés qui soit coupable d’un crime imputé à l’organisation dont il était membre, dans le but d’assurer que quelqu’un, présent devant le Tribunal, pût parler en faveur de chacune des organisations. La grande quantité de témoins qui se sont présentés devant la commission et devant le Tribunal au nom des organisations a, en fait, rendue superflue la protection apportée par le Statut aux organisations.

Le degré de criminalité de chaque organisation n’est pas limité par les actes commis par chaque accusé présent qui était membre de cette organisation. Il est amplement suffisant pour répondre aux exigences du Statut que l’accusé, membre de l’organisation, soit coupable d’un crime ayant un rapport avec sa situation de membre. Dans chaque cas, le caractère criminel de l’organisation impliquée est basé sur des témoignages qui excèdent largement les actes criminels particuliers des accusés. La notion d’appartenance, telle qu’elle est indiquée dans l’Acte d’accusation à ce propos, n’est en aucune façon une conception technique. Le mot représentant aurait aussi bien pu être employé puisque l’objet de cette clause était de garantir qu’il y aurait un accusé qualifié pour parler en faveur de l’organisation ou pour la représenter.

Dix-sept des vingt-deux accusés étaient membres du Cabinet du Reich. Tous ces accusés ont pris une part, à un degré plus ou moins grand, aux réunions du Cabinet du Reich, du Conseil de cabinet secret, du Conseil de défense du Reich. Tous ont délibéré, exercé une influence sur la promulgation des lois à laquelle ils ont pris part, sur cette législation qui a abouti à susciter des guerres d’agression et à perpétrer des mesures d’exception contre des minorités raciales. Le caractère criminel de chacun de ces accusés est fondé en partie sur le fait qu’il a appartenu à l’organe législatif suprême du parti nazi, le Cabinet du Reich.

Dix de ces accusés étaient membres du Corps des chefs politiques. Les activités des Gauleiter von Schirach et Streicher illustrent le caractère criminel de tous ces accusés en leur qualité de chefs du parti nazi. Ce fut comme Gauleiter de Franconie que Streicher mena sa campagne venimeuse contre les Juifs, et ce fut comme Gauleiter de Vienne que von Schirach exploita le travail forcé.

Neuf de ces accusés étaient membres des SS. Il n’est guère nécessaire de chercher d’autre représentant de cette organisation que l’Obergruppenführer SS Kaltenbrunner. Voilà un accusé qui était à la tête du département le plus puissant de tous les SS, le Service principal de la sécurité du Reich (RSHA). Ses activités dans la direction de cette organisation se passent de commentaires. Sa honte les déshonore tous.

Huit des accusés étaient membres des SA dont Göring assuma le commandement en 1923, tout au début des luttes des nazis pour le pouvoir. Ce fut Göring qui dirigea les SA dans le putsch de Munich et ce fut Göring qui édifia et fit des SA une troupe de combat composée de voyous des rues.

Göring et Kaltenbrunner étaient membres de la Gestapo. Göring, son fondateur, se vantait que toute balle tirée par la Gestapo était sa balle et qu’il assumait l’entière responsabilité des actes de la Gestapo et ne craignait pas de le faire. Comme chef du RSHA, Kaltenbrunner avait une responsabilité directe dans la Gestapo. Le Tribunal a vu des ordres d’internement dans des camps de concentration portant sa signature dactylographiée ou son fac-similé ; il a examiné les preuves montrant que les exécutions dans les camps de concentration avaient été faites en son nom, et il a examiné plusieurs ordres criminels qui émanaient de lui en sa qualité de chef de la Police de sûreté et du SD et qui étaient adressés aux services régionaux de la Gestapo.

L’interdépendance des accusés et des organisations est démontrée par le fait que la plupart des accusés étaient membres des organisations susnommées. Frank, Frick, Göring et Bormann étaient membres de quatre d’entre elles. Les membres du cabinet Ribbentrop et Neurath étaient généraux SS. Les généraux SA Rosenberg et Schirach étaient membres du cabinet. Les Gauleiter Sauckel et Streicher étaient généraux SA. Le Feldmarschall Keitel et l’amiral Dönitz étaient membres du cabinet. L’assassinat du général français Mesny donne une idée de la signification complète de cette interdépendance. Cet assassinat fut ordonné et préparé par l’Obergruppenführer SS Kaltenbrunner, chef de la Gestapo et du SD, et par l’Obergruppenführer SS Ribbentrop, membre du Cabinet du Reich. Kaltenbrunner régla les détails techniques de l’assassinat et Ribbentrop régla la supercherie. Le défenseur de la Gestapo prétend que le crime fut commis par la Police criminelle du Reich plutôt que par la Gestapo, du fait qu’à l’époque, Panzinger, qui mit l’opération au point dans tous ses détails, avait succédé à Nebe dans ses fonctions de chef de l’Amt V du RSHA. Mais il n’y a rien qui indique que Panzinger abandonna le poste de chef de service de la Gestapo responsable des opérations spéciales et des assassinats. L’assassinat du général Mesny était une opération politique, une question de la compétence de la Gestapo, non de celle de la Police criminelle. Je voudrais au surplus faire remarquer que lorsqu’on a tenté plus tard de considérer cet acte honteux comme une mesure de représailles, j’ai rappelé à ce moment au Tribunal que, d’après la convention de 1929 que l’Allemagne avait signée à l’époque et qu’elle avait fait sienne pendant de longues années, les mesures de représailles contre les prisonniers de guerre étaient explicitement interdites. Toute la tragédie macabre, depuis l’enlèvement truqué de Mesny du camp d’officiers prisonniers de guerre de Königstein, jusqu’à la cérémonie sacrilège qui accompagna l’inhumation de ses cendres avec les honneurs militaires à Dresde, exigeait la connivence du Cabinet du Reich, des militaires, des SS, du SD et de la Gestapo. Dans tout cet épisode particulièrement triste et sordide, on découvre le fait éminent du nazisme tout entier : l’hypocrisie. C’était un meurtre commis en gants blancs, fait sur commande, recouvert de l’étiquette du ministère des Affaires étrangères, portant la froide empreinte du SD, de la Gestapo de Kaltenbrunner, appuyé et soutenu par l’appareil extérieurement respectable de l’Armée de profession.

Les avocats des organisations accusées ont tous passé beaucoup de temps à discuter les principes juridiques découlant du Statut et essayé bien souvent de réviser le Statut lui-même. Ils ont prétendu que la procédure envisagée par le Statut équivaut à un châtiment collectif, que l’idée d’imputer des crimes à des organisations est unique en Droit, et que ces méthodes violent la maxime nulla pœna sine lege. Je ne vais pas examiner les arguments juridiques concernant cette question, étant donné qu’ils ont déjà été traités à fond par le juge Jackson dans son discours prononcé en février. Mais j’affirme encore que nous ne recherchons pas ici une condamnation collective d’individus : nous essayons d’établir une chose et rien qu’une : que ces organisations qui, ensemble, ont imposé à l’Allemagne l’État gendarme et ont perpétré ces crimes, portent dans l’Histoire la caractéristique qu’elles méritent : organisations dont les desseins, les buts et les actes ont été fondamentalement criminels et qui ont violé ouvertement tous les principes de l’honnêteté et du Droit de toutes les sociétés civilisées. Les avocats prétendent que si vous déclarez ces organisations criminelles, leurs membres deviendront des martyrs. J’affirme que si vous acquittez ces organisations, les membres qui ont voué une obéissance sans condition à Hitler et à Himmler et qui ont envoyé des millions de personnes en camp de concentration, maltraité, affamé et assassiné des milliers d’autres personnes au nom de ces organisations, diront : « Nous avons de quoi nous défendre. Ce que nous ont dit Hitler et Himmler, c’était la vérité. Ces organisations auxquelles nous avons obéi sans condition n’étaient pas des organisations criminelles et l’on ne doit pas nous blâmer parce que nous y avons appartenu ». Ils trouveront dans votre acquittement des crimes de ces organisations une justification de ces crimes horribles et une occasion de les faire revivre sous une forme ou une autre pour infliger à nouveau au monde civilisé les terribles conséquences découlant des actes d’un groupement criminel.

On a fait allusion, au cours de l’argumentation, au Sedition Act de 1940. Ce texte n’a pas été cité, comme on l’a prétendu, pour établir que cette loi et le Statut étaient semblables au point de vue légal, mais pour démontrer que le concept de la criminalité d’organisation n’est pas étranger au Droit anglo-américain. D’après la loi de Sédition, chaque accusé peut se défendre devant les tribunaux des accusations de criminalité de l’organisation dont il était supposé être membre. Mais cela ne veut pas dire, en dehors de questions constitutionnelles qui ne peuvent s’appliquer ici, que le congrès des États-Unis ne pouvait prévoir, comme le Statut l’a fait, que le caractère criminel de l’organisation devait d’abord être établi au cours d’un procès où tous les membres pourraient venir en personne ou se faire représenter, tout en réservant leur défense personnelle pour d’autres procès où ils pourraient contester toutes questions, sauf celle de la criminalité de l’organisation. Nous n’avons pas recherché ici une condamnation de criminalité des membres des organisations. Leur criminalité individuelle n’est pas en cause devant ce Tribunal. La seule question en cause est de savoir si le Tribunal va ou ne va pas déclarer ces organisations criminelles.

Monsieur le Président, l’anonymat même que les nazis voulaient donner au crime en se servant de ces organisations nous a harcelé jusqu’à la fin de ce Procès. Lorsque les débats seront terminés, ce même anonymat des organisations harcèlera les Puissances alliées quand elles essaieront de faire le procès de ceux qui sont responsables des ces terribles crimes. C’est un fait qui donne à réfléchir, que la grande majorité des crimes commis au nom de ces organisations ne doit pas rester impunie. Mais le nazisme ne doit pas échapper par cette voie qu’il s’est ménagée. Il ne doit pas revivre dans la personne morale d’organisations secrètes et non démasquées, pour préparer un nouvel assaut contre la civilisation. En déclarant le caractère criminel de ces organisations, ce Tribunal donnera un avis non seulement au peuple allemand, mais aussi au monde entier. L’Humanité saura qu’aucun crime ne restera impuni du fait qu’il a été commis au nom d’un parti politique ou d’un État, qu’aucun crime ne sera négligé parce qu’il est trop grand, que des criminels n’éviteront pas le châtiment parce que trop nombreux.

Le 28 février 1946, dans cette salle d’audience, le Procureur Général des États-Unis d’Amérique, M. le juge Robert H. Jackson, a fait devant ce Tribunal une déclaration relative à la criminalité de ces organisations. Cette déclaration indique la position des États-Unis à l’égard de ces organisations. Je ne puis faire mieux que de la rappeler au Tribunal :

« En administrant une justice préventive en vue d’éviter la répétition de ces crimes contre la Paix, contre l’Humanité, et de ces crimes de guerre, il serait beaucoup plus catastrophique d’acquitter ces organisations que d’acquitter les vingt-deux individus qui se trouvent au banc des accusés. La puissance maléfique de ces accusés a fait son temps. Ce sont des hommes déconsidérés. Celle de ces organisations subsiste. Si ces organisations sont blanchies ici, le peuple allemand en conclura qu’elles n’ont pas fait de mal, et il sera de nouveau aisément embrigadé dans ces organisations reconstituées sous d’autres noms, avec le même programme.

En administrant un juste châtiment, il ne nous serait possible d’acquitter ces organisations qu’en concluant qu’aucun crime n’a été commis par le régime nazi. Car il est irréfutable que ces organisations ont soutenu chacun des buts nazis et se sont unies pour exécuter chacune des mesures nécessaires à leur réalisation.

« Le fait de ne pas condamner ces organisations, conformément aux termes du Statut, reviendrait à déclarer que les buts et les méthodes nazis ne peuvent pas être considérés comme criminels et que le Statut du Tribunal les déclarant tels est sans valeur. »

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 30 août 1946 à 10 heures.)