DEUX CENT QUINZIÈME JOURNÉE.
Vendredi 30 août 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal vient de recevoir une requête du Dr Stahmer pour Göring à propos des affidavits que le Dr Laternser a déposés pour l’État-Major général. Ces affidavits concernaient également Göring. Le Tribunal appréciera la mesure dans laquelle ils le concernent ainsi que les autres accusés.
La Défense propose un second moyen : les organisations, dit-elle, étaient indépendantes les unes des autres et ne se connaissaient pas. Les unes dépendent de l’Etat, les autres du Parti, et l’État et le Parti exercent leur activité dans des domaines différents. Dans le sein même des organisations, des cloisons étanches existaient entre les différentes sections qui les composaient et qui agissaient en toute indépendance. Et, au risque de sacrifier les cellules les plus compromises, les défenseurs s’efforcent de dégager la responsabilité du plus grand nombre possible des groupes soi-disant isolés.
Mais ce moyen est contredit en fait par tout ce que nous savons de l’organisation générale des services du Reich. Comme l’a démontré M. Dubost en établissant la responsabilité personnelle des accusés individuels, l’interpénétration étroite des organisations et des services ne peut être discutée.
L’État national-socialiste est totalitaire. Ses fonctionnaires comme ses services s’inspirent d’une idéologie commune, poursuivent des buts communs et l’unité de l’action est assurée par la pénétration du Parti, expression d’e la volonté politique du peuple dans tous les roulages de l’État.
Dans les textes, cette unification de l’État et du Parti est réalisée par la loi du 1er décembre 1933 : « Le parti national-socialiste, y est-il dit, est devenu le représentant de l’idée de l’État allemand et est indissolublement lié à l’État ». (Article premier.) (PS-1395).
Les services publics doivent coopérer avec les services du Parti.
Dans les faits, cette compénétration, cette unification de l’État et du Parti est réalisée par la concentration dans les mêmes mains des pouvoirs émanant de l’un et de l’autre.
Hitler est en même temps chef de l’État, de l’Armée et du Parti.
Himmler, chef des SS qui dépendent du Parti, est en même temps celui de la Police, qui dépend de l’État.
Les Gauleiter, fonctionnaires du Parti, sont aussi, dans la plupart des cas, les représentants de l’État en leur qualité de gouverneurs du Reich ou de présidents supérieurs de Prusse.
Le chef de la chancellerie du Parti participe à l’élaboration des lois importantes et à la nomination des fonctionnaires supérieurs de l’État.
La loi du 7 avril 1933 permet l’épuration des fonctionnaires d’État suspects de n’être pas suffisamment dévoués au Parti, et nous savons .avec quelle brutalité la même épuration a été opérée dans le Haut Commandement.
Ainsi, dans les faits comme dans les textes, l’interdépendance de l’État, du Parti et de l’Armée est étroitement réalisée, et dans le concret de leur activité, il est impossible de distinguer la part de responsabilité de l’un ou de l’autre.
En faut-il des exemples ? Nous en avons fourni de nombreux et craignons de lasser l’attention du Tribunal.
Suffira-t-il de rappeler la coopération étroite de la Gestapo, du SD, des SS et de l’Armée dans l’élaboration commune des instructions générales et dans l’exécution des opérations contre les résistants, des représailles contre les populations civiles, de l’extermination ’des Juifs ?
N’en trouvons-nous pas la démonstration éclatante dans l’instruction de Hitler, maintes fois citée, du 30 juillet 1944 :
« Tous les actes de violence de civils », disait-il, « de civils non Allemands dans les territoires occupés, contre la Wehrmacht, les SS et la Police et contre les installations dont ils se servent, sont. en tant qu’actes de terreur ou de sabotage, à combattre de la façon suivante :
« a) La troupe et chaque membre séparé d’e la Wehrmacht, des SS et de la Police doivent abattre immédiatement sur place les terroristes et saboteurs pris en flagrant délit.
« b) Quiconque sera pris plus tard, doit être transféré au service local le plus proche de la Police de sécurité et du SD... » (F-673).
En citant par trois fois côte à côte la Wehrmacht, les SS et la Police, Hitler ne souligne-t-il pas l’étroite collaboration de ces organisations ?
Faut-il rappeler une fois de plus les nombreuses instructions de Keitel, l’ordre du maréchal Kesselring du 14 janvier 1944, le journal de marche du général von Brodowski, qui mettent l’Armée à la disposition de la Police au la Police à la disposition de l’Armée pour la répression sauvage des actes de la résistance ?
Faut-il rappeler les ordres de Keitel prescrivant aux généraux commandant en France, en Hollande et en Belgique de faire concourir l’Armée au pillage artistique organisé et dirigé par Rosenberg ?
Le témoin Hoffmann, cité par la Gestapo, n’a-t-il pas déclaré à l’audience du 1er août que le décret « Nacht und Nebel » était l’œuvre de la collaboration du Haut Commandement et du ministère de la Justice ?
Ainsi la Défense espère-t-elle en vain diluer les responsabilités en les répartissant entre les organismes de l’État et ceux du Parti, entre les organisations soi-disant indépendantes.
Elle n’est pas plus heureuse quand elle tente d’établir que des cloisons étanches séparaient, au sein de la même organisation, les diverses sections qui la composaient. A qui fera-t-elle croire que, par exemple, les services administratifs du SD et de la Gestapo ignoraient l’ampleur des déportations quand ils devaient résoudre le difficile problème des convois ou que le service du matériel pouvait ignorer l’extermination par des procédés chimiques, quand il était chargé de réparer les camions à gaz ?
En vérité, tous les services de la Gestapo, du SD, des SS et du Haut Commandement sont étroitement solidaires dans les crimes commis en commun ; et, ce qui est vrai de ces organisations l’est aussi, mes éminents collègues du Ministère Public l’ont démontré, du Cabinet du Reich et des chefs politiques. Les organisateurs sont-ils moins coupables que les exécutants, le cerveau est-il moins responsable que le bras ?
Ainsi croyons-nous avoir démontré la culpabilité solidaire de toutes les organisations que nous vous demandons de déclarer criminelles.
Est-ce à dire que notre dessein est d’obtenir des tribunaux compétents les condamnations les plus sévères contre tous les membres de ces organisations ?
Certes non. En sollicitant de votre justice la condamnation morale des organisations, sans lesquelles les crimes du national-socialisme n’auraient pu être perpétrés, nous ne vous demandons pas de condamner, sans les avoir entendus, des hommes qui, bien au contraire, pourront faire valoir devant les tribunaux compétents leurs moyens de défense personnelle.
Si d’ailleurs le Statut de votre Tribunal édicté que « dans tous les cas où le Tribunal aura proclamé le caractère criminel d’un groupe ou d’une organisation... ce caractère criminel sera considéré comme établi et ne pourra plus être contesté », il ne dit nulle part que devront être traduits devant les autorités compétentes tous les membres de ces groupes ou organisations et nous pensons que devront être poursuivis seulement ceux qui, ayant connaissance de l’activité criminelle du groupement ou de l’organisation, y auront volontairement adhéré, participant ainsi personnellement aux crimes commis par la collectivité.
Nous pensons, d’autre part, que dans l’intérêt d’une justice sereine et dans l’espoir de la pacification universelle, les peines devront être proportionnées à la gravité des infractions relevées, que si les peines les plus sévères pourront en toute justice sanctionner les crimes dont un membre d’une organisation serait reconnu personnellement coupable, la simple affiliation, même volontaire, à l’un de ces groupes ne devrait être punie que de peines privatives de liberté ou même de la simple privation de tout ou partie des droits civils et politiques.
Et si le Tribunal le pense aussi, rien, dans le Statut, ne lui interdit de le dire sous la forme qui lui paraîtra opportune.
Ainsi, Messieurs, votre sentence ne sera pas comme paraissait le craindre le Dr Steinbauer dans sa plaidoirie pour Seyss-Inquart, la conclusion d’un « procès du vainqueur contre le vaincu ». Elle sera la manifestation solennelle et sereine de la justice éternelle.
Dans cette même plaidoirie, tentant d’opposer le langage de M. de Menthon à l’attitude d’un des plus héroïques chefs de la résistance française, devenu le Président du Gouvernement de la République, le Dr Steinbauer rappelait le mot de Georges Bidault visitant, après la libération, les grands blessés allemands : « Camarades, leur disait-il, je vous souhaite une guérison prochaine et un heureux retour dans votre pays ».
Le défenseur de Seyss-Inquart se trompait. Il n’y a pas d’antinomie entre le langage de François de Menthon et celui de Georges Bidault, et les Français comme, je suis sûr, tous les citoyens libres des Nations Unies, seront tous d’accord pour concilier la sévérité nécessaire contre les coupables avec la pitié pour ceux qui n’ont peut-être été que d’es victimes.
En déclarant criminelles les organisations collectives de manière à permettre aux autorités compétentes de frapper les coupables, mais seulement les coupables, en rappelant solennellement au monde qu’une loi morale préexiste à l’arbitraire des hommes et des Gouvernements, qu’elle s’impose aux hommes publics comme aux hommes privés, aux nations comme aux individus et qu’il est criminel de la violer, votre sentence contribuera puissamment à la grande œuvre de pacification universelle qu’entreprennent, dans l’organisation des Nations Unies, comme à la conférence de la Paix, à New-York, comme à Paris, les représentants des peuples libres « dans l’immense espérance des hommes simples au cœur droit ».
Monsieur le Prési’dient, Messieurs les juges. Nous sommes arrivés à la phase finale de ce Procès, qui a été mené avec un soin exceptionnel et une grande maîtrise. Pour les cas individuels des principaux criminels de guerre assis au banc des accusés, le Ministère Public a déjà présenté des preuves complètes. Nous soutenons aussi pleinement l’accusation contre les organisations criminelles : le Gouvernement de l’Allemagne fasciste, l’État-Major et le Haut Commandement des Forces armées allemandes, le Corps dirigeant du parti national-socialiste, de la Police secrète d’État (Gestapo), des SS, du Service de sécurité (SD) et des SA.
Comme les débats l’ont établi, à la tête de l’Allemagne hitlérienne se trouvait une bande de conspirateurs qui avaient usurpé le pouvoir de l’État et la direction de toute l’Allemagne.
Un tel groupe de conspirateurs, exerçant son activité dans un pays de plusieurs millions d’habitants au centre d’un immense appareil d’État, ne pouvait exister sans tout un système d’organisations criminelles auxiliaires, reliant les conspirateurs à la périphérie, les Führer de grand chemin aux Führer des rues et des ruelles. C’est pourquoi, dans l’Allemagne hitlérienne, fonctionnait, sous la direction constante et immédiate des conspirateurs, un réseau d’organisations munies d’un grand pouvoir, le corps des dirigeants de la NSDAP, la Gestapo, les SS, le SD, etc.
La loi de 1933, par laquelle l’appareil du parti fasciste a été fondu avec l’appareil de l’État de l’Allemagne hitlérienne, fut la consécration ouverte et légale de ce fait.
Pour renforcer le lien entre la bande dirigeante et les organisations, chacun des conspirateurs remplissait plusieurs rôles, possédait plusieurs visages : Göring était ministre, commandant des Forces aériennes, délégué au Plan de quatre ans, Reichsleiter, Chef suprême des SA ; Hess était ministre, représentant de Hitler dans le Parti, général des Waffen SS et des SA ; Rosenberg était Reichsführer du parti national-socialiste pour les questions d’idéologie et de politique extérieure, ministre et Obergruppenführer SA, etc. De même que Göring - ministre est inséparable de Göring - Obergruppenführer SS, de même les SS, la Gestapo et les autres organisations criminelles sont inséparables du régime hitlérien. On peut s’imaginer l’Allemagne hitlérienne sans bibliothèques, sans écoles et même sans hôpitaux, mais l’Allemagne hitlérienne ne pouvait exister sans SS et sans Gestapo.
Reflétant cette réalité politique, le Statut du Tribunal Militaire International prévoit deux formes de participation aux crimes des groupements hitlériens : l’article 6 du Statut parle de la participation à un complot criminel, tandis que les articles 9 et 10 parlent de l’appartenance à des organisations criminelles.
Ces deux formes sont organiquement et indissolublement unies entre elles, car elles reflètent, dans des termes juridiques, le rapport et le lien qui existaient en réalité entre le complot et les organisations dans l’Allemagne hitlérienne.
Ayant étroitement lié ces deux formes de participation des hitlériens aux crimes internationaux — la participation à un complot et l’appartenance à une organisation — le Statut du Tribunal Militaire International établit à bon droit, pour l’une ou l’autre forme de participation, des conséquences juridiques diverses.
La participation à un complot qui, par sa nature même, ne peut comprendre un grand nombre de personnes, est prévue par le Statut comme un acte punissable en lui-même.
Par contre, la question de la responsabilité pour l’appartenance à des organisations criminelles comprenant des centaines de milliers de membres est résolue par le Statut du Tribunal d’une façon différente. Reposant entièrement sur les principes de Droit et de Justice, le Statut du Tribunal laisse le soin de déterminer la responsabilité individuelle des membres d’une organisation, qui suppose la détermination de la culpabilité d’un grand nombre d’individus, à la compétence des tribunaux nationaux.
D’après l’article 10 du Statut, « dans tous les cas où le Tribunal aura proclamé le caractère criminel d’un groupement ou d’une organisation, les autorités compétentes de chaque signataire auront le droit de traduire tout individu devant les tribunaux nationaux, militaires ou d’occupation en raison de son affiliation à ce groupement ou à cette organisation ».
Par conséquent, conformément aux stipulations de l’article 10 du Statut, les tribunaux de l’URSS, des États-Unis d’Amérique, d’Angleterre, de France et des dix-huit autres États qui se sont joints à l’Accord de Londres, peuvent naturellement condamner, mais ils ont également le droit de conclure que l’accusé n’a pas du tout été membre de l’organisation ou qu’il n’en a fait partie que nominalement, qu’en fait, il n’avait rien à faire avec l’organisation et, en se basant sur cela, prononcer un acquittement. Toutes ces questions et celles qui s’y rattachent étaient et sont restées de la compétence des tribunaux nationaux. Ces tribunaux-là ne sont limités que sur un point de principe très important : si le Tribunal International reconnaît une organisation comme criminelle, les tribunaux nationaux ne peuvent ni nier ni même contester le caractère criminel de cette organisation. Cette séparation des compétences du Tribunal International et des tribunaux nationaux est extrêmement importante pour comprendre les stipulations du Statut du Tribunal sur les organisations criminelles.
En effet, c’est justement parce que le Tribunal ne doit résoudre que la question générale du caractère criminel des organisations et non les questions particulières de la responsabilité individuelle des membres de ces organisations que le Statut n’indique pas les caractéristiques concrètes de ce qu’est une « organisation » et ne lie dans ce cas le Tribunal par aucune exigence formelle.
L’absence dans le Statut d’une définition détaillée d’une organisation criminelle n’est, par conséquent, pas une omission, mais une position de principe, découlant du fait signalé plus haut et laissant tout le côté concret d’une affaire à la compétence de la juridiction nationale. C’est pourquoi les tentatives d’exiger, pour qu’une organisation soit reconnue criminelle, la présence die certains signes concrets, tels que le volontariat des membres, l’information mutuelle, etc., non seulement ne trouvent pas d’appui dans le Statut, mais sont en désaccord avec sa structure même. La tâche unique et fondamentale qui incombe au Tribunal consiste non pas en recherches de ce genre dont s’occupent et s’occuperont les tribunaux nationaux, mais à établir un fait décisif : à savoir si l’organisation a participé par ses actions criminelles à la réalisation du plan des conspirateurs hitlériens.
C’est justement en vue de cette tâche que le Statut a créé la procédure de mise en accusation des organisations.
En fait, le Statut du Tribunal prévoit la possibilité de décider de la criminalité d’une organisation à la condition absolue d’examiner le cas d’un de ses représentants, assis au banc des accusés. Les accusés, à ce Procès, ont en même temps participé à un complot et ont été des membres dirigeants d’organisations dont le Tribunal doit décider si elles ont été criminelles ou non. Par conséquent, l’ensemble des preuves déjà présentées pour les cas individuels des accusés constitue en même temps le matériel essentiel des preuves relatives aux organisations qu’ils représentent. Les documents qui ont été présentés par le Ministère Public ont montré clairement comment les organisations nommées dans l’Acte d’accusation ont servi d’outil constant et direct pour la réalisation des plans criminels de ces conspirateurs. De cette façon, les débats ont prouvé d’une façon absolue et complète le caractère criminel de ces organisations.
Le Statut du Tribunal, dans son désir d’assurer une instruction aussi complète que possible de l’affaire des organisations, a invité, au moyen de la radio, de la presse et d’annonces spéciales les membres des organisations incriminées à venir présenter au Tribunal leurs explications. Le Tribunal sait quel grand nombre de personnes détenues dans des camps d’internement ont voulu profiter de cette occasion. La formation d’une commission auxiliaire a donné au Tribunal la possibilité d’entendre le plus grand nombre possible de membres d’organisations, qui devront, par la suite, être entendus et jugés par les tribunaux nationaux. Or, voici qu’à la suite de travaux préliminaires compliqués, un groupe de témoins choisi par la Défense s’est présenté devant le Tribunal. Incapable de réfuter les preuves accablantes présentées par le Ministère Public sous forme de documents, la Défense a décidé de leur opposer ses témoins. Messieurs les juges, nous nous souvenons de ces témoins et de leurs dépositions S’il faut encore des preuves du fait que le mensonge était, chez les hitlériens, le compagnon constant et fidèle des crimes, alors les faux témoignages de Kaufmann, Sievers, Manstein, Reinecke, etc., pourront y apporter une illustration frappante. Ces « témoins », dans leur effort ’de blanchir les organisations criminelles dont ils étaient eux-mêmes des membres dirigeants, ont abouti dans leurs propos à une absurdité évidente. D’après eux, les SS et la Gestapo auraient été des sociétés d’élus, un club de nobles, un ordre de chevalerie. Ce n’est pas pour rien qu’avant déjà, le défenseur de Rosenberg a cité cet accusé au nombre des chevaliers. Tous y brillent par la pureté morale et sont remplis de l’amour diu prochain. L’Obergruppenführer des bourreaux professionnels SS se déplaçait pour aller sauver des Juifs des pogroms et des meurtres, tandis que le général Brauchitsch était un ardent pacifiste.
Il est édifiant dans tout cela de constater que d’après les dépositions des témoins toutes les organisations sans exception que l’Acte d’accusation déclare criminelles ! seraient pures et innocentes. Mais alors, qui donc a commis les meurtres de 12.000.000 de citoyens paisibles ? Qui a torturé les prisonniers de guerre et déporté des territoires occupés des millions de gens pour un travail d’esclave en Allemagne ? Il n’y a, paraît-il, pas de responsables !
Ce mensonge, mensonge cynique et impie de gens dont la conscience ne s’est pas arrêtée devant des meurtres et l’honneur devant le parjure, ce mensonge ne mérite même pas d’être réfuté. Lors de l’examen de l’affaire des organisations criminelles, le Ministère Public a présenté ’des documents frappants, témoignant de nouvelles atrocités commises par les organisations hitlériennes criminelles. Les faits, des faits irréfutables, sont établis. La volonté inébranlable de la loi est claire. Le moment est venu de tirer des conclusions.
Au congrès du parti nazi de 1939, Hitler avait déclaré :
« Ce n’est pas l’État qui nous a créés, c’est nous qui avons créé l’État. Il est possible que quelques-uns nous considèrent comme un parti, d’autres comme une organisation, d’autres encore comme quelque chose de différent ; en réalité, nous sommes ce que nous sommes ».
Le présent Procès donne une réponse complète et précise à la question de savoir ce qu’étaient les hitlériens. Le Führer, à la tête d’une bande criminelle de conspirateurs qui apparaissaient dans des rôles et sous des appellations diverses, ministres, Gauleiter, Obergruppenführer, etc., entourée d’un réseau d’organisations criminelles créées par eux et ayant saisi dans leur étau des millions de citoyens allemands, telle était schématiquement la structure politique de l’Allemagne hitlérienne.
C’est pourquoi la déclaration de criminalité des organisations nommées dans l’Acte d’accusation, de même que la reconnaissance de l’existence d’un complot, constituent les conditions nécessaires du triomphe de la justice, triomphe désiré passionnément par tous les peuples épris de liberté.
Au sujet des diverses organisations que le Ministère Public juge nécessaire de reconnaître comme criminelles, je crois devoir ajouter aux arguments convaincants avancés par mes très honorés collègues, les remarques suivantes : dans le paragraphe IV du premier chef de l’Acte d’accusation, sous la rubrique A qui porte le titre « Le parti nazi, noyau central du complot », on lit :
« En 1921, Adolf Hitler devint le Chef suprême ou Führer du parti ouvrier national-socialiste allemand, connu aussi sous le nom de parti nazi, lequel avait été fondé en Allemagne en 1920. Le parti nazi, avec certaines de ses organisations annexes, devint l’instrument de liaison, entre les accusés et les co-auteurs de la conspiration, ainsi qu’un instrument pour la réalisation des buts et desseins de leur complot. »
Au cours des débats, cette assertion a été entièrement confirmée.
Les crimes innombrables de la clique hitlérienne étaient inspirés et dirigés par le parti nazi qui était l’âme du complot fasciste.
Beaucoup parmi les accusés et les prétendus témoins à décharge ont déclaré avoir été des nationalistes qui voulaient protéger l’Allemagne contre un attentat de la part d’autres États. C’est un mensonge évident. Seuls des imposteurs peuvent affirmer que l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Norvège, le Danemark, la Belgique, la Hollande, la Yougoslavie, l’Union Soviétique et d’autres pays épris de liberté aient voulu attenter à l’intégrité et à l’indépendance de l’Allemagne. En réalité, les fascistes allemands étaient non pas des nationalistes, mais des impérialistes, dont le but essentiel et décisif était de s’emparer de territoires étrangers afin d’assurer l’expansion du capitalisme allemand militant. Ils s’appelaient impudemment des socialistes. Seuls, des démagogues effrontés peuvent prétendre que les fascistes allemands qui ont supprimé toutes les libertés démocratiques d’un peuple et les ont remplacées par des camps de concentration, qui ont institué le travail forcé dans les usines et les fabriques et rétabli les méthodes d’esclavage dans les villages d’Allemagne et des pays occupés par eux, sont les défenseurs des intérêts des ouvriers et des paysans.
Et si ces impérialistes et réactionnaires revêtaient le manteau de « nationalistes » et de « socialistes », ils le faisaient uniquement pour tromper le peuple.
Le programme même du parti nazi contenait les fondements d’un plan de domination, de conquête de territoires étrangers et la base du principe de haine du genre humain.
Dans l’une des publications annuelles de la NSDAP, éditées sous la direction de Ley, on lit :
« Le programme est la base politique de la NSDAP et, par conséquent, la loi politique fondamentale de l’État. Tous les principes légaux doivent être appliqués dans l’esprit du programme du Parti. Après la prise de pouvoir, le Führer a réussi à réaliser les éléments essentiels du programme du Parti, depuis les principes essentiels jusqu’aux détails. »
Le parti hitlérien est inséparable du Gouvernement hitlérien, des SS, de la Gestapo et des autres organisations criminelles du régime hitlérien, de même que les chefs nazis assis au banc des accusés sont inséparables des bourreaux d’Auschwitz et de Maidanek, de Babi-Yar et de Treblinka.
« Les résultats que j’ai atteints » — disait Hitler — « sont connus du Parti. Grâce à lui, je suis devenu grand et, à mon tour, je l’ai élevé à la grandeur. »
En fait, peu après la prise du pouvoir par Hitler, le décret du 14 juillet 1933 interdisait la formation de nouveaux partis. La NSDAP devenait le parti unique en Allemagne. Je vous rappellerai que, le 1er décembre 1933, fut promulguée la loi « pour assurer l’unité du Parti et de l’État » dans laquelle il était dit : « Après la victoire de la révolution nationale-socialiste, la NSDAP est devenue le symbole de l’État allemand et est indissolublement liée à l’État. Pour assurer une collaboration étroite entre les organisations du Parti et les services de l’État, le représentant du Führer est nommé membre du Gouvernement du Reich ».
Le paragraphe 3 de cette loi appelle les membres de la NSDAP et des SA (y compris les organisations qui leur sont subordonnées) « les dirigeants et les animateurs de l’État national-socialiste, chargés des plus hauts devoirs vis-à-vis du Führer, du peuple et de l’État ». La loi du 1er décembre 1933 est la mesure fondamentale qui a assuré au Corps dirigeant du parti criminel nazi un pouvoir politique absolu en Allemagne puisque cette loi stipulait que le parti nazi était la personnification de l’État.
Pour gagner au régime fasciste les masses de la population, les hitlériens, tout en jouant sur les sentiments nationaux et en se servant de procédés démagogiques incroyables, ont mis en œuvre la corruption sociale de la façon la plus éhontée. D’importantes organisations furent créées, telles que les Jeunesses hitlériennes, le Front du Travail, les SA, les SS, etc. Beaucoup de membres de ces organisations furent liés au régime fasciste non seulement par des privilèges et des avantages matériels de toute sorte, mais par la responsabilité collective des crimes perpétrés en commun. Quand aux éléments qui étaient mécontents du régime, un instrument écrasant de terreur était dirigé contre eux, avec son réseau étendu de détection, de provocation, de trahison, de camps de concentration et de justice sommaire.
Le système du cumul des fonctions dirigeantes dans le parti nazi avec les fonctions dirigeantes dans les organisations terroristes — SS, SD, Gestapo et Gouvernement — favorisait la réalisation des plans de soumission et de contrôle du peuple et de l’État allemands. Le Reichsführer SS Himmler était en même temps Reichsleiter de la NSDAP. Le ministre des Affaires étrangères Ribbentrop était général des SS, tandis que le représentant du Führer Hess était en même temps ministre du Reich. Le président du Conseil secret Neurath était général des SS, tandis que l’un des chefs de la Gestapo — Best — était Kreisleiter du parti nazi, etc.
Ayant obtenu à l’aide de leur Parti un contrôle absolu sur l’Allemagne, les conspirateurs hitlériens se mirent à la réalisation de leurs plans d’agression. Dans son discours au Reichstag du 20 février 1938, Hitler avait dit :
« La principale garantie de la révolution nationale-socialiste consiste en une domination absolue, tant extérieure qu’intérieure de l’Allemagne et de tous ses organismes et institutions, par le parti national-socialiste. Toutes les institutions se trouvent sous le contrôle des chefs suprêmes du Parti. »
J’ai déjà indiqué dans le réquisitoire final que la NSDAP, sous la direction de Bormann, s’était transformée en une organisation dirigeante de Police, qui se trouvait être en collaboration étroite avec la Police secrète allemande et les SS ; que tout l’appareil du parti national-socialiste était appelé à travailler à la réalisation des plans criminels d’agression des chefs de l’Allemagne hitlérienne ; que l’appareil du Parti avait pris une part active aux mesures des autorités allemandes, tant militaires que civiles, pour l’utilisation inhumaine de prisonniers ’de guerre et des populations des territoires occupés emmenées en esclavage.
Lorsqu’il a été question, au cours des débats, du mensonge de Goebbels, de la terreur de Himmler et de la perfidie de Ribbentrop, cela se rapportait au parti nazi tout entier. Lorsque le Ministère Public présentait les preuves de l’activité criminelle de Göring et de Hess, de Rosenberg et de Streicher, de Schinach et de Frank, de Speer et de Sauckel, c’étaient en même temps des preuves contre la NSDAP, dont les accusés étaient les chefs. Ces preuves sont tout à fait suffisantes pour reconnaître tout le parti nazi comme une organisation criminelle, comme l’entend l’article 9 du Statut du Tribunal Militaire International. Cependant, le Ministère Public ne pose pas la question de la responsabilité des simples membres du Parti, dont un grand nombre furent victimes de leur crédulité.
Nous posons la question, en plein accord avec l’Acte d’accusation, de ne déclarer une organisation criminelle qu’en ce qui concerne les membres dirigeants du parti nazi, qui étaient le cerveau, l’ossature et l’âme de ce Parti, sans lesquels les conspirateurs hitlériens n’auraient pas pu réaliser leurs plans criminels.
Le Corps des dirigeants était un groupe choisi spécialement au sein même du parti nazi, et en tant que tel était doté de prérogatives spéciales. Les chefs politiques étaient organisés conformément au principe du chef qui s’appliquait non seulement à Hitler, mais aussi à tous les membres dirigeants.
« La base de l’organisation du Parti est le principe du chef » disait-on dans le statut d’organisation du parti national-socialiste.
Chaque chef politique prêtait serment. D’après le statut du Parti, le texte du serment était le suivant : « Je jure une fidélité absolue à Adolf Hitler. Je jure de lui obéir sans discussion, de même qu’aux chefs qu’il m’aura désignés ».
Tous les chefs politiques étaient nommés selon un choix spécial. La seule distinction était que les uns — les Reichsleiter, les Gauleiter et les Kreisleiter — étaient désignés par Hitler lui-même ; d’autres — les chefs des « Ämter » et des sections d’un Gau ou d’un Kreis, de même que les Ortsgruppenleiter — étaient nommés par le Gauleiter ; tandis que les chefs politiques comme les Zellenleiter et les Blockleiter étaient désignés par le Kreisleiter.
Vous avez vu défiler devant vous, Messieurs les jugea, un grand nombre de ces Reichsleiter et Gauleiter. Au banc des accusés sont assis les Reichsleiter Rosenberg, Schirach et Frick. Avec les Reichsleiter absents — Bormann, Himmler, Ley et Goebbels — ils formaient la tête du Parti et du Gouvernement hitlérien et ce sont eux aussi qui étaient les chefs du complot fasciste. Vous voyez assis là le Gauleiter de Franconie, Streicher. Le négrier Sauckel était Gauleiter de Thuringe. Vous avez entendu parler de l’activité de bourreau exercée en Ukraine par Erich Koch. Erich Koch était aussi Gauleiter. Le Gauleiter de Basse-Styrie, Uiberreither dirigeait les fusillades et les exécutions en masse en Yougoslavie. Je rapporterai quelques notes brèves sur son activité.
« 20 juin 1942 : dans le district de Cilli, pendant la période en question, ont eu lieu 105 exécutions et 362 arrestations... Le chef de la Police de sécurité va, dans les quinze jours, évacuer la prison de Cilli. Les détenus seront en partie transférés dans d’autres prisons, en partie fusillés. De cette façon, nous ferons de la place pour la prochaine action de grande envergure.
« 30 juin 1942 : soixante-sept personnes, dont six femmes, ont été fusillées à Cilli... »
Le Gauleiter Wagner sévissait en Alsace, le Gauleiter Terboven en Norvège. Le chef de la NSDAP à l’étranger, le Gauleiter Bohle, organisait et dirigeait un vaste réseau d’espionnage, d’agitation et de terrorisme à l’étranger et créait dans divers pays ce qu’on a appelé la Cinquième colonne. Par le décret du 1er septembre 1939, seize Gauleiter furent nommés commissaires à la Défense du Reich. Plus tard, étant donné la nécessité de poursuivre la mobilisation des réserves militaires, les Gauleiter ont été appelés à remplir des fonctions toujours plus importantes. Chaque Gau devint une région de défense du Reich, et chaque Gauleiter, le commissaire de cette région.
Le décret du Conseil des ministres pour la défense du Reich, en date du 16 novembre 1942, ordonne que « pendant la durée de la guerre, les Gauleiter seront chargés de fonctions spéciales ». Pendant lai guerre, les Gauleiter s’occupaient également des questions du logement des troupes ; on leur confiait d’importantes massions militaires ; toutes les branches de l’économie de guerre allemande étaient coordonnées par eux.
A la fin de la guerre, les Gauleiter étaient à la tête du Volkssturm, dans leurs régions respectives.
Souvenons-nous que lorsque Speer fut nommé en mars 1945 délégué de Hitler pour la destruction totale des objectifs industriels, des ponte, des voies ferrées et des moyens de communication, ce fut aux Gauleiter qu’il adressa son télégramme, car c’étaient eux qui dirigeaient sur place la destruction des objectifs importants.
Et, après tout cela, la Défense essaie de présenter le parti hitlérien comme une sorte de société de bienfaisance et ses dirigeants ’dans le rôle de dames patronnesses, s’efforçant d’embrouiller cette question pourtant claire par un amoncellement de dépositions écrites, recueillies dans diverses prisons ou camps où se trouvent les fascistes arrêtés.
Le défenseur Dr Servatius comprend que la valeur probatoire de cet amas de dépositions écrites est extrêmement douteuse. Et il fait appel à un dernier argument lorsqu’il déclare : « Le défenseur n’a pas été à même de visiter les camps en Autriche, en l’absence d’une autorisation pour la zone soviétique « . Après ceci, les dépositions des témoins à décharge sont-elles donc devenues plus convaincantes ? La situation se trouve-t-elle donc changée du fait que le Dr Servatius ne s’est pas rendu en Autriche ? Il a été donné au Dr Servatius toute possibilité de visiter les camps de la zone d’occupation soviétique. Il a été dans certains camps, il savait que les journaux paraissant en zone soviétique et la radio avaient communiqué à maintes reprises que les membres des organisations avaient le droit d’adresser des déclarations au Tribunal et d’y prendre la parole. Le Dr Servatius savait tout cela et n’en a pas moins tenté d’induire le Tribunal en erreur. Il s’y est également efforcé dans d’autres cas.
Lorsque le Dr Servatius se réfère à l’ordonnance de Hess du 27 juillet 1935 pour étayer le fait que le Corps des chefs politiques n’existait pas et que le terme même de « chefs politiques » n’aurait pas été officiel, il omet de dire que la même ordonnance de Hess stipule :
« Le terme de « chefs politiques » demeure, bien entendu, en usage ».
Le Dr Servatius augmente artificiellement le chiffre des membres dirigeants de la NSDAP jusqu’à 2.100.000 hommes pour prêter démagogiquement à l’Accusation l’intention de punir des millions d’Allemands. En même temps, il affirme sans la moindre preuve que parmi les membres du système des Gauleiter, 140.000 n’étaient que des membres d’honneur, dans le but de soustraire à la responsabilité judiciaire les chefs fascistes éminents.
L’infâme fasciste Kaufmann, cité par la Défense à la barre des témoins, membre de la NSDAP depuis 1921, avec vingt ans d’expérience de Gauleiter, n’aurait rien su des crimes commis par les conspirateurs hitlériens ; il était du reste « socialiste » et ne s’occupait que du bien-être de la population.
Un autre témoin à décharge, Hans Wegscheider, qui avait été pendant douze ans Ortsgruppenleiter, est allé encore plus loin dans ses dépositions. Pendant ces douze années, il n’aurait même pas eu le temps de lire Mein Kampf.
Un troisième témoin, Meyer-Wendeborn, Kreisleiter depuis 1934, dans ses efforts pour disculper ses complices, a même surpassé Kaufmann ; alors que ce dernier a répondu par l’affirmative à la question : « Les Blockleiter et les Zellenleiter faisaient^ils partie des chefs politiques ? » Meyer-Wendebom répondit : « Non ».
On pourrait prouver par d’autres exemples encore l’inconsistance de la position de la Défense. Mais j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’entamer une polémique avec une Défense qui a recours à des témoins du genre de Kaufmann, Wendebom et leurs semblables.
Parmi les chefs politiques de l’Allemagne hitlérienne — ce terme, tel qu’il ressort du document de la Défense n° 12, a été consacré par l’ordonnance de Hess du 27 juillet 1935 — il y avait dans les cadres de la hiérarchie nazie un groupe à part : celui qu’on appelait les Hoheitsträger ou détenteurs de souveraineté. Ils occupaient une position spéciale Le groupe des Hoheitsträger comprenait, outre les Gauleiter et les Kreisleiter, les Ortsgruppenleiter, les Zellenleiter et les Blockleiter.
Le caractère particulier des chefs politiques qui étaient Hoheitstràger est indiqué dans le livre d’organisation de la NSDAP et dans un journal spécial Der Hoheitsträger, qui était secret sauf pour un cercle déterminé de dirigeants de la NSDAP, des SS et des SA.
Le contenu du journal Der Hoheitsträger montre que les dirigeants du parti nazi se préoccupaient constamment des mesures et des doctrines dont l’application constituait la réalisation du complot fasciste. En 1937-1938, le journal s’occupait de l’ensemble des questions suivantes : articles antisémites calomnieux, entre autres ceux du fameux Ley ; attaques contre l’Église ; justification d’une expansion de l’espace vital et nécessité de conquêtes coloniales ; motorisation de l’Année ; utilisation des cellules et des blocs nazis pour atteindre des résultats électoraux favorables aux hitlériens lors des votes ; culte du Führer ; théories raciales, etc.
Ces sujets étaient traités dans chaque numéro. Et après cela la Défense essaie d’affirmer que les dirigeants du parti nazi n’étaient pas au courant ’des plans des conspirateurs hitlériens. Les nazis essaient maintenant par tous les moyens de désavouer leurs liens compromettants avec la Gestapo et le SD, mais l’existence de ce lien est indiscutable.
Dès le 26 juin 1935, Bormann avait publié une ordonnance ainsi rédigée :
« Afin d’établir un contact plus étroit entre les groupes du Parti et ses organisations et les chefs de la Gestapo, l’adjoint du Führer demande que les chefs de la Gestapo soient convoqués à toutes les réunions importantes du Parti et de ses organisations. »
Dans une autre ordonnance du 14 février 1935, signée également par Bormann, il était dit :
« Dans la mesure où le succès du travail du Parti dépend, dans l’essentiel, du travail du SD, il est inadmissible que son élan soit à la merci des attaques provoquées par des échecs individuels. Au contraire, il faut l’aider de toutes nos forces. »
Le Tribunal dispose d’un grand nombre de preuves relatives aux crimes les plus graves auxquels ont pris part tous les ’dirigeants du parti nazi, depuis les Reichsleiter jusqu’aux Blockeiter. Je me contenterai d’en rappeler quelques-uns.
Réalisant les plans des conspirateurs hitlériens pour la réduction en esclavage des peuples de Yougoslavie, le Kreisleiter de la circonscription de Pettau détruisait, avec l’aide des Ortsgruppenleiter et des Blockleiter, toutes les inscriptions, enseignes, affiches, etc., écrites en langue Slovène. Ce chef fasciste alla jusqu’à charger les Gruppenleiter de « veiller à ce que les inscriptions en Slovène soient aussi enlevées rapidement et complètement de toutes les statues, chapelles et églises ».
Dans sa lettre du 13 septembre 1944 adressée à tous les Reichsleiter, Gauleiter et Kreisleiter, Bormann leur annonçait l’accord conclu avec l’OKW au sujet de la « collaboration du Parti dans l’utilisation du travail des prisonniers de guerre. C’est pourquoi les officiers chargés des questions relatives aux prisonniers de guerre ont reçu l’ordre de travailler en collaboration étroite avec les Hoheitsträger ; les commandants des camps de prisonniers de guerre devront immédiatement mettre des officiers de liaison à la disposition des Kreisleiter ».
On connaît les résultats de cette collaboration et la façon dont les prisonniers de guerre ont été utilisés en Allemagne.
Le décret de Göring du 27 mars 1942, à propos de la nomination de Sauckel au poste de délégué général à l’utilisation de la main-d’œuvre, prévoyait que celui-ci aurait le droit de donner des ordres « également aux organes du Parti et à ses éléments composants, ainsi qu’aux organisations affiliées ».
Et Sauckel a fait usage de ce droit ; comme Sauckel l’écrivait dans son « programme publié le jour anniversaire du Führer », il avait, « avec l’accord du Führer et du Reichsmarschall, de même que celui du chef de la chancellerie », délégué ses fonctions à tous les Gauleiter du Reich. Les devoirs des Gauleiter étaient formulés de la façon suivante par l’ordonnance de Sauckel :
« Assurer un fonctionnement sans heurts et coordonné de tous les services du Gouvernement et du Parti, tant militaires qu’économiques, pour obtenir un rendement maximum dans l’utilisation de la main-d’œuvre ».
Le 25 septembre 1944, Himmler publia une ordonnance absolument secrète « pour assurer la discipline et le rendement des ouvriers étrangers ». Dans cette ordonnance, Himmler donnait l’instruction « ... aux chefs d’entreprise d’observer avec le plus grand soin l’état d’esprit des ouvriers étrangers. Dans ce but, une collaboration étroite des services du Parti, du Gouvernement et de l’économie avec la Gestapo est nécessaire ».
Plus loin, cette ordonnance stipulait que tous les membres de la NSDAP travaillant dans les entreprises industrielles étaient tenus, par ordre du Kreisleiter et par l’intermédiaire de l’Ortsgruppenleiter, « de surveiller, eux aussi, de la façon la plus serrée, les ouvriers étrangers et de rapporter fidèlement leurs moindres observations aux chefs nazis des entreprises afin que ceux-ci les transmettent aux délégués de l’Abwehr ».
Là où il n’y avait pas de délégué permanent de l’Abwehr, ces renseignements étaient communiqués aux Ortsgruppenleiter.
L’ordonnance de Himmler prévoyait que « dans l’intérêt de l’unité de la direction politique, les délégués du contre-espionnage devront être convoqués quand il y aura lieu par le Kreisleiter, en accord avec le chef de la Gestapo, afin d’être instruits de la situation politique ».
Voilà en quoi consistait la « direction politique » des Kreisleiter et des Ortsgruppenleiter. Ces fonctions d’espion étaient également remplies par les Blockleiter ; le livre d’organisation de la NSDAP le dit clairement.
« Le Blockleiter doit dépister tous ceux qui font courir des bruits nuisibles et en rendre compte aux Ortsgruppenleiter afin que ces derniers, à leur tour, en fassent part aux autorités de l’État. »
Le Blockleiter était « le propagateur de l’idéologie nationale-socialiste parmi la population placée sous sa tutelle politique, et parmi les membres du parti fasciste c’est lui qui recrutait les membres des Jeunesses hitlériennes, des SA, des SS et du Front du Travail allemand, qui veillait à la fréquentation des réunions nationales-socialistes, à la participation aux manifestations publiques, etc. »
« Le Blockleiter fait une propagande nationale-socialiste incessante ».
Le caractère de la propagande nazie est bien connu de tous :
« Nous voulons de nouveau des armes » écrivait Hitler. « C’est pourquoi tout, depuis l’ABC de l’enfant jusqu’au dernier journal, chaque théâtre et chaque cinéma, chaque colonne et chaque panneau d’affichage disponible doivent être mis au service de cette unique et grande mission. »
Tous les Allemands ne connaissaient pas ces paroles de Hitler, mais chaque Allemand connaissait le Blockleiter de son secteur et ce Blockleiter répandait sans cesse l’infection fasciste, empoisonnait la conscience des hommes, favorisant la réalisation des plans communs des conspirateurs hitlériens.
Les Blockleiter étaient de petits Führer, mais eux aussi possédaient un pouvoir très réel sur les citoyens vivant dans leur secteur. Bien entendu, les Blockleiter n’ont pas élaboré de plans de guerre d’agression, mais ils ont beaucoup fait pour que ces plans soient réalisés. Ils étaient également un élément très important du parti nazi, qui constituait le centre du complot fasciste.
Voilà pourquoi nous insistons pour que soient reconnus comme organisation criminelle le groupe des chefs politiques du parti nazi, tous les Führer grands et petits, les Reichsleiter et Gauleiter, les Kreisleiter et Ortsgruppenleiter, les Zellenleiter et Blockleiter, tout l’ensemble des dirigeants du mécanisme monstrueux de la dictature fasciste.
Parmi les autres organisations criminelles créées par le fascisme allemand, il faut réserver une place à part à ce que l’on a appelé les « échelons de protection » du parti hitlérien ou « Schutzstaffel » ou, en abrégé, SS.
A l’appelation « SS » se rattachent les plus grands crimes du fascisme allemand, les exécutions massives dans les camps de concentration, les mesures impitoyables dirigées contre les populations pacifiques et les prisonniers de guerre, les monstrueuses « actions » collectives.
Dans l’essentiel, c’étaient justement les « SS » qui étaient chargés de la réalisation pratique des plans de Hitler et de sa clique, visant à l’extermination des peuples.
Himmler, en sa qualité de Reichsführer SS, appelait souvent les SS le « Corps noir ». De même, Das Schwarze Korps, le « Corps noir », était le nom que portait le journal officiel des SS, l’organe du Reichsführer SS. Ce n’était pas un terme pris au hasard. Tout le système des SS, depuis ce qu’on appelait les « Allgemeine SS » et jusqu’à la garde des camps et aux « Waffen SS », était vraiment constitué comme un « corps » spécial de criminels, sûrs de l’impunité, spécialement entraînés et formés dans l’esprit des théories hitlériennes les plus cruelles et les plus inhumaines. Les principaux conspirateurs fascistes avaient besoin d’effectifs pour accomplir les meurtres de millions d’habitants des pays asservis, pour l’invasion de territoires et la réalisation pratique de la soi-disant « germanisation ». Ces tâches-là étaient justement accomplies par les membres des SS. L’organisation SS se constitua et devint la garde prétorienne de Hitler, une organisation d’assassins et de faiseurs de pogroms ; elle garda ce même caractère pendant toute la durée de son existence.
Au nombre des autres preuves, le Ministère Public soviétique a présenté un numéro du journal Das Schwarze Korps en date du 20 août 1942 qui comporte un éditorial intitulé « Faut-il germaniser ? ». Les points du programme de Himmler contenus dans cet article ont une telle importance lorsqu’il s’agit d’expliquer la nature des SS que je vais me permettre à nouveau de citer un bref passage de cet article : « ... Le Reichsführer SS a lancé le mot d’ordre suivant : notre mission n’est pas de germaniser l’Est, au vieux sens de ce mot, c’est-à-dire d’inculquer à la population la langue allemande et les lois allemandes, mais d’obtenir que l’Est soit exclusivement peuplé de gens de sang véritablement allemand et germanique ».
Cet article avait été publié à l’intention de tous les SS à l’époque où le fascisme allemand criminel était encore sûr de la victoire et était déjà passé à la phase pratique de l’extermination de millions d’êtres humains.
Le 4 octobre 1943, à la conférence des Gruppenführer SS à Posen, le fondateur des SS, Himmler, parlant de l’extermination des Juifs d’Europe, s’exprimait d’une manière à peu près semblable. Je ne citerai pas ce discours qui a été lu hier par mon collègue Sir David.
Je ne m’attarderai pas à l’histoire des SS. En rapport avec ce qui a été dit plus haut, on peut simplement mentionner le fait que les SS, constituées dès 1925, se virent élevées par un décret spécial de Hitler daté du 20 juillet 1934 au rang d’une organisation autonome du parti hitlérien, et cela précisément à la suite des meurtres politiques commis par les SS le 30 juin 1934.
Il est dit dans le décret de Hitler :
« Étant donné la vaillante attitude des SS, notamment à l’occasion des événements du 30 juin 1934, j’élève les SS à la situation d’une organisation autonome au sein du parti nazi ».
L’histoire de l’évolution des SS dans le système du Gouvernement hitlérien témoigne de la fusion toujours plus intime des SS, tant des « Allgemeine SS » que des « Waffen SS », avec l’appareil de la Police : Gestapo, SD, Einsatzgruppen et Sonderkommandos, qui réalisaient les « actions » collectives, les « filtrages » dans les camps, etc.
Cette évolution fut consacrée par l’ordre secret de Hitler, en date du 17 août 1938, dans lequel Hitler, exposant les raisons pour lesquelles, le 17 juin 1936, il avait réuni les fonctions du chef de la Police allemande et celles du Reichsführer SS, déclarait :
« Par la nomination du Reichsführer SS au poste de chef de la Police allemande au ministère de l’Intérieur, le 17 juin 1936, j’ai établi la base d’une unification et d’une réorganisation de la Police allemande. »
Grâce à cette mesure, les SS du national-socialisme qui se trouvaient sous la direction du Reichsführer SS et du chef de la Police allemande, entraient en contact étroit avec la Police allemande.
Ce n’est que dans cette liaison organique étroite avec les organismes de Police les plus cruels créés par le fascisme allemand et spécialement destinés à la torture et à l’extermination des êtres humains, que l’on peut comprendre avec exactitude le rôle des SS.
La Défense s’est vainement efforcée de réfuter ces circonstances. Elle a tenté de présenter au Tribunal l’organisation des SS comme étant constituée par une série d’organismes entièrement indépendants, séparés les uns des autres par des cloisons absolument étanches : « Allgemeine SS », « Waffen SS », « Verfügungstruppe SS », division « Totenkopf ». Aucun de ces groupements et aucune de ces sections SS, à l’exception d’une faible partie des « Totenkopf », n’aurait eu le moindre rapport avec la Police et les camps de concentration, pas plus qu’avec les « actions » de police effectuées par Hitler, Himmler, Heydrich, Kaltenbrunner, ni avec les autres crimes monstrueux des hitlériens. En fin de compte, selon la Défense, les seuls complices des crimes de ces bourreaux auraient été les membres de la Gestapo Müller et Eichmann, ainsi que le chef du groupe « D » des SS, Pohl. En somme, ce seraient ces sept hommes-là qui auraient tué et torturé à mort plus de 10.000.000 d’êtres humains.
Parmi les faux témoins déjà connus du Tribunal, les témoins à décharge des SS, tels que l’ancien Führer des SS et de la Police de l’Oberabschnitt de Munich, l’Obergruppenführer SS baron von Eberstein, le général des Waffen SS Hauser, le chef du service de recrutement des Waffen SS Brill ou les juges SS Reinecke et Mohr, ont droit, en vérité, à l’une des premières places, sinon à la toute première, par l’impudence des mensonges auxquels ils ont eu recours pour tenter de couvrir l’organisation SS et ses membres. Toutefois, le mensonge même a ses limites. Poussé à son degré extrême, il a non seulement été impuissant à aider les criminels, mais les a irrémédiablement accablés.
Et il me semble que le Tribunal a pu apprécier à sa juste valeur la déposition du juge de réserve SS Mohr qui a fait de l’un des camps de concentration SS les plus horribles, Buchenwald, une sorte de sanatorium pour les détenus, avec une bonne nourriture, des terrains de sport, un travail facile effectué en plein air et une grande bibliothèque.
Aux mensonges maladroits des témoins à décharge des SS viennent s’opposer des documents qui dévoilent clairement le caractère criminel de cette organisation. A ces mensonges s’oppose également l’irréfutable logique des faits, faits constitués par les plus abominables crimes, organisés et réalisés par les membres de tous les éléments et de toutes les organisations des SS. Voici les principaux éléments dont se composait au début de la guerre l’organisation des SS :
1. Ce qu’on appelait les « Allgemeine SS » dans lesquelles le membre SS recevait une préparation générale avant d’être dirigé dans les Waffen SS ou dans telle ou telle organisation policière. Les « Allgemeine SS » étaient le réservoir dans lequel puisaient, pour compléter leurs effectifs, les organisations spéciales du fascisme allemand, telles que la Police secrète d’État (ou Gestapo), le Service de sécurité (SD), la Direction des camps de concentration (Groupe D), etc.
2. Les « Waffen SS » qui, en réalité, n’étaient nullement ces unités de garde de l’ancienne Armée allemande, éloignées de toute activité policière, tels que s’efforçaient de les représenter la Défense et les accusés. Les Waffen SS comprenaient, entre autres unités, les services dont même les défenseurs des SS n’ont pas osé contester le caractère criminel : « les Kommandanturen des camps des Waffen SS » qui dirigeaient les massacres de gens pacifiques et de prisonniers de guerre dans les camps de concentration. Les Waffen SS dont faisaient partie également les formations de police SS, étaient justement les unités qui avaient pris la plus grande part à la destruction des agglomérations et des villages et aux crimes innombrables commis sur les territoires temporairement occupés de l’Union Soviétique et des pays de l’Europe orientale.
3. Le système SS comprenait un service ou Amt économique qui gérait les camps de concentration ; un Amt pour le renforcement du nationalisme allemand qui mettait en pratique les infâmes théories du racisme et toutes les organisations policières hitlériennes, telles que les Einsatzgruppen et les Sonderkommandos.
Il ne vaut guère la peine d’ouvrir une polémique avec la Défense lorsqu’elle prétend que le lien. entre les SS et la Police était de pure forme et s’expliquait par l’union personnelle de Himmler.
On connaît l’importance que Himmler attachait à ce que tous les fonctionnaires de Police fussent membres de ces « Allgemeine SS », qui étaient le réservoir et le noyau qui unifiait le système de police SS du fascisme allemand. Parmi d’autres preuves, on a déjà présenté au Tribunal la lettre de Himmler à Kaltenbrunner, du 24 avril 1943, sur l’admission dans les SS des fonctionnaires de la Police de sécurité dans le cas où « le candidat aux SS convient au point de vue racial et idéologique, s’il y a des garanties sur le nombre de ses enfants, sur la santé de toute sa famille et si lui-même n’est pas malade ou dégénéré ».
Cet infâme « Corps noir » du fascisme allemand était chargé d’un rôle exceptionnel dans la réalisation des plans criminels du fascisme allemand.
Les dégénérés en uniforme SS, qui avaient perdu toute notion de la morale humaine, étaient non seulement assurés d’impunité pour leurs crimes, mais encore on leur inculquait journellement qu’ils étaient « l’élite raciale » qui formerait la base du futur « Grand Reich allemand ».
C’était ce que leur déclarait Himmler, c’était ce que leur déclaraient les Reichsleiter, les Gauleiter, promus par Himmler aux titres les plus élevés des SS et qui, selon la valeur que le Reichsführer SS attachait à leur activité, pouvaient s’élever dans la hiérarchie SS.
Le ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne fasciste, Ribbentrop, n’avait pas honte d’être mis au même rang, en sa qualité de SS, que l’assassin Pohl ou le brigand et bourreau Globocznik ; au contraire, il en était très fier.
« Je considérerai toujours comme un honneur particulier d’appartenir à ce fier corps du Führer, qui a une importance capitale pour l’avenir de notre grand empire allemand » écrivait Ribbentrop dans sa lettre à Himmler à l’occasion de sa promotion du grade de Gruppenführer à celui d’Obergruppenführer SS.
Ainsi le même système SS réunissait le commandant de Treblinka, l’Unterscharführer Kurt Franz, l’inventeur des camions à gaz, l’Untersturmführer Becker, l’expérimentateur SS, qui faisait des expériences sur des hommes vivants, l’Hauptsturmführer Dr Rascher et le ministre du Reich, l’Obergruppenführer SS Ribbentrop. A une conférence des Gruppenführer SS à Poznan, Himmler a déclaré, en parlant de l’unité des SS et de la Police :
« J’y ajoute continuellement quelque chose, je cherche toujours le lien qui me donne la possibilité de réunir tout cela. Malheur si ce lien n’est pas assez solide et s’il commence à se défaire. Alors, soyez-en sûrs, tout reviendrait, dans un bref délai, au pasisé insignifiant... Je pense que nous en répondons devant l’Allemagne, car l’Allemagne a besoin de cet ordre SS, tout au moins pour les siècles prochains. »
En terminant son discours, il disait :
« C’est après que nous aurons gagné la guerre que notre travail va commencer, je vous l’ai déjà dit !... C’est de cet ordre, de cette couche supérieure de la race germanique, que doit naître le plus grand nombre de descendants. Pendant vingt à trente ans, nous devons donner à l’Europe la couche des dirigeants. Si les SS avec les paysans, et nous avec notre ami Backe, nous commençons à nous occuper de la repopulation de l’Est, généreusement, sans restrictions,, sans rien demander, avec un élan et une poussée révolutionnaires, en vingt ans nous repousserons la frontière de notre nation à 500 kilomètres vers l’Est...
« Nous dicterons nos lois à l’Est. Nous foncerons en avant et, peu à peu, nous approcherons de l’Oural ».
Dans un bref discours, il est impossible d’énumérer les crimes les plus graves commis par les SS. Mais ce n’est même pas nécessaire, car les preuves fournies sont présentes à la, mémoire du Tribunal. Je vais m’arrêter brièvement sur quelques questions concernant la responsabilité de quelques groupes SS particuliers, à propos des objections élevées par la Défense.
Les Allgemeine SS
Quelle que fût l’organisation, spéciale à laquelle appartînt un membre des SS, il était avant tout membre des Allgemeine SS et, s’il en était exclu, il perdait soin poste et toutes les prérogatives qui en découlaient.
Ceci dit, je m’arrêterai sur l’un des documents présentés par le Ministère Public soviétique, lors de la présentation des preuves sur les crimes des hitlériens commis contre les prisonniers de guerre soviétiques.
Dans ce cas particulier, il s’agit d’un dossier de l’enquête menée par les SS au sujet d’un incident qui avait eu lieu au cours de l’exécution d’une action spéciale. La signification de cette expression est bien connue du Tribunal. Dans le cas considéré, un certain Hauptsturmführer SS, Kallbach, en faisant l’inspection du camp de prisonniers de guerre soviétiques de Berditcheff qu’on appelait « camp d’éducation par le travail », décida de mettre à mort soixante-dix-huit prisonniers de guerre soviétiques dont l’état de santé, selon le procès-verbal d’enquête du commandant de ce camp, était le suivant : « Ils étaient tous très grièvement blessés, les uns étaient amputés des deux jambes, les autres des deux bras, à d’autres il manquait l’un des membres. Quelques-uns seulement avaient leurs membres intacts, mais ils étaient tellement estropiés par d’autres blessures, qu’ils n’étaient propres à aucun travail ».
Le fait que les prisonniers de guerre soviétiques ne pouvaient être utilisés pour le travail était la seule justification de leur mise à mort.
L’exécution de cet ordre fut confiée à trois SS, l’Unterscharführer Pall, le Rottenführer SS, Hesselbach, et le SS Vollprecht. Dans les dépositions recueillies sur ces trois SS, ils sont caractérisés ainsi :
« Quant aux trois hommes ci-dessus mentionnés, auxquels j’ai confié l’exécution des prisonniers de guerre, je savais qu’à Kiev déjà, ils avaient participé aux exécutions massives de plusieurs milliers de personnes. L’administration locale, pendant que j’y étais, leur avait également confié l’exécution de plusieurs centaines de gens. »
Cependant lorsque les soixante-dix-huit prisonniers de guerre soviétiques furent conduits au lieu d’exécution, ils résistèrent héroïquement à leurs bourreaux, en tuèrent deux et prirent la fuite.
C’est à ce sujet qu’une instruction fut ouverte et le chef du détachement SS de Berditcheff fut évidemment accusé, non pas d’avoir ordonné de tuer soixante-dix-huit hommes innocents et malades, mais de les avoir laissé s’évader.
Je me suis référé à ces documents, non pas pour rappeler à la mémoire un des épisodes innombrables de la sauvagerie des SS sur les territoires temporairement occupés de l’URSS, mais pour citer un texte très caractéristique d’un avertissement sur la responsabilité encourue pour faux témoignage donné avant l’interrogatoire des SS. Il y est dit : « Je connais le sujet de l’interrogatoire que je vais subir. J’ai été instruit qu’une fausse déposition de ma part entraînera une sanction et mon exclusion des SS ».
En entrant dans les Allgemeine SS, le futur membre de cette organisation criminelle prêtait un serment spécial dont le texte était le suivant :
« Je te jure, Adolf Hitler, Führer et Chancelier du Reich de t’obéir jusqu’à la mort, à toi et à ceux que tu m’auras désignés pour me commander. »
Quel que fût son service, qu’il mît à mort des hommes à Treblinka et à Auschwitz, ou qu’il torturât, pendant les interrogatoires, dans les chambres de torture de la Gestapo, il restait toujours lui-même — un membre impitoyable et stupide des Allgemeine SS — et il ne connaissait que deux devoirs : l’obéissance aveugle au Führer et Reichskanzler et l’exécution sans discussion de n’importe quel ordre criminel.
Les Waffen SS sont nées de la garde personnelle de Hitler appelée « Leibstandarte » et de la division « Tête-de-mort » qui opérait principalement dans les camps de concentration.
Pendant la guerre, les Waffen SS se composaient, entre autres unités, de kommandanturen de camps de concentration qui procédaient elles-mêmes à l’extermination) de milliers de gens et mettaient en pratique un régime d’épuisement extrême des détenus avant leur mise à mort. Aux troupes SS étaient également rattachées les divisions et les détachements de la Police.
Cette simple énumération des éléments composant les Waffen SS témoigne déjà de leur caractère criminel. Le Ministère Public soviétique a présenté, à titre de preuve, le verdict du tribunal militaire du quatrième front ukrainien, ainsi que le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités des envahisseurs germano-fascistes dans la ville de Kharkov et dans sa région.
Il ressort de ces documents que les SS étaient responsables de l’extermination de plus de 20.000 citoyens pacifiques de Kharkov, des exécutions de prisonniers de guerre, fusillés et brûlés vifs, et en particulier la division SS « Adolf Hitler » sous le commandement de l’Obergruppenführer Dietrich et la division SS « Tête-de-mort » sous le commandement de l’Obergruppenführer des SS Simon.
Dans la ville de Kiev, pendant la domination allemande, on a torturé, fusillé et empoisonné dans les chambres à gaz plus de 195.000 citoyens pacifiques : ceux-ci ont été, pour la plupart, exterminés par les détachements SS et, d’après le rapport de la Commission extraordinaire d’État, les responsables sont l’ancien commandant des SS dans le Sud de la Russie, et en Ukraine, le général Troenfeld, le général des Waffen SS Hüttner et d’autres représentants des Waffen SS.
Dans la ville de Rovno et dans les environs, les Allemands ont exterminé 102.000 hommes.
Un soldat du 4e escadron de la 17e division de cavalerie SS, Adolf Mitzke, a témoigné, avec d’autres, au sujet de ces crimes commis sur l’ordre du commandant du régiment ; il avait, ainsi que d’autres soldats de ce régiment, fusillé des citoyens pacifiques, y compris des femmes, et avait incendié des villages.
Dans la note du ministre des Affaires étrangères de l’URSS, V. M. Molotov, datée du 17 avril 1942, déposée au Tribunal sous le numéro URSS-51, se trouve une description établie d’après les documents originaux allemands d’atrocités commises dans la région de Toropetz par une brigade de cavalerie des Waffen SS. Je cite la note :
« Après la défaite totale, dans la région de Toropetz, en janvier 1942, d’une brigade SS de cavalerie allemande par les unités de l’Armée rouge, on a trouvé parmi les documents saisis le rapport du 1er régiment de cavalerie de cette brigade sur la « pacification » par celui-ci de la région de Starobinsk en Russie Blanche. Le commandant du régiment rapporte qu’à côté des deux cent trente-neuf prisonniers de guerre, un détachement de son régiment a fusillé 6.504 citoyens pacifiques. Ce rapport indique que ledit détachement avait agi d’après un ordre du régiment n0 42 du 27 juillet 1941. Le commandant du 2e régiment de la même brigade, von Mahill, dit dans son rapport sur la pacification opérée dans la région du Pripet, du 27 juillet au 11 août 1941 : « Nous avons chassé les femmes et les enfants dans les marais, mais cela n’a pas produit d’effets voulus, car ces marais n’étaient pas assez profonds pour qu’on pût s’y noyer. Dans la grosse majorité des cas on peut atteindre le fond à la profondeur d’un mètre (probablement du sable) ». Dans le même quartier général, on a découvert le télégramme n° 37 du Standartenführer, chef d’une brigade de cavalerie SS, adressé au détachement de cavalerie du 2e régiment et daté du 2 août 1941. Dans ce télégramme, on déclare que le Reichsführer SS et chef de la Police, Himmler, considère que « le nombre de citoyens pacifiques exterminés est trop insignifiant » et indique « qu’il faut agir d’une façon radicale », que « les chefs des unités sont trop mous dans l’exécution des opérations » et ordonne de lui rendre compte chaque jour du nombre de fusillés. »
Tout à fait analogue à ces exemples était l’activité criminelle des unités des Waffen SS sur les territoires de la Yougoslavie, de la Pologne et d’autres pays de l’Europe de l’Est, temporairement occupés par les Allemands.
Je voudrais rappeler les nombreux documents présentés au Tribunal par les Ministères Publics de l’URSS et de la Grande-Bretagne, relatifs aux crimes perpétrés sur le territoire de la Yougoslavie par la division SS « Prince Eugène ». En particulier, je vous rappelerai le rapport de la Commission d’État yougoslave n° 29 sur les atrocités de cette division SS. On y décrit comment les soldats SS, les membres de ces mêmes Waffen SS qu’on a appelées ici « la Garde allemande » brûlaient vive la population de villages entiers y compris les femmes et les enfants. Je voudrais rappeler aussi la déposition du général des Waffen SS, August Schmidthuber, où il décrit comment, sur l’ordre du commandant du 1er bataillon SS Kaaserer, la population civile du village de Krivaja Reka a été enfermée dans une église qu’on a fait sauter ensuite.
Je me permettrai de me référer aux déclarations, connues du Tribunal, des officiers de cette division sur les exécutions en masse des otages et les assassinats de prisonniers de guerre.
On a lu au Tribunal l’ordonnance très secrète de Himmler d’après laquelle des unités des Waffen SS avaient anéanti des milliers d’agglomérations, de villages et de villes sur les territoires de l’URSS temporairement occupés par les Allemands.
Dans cette ordonnance, Himmler disait :
« Le but qui doit être atteint est le suivant : après l’évacuation des régions ukrainiennes, il ne doit pas y rester un homme, une tête de bétail, un quintal de grain, une ligne dei chemin de fer, une maison intacte, une mine qu’on puisse exploiter pendant les années à venir, un puits qui ne soit empoisonné. L’adversaire doit retrouver le pays complètement brûlé et dévasté. »
Les Waffen SS, en exécution des ordres criminels du Reichsführer SS (l’ordre de Himmler du 10 juillet 1943), emmenaient en esclavage la population de régions entières et rassemblaient les enfants ukrainiens et russes dans des camps de concentration spéciaux pour enfants.
Ce qu’on appelait les Waffen SS étaient tout d’abord les troupes de choix des SS, composées dans leur majorité de volontaires, y compris de membres des Allgemeine SS, appelés à mettre en pratique les plans criminels ’die Hitler et de sa clique.
Les tentatives de la Défense et des accusés de représenter ces troupes comme une « élite allemande », éloignée de toutes fonctions policières et qui n’avait jamais trempé les mains dans le sang des victimes innocentes, sont en contradiction flagrante avec des faits indiscutables et inexorables. Nous n’affirmons pas, cependant, que parmi les soldats des Waffen SS il n’y eût absolument pas de conscrits. La question du degré de culpabilité individuelle appartient à la compétence des tribunaux nationaux. Néanmoins, les Waffen SS, dans leur ensemble, font partie intégrante du système des institutions et des organisations SS et sont indiscutablement criminelles.
Il serait temps de suspendre.
Monsieur le Président, je voudrais exposer le point de vue du Ministère Public sur la requête de l’accusé Seyss-Inquart aux fins de dépôt d’un affidavit.
Nous sommes tous d’avis d’élever une objection contre cet affidavit de Seyss-Inquart. A la lecture, on s’aperçoit qu’il ne s’agit que de discussion : nous l’avons fait traduire, mais il n’a rien révélé d’autre. Il représente l’opinion de l’accusé sur un certain nombre de documents qui ont déjà été déposés en janvier. Il commente par ailleurs divers documents qui devaient servir de preuves. Il ne nous apparaît pas que l’accusé puisse faire état de ces faits à ce moment des débats. Son avocat a prononcé sa plaidoirie et il aura encore l’occasion lui-même de s’adresser au Tribunal. Cette démarche est inopportune, c’est pourquoi le Tribunal ne devrait pas l’admettre aussi tard.
Dans cet affidavit, on soulève la question des ’deux documents PS-3640 et PS-3645 dont l’accusé Seyss-Inquart prétend qu’ils n’ont pas été déposés, bien que M. Dubost, représentant du Ministère Public français, y ait fait allusion. M. Dubost, comme M. de Ribes et les représentants du Ministère Public français, sont avec nous d’avis que ce fait est arrivé par mégarde et n’aurait pas dû se produire. Nous n’avons rien à objecter à cette précision. Et nous déclarons au Tribunal que ces deux documents n’ont pas, en fait, été admis et que nous n’aurions pas dû nous y référer au cours de nos explications. En dehors de ce point que je viens de soulever, je ne vois rien qui soit utile au Tribunal.
Est-il en allemand ?
Oui, il est en allemand. Mais notre traduction est incomplète. Elle a été faite en toute hâte par un de nos collaborateurs et n’est qu’un résumé destiné à m’éclairer. Si le Tribunal le désire, je puis le parcourir paragraphe à paragraphe.
Est-il très long ?
Non. Mon résumé a une page et demie environ. L’affidavit lui-même comporte six pages. Et mon extrait une page et demie.
Monsieur Dodd, si la seule objection contre cet affidavit est qu’il ne contient qu’une discussion, la tenez-vous pour si importante alors que de nombreux documents semblables ont été admis ?
Non, je ne crois pas. Je n’ai fait qu’exposer notre objection, rien de plus. Je ne persisterai pas plus si le Tribunal estime qu’il est préférable de le déposer et de le faire traduire. Il n’y a dans cet affidavit aucun argument auquel on ne puisse répondre. Je ne suis donc pas certain qu’il faille se donner la peine d’insister.
Mais le Tribunal croit qu’il est préférable, dans ces conditions, d’admettre cet affidavit comme preuve. Le Tribunal constate que les documents PS-3640 et PS-3645 n’ont pas été déposés comme preuves. C’est pourquoi...
Oui, Monsieur le Président, les documents PS-3640 et PS-3645 n’ont pas été déposés.
C’est pourquoi nous n’y ferons aucune allusion.
Oui, Monsieur le Président. En outre, je désirerais faire part au Tribunal de notre avis à propos de la lettre du Dr Laternser. Nous n’avons pas la moindre objection contre cette lettre. Nous sommes tous d’accord sur ce point.
Je vous remercie. M. Dodd dit qu’il n’a aucune objection à formuler contre votre lettre.
Monsieur le Président, je voudrais lire un court passage de cette lettre afin qu’il figure au procès-verbal. Il s’agit de deux phrases.
Si la lettre a été déposée, il n’est pas utile de la lire et de perdre notre temps. Le Ministère Public est d’accord pour la considérer comme une preuve.
Après la déposition que le témoin Schreiber a faite ici, j’attacherais quelque prix à lire un court extrait formé de deux phrases.
Un instant. Non, Docteur Laternser, le Tribunal estime que la lettre déposée fait partie du dossier, mais estime inutile de perdre notre temps.
Monsieur le Président, à ce propos, j’ai reçu encore un document au cours de la suspension d’audience d’aujourd’hui. Je ne sais pas si le Tribunal l’acceptera comme document et je lui ’demande de bien vouloir l’admettre. Il s’agit d’un document qui démontre que l’une des nations alliées avait envisagé la guerre bactériologique à la fois comme arme offensive et défensive et que 4.000 personnes s’occupaient de cette question. Je ne désire le déposer que pour donner au Tribunal un élément supplémentaire susceptible d’avoir une importance dans l’appréciation juridique des faits.
Non. C’est en contradiction avec le principe que nous avons souvent énoncé ici, aux termes ’duquel ces moyens de preuve sont irrecevables...
Mais il s’agit ici d’un moyen nouveau...
Docteur Laternser, le Tribunal connaît parfaitement votre argument : toutes les recherches dans le domaine de la guerre bactériologique n’avaient qu’un but ’défensif. Cet argument est parfaitement clair, mais toutes les allusions à ce qu’ont fait les Alliés sont inadmissibles.
Le 4 octobre 1943, dans son discours devant les Gruppenführer SS à Poznan, Himmler a déclaré :
« Nous avons besoin d’une unité complète avec le Parti et toutes ses organisations. Heureusement, nous sommes actuellement tout à fait unis aux SA. Le nouveau chef d’État-Major Schepmann considère que sa tâche la plus importante est de réaliser la paix et la concorde entre les anciens groupements du Parti. »
Ainsi, le créateur de ces mêmes SS qui, en 1934, avaient exterminé les dirigeants SA du putsch, confirmait en 1943 l’union complète des SS avec les SA et soulignait l’importance de cette organisation criminelle hitlérienne dans le complot général.
Pendant toute la durée du développement du parti hitlérien, et plus tard, de l’État hitlérien, les SA ont personnifié l’organisation criminelle à laquelle les dirigeants du fascisme germanique attachaient une importance toute particulière. Ils la considéraient comme l’une des armes les plus importantes pour terroriser et tromper leur peuple et aussi pour préparer l’agression contre d’autres peuples.
Il est mutile d’entamer une polémique avec la défense des SA au sujet du rôle qui a appartenu à cette organisation criminelle dans l’ensemble de la conspiration fasciste. Par sa substance, la plaidoirie de l’avocat Böhm manque d’ailleurs de toute argumentation juridique ’digne d’attention. C’est un discours émanant d’un nazi convaincu et qui reprend, à plusieurs reprises, les pires exemples de la propagande hitlérienne, soigneusement triés par le défenseur des brochures partisanes des SA.
Monsieur le Président, permettez-moi de repousser brièvement cette lourde attaque personnelle. M. le docteur Böhm n’a malheureusement pu assister à l’audience d’aujourd’hui. Mais j’ai constaté, au cours de la suspension, dans la liste de M. de Secrétaire général, qui a également été mise à la disposition de la Délégation russe, que M. le docteur Böhm n’a pas été membre du parti national-socialiste.
C’est pourquoi le reproche qu’on lui adresse d’avoir voulu faire dans sa plaidoirie une propagande nationale-socialiste est déjà, de ce fiait, sans fondement. Il n’y a pas un homme en Allemagne qui, s’étant tenu, des années durant, au temps du nazisme, éloigné du Parti, viendrait maintenant, au cours de ce Procès, faire de la propagande nationales-socialiste. Je n’ai qu’un mot encore, Monsieur le Président.
Nous ne nous occupons pas présentement du fait de savoir si le défenseur appartenait on non au Parti. Et la remarque du représentant du Ministère Public soviétique ne dit pas que le Dr Böhm était membre du Parti. Peut-être s’est-il sévèrement exprimé et il n’a donné que le point de vue- qu’on pourrait avoir sur un nazi convaincu. Mais il en eût été différemment s’il avait dit que le Dr Böhm avait été nazi.
Monsieur le Président, je n’ai rien à ajouter à mes explications si ce n’est que je demande au Tribunal de prendre en considération la situation difficile de la Défense. Il est impossible de représenter les associations affiliées au Parti sans exposer le point de vue du Parti. C’est tout ce que je voulais dire. Si M. le représentant du Ministère Public russe remarque des explications juridiques dans la plaidoirie du Dr Böhm, elles sont exposées en détail dans le remarquable mémoire ’die mon confrère, le Dr Klefisch. Il nous a été dit qu’une réponse serait donnée à cette plaidoirie, mais nous n’en avons pas encore entendu parler.
Général Rudenko, votre affirmation est peut-être équivoque dans la traduction que nous en avons. C’est pourquoi le Tribunal voudrait s’assurer si la déclaration que je viens de faire est exacte et si vous n’avez pas prétendu...
Oui, Monsieur le Président, vous avez parfaitement raison. Je prétends que ce discours rapporte le point de vue d’un nazi, mais je n’ai pas prétendu que le Dr Böhm avait été inscrit au Parti. Une telle affirmation doit être abandonnée purement et simplement.
Il serait .peut-être opportun, général Rudenko, que vous retiriez l’allusion qui faisait du Dr Böhm un nazi convaincu.
Je ne prétends pas non plus que le Dr Böhm soit un nazi convaincu. Je prétends, à la lecture de son exposé, qu’il voit toute l’affaire du point de vue d’un national-socialiste.
Vous estimez donc que le Dr Böhm a représenté une certaine opinion. Et en sa qualité d’avocat, il ne fait pas état de son opinion personnelle mais de celui qu’il représente. C’est bien ce que vous vouliez dire ?
Oui, naturellement, Monsieur le Président.
Très bien, continuez, je vous prie.
Les troupes d’assaut, « Sturmabteilungen » ou SA, étaient les premières troupes de choc dans les mains des conspirateurs ; c’était la première organisation de masse, militaire ! et terroriste, qu’ils avaient créée. Elles ont été organisées par Hitler en 1921 déjà avec le soutien entier de la Reichswehr, qui rêvait de revanche. Le noyau des SA était composé d’hommes du genre de Streicher et de Röhm, d’antisémites sauvages, de chauvinistes, de partisans de la conquête de F espace vital et d’officiers et de soldats sans emploi de l’Armée impériale vaincue. On a rassemblé dans les SA, d’une part, les éléments les plus réactionnaires et les plus épris de revanche et, d’autre part, s’y rallièrent des aventuriers séduits par le décorum, de cette organisation criminelle et qui flairaient la possibilité de participer à des pogroms et à des pillages.
Dès le début, l’organisation des SA se composait strictement de volontaires ; ce principe a été conservé invariablement au cours de tout le développement des SA.
Depuis le putsch de Munich en 1923, et jusqu’au jour où les hitlériens s’emparèrent du pouvoir en 1933, les SA restèrent une arme fidèle dans les mains de la clique des fascistes hitlériens, en les rendant « maîtres de la rue » et en leur garantissant l’élimination de leurs adversaires politiques.
Au même titre que les SS, les SA entraient dans la composition du parti hitlérien. C’est ce qu’a officiellement annoncé une ordonnance du mois de mars 1935 (Reichsgesetzblatt 1935, partie I, page 502) et c’était également écrit dans les statuts de l’organisation du parti hitlérien :
« Jamais l’opinion publique n’aurait rien su de nos discours passionnés ni de la propagande de notre petite fraction du Reichstag ou des tendances et des tâches de notre Parti, si elle n’avait entendu le pas des détachements SA en marche et leurs chants de combat ». C’est ainsi que s’exprimait le Sturmführer SA Bauer dans sa brochure intitulée Les SA.
Mais l’opinion publique allemande n’entendait pas seulement « le pas des SA en marche et leurs chants de combat ». Elle sentait d’une façon beaucoup plus concrète les coups de matraque, les coups de feu tirés sur les adversaires politiques et les pogroms dans les quartiers ouvriers. La valeur fondamentale des SA, du point de vue des principaux conspirateurs fascistes, consistait justement en cette fonction des SA, d’être un outil de pogroms et de terreur. Pendant la période de la lutte pour le pouvoir, et, plus tard, les SA ont été avant tout une arme de violence grossière et un moyen d’écarter et d’exterminer les adversaires politiques.
Ce point de vue a été ouvertement exprimé par Goebbels dans son discours prononcé en 1935. Il a dit alors :
« Les adversaires politiques à l’intérieur n’ont pas disparu pour des motifs secrets inconnus de personne. Non. Ils ont disparu parce que notre mouvement disposait de l’arme la plus puissante dans le pays et cette arme la plus puissante était les SA. »
Le Tribunal se souvient des dépositions du témoin Gisevius sur la terreur semée par les SA dans les rues des villes allemandes, sur les bandits en uniformes SA qui assommaient les gens, les tuaient et se moquaient de la dignité humaine et qui avaient transformé les états-majors des SA en maisons de tortures.
Il est vrai qu’au moment de l’arrivée des hitlériens au pouvoir, une autre organisation terroriste était déjà entièrement formée et est devenue l’exécutant principal de leurs prescriptions. Elle a formé, en même temps que les SA, la réserve de cette grandiose machine de police qu’avait créée le fascisme germanique. C’étaient les SS ; et les « Chemises brunes » qui entouraient Hitler, ont dû reculer quelque peu pour laisser passer à la tête de l’appareil hitlérien, « le corps noir des SS ».
Le biographe officiel de Göring parle de la large utilisation des SS en tant que réserve de la Police politique. Il souligne qu’en créant la Gestapo, Göring avait incorporé dans les effectifs de cette organisation, l’une des plus dangereuses et les plus criminelles du fascisme germanique, de nombreux membres des SA, « les plus sûrs au point de vue politique ». Le Tribunal sait déjà, d’après les documents présentés, qu’en même temps que les SS, les membres des SA, après l’arrivée des fascistes au pouvoir, formaient les unités de garde des camps de concentration. En décrivant le camp de concentration d’Oranienburg, le Sturmbannführer SA Schäfer dit :
« Les membres des SA les plus sûrs et les plus courageux furent choisis pour travailler dans le camp dont ils devaient assurer la garde permanente. C’est ainsi que nous formions les cadres des gardes expérimentés qui étaient toujours prêts à agir. »
Il me semble qu’il est inutile de s’arrêter sur la question de savoir quel était le régime appliqué aux détenus dams ces camps et comment se conduisaient les SA en remplissant dans ces camps le rôle de bourreaux.
Ce sont les SA qui ont mis en pratique les premiers pogroms anti-juifs. Ces faits sont confirmés parmi d’autres documents présentés par le Ministère Public, par les rapports officiels des commandants d’unités et de détachements SA. A côté des SS, les SA étaient élevés dans le même esprit d’antisémitisme sauvage qui a finalement atteint son point culminant dans la création des camps de Treblinka et de Chelmno.
Cependant, en analysant le caractère criminel de cette organisation, an ne peut pas omettre encore une fonction importante des SA qu’ils ont remplie dans le plan général ’dû développement du complot hitlérien.
Les SA étaient l’organisation par le truchement de laquelle on a procédé à l’instruction en masse des cadres purement militaires pour la Wehrmacht, appelée par la suite à réaliser les plans d’agression hitlériens. Cette activité criminelle s’accomplissait dans le plus grand secret pour le monde extérieur.
« En complément de mes instructions en date du 11 juillet 1933, j’estime qu’il est nécessaire de demander à toutes les autorités SA de se montrer très prudentes à l’égard de toute publicité relative au service des SA, et cela non seulement dans la presse générale, mais aussi dans les communiqués et les journaux des diverses unités SA. Ce n’est que tout dernièrement que le ministère de l’Intérieur, à la demande du ministère des Affaires étrangères, a donné des instructions sévères à toutes les autorités allemandes au sujet d’une censure très serrée de toutes les publications qui pourraient donner à l’étranger un prétexte pour dénoncer la violation par l’Allemagne des conditions du Traité de Versailles. »
Cet ordre secret du chef d’État-Major des SA réfute complètement l’affirmation de la Défense au sujet du « caractère pacifique » des SA et ’die leur activité « purement sportive ».
La structure même de l’organisation des SA avec leurs brigades et leurs régiments avait un caractère purement militaire. Dès leur création sous la direction des officiers de la Reichswehr les plus réactionnaires, qui se sont liés avec les hitlériens, les SA ont commencé la préparation des cadres pour la prochaine guerre.
Plus tard, après l’arrivée des hitlériens au pouvoir, les SA sont devenues l’instrument principal de l’instruction militaire sur une grande échelle et les officiers de la Wehrmacht revêtus d’uniformes SA s’occupaient de l’instruction purement militaire des SA.
Les chefs SA comprenaient bien la place qui leur était assignée dans la réalisation des plans d’agression hitlériens après leur arrivée au pouvoir.
A ce sujet, il est bon de rappeler au Tribunal un court extrait de l’article qui fut publié dans l’organe des sections d’assaut Der SA-Mann, le 6 janvier 1934.
« ... En exécutant la volonté du Führer, le combattant SA doit demeurer le défenseur de la révolution nationale-socialiste contre les ennemis du pouvoir. Il doit le rester toujours, car il nous reste encore des tâches immenses à remplir qui ne peuvent être menées à bien sans une participation et une aide active de la part des sections d’assaut.
« Ce qui a été fait jusqu’à présent, l’accession au pouvoir et l’extermination de tous les éléments responsables ’des conséquences désastreuses pour le pays pendant la période d’après guerre, c’est-à-dire des partisans du marxisme, du libéralisme et du capitalisme, l’extermination de ces hommes n’est qu’une tâche préliminaire, un tremplin vers l’accomplissement des véritables grandes tâches du national-socialisme. »
Et par la suite, pendant tout le développement de l’hitlérisme, les SA furent une arme fidèle entre les mains ’de la criminelle clique hitlérienne.
Pendant la guerre, les membres des SA furent chargés par décret spécial de veiller sur les prisonniers de guerre et sur les travailleurs de l’Est. Ils ne devaient pas admettre le moindre relâchement de l’effroyable régime d’extermination auquel ils étaient soumis. Les SA assuraient le service de garde dans toute une série de « camps de travail ».
L’organisation des SA était une des plus importantes organisations criminelles du parti hitlérien.
L’activité criminelle de ses membres, à l’exception de « l’association des vétérans » et des personnes attirées dans les organisations sportives SA, est entièrement prouvée par les débats.
Les sections d’assaut du parti fasciste allemand dont l’activité constitue un chapitre important de l’histoire des crimes du régime hitlérien doivent être, sans aucun doute, déclarées par le Tribunal comme organisation criminelle.
La Gestapo
La Gestapo a été créée par l’accusé Göring le 26 avril 1933 alors qu’il était Premier ministre de Prusse, et, au début, c’est Göring lui-même qui en était le chef. Peu à peu, la direction des Pouces politiques des territoires fédéraux s’est concentrée dans les mains du chef des SS du Reich, Heinrich Himmler. D’après la loi du 10 février 1936, la Gestapo a été déclarée « organisation de Police spéciale » pour tout le Reich.
Par le décret du 17 juillet 1936, Hitler a nommé Himmler chef de la Police allemande, en sanctionnant de cette façon l’union personnelle, atteinte à ce moment entre les SS et la Police en sa totalité.
Dans sa première ordonnance du 25 juin 1936 sur la structure de la Police allemande, Himmler a nommé, au nom de la même union personnelle, chef de la Police de sécurité qui réunissait dans son système la Gestapo et la Police criminelle, le chef du SD, Reinhard Heydrich ; après la disparition de Heydrich, l’accusé Kaltenbrunner est devenu son successeur.
En 1939, à la suite du renforcement du rôle de direction du SD dans le système général de sécurité de l’État nazi, pour mettre ultérieurement la Police de sécurité sous une direction unique, on a procédé à la réorganisation des services centraux de la sécurité : elle a trouvé son expression dans l’union de la direction générale de la sécurité SS et de la direction générale de la Police de sécurité, dans le cadre d’un mécanisme unique dépendant par moitié de l’État et du Parti — le Service principal ide la sécurité du Reich ou RSHA.
La direction de la Police secrète d’État qui avait jusqu’alors fait partie de la direction générale de la Police de sécurité et était connue alors sous le nom abrégé de Gestapo, s’est transformée en Amt IV du RSHA.
Les tâches de la Gestapo, dans le système général des services de la sécurité d’u IIIe Reich, étaient nettement définies à un moment donné par le même Heydrich dans un article publié dans la revue Police allemande. Il a défini le rôle du SD en tant que service d’espionnage politique du parti nazi et de l’État, dans les obligations duquel rentraient la mise en évidence et l’étude, dans le but d’informer les chefs nazis de l’état d’esprit, des tendances et des courants politiques, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Reich. La tâche des services de la Police secrète d’État, considérait-il, était de mettre en évidence d’une façon concrète et d’empêcher de nuire les éléments suspects et hostiles au régime fasciste.
C’est à la réalisation de cette tâche principale du programme de l’État nazi que servait tout le système de formations et ’d’organismes centraux, territoriaux, pénitentiaires et spéciaux de la Gestapo. La réalisation de cette tâche exigeait un choix individuel extrêmement soigné des agents de la Gestapo. Ils étaient choisis parmi les cadres des fonctionnaires de la Police générale et de l’administration qui avaient le plus d’expérience et qui s’étaient montrés, dans l’action, partisans fanatiques du régime hitlérien ainsi que parmi les agents actifs du SD nommés, en règle générale, aux postes de direction dans la Gestapo.
Dans les dépositions écrites de l’ancien chef de l’Amt IV du RSHA, Walter Schellenberg, il a été établi que 75 % des fonctionnaires de la Gestapo étaient membres des SS. C’est en tant que tels qu’ils rentraient dans la Gestapo ; ou bien alors ils entraient dans les SS pour commencer leur service dans cette organisation terroriste d’assassins.
Le nombre des collaborateurs de la Gestapo, pendant la période 1943-1945, a atteint 40.000 à 50.000. Un tel effectif, pour parler comme Fouché, permettait à la Gestapo d’avoir « partout des yeux pour voir et ’des mains pour saisir ».
L’activité criminelle de la Gestapo ne se limitait pas aux frontières du territoire du Reich.
Pendant la période de préparation des plans d’agression, on a chargé les services de la Gestapo, en collaboration avec le SD, de l’organisation d’un des premiers groupes d’opérations ou Einsatzgruppen, ayant pour mission d’opérer sur les territoires de la République tchécoslovaque.
Au début des opérations militaires, la Police secrète d’État, en accord avec le plan élaboré et établi d’avance, a mis une partie de ces cadres à la disposition des forces armées, au sein desquelles ils ont formé ce qu’on a appelé « la Police de campagne secrète » ou GFP. Les formations de cette dernière remplissaient dans les troupes de l’armée active les fonctions propres à la Gestapo et à la Police criminelle dans le Reich, et, en outre, des fonctions étendues de police punitive, dirigées contre la population pacifique et les partisans dans les zones de combat.
Dès la création, la Police secrète d’État jouissait de droits étendus de répression extra-judiciaire des éléments qui « menaçaient » l’État nazi et le Parti.
L’une des formes essentielles de la répression de ces éléments était l’utilisation du droit d’arrestation et de détention de protection dont se sont fréquemment servis les services de la Gestapo pendant toute la durée de leur existence, tant sur le territoire du Reich lui-même que dans les régions annexées et occupées par l’Allemagne.
Les lieux de détention de protection étaient les camps de concentration allemands qui jouissaient d’une vaste et sombre renommée. L’emprisonnement dans un camp de concentration s’effectuait sur un simple ordre écrit du chef de la Police de sécurité et du SD, Heydrich, et, ultérieurement, de l’accusé Kaltenbrunner ou du chef de l’Amt IV du RSHA, Mûller. Dans beaucoup de cas, l’ordre d’internement dans un camp de concentration était donné personnellement par le Reichsführer SS et chef de la Police allemande, Heinrich Himmler.
Jamais l’homme qui. subissait la détention de protection ne savait à quelle durée de souffrances et d’humiliations il était condamné. La durée de détention dépendait entièrement de l’arbitraire de la Gestapo. Même dans les cas où la Gestapo délimitait d’avance la durée de détention de l’homme qu’elle envoyait en camp de concentration, il était strictement interdit de la communiquer, tant au détenu qu’à ses proches.
Ces camps de concentration sont devenus les prototypes des camps d’extermination, nés au cours de la période du déclenchement de l’agression hitlérienne. Les générations futures se rappelleront leurs noms avec horreur : Maidanek, Auschwitz, Treblinka et beaucoup d’autres.
En tant que mécanisme punitif d’exécution de l’État nazi, la Police secrète d’État était en relation étroite avec le parti nazi.
Dans l’annexe au décret du ministre du Reich et de la Prusse du 20 septembre 1936, il est dit sans ambiguïté que « les tâches spéciales de la Police de sécurité exigent une entente complète et une collaboration étroite avec le Gauleiter de la NSDAP également ».
En prenant connaissance du décret du 14 décembre 1938 sur la collaboration des organes du Parti avec la Police secrète d’État, on s’aperçoit facilement du contact étroit entre les diverses organisations des conspirateurs fascistes, en particulier entre la Gestapo et la direction du parti nazi. Les accusés Hess et Bormann se préoccupaient continuellement de maintenir un contact étroit entre le Parti et la Gestapo.
Comme je l’ai déjà dit, la Gestapo, à côté d’autres organisations fascistes criminelles, avait pris une part très active dans la préparation de l’annexion des territoires d’autres États.
Une liste contenant 4.000 noms ’de citoyens yougoslaves, établie en 1938 et saisie en mai 1945 dans la section de la Gestapo à Maribor, témoigne indiscutablement de la participation de la Gestapo, dans la mesure de ses moyens, à la mainmise sur la Yougoslavie.
Les dépositions de l’un des traîtres yougoslaves, Dragomir Iwanovitch, ancien chef de la Police serbe sous l’occupation allemande, ont établi que les cercles dirigeants des conspirateurs nazis avaient projeté l’établissement des services de la Gestapo en Yougoslavie. Selon le plan fixé, on a distribué d’avance aux Allemands habitant en Yougoslavie, des postes importants dans la Police.
Le Ministère Public soviétique a présenté au Tribunal un document, sous le numéro URSS-509, qui montre également que même avant la mainmise des fascistes sur la Tchécoslovaquie, les services du RSHA avaient projeté un développement de l’activité du SD et de la Gestapo sur le territoire de ce pays.
Le rapport du Gouvernement tchécoslovaque montre encore une autre forme de la participation des services de la Gestapo dans la préparation de l’agression. Le RSHA lançait en Tchécoslovaquie ses agents pour assassiner les anti-fascistes ou pour les enlever et les emmener en. Allemagne.
Le fait ’die la participation des services de la Gestapo à l’élaboration des plans d’agression est affirmé également par une série de documents : ces documents disent que, même avant leur attaque perfide contre l’URSS, les bourreaux hitlériens établissaient des listes, des manuels d’espionnage, et recueillaient les renseignements nécessaires sur les chefs des organismes d’État et les citoyens émi-nents qui, selon leurs plans, devaient être supprimés. Ainsi la Gestapo, en collaboration avec le SD et la Police criminelle, avait préparé pour servir leurs buts criminels « des manuels d’espionnage spéciaux pour l’URSS », « le manuel d’espionnage allemand », « liste de recherches de domiciles » et d’autres manuels d’espionnage et listes de ce genre.
L’activité criminelle de la Gestapo dans la préparation et le déclenchement de l’agression à l’intérieur de l’Allemagne et dans les États de l’Ouest est déjà suffisamment élucidée par mes honorés collègues ; aussi vais-je passer à la question des crimes de la Gestapo sur les territoires de l’URSS, de la Yougoslavie, de la Pologne et de la Tchécoslovaquie, temporairement occupés par les hitlériens.
Général Rudenko, quel est le numéro die ces manuels, de ces listes de recherches de domiciles et autres listes nominatives ? La référence URSS-3 est-elle exacte ?
Oui, URSS-3 ; c’est bien exact, Monsieur le Président, URSS-3.
Je vous remercie.
J’aborde maintenant les crimes de la Gestapo en Tchécoslovaqie, en Yougoslavie et en Pologne.
Les crimes commis par les hitlériens à l’aide de l’appareil exécutif de la Police dans les territoires temporairement occupés par eux en Tchécoslovaquie, Yougoslavie et Pologne, ont des traits communs nombreux.
Divers services de la Gestapo formaient l’appareil exécutif qui commettait la plupart de ces crimes.
La première « action » de masse pour l’extermination des intellectuels polonais, conçue par Frank, approuvée par Hitler, et qu’on a appelée « l’opération AB », a été exécutée par la Gestapo elle-même. C’étaient justement les agents de la Gestapo qui avaient fait venir à leur aide des détachements SS sous la direction des chefs des SS et de la Police en Pologne, l’Obergruppenführer Krüger et le Brigadeführer Streckenbach, qui ont exterminé plusieurs milliers d’intellectuels polonais lors de cette opération de masse.
Selon une ordonnance de Frank du 9 octobre 1943, les institutions de sinistre renommée qu’on a appelées les « Standgerichte », créées pour supprimer les attaques contre la construction allemande dans le Gouvernement Général, se composaient également d’agents de la Police secrète, c’est-à-dire de la Gestapo.
C’était justement la Gestapo, en Pologne, qui exécutait de cruelles représailles contre les prêtres ; avant janvier 1941 elle avait tué près de 700 prêtres et enfermé 3.000 d’entre eux dans des camps de concentration.
Comme cela a été pleinement démontré par les documents présentés par le Ministère Public soviétique, la Gestapo a créé, sur les territoires polonais, des postes spéciaux d’extermination en masse de la population juive.
Il y avait une différence entre ces camps d’extermination, tels que Maidanek et Auschwitz, placés sous la direction des SS au point de vue de l’administration et de l’intendance, et le camp d’extermination en masse de Chelmno où l’on a exterminé au gaz, ’dans des camions, 340.000 Juifs ; ce camp avait été créé par la Gestapo et en dépendait directement ; il s’appelait « Sonderkommando Kulmhof ». Ce « Sonderkommando » de la Gestapo était inspecté par le chef de la Gestapo de Lodz, Braunfisch.
C’est également la Gestapo qui a créé le prototype de tous les camps d’extermination ultérieurs : Treblinka.
Le plan d’Eichmann, qui mettait en pratique l’extermination des Juifs en Europe en se servant pour cela du système des camps d’extermination de la section D des SS, faisait partie de l’ensemble de la Gestapo et Eichmann était directement subordonné au chef la Gestapo, Müller.
En Pologne, les agents de la Gestapo ont exterminé 3.200.000 Juifs, en Tchécoslovaquie 112.000 Juifs, en Yougoslavie 65.000 Juifs.
La Gestapo mettait en pratique, dans les territoires des pays de l’Europe orientale occupés par les Allemands, le système criminel d’otages et de la responsabilité collective et étendait arbitrairement le cercle de personnes qui devaient subir les représailles les plus cruelles. Ainsi, par exemple, la Police secrète, en collaboration avec l’accusé Frank, a promulgué l’ordre bien connu sur les représailles en masse contre les « familles des hommes accusés de sabotage », stipulant qu’il faudrait « fusiller sur place non seulement les criminels pris, mais encore exécuter en même temps tous les hommes de la famille ; quant aux femmes de la famille âgées de plus de 16 ans, il faudra les envoyer dans un camp de concentration ».
Ce qui se passait en Pologne est caractéristique, non seulement pour ce pays, mais également pour la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie.
En Tchécoslovaquie, 200.000 hommes sont passés par la seule prison de Brno pendant la période d’occupation ; 50.000 d’entre eux seulement ont été libérés, les autres ont été tués ou envoyés à une mort lente dans des camps de concentration.
Par l’ordonnance du 9 mars 1942, la Gestapo avait reçu le droit de procéder à des « emprisonnements de protection » à l’intérieur du « Protectorat ».
Dès avant le début de la guerre, des milliers de patriotes tchèques, en particulier des médecins, des professeurs, ’des juristes, des prêtres, etc., ont été arrêtés. En outre, dans chaque région, on établissait des listes de personnes susceptibles d’être arrêtées comme otages au premier signe de désordre dans la « structure sociale ou la sécurité ». En 1940, Karl Hans Frank a déclaré dans un discours aux chefs du « mouvement d’unité nationale », que 2.000 otages tchèques qui se trouvaient en camps de concentration seraient fusillés si les hommes politiques tchèques influents refusaient de signer une déclaration de loyauté.
Après l’attentat contre Heydrich, beaucoup de ces otages ont été exécutés.
En 1939, la Gestapo a réuni les directeurs et les administrateurs de diverses industries tchèques. On a exigé d’eux le certificat suivant : « Je prends en considération le fait que je serai immédiatement fusillé si mon usine s’arrête de travailler sans raison valable ».
De la même façon, les professeurs des écoles tchèques devaient donner à la Gestapo des certificats spéciaux où ils se portaient garants de la conduite loyale de leurs élèves.
La Gestapo a commis des crimes inégalés par leur cruauté en exterminant la population du village de Lidice et en détruisant le village lui-même.
La terreur policière prenait des formes exceptionnellement sévères sur le territoire de la Yougoslavie.
Pour prouver ce fait, on peut citer le court extrait suivant du rapport n° 6 de la Commission d’État yougoslave pour la recherche des crimes de guerre :
« Des groupes d’otages ont été pendus à Cilli aux crochets auxquels les bouchers suspendent la viande. A Marbourg, cinq hommes de chaque lot de victimes condamnées étaient obligés de mettre les otages fusillés dans des caisses et de les charger sur des camions. Après cela, les cinq hommes étaient fusillés et les cinq suivants devaient continuer le chargement. C’était ainsi qu’on procédait sans arrêt. La rue Sodna, à Marbourg, était toute inondée du sang qui coulait des camions. »
On a présenté au Tribunal plusieurs documents sur l’exécution en masse d’otages, signés par des chefs correspondants des sections territoriales de la Police secrète allemande en Yougoslavie. Je ne vais pas m’arrêter au détail du contenu de ces documents, car j’estime que le Tribunal se les rappelle suffisamment.
Le Procès a pleinement prouvé les crimes les plus graves commis par la Gestapo’ sur le territoire soviétique temporairement occupé, où elle agissait soit au sein des formations d’opérations « Einsatzgruppen », « Einsatzkommandos » et « Sonderkommandos » du SD et de la Police ’d’e sécurité, soit au sein de la Police secrète de campagne (GPF), complétée par les fonctionnaires de la Gestapo et de la Police criminelle.
En. règle générale, les fonctionnaires de la Gestapo, dans tous ces cas, remplissaient le rôle de réalisateurs immédiats « d’exécutions » inhumaines et d’« actions massives », agissant sous la direction politique générale d’agents du SD et avec la coopération des membres d’autres espèces de Police, ainsi que des détachements de « Waffen SS » dont on a fait un large usage dans ce but.
Le Procès a établi de nombreux cas d’assassinats en masse et de tortures de citoyens pacifiques de l’URSS par les services de la Gestapo. En guise d’exemple, je vais me contenter de décrire seulement quelques cas caractéristiques. Dans la seule petite ville de Vyasma, sur l’ordre du chef de la Gestapo, ont été torturés et assassinés plusieurs milliers de citoyens soviétiques. Les fanatiques fascistes, non seulement tuaient leurs victimes, mais les obligeaient encore à creuser elles-mêmes leurs tombes.
Dans le village de Saitchiki, dans la région de Smolensk, la Gestapo a emmené de force dans une maison vingt-trois vieillards, femmes et enfants, a incendié la maison et brûlé vivants tous ceux qui s’y trouvaient.
Dans les hôpitaux psychiatriques de Riga, la Gestapo a exterminé tous les malades qui s’y trouvaient.
Comme on peut le voir dans le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes des usurpateurs allemands dans la ville de Rovno et la région de Rovno, la Gestapo commettait des assassinats en masse pour tout acte de résistance aux usurpateurs allemands. Quand, en novembre 1943, un inconnu a assassiné un juge allemand dans la ville de Rovno, la Gestapo a fusillé plus de 350 détenus de la prison de Rovno.
L’utilisation par la Gestapo de voitures à gaz pour l’extermination de citoyens soviétiques est connue par les rapports de la Commission extraordinaire d’État sur les crimes des usurpateurs fascistes allemands. Dans la ville de Krasnodar et dans sa région, la Gestapo, qui opérait au sein des Einsatzgruppen, a exterminé par l’intoxication à l’oxyde de carbone plus de 6.700 citoyens soviétiques, y compris les femmes, les vieillards et les enfants qui se trouvaient en traitement à l’hôpital de la ville de Krasnodar, ainsi que les détenus de la prison de la Gestapo.
Dans la banlieue de la ville de Krasnodar, dans un grand fossé anti-chars, ont été ensevelis plusieurs milliers de cadavres de citoyens soviétiques intoxiqués par le gaz et jetés là par la Gestapo.
Dans la région de Stavropol, on a mis à mort par l’intoxication dans les chambres à gaz, 54 enfants gravement malades qui se trouvaient en traitement dans les sanatoria de la station de Tiberda, ainsi que 600 malades de l’hôpital psychiatrique de Stavropol.
On peut se faire une idée du genre de tortures utilisées par la Gestapo par les dépositions du camarade Kovaltchouk, de la région die Stavropol. La Gestapo n’interrogeait que la nuit. Pour l’interrogatoire, on était appelé dans une cellule séparée où des appareils de torture spéciaux étaient installés, par exemple, des chaînes avec des menottes pour immobiliser les mains et les pieds, fixées au sol de ciment. Le détenu était préalablement déshabillé, étendu à terre, les mains et les pieds enchaînés, puis il était frappé à coups de matraque en caoutchouc. Quelquefois, on mettait une planche sur le dos de la victime et on portait des coups secs sur la planche avec des poids lourds.
La cellule de torture était aménagée de façon que lorsque le détenu était torturé, les autres détenus qui se trouvaient dans la cellule voisine en attendant leur tour pussent observer les tortures et les sévices. Après les tortures, les inquisiteurs modernes jetaient de côté le détenu qui avait perdu connaissance et entraînaient dans la cellule la victime suivante qui, dans la plupart des cas, avait déjà à moitié perdu connaissance.
Des tortures inouïes au cours des interrogatoires étaient admises par la Gestapo, même sur les femmes.
Je ne cite qu’un exemple. De telles tortures, lors des interrogatoires, étaient largement pratiquées dans les territoires de l’URSS occupés.
L’utilisation de tortures moyenâgeuses au cours des interrogatoires avait lieu sur les ordres spéciaux du ESHA et du chef de la Gestapo, Müller. Dans l’un de ces ordres très secrets, les chefs exhortent les subordonnés : « Un interrogatoire plus sévère peut se composer d’éléments suivants : la nourriture la plus simple (pain et eau), une couchette dure, une cellule sombre, privation de sommeil, exercices épuisants, fouet ».
Les intellectuels, également, subissaient des humiliations et des persécutions inouïes de la part de la Gestapo et, parmi eux, des savants et des artistes éminents qui se trouvaient dans les territoires soviétiques envahis par les Allemands.
La persécution des représentants de « l’Intelligentzia » de la part de la Gestapo, était menée suivant un plan établi d’avance. Par exemple, même avant l’occupation par les armées allemandes de la ville de Lwow, les détachements de la Gestapo possédaient des listes de représentants les plus en vue de l’intelligentzia de la ville, voués à l’extermination. Aussitôt après l’occupation par les Allemands de la ville de Lwow, les arrestations en masse et les exécutions de professeurs, de médecins, de juristes, d’écrivains et d’artistes ont commencé. Sans considérer la dignité humaine de leurs victimes, les membres de la Gestapo avaient recours aux tortures les plus raffinées sur les savants arrêtés, puis ils les fusillaient.
Après la libération de Lwow des occupants allemands par les divisions de l’Armée rouge, on a établi que les Allemands y ont assassiné plus de 70 savants, techniciens et artistes les plus éminents ; leurs cadavres ont été brûlés par la Gestapo.
Par peur de responsabilité, les chacals fascistes ont soigneusement essayé de dissimuler les faits d’extermination des intellectuels de Lwow.
La Gestapo a également participé aux assassinats de prisonniers de guerre. On a lu au cours des débats la directive de l’Amt IV du RSHA du 17 juin 1941 sur les opérations des détachements de la Police de sécurité et du SD dans les camps de prisonniers de guerre.
Vous avez eu le loisir également de prendre connaissance de la directive de Müller du 9 novembre 1941, à tous les services de la Gestapo, qui prescrit de jeter les corps des prisonniers de guerre morts en cours de déplacement vers les lieux d’exécution.
Le Tribunal a en mains la déposition écrite de l’ancien membre de la Gestapo Kurt Lindorf au sujet des exécutions des commissaires politiques soviétiques et des militaires juifs, ainsi que l’ordonnance du chef de la Police de sécurité et du SD aux services locaux de la Gestapo sur l’acheminement de certaines catégories d’officiers prisonniers évadés vers le camp de concentration de Mauthausen, pour qu’on y prenne à leur égard les mesures « Kugel ».
Le Tribunal connaît l’ordre du commandant de la VIe région militaire du 27 juillet 1944, qui stipule que les prisonniers de guerre évadés et repris sont privés de leurs droits et mis à la disposition des services de la Gestapo, ainsi que l’ordre de Keitel du 4 août J.942 aux Forces armées, où il est dit que les mesures à prendre à l’égard de parachutistes isolés et de groupes de parachutistes sont du ressort des services du SD et de la Gestapo.
Les services de la Gestapo participaient activement à l’envoi en esclavage en Allemagne die dizaines de milliers-de citoyens pacifiques des territoires temporairement occupés par l’Allemagne ; ils prenaient des mesures de représailles sévères à l’égard de ces gens à leur arrivée en Allemagne. Ainsi, le 16 décembre 1942, le chef de la Gestapo Muller a communiqué dans son télégramme que la Gestapo est autorisée à arrêter près de 47.000 Juifs pour compléter la main-d’œuvre des camps de concentration.
Dans la directive du 17 décembre 1942, Muller traite le même sujet à propos de 35.000 Juifs.
Dans un ordre secret du 18 juillet 1941, Muller donne des instructions aux services de la Gestapo sur les mesures nécessaires pour prévenir les troubles parmi les travailleurs étrangers.
L’activité de la Gestapo est particulièrement criminelle en ce qui concerne l’extermination des Juifs.
L’affidavit de Wilhelm Höttl du 7 novembre 1945 établit que la Gestapo a exterminé près de 6.000.000 de Juifs.
Les rapports de la Commission extraordinaire d’État pour la recherche des atrocités des fascistes allemands sur le territoire de l’URSS et ’d’autres documents rapportent des faits nombreux de tortures de toute sorte, d’humiliations infligées et d’assassinats en masse de Juifs par la Gestapo.
Les débats ont pleinement confirmé l’accusation présentée au sujet de l’activité criminelle de la Gestapo. En tant qu’organe de terreur sanglante s’étendant sur des masses, la Gestapo doit être déclarée organisation criminelle.
Le Service de sécurité ou Sicherheitsdienst, était ordinairement désigné ’dans les documents officiels de la police hitlérienne sous le nom conventionnel de SD. Il a été conçu comme une organisation de complot et d’espionnage du Parti et des SS au sein du fascisme allemand. L’organisateur du SD, en même temps que des SS, était Himmler.
Le SD était le mécanisme secret du système SS qui, après la prise de pouvoir par les hitlériens, s’est le plus rapidement fondu avec les services de Police ; il a fourni les cadres aux postes die direction de la Police secrète où il a placé des gens des SA et des SS ; il a joué, au moment de l’organisation du RSHA et plus tard aussi, un rôle décisif dans le système d’information politique et de « l’extermination préventive » des éléments indésirables pour les hitlériens.
Le SD était l’organisation la plus proche de l’État-Major central des conspirateurs criminels hitlériens, les chefs du parti hitlérien. Aussi est-ce justement le SD qui a participé le plus activement à l’élaboration des mesures de police qui accompagnaient invariablement tous les plans d’agression hitlérienne.
Le SD, comme on le montrera plus loin, a créé les premiers Einsatzgruppen, s’est mis à la tête de ces organisations de bandits fascistes allemands, a préparé d’une façon organisée les crimes qui ont été commis par la suite dans les territoires occupés de la Pologne, de la Yougoslavie, de l’Union Soviétique et d’autres États.
En essayant de décharger cette organisation criminelle de sa responsabilité, la Défense s’est lancée dans une discussion sur la signification du terme même SD.
Nous comprenons pourquoi la Défense soulève cette discussion terminologique. Elle en a besoin pour essayer de soutenir la version de Kaltenbrunner sur le SD : ce serait « un services d’information intérieur allemand », strictement limité dans ses fonctions, étranger à toute fonction de police.
Cette discussion a été soulevée par la Défense pour qu’en reconnaissant la partie la plus apparente seulement de l’activité criminelle du SD, elle puisse dissimuler derrière la notion « d’information générale sur l’état d’esprit de divers cercles » les autres fonctions politiques et policières tenues par le SD en tant que clé d"u mécanisme de la Police et des SS.
Cependant, en fait, le SD était une organisation d’espionnage à branches multiples du fascisme allemand, qui a contribué activement à la réalisation des plans criminels d’agression, qui opérait tant à l’intérieur de l’Allemagne que dans les territoires occupés et à l’étranger.
Les cadres du SD, à côté de la Gestapo, formaient l’ossature de base, et la direction des Einsatzgruppen et les agents du SD tenaient toujours le rôle important dans la direction des Einsatzgruppen.
Les tâches remplies par le SD peuvent se subdiviser ainsi :
1. L’information générale englobant absolument, comme on l’a indiqué dans les documents officiels du SD, toutes les régions vitales du Reich fasciste, toutes les institutions d’État et tous les cercles de la société de l’Allemagne fasciste :
2. Les tâches spéciales en rapport avec la préparation de fichiers spéciaux et de listes (surtout pour les pays qui devaient être envahis). Dans ces fichiers et ces listes, on portait les noms des personnes qui devaient être soumises à un « régime spécial », c’est-à-dire exterminées ou. enfermées dans des camps de concentration ;
3. La tâche de compléter les effectifs des organisations criminelles spéciales qui réalisaient elles-mêmes les plans des hitlériens pour l’extermination des éléments politiques indésirables et des intellectuels dans les territoires occupés et qui menaient à bien les « exécutions » et les « opérations » inhumaines.
Tout l’effectif SD était composé de SS. Cela se comprend puisque le SD était une organisation apparentée aux SS et, jusqu’au dernier moment, s’appelait « SD du Reichsführer SS ».
Dans le système SD, très étendu, rentraient l’Amt III du RSHA (service d’espionnage politique intérieur ainsi que service d’espionnage politique dans les territoires occupés), l’Amt IV du RSHA (service d’espionnage à l’étranger, ayant à sa tête un des collaborateurs les plus proches de Himmler, Walter Schellenberg, dont les dépositions sont bien connues du Tribunal), et l’Amt VII, qui était quelquefois désigné sous le nom de « service de la guerre idéologique » qui comprenait en outre une série d’institutions auxiliaires très importantes, formant le mécanisme détaillé de l’espionnage à l’étranger et à l’intérieur.
Pour réfuter les affirmations présentées par la Défense, je voudrais me tourner vers un document qui caractérise la situation réelle du SD dans le système de Police et des SS en Allemagne hitlérienne. Je veux parler du document qui a pour titre « Utilisation du SD dans le cas de la Tchécoslovaquie ». Ce document porte la griffe « Très secret » et est daté de juin 1938, c’est-à-dire plus de neuf mois avant l’envahissement de la Tchécoslovaquie. Il a été saisi par l’Armée rouge dans les archives du SD à Berlin et présenté au Tribunal par le Ministère Public soviétique.
Le contenu de ce document ne laisse aucun doute sur le fait, d’abord que le SD participait activement à l’élaboration et à la réalisation des plans de l’agression criminelle hitlérienne et, ensuite, que c’est justement le SD qui était l’initiateur et l’organisateur des Einsatzgruppen.
J’ai quelques extraits de ce document mais ne veux pas les lire.
Tout le territoire de la Tchécoslovaquie était divisé d’avance en unités territoriales grandes (Oberabschnitt) ou petites (Unterabschnitt), en rapport avec la structure territoriale du SD à l’intérieur de l’Allemagne ; à l’intérieur de chaque unité, on préparait et on formait des Einsatzgruppen et des Einsatzkommandos spéciaux. Dans le texte du document, on peut lire que les plans d’organisation étaient faits pour les Oberabschnitte de Prague, de Bohême, de Moravie, de Silésie, de Waagtal et d’autres.
La formation des Einsatzkommandos était entièrement du ressort du SD. Dans le texte du document, on dit à ce sujet :
« La formation des États-Majors des services du SD doit se faire en tenant compte des exigences suivantes :
« 1. Les exigences du SD lui-même ;
« 2. Les exigences d’ordre économique. »
On avait élaboré tout un programme de préparation d’agents des Einsatzkommandos, pris parmi les collaborateurs bénévoles et les Allemands des Sudètes. On prévoyait également l’utilisation de « personnes adéquates » d’origine allemande, vivant en Tchécoslovaquie, et on soulignait spécialement que : « ... il faut avoir en vue que, malgré toutes les mesures de prudence, nous n’aurons pas à notre disposition beaucoup de personnes de ce genre, car un grand nombre d’entre elles seront éventuellement arrêtées, déportées ou tuées ».
Les Einsatzgruppen formées sur le territoire de l’Allemagne devaient être concentrées à la frontière germano-tchèque pour avancer en Tchécoslovaquie en même temps que les armées qui l’envahissaient. Dans le texte du document, il est dit à ce sujet, et j’invite le Tribunal à porter son attention sur la page 55 :
« Les fiches doivent porter les remarques des chefs de service, par exemple : arrêter, liquider, écarter du service, observer, confisquer, surveillance de police, privation de passeport, etc. »
L’établissement de fichiers et de toutes sortes de guides de renseignements dans lesquels on portait les noms de gens susceptibles d’être exterminés, de gens arrêtés dans les territoires temporairement occupés par les Allemands, se rapportait en général au nombre des fonctions propres au SD L’extermination elle-même était ensuite mise en œuvre par la Gestapo ou par des détachements spéciaux de SS, les Sonderkommandos ou la Police de sûreté.
Lors de la préparation de l’attaque contre l’Union Soviétique, les agents du SD ont également préparé avec soin toute une série de guides de renseignements et de listes d’enquêtes où étaient portés les noms des représentants de l’Intelligentzia soviétique et des hommes politiques voués à l’extermination d’après les directives inhumaines des criminels hitlériens.
Dans l’annexe n° 2 à l’ordre d’opération n° 8 du chef de la Police de sécurité et du SD, daté du 17 juillet 1941, il est dit que, bien avant le début de la guerre avec l’Union Soviétique, le service de sécurité avait composé le « Guide d’espionnage allemand des listes de recherche de domiciles », un « guide d’espionnage spécial pour l’URSS » où étaient portés les noms des russes soviétiques que l’on devait considérer comme « dangereux ».
Par les mêmes directives de Heydrich, nous savons ce que les criminels hitlériens avaient l’intention de faire de ces « Russes soviétiques ’dangereux ». Ils devaient tous être exterminés par les Sonderkommandos, sans jugement, d’après les ordres 8 et 14 du RSHA, des 17 juillet et 29 octobre 1941.
Le même travail criminel était accompli par le SD avant l’entrée en Yougoslavie. Le Ministère Public soviétique a présenté au Tribunal le « Manuel d’espionnage » composé par ce que l’on a appelé l’institut allemand balkanique, le « Südostdeutsches Institut », dépendant du SD. Ce manuel comprenait plus de 4.000 noms de citoyens yougoslaves qui devaient être immédiatement arrêtés lors de l’attaque de la Yougoslavie. Le manuel, composé par le SD, a été transmis à la Police ; c’est-à-dire à la Gestapo qui, elle, devait procéder à son tour aux arrestations.
Ce manuel a été découvert au service des archives de la Gestapo à Marbourg et portait la remarque suivante faite par les agents du SD : « Les personnes indiquées doivent être arrêtées. Informer le RSHA aussitôt la tâche remplie ». Ce service du SD menait un travail souterrain particulier pour préparer en Yougoslavie les agents de la Cinquième colonne. Un agent du SD, agrégé de l’université de Graz, Hermann Ibler, avait fait à ce sujet un travail spécial ayant pour titre Des Reiches Südgrenze, et portant la griffe « Strictement secret ». Il contenait la liste des agents de la Cinquième colonne en Yougoslavie.
C’était précisément le SD qui commettait les actes de provocation politique à l’étranger. L’ancien chef de la Police de sécurité et du SD, Kaltenbrunner, a été obligé de le reconnaître lors de son interrogatoire par un représentant du Ministère Public soviétique. Lui-même n’a pas pu nier sa signature au bas d’une lettre à Ribbentrop, relative à l’assignation de 1.000.000 de tomans par le ministère des Affaires étrangères, pour acheter les élections en Iran.
Les agents du SD comprenaient parfaitement quel rôle leur était assigné dans les territoires occupés pour réaliser les plans fanatiques des hitlériens dans l’extermination ides peuples asservis. Est très caractéristique à ce point de vue le document allemand présenté par le Ministère Public soviétique, qui a été saisi par les troupes de l’Armée polonaise à la section du SD de Mogilno (Pologne).
Un certain chef de la Blockstelle, Hauptsturmführer SS, porte à la connaissance des informateurs du SD, dans une lettre qui leur est adressée, un discours de Himmler du 15 mars 1940, où celui-ci exige des commandants des camps de concentration situés en Pologne qu’ils utilisent les ouvriers polonais qualifiés dans le système d’industries de guerre des camps de concentration, puis qu’ils exterminent tous les Polonais. C’est pourquoi le Hauptsturmführer SS de Mogiino exigeait à son tour de tous les hommes de confiance, informateurs du SD, qu’ils établissent des listes nominatives de Polonais qui leur paraîtraient dangereux pour les exterminer éventuellement.
Le SD était une des pièces les plus importante® de la machine policière SS du fascisme allemand !. C’était une organisation de détectives et d’informateurs qui s’étendait sur tout le territoire du vieux Reich, ainsi que sur toutes les régions temporairement occupées et sur tous les pays. A un moment donné, c’étaient précisément les agents du SD qui prenaient et dirigeaient les mesures de police les plus inhumaines des hitlériens.
C’est pourquoi le Ministère Public soviétique, s’appuyant sur des preuves indiscutables, considère que tout le système du SD doit être déclaré criminel.
L’État-Major général et le Haut Commandement des Forces armées
Au cours du Procès actuel, certains accusés, avocats et témoins de la Défense, pris parmi les généraux de l’Allemagne hitlérienne, ont fait maintes tentatives pour présenter le commandement militaire allemand et l’État-Major général comme des organismes qui étaient dirigés dans leur activité par le principe fondamental et unique : « Accomplir son devoir de soldat ». Les organes militaires supérieurs allemands étaient, selon eux, bien à l’écart de la politique criminelle du Gouvernement hitlérien, ils ne participaient pas à la solution des problèmes politiques et limitaient leur activité à la seule exécution des ordres du Chef suprême sur des mesures d’un caractère strictement militaire. Ils prétendent que l’Etat-Major général allemand, dans le cadre de l’appareil militaire qui existait alors en Allemagne, ne représentait ni plus ni moins qu’un organe auxiliaire technique.
De nombreuses tentatives enfin furent faites, et cela est parfaitement normal, pour séparer le commandement des forces armées de l’activité des organismes allemands de Police ou des SS.
Tous ceux qui ont suivi tant soit peu le développement politique de l’Europe après la première guerre mondiale savent bien que les officiers et les généraux de l’empereur se sont immédiatement montrés prêts à renouveler la partie perdue. Rendant responsables de la défaite militaire de l’Allemagne tout le monde, sauf eux-mêmes, ils ont créé des organisations militaires illégales en nourrissant l’espoir d’une revanche et se trouvaient prêts à vendre leur honneur et leur épée au premier aventurier politique qui n’hésiterait pas à déclencher un nouveau carnage mondial. C’est dans l’esprit de ces « traditions » que la nouvelle génération d’officiers était élevée.
Et ce n’est pas par hasard qu’Adolf Hitler, leur chef futur, survint du néant sur la scène politique avec le soutien direct, normal et matériel de la Reichswehr.
Sauf de rares exceptions, ils suivirent cet aventurier avec enthousiasme lorsque, après s’être emparé du pouvoir, il aborda sur-le-champ le réarmement de l’Allemagne. Les orgueilleux généraux prussiens plièrent ainsi le genou devant le caporal Hitler parce qu’ils comprirent que Hitler, c’était la guerre.
Les Feldmarschälle Brauchitsch, Milch, Manstein et autres sont venus ici, gardés par des soldats de l’Armée aillée, dans le but de faire de faux témoignages devant le Tribunal Militaire International, dans une affaire qui les concernait. Et nous avons été appelés à assister à une transformation bizarre : les loups sont devenus des agneaux. J’ignore sur quels gens naïfs comptait, par exemple, Brauchitsch, lorsqu’il tentait de se faire passer pour un pacifiste convaincu. A l’en croire, tout en étant Commandant en chef de l’Armée de terre, il ne savait rien des plans d’agression, des préparatifs d’une invasion armée de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie et ne cessait de conseiller à Hitler de ne pas déclencher de conflit.
Par une défense aussi maladroite, ce n’est que lui seul qu’il pouvait induire en erreur. Je me permettrai de m’arrêter brièvement sur des preuves réfutant les ruses et les échappatoires de la Défense qui ne poursuivent qu’un seul but : celui de dissimuler et de minimiser l’envergure et le caractère criminel de l’activité des organes supérieurs du commandement militaire allemand.
Les crimes contre la Paix
Les preuves présentées au Tribunal font ressortir de façon indiscutable que l’État-Major général et le Haut Commandement des Forces armées étaient parfaitement informés des plans criminels d’agression du Gouvernement hitlérien, qu’ils étaient d’accord avec ces plans et qu’ils avaient participé activement à leur élaboration et à leur exécution.
Les plans d’agression respirant la haine de l’Humanité conçus par les conspirateurs hitlériens furent connus en Allemagne de chaque Allemand dès la parution de Mein Kampf. Ils reçurent une vaste publicité qui alla croissant de jour en jour et de mois en mois.
Dès le début, ces plans furent reconnus par tous les chefs militaires de l’Allemagne qui, par la suite, mirent leur expérience et leur savoir au service de l’État hitlérien.
Je n’ai cependant pas l’intention d’approfondir ici l’histoire du Gouvernement hitlérien et de sa machine de guerre dans le but d’établir quand et dans quelles circonstances commença l’activité criminelle des dirigeants militaires allemands.
Je tiens cependant à rappeler quelques preuves très importantes qui se rapportent déjà à la période du début de la guerre.
Dès le 23 mai 1939, lors d’une conférence avec les grands chefs militaires à la nouvelle chancellerie, Hitler déclarait :
« Il ne s’agit pas de Dantzig. Il s’agit pour nous d’étendre vers l’Est notre espace vital. Ainsi, la question d’épargner la Pologne tombe d’elle-même et la décision demeure dte l’attaquer à la première occasion. »
Développant ses plans politiques et militaires en présence des officiers supérieurs et des généraux allemands, Hitler déclarait à la conférence de l’Obersalzberg, le 22 août 1939 :
« Tout d’abord, anéantir la Pologne... Et si la guerre éclatait également à l’Ouest, c’est l’anéantissement de la Pologne qui doit rester au premier plan. Je donnerai un motif de propagande pour justifier le déclenchement de la guerre. Peu importe qu’il soit vraisemblable ou non. »
Lors de la conférence des commandants en chef, du 23 novembre 1939, Hitler disait à ses conseillers militaires les plus proches :
« Dans le fond, ce n’est pas pour qu’elles restent inactives que j’ai recréé les forces armées. La détermination d’agir était toujours ancrée en moi. Tôt ou tard, je voulais résoudre ce problème. Il advint cependant, par la force des choses, que le sort tomba tout d’abord sur l’Est. »
N’est-ce pas là une preuve que Hitler ne dissimulait pas ses plans criminels aux grands chefs militaires de l’Allemagne hitlérienne ?
Encore plus convaincants dans ce sens sont les documents d’opérations du commandement allemand qui exposent cyniquement les visées criminelles d’agression du Gouvernement hitlérien.
Dans la directive de Hitler, en date du 30 mai 1938, relative à la réalisation du plan « Grün » qui prévoyait la mainmise sur la Tchécoslovaquie, on pouvait lire :
« C’est ; ma décision inébranlable d’abattre la Tchécoslovaquie dans l’avenir le plus proche, par une seule opération militaire.
« Le moment le plus favorable au point de vue militaire et politique sera un coup porté avec la rapidité de l’éclair, qui sera provoqué par un incident quelconque qui aura défié l’Allemagne dans la forme la plus catégorique et qui justifiera moralement les mesures militaires qui seront prises, ne serait-ce qu’aux yeux d’une partie de l’opinion publique mondiale. »
Ou bien la directive en date du 27 mars 1941 sur la conquête de la Yougoslavie qui stipulait :
« Même dans le cas où la Yougoslavie ferait une déclaration de loyauté, il faudra la considérer comme un ennemi et, par conséquent, l’abattre aussi vite que ce sera possible. »
Cette vérité cynique atteint son point culminant dans les documents allemands sur les opérations militaires ayant trait aux préparatifs de l’agression contre l’URSS.
Dans une circulaire de l’OKW relative aux territoires spéciaux, en date du 13 mars 1941, c’est-à-dire bien antérieure à l’agression contre l’URSS, il était ouvertement indiqué :
« Les territoires russes qui seront occupés au cours de la campagne devront, dès que le permettront les opérations militaires, être transformés selon les instructions spéciales qui paraîtront à cet effet, en États dotés de leurs propres gouvernements. »
Dans les « Instructions relatives à la propagande dans la région Barbarossa », publiées par l’OKW en juin 1941, il était prévu que « il ne fallait pas, pour l’instant, faire de propagande en vue du démembrement de l’Union Soviétique ».
Enfin, le document 21, en date du 18 décembre 1940, enregistré sous le nom de plan « Barbarossa », déclarait :
« Le but final de l’opération est de se retrancher de la Russie asiatique sur une ligne Archangelsk-Volga. »
L’ancien Generalfeldmarschall de l’Armée allemande, Friedrich Paulus, a donné ici, devant le Tribunal, une explication complète de ce « but final » poursuivi par l’Allemagne hitlérienne dans sa guerre contre l’Union Soviétique et qui était connu de tous les commandants des Forces armées allemandes.
Une preuve non moins éclatante en est apportée par un ordre de l’ancien commandant de 11e armée allemande, le Generalfeldmarschall von Manstein, ordre qui a été lu au Tribunal par mes collègues américains, et dans lequel Manstein, tout en exposant les buts politiques de la guerre contre l’Union Soviétique dans l’esprit des directives de Hitler, informe ses subordonnés, d’une manière non équivoque, que le but de l’agression contre l’URSS consiste à y exterminer le système de gouvernement existant. Les paroles du général hitlérien von Manstein sonnent mal lorsqu’il déclare après cela qu’il n’était qu’un soldat et qu’il n’était pas au courant de la politique du Gouvernement hitlérien.
Cet ordre montre que les généraux étaient non seulement au courant des buts politiques de la guerre, mais qu’ils leur donnaient aussi leur entière approbation.
En fait, il ne pouvait pas en être autrement. Qu’aurait pu faire Hitler si sa clique, si les spécialistes militaires, si les généraux de l’Armée allemande, n’avaient pas approuvé ses plans ?
Il est certain qu’il existait ’dans l’Allemagne hitlérienne une structure spécifique de la machine militaire. De concert avec l’OKW, agissaient également l’État-Major des forces de terre ainsi que les États-Majors des forces aériennes et de la Marine de guerre. Les États-Majors des différentes armes élaboraient, chacun dans le domaine de sa comptétence, les parties correspondantes des plans généraux d’agression de l’Allemagne hitlérienne, et c’est l’OKW qui coordonnait et centralisait ce travail des diverses armes.
Dans la mesure où le rôle décisif dans l’exécution des plans d’agression incombait aux troupes de terre, avec leurs innombrables et puissantes formations blindées, la place prépondérante dans la préparation des mesures d’agression du Gouvernement hitlérien était occupée, naturellement, par l’État-Major général allemand.
Ainsi, la structure de l’appareil militaire établi dans l’Allemagne hitlérienne n’excluait d’aucune façon, mais au contraire attribuait le rôle le plus actif à l’État-Major dans l’élaboration, la préparation et l’exécution des plans criminels d’agression du Gouvernement hitlérien.
Afin ’de caractériser le rôle pratique de l’État-Major général allemand dans l’élaboration et dans la préparation des plans d’agression de l’Allemagne hitlérienne, je me référerai à certains faits : je vous rappellerai, Messieurs les juges, la déclaration de l’ancien Generalfeldmarschall Friedrich Paulus, confirmée par ce dernier devant le Tribunal. Paulus a déclaré :
« Lorsque j’ai pris mes fonctions à l’OKH, le 3 septembre 1940, j’y ai trouvé, parmi d’autres projets, un plan encore inachevé d’une agression contre l’URSS, connu sous le nom de code de plan « Barbarossa ». Commencée en août 1940, l’élaboration du plan préliminaire « Barbarossa » se termina par deux Kriegsspiel menés sous ma direction au Quartier Général de l’OKH à Zossen. »
N’est-il pas maintenant absolument clair que l’État-Major allemand était, de même que l’OKW, le promoteur du plan criminel « Barbarossa » ?
Un rôle non moins actif était joué par l’État-Major général allemand dans la préparation d’autres plans d’agression de l’Allemagne hitlérienne.
Il ne peut y avoir aucun doute que dans l’élaboration des plans criminels d’agression, le rôle décisif était joué par l’État-Major général allemand de même que par l’OKW.
Les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité
Les Forces armées allemandes et leurs chefs accomplissaient séparément, ou en collaboration avec les organismes policiers allemands, des atrocités innombrables dans les territoires occupés.
Une simple énumération des preuves dévoilant les atrocités commises par les envahisseurs germano-fascistes dans les territoires occupés, aurait demandé beaucoup trop de temps. Pour cette raison, je ne me référerai qu’à des preuves isolées, confirmant que les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité étaient commis par les Forces armées allemandes d’une façon suivie et sur une vaste échelle, qu’ils étaient organises à l’avance et que tous les maillons de la machine de guerre allemande y ont participé, du Feldmarschall au simple soldat.
Il suffit de se rappeler l’ordre de l’accusé Keitel en date du 13 mai 1941 sur le fonctionnement de la justice militaire dans la région « Barbarossa » et sur les mesures spéciales pour l’Armée, qui devait appliquer « les mesures les plus sévères » ; pour cela, les officiers allemands obtenaient le droit de fusiller sans jugement et on établissait l’impunité des militaires allemands pour les crimes commis contre les populations pacifiques.
Ou bien l’ordre de ce même accusé Keitel, en date du 16 septembre 1941, par lequel il prescrivait aux troupes allemandes de « tenir compte du fait que la vie humaine dans les pays en question vaut moins que rien et que les mesures d’intimidation ne peuvent être obtenus que par l’application d’une cruauté exceptionnelle... »
On pourrait également citer l’ordre de l’OKW sur l’extermination des commissaires soviétiques prisonniers, sur le marquage des prisonniers de guerre soviétiques ; l’ordre de l’accusé Göring sur l’extermination des aviateurs alliés capturés, sur le pillage des territoires occupés et la déportation des populations pacifiques pour les travaux forcés en Allemagne ; l’ordre de l’accusé Dönitz interdisant de porter secours aux équipages des navires en détresse ; l’ordre de l’ancien Generalfeldmarschall Reichenau sur le comportement des troupes à l’Est, ainsi que de nombreux autres.
Ils ont tous acquis maintenant un sens identique. Ces ordres criminels ne restèrent pas des ordres sur le papier, comme certains témoins dans le genre de von Brauchitsch ou de von Manstein se sont efforcés de le démontrer ici. Avec une ponctualité bien allemande, ils étaient mis en pratique.
Le Tribunal a entendu la déposition du témoin Walter Schreiber, ancien général du service de santé de l’Armée allemande. Schreiber, bactériologue distingué, a parlé des plans des conspirateurs hitlériens tendant à utiliser comme arme de guerre le mortel bacille de la peste. Il a exposé comment ce crime a été organisé et réalisé, crime dont les inspirateurs ont été le Haut Commandement allemand et l’État-Major allemand, les accusés Hermann Göring et Wilhelm Keitel. Seule, l’avance des éléments de l’Armée rouge vers les frontières allemandes fit échouer ce plan criminel de la clique guerrière de Hitler, plan dont la réalisation menaçait de causer de nouveaux maux effroyables et de décimer l’Europe tout entière.
Le Gouvernement totalitaire hitlérien a largement utilisé la coopération de ses différents rouages et ce n’est pas par hasard qu’une attention spéciale a été accordée à la coordination de l’appareil militaire, dans l’Allemagne hitlérienne, avec d’autres organisations gouvernementales.
L’OKW était représenté dans de nombreux ministères allemands par ce qu’on a appelé les officiers de liaison ; en même temps, de nombreux ministères avaient leurs représentants à l’OKW. Une telle coopération a été utilisée d’une façon particulièrement étendue dans l’activité des autorités allemandes militaires et civiles dans les territoires occupés.
Mais si les chefs hitlériens, sous le poids des preuves, ont dû reconnaître leurs rapports avec le ministère des Affaires étrangères ou le ministère des Territoires de l’Est, par exemple, ils refusent catégoriquement cependant de reconnaître leurs rapports avec la Police d’État allemande et les SS. Et c’est compréhensible. Cependant, l’existence de tels rapports aurait, à elle seule, dévoilé leur participation à de nombreuses atrocités dans les territoires occupés.
C’est pourquoi je considère de mon devoir de prouver l’existence de rapports criminels entre le commandement militaire allemand et la Police secrète d’État et d’autres organisations de Police.
Les débuts de ces rapports remontent à une période bien antérieure à l’agression de l’Allemagne hitlérienne contre l’Union Soviétique. L’ordre relatif aux « territoires spéciaux », promulgué par l’OKW le 13 mars 1941 et signé par l’accusé Keitel, prévoyait la nécessité d’une action coordonnée dans les territoires occupés entre le Reichsführer SS et le commandement de l’Armée.
Les témoins Walter Schellenberg et Otto Ohlendorf, anciens chefs de services du RSHA, ont déclaré au cours de leurs dépositions devant le Tribunal que déjà, au mois de mai 1941, en exécution des directives de l’OKW, le général Wagner, représentant de l’OKH, et Heydrich, chef de la Police de sûreté et diu SD, arrivèrent à un accord qui prévoyait l’organisation et l’échelonnement de l’activité au sein des Forces armées allemandes, des Einsatzgruppen de la Police et du SD.
Au cours du contre-interrogatoire devant le Tribunal du témoin von Brauchitsch, ce dernier confirma qu’il fut informé de ces pourparlers entre Wagner et Heydrich.
L’existence et le caractère même de l’activité des Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD au sein des Forces armées allemandes, sont confirmées par une série de preuves.
Le rapport de l’Einsatzgruppe « A » de la Police de sûreté et du SD sur la situation au 15 octobre 1941, indiquait :
« Il s’agissait d’établir au plus vite un contact personnel avec les chefs d’armées et le Commandant en chef des arrières du front. On peut noter que les relations avec l’Armée se sont avérées en général bonnes, et dans certains cas excellentes, presque cordiales, comme par exemple avec le 4e groupe blindé commandé par le général Hoeppner. »
Et plus loin :
« Il est apparu à la Police de sûreté, à l’occasion de cette progression militaire au cours des premiers jours de la campagne de l’Est, que le travail qui ressortait en propre aux tâches de la Police de sûreté ne devait pas être accompli seulement sur les arrières des zones des armées, mais aussi dans la zone de combat. »
Il ressort d’une lettre du Commissaire général pour la Russie Blanche, le bourreau Kube, en date du 1er novembre 1941, dans laquelle il exprime son indignation sur l’activité criminelle des organismes de Police de la ville de Slutzk, que le 2e bataillon de Police qui avait procédé dans cette ville à des exécutions massives de Juifs était sous les ordres directs du commandement militaire.
Les ordres de Göring, Dönitz, Jodl, Keitel, et l’accord criminel de Wagner et de Heydrich, les ordres de Reichenau et de Manstein, ont laissé une trace sanglante des atrocités innombrables des troupes allemandes et des Einsatzgruppen de la Police de sûreté dans les territoires occupés. Le sang de millions de victimes innocentes souille non seulement les mains du soldat allemand Knittel et du caporal-chef Kurt, mais aussi celles des Feldmarschälle de l’Armée allemande.
La machine de guerre hitlérienne, dirigée par le Haut Commandement des Forces armées et par l’État-Major général allemand, était la force décisive avec le concours ’de laquelle étaient conçus et réalisés tous les plans criminels d’agression du Gouvernement hitlérien, tous les crimes de guerre et tous les crimes contre l’Humanité.
Le Haut Commandement allemand et l’État-Major général allemand s’avéraient donc l’une des organisations les plus importantes pour l’exécution du complot criminel de la clique hitlérienne, et les chefs suprêmes des Forces armées allemandes comme les participants actifs à ce complot.
A la suite de ces débats, je considère que le caractère criminel de cette organisation militaire est pleinement démontré.
Le Gouvernement du Reich
J’en arrive à la dernière des organisations susceptibles d’être déclarées criminelles : au cabinet, qui occupait une place prépondérante au sein du système de la dictature fasciste.
L’appendice « C » de l’Acte d’accusation contient une liste détaillée des personnes ayant fait partie du Gouvernement et à qui, par conséquent, incombe la responsabilité des crimes commis par les hitlériens, crimes énumérés aux points 1, 2, 3 et 4 de l’Acte d’accusation.
Pendant neuf mois, le Tribunal a examiné les preuves des crimes monstrueux des nazis. Nous avons entendu ici quels furent les crimes de la Police et de la Wehrmacht, des SS et de la Gestapo, des Gauleiter et des Commissaires du Reich pour les territoires occupés, ceux des divers Führer et Leiter. Et nous pouvons déclarer de la façon la plus catégorique que l’uniformité et l’analogie des crimes, l’unité des moyens et des méthodes de leur exécution, prouvent que ces crimes étaient ’dirigés et accomplis en vertu des instructions d’un seul et même organisme central. Les traces de tous ces crimes innombrables et variés mènent à la bande des conspirateurs fascistes et au criminel Gouvernement hitlérien.
Sous ce jour, les déclarations de la Défense et des accusés qui tendent à prouver que, sous Hitler, le conseil des ministres n’était qu’un organisme purement technique, dépourvu de tout pouvoir réel, s’avèrent tout à fait peu convaincantes. En fait, les ministres non seulement tranchaient eux-mêmes les questions soumises à leur compétence, mais étaient également les exécutants de la volonté de Hitler. Mais il est également vrai que la décision finale des conférences et des débats officiels ou officieux était prise par Hitler. Mais on ne peut, en même temps, omettre le fait que chaque ministre hitlérien a été Führer dans son ministère et que, par ses conseils, par les documents qu’il soumettait, par ses projets de lois et de décrets, il avait une influence réelle sur les décisions que prenait Hitler au sujet des questions qui avaient trait à l’activité de plusieurs ministères. De même, il est impossible de ne pas compter avec le fait que la volonté de Hitler correspondait entièrement aux points de vue personnels et aux convictions de ses ministres. Ces derniers étaient indispensables à Hitler dans la même mesure que lui, Hitler, leur était nécessaire. Göring, Frick, Rosenberg, Neurath, Speer, Funk, et d’autres, sont inconcevables sans Hitler, de même que Hitler est inconcevable sans eux. Sous la direction de Hitler, ils participaient activement à l’élaboration du complot fasciste et chacun d’entre eux, dans le rôle qui lui incombait dans le plan criminel qui déterminait l’activité de tous les ministres sans exception, exécutait ce plan d’une façon consciente et active.
Étant les dirigeants des ministères correspondants de l’Allemagne hitlérienne, des finances, de l’économie, de la justice, des voies de communication, etc., ils ont joui, au cours de la période de 1933 à 1945, de toute la plénitude du pouvoir législatif, exécutif, administratif et politique. Et ce pouvoir, ils l’utilisèrent à l’exécution des plans criminels d’invasion des territoires étrangers, à l’extermination de races et de peuples, à l’établissement de leur suprématie dans le monde. Et, pour faciliter l’exécution de ces plans criminels, ils commencèrent par s’emparer et par conserver, au moyen de mesures draconiennes, leur pouvoir sur le peuple allemand et sur son Gouvernement.
La marée de la terreur fasciste a déferlé sur l’Allemagne avant l’arrivée de Hitler au pouvoir, et elle s’accrut particulièrement après que ce dernier devint chancelier en 1933 et les accusés Frick, Papen et Neurath, ministres ’du Gouvernement du Reich. Profitant de ce qu’ils faisaient partie du Gouvernement, ces ministres fascistes ont entièrement légalisé la terreur des SA du parti nazi et préparé la prise du pouvoir ultérieure en se servant pour cela de l’incendie du Reichstag, organisé par l’accusé Göring.
Sitôt après la prise du pouvoir par les fascistes est promulguée, le 24 mars 1933, une loi sur la « défense du peuple et de l’État », qui donne au Gouvernement du Reich aussi bien qu’au Reichstag le pouvoir législatif.
Le 26 mai 1933, le Gouvernement du Reich publie un décret sur la confiscation des biens ’des organisations communistes et, à partir du 14 juin de la même année, les biens des organisations sociales-démocrates sont confisqués. Le 1er décembre 1933, le criminel Gouvernement du Reich promulgue, sous la signature de Hitler et de l’accusé Frick, la loi sur la « garantie de l’unité du Parti et de l’État ».
Tout en poursuivant la liquidation des institutions démocratiques, le Gouvernement du Reich, par une loi sur « la reconstruction du Reich », supprime en 1934 les élections démocratiques pour les institutions représentatives centrales et locales. Le Reichstag est transformé par les fascistes en une institution qui n’a plus aucune signification pratique.
Par une loi du 7 avril 1933 et d’autres, tous les fonctionnaires de l’État, y compris les juges, qui avaient été convaincus de sentiments anti-fascistes ou qui avaient appartenu aux organisations de gauche, ainsi que les Juifs, furent relevés de leurs fonctions et remplacés par des fascistes. Conformément aux « principes de base de la loi allemande sur les fonctionnaires » en date du 26 janvier 1937, « les rapports intérieurs du fonctionnaire avec le Parti sont une des conditions nécessaires à sa nomination... Le fonctionnaire doit exécuter la volonté de l’État national-socialiste dirigé par la NSDAP ».
La nazification complète de l’appareil du pouvoir gouvernemental en Allemagne a permis aux conspirateurs hitlériens de s’en servir ultérieurement comme d’un instrument obéissant pour la réalisation de tous leurs plans criminels.
Pour inoculer l’idéologie fasciste et tromper la population, le Gouvernement hitlérien a pris une série de mesures : Le 1er mai 1934, on crée un ministère de l’Éducation ; il surveille l’éducation de la jeunesse dans l’esprit du militarisme, de la haine raciale, et dans un mirage qui donnait de la réalité une représentation erronée.
Ces tâches incombaient au chef de la Jeunesse du Reich et à ses organismes subordonnés.
La liberté individuelle, la liberté de la presse, la liberté, de pensée, sont supprimées.
Les syndicats libres sont dissous, leurs biens confisqués, tandis que la majorité de leurs dirigeants sont jetés en prison.
Pour étouffer toute résistance par la terreur, le Gouvernement crée la Gestapo et les camps de concentration. Sans procédure et sans formuler d’accusations concrètes, des centaines de milliers de gens sont arrêtés et anéantis sous le seul soupçon d’afficher des sentiments anti-fascistes.
La Défense s’efforce de prouver que les membres du Gouvernement du Reich n’ont pas participé à la publication des lois honteuses de Nuremberg, ni à la discrimination raciale des Juifs. Et cependant les lois de Nuremberg contenaient des instructions spéciales destinées à deux membres du Gouvernement du Reich, Hess et Frick, aux fins d’élaborer et de publier les décrets complémentaires pour l’application de ces lois. Et ces dispositions ont été prises par Hess et par Frick.
Ce même Frick, de concert avec Funk, agissant sur les ordres de Göring, publiait le 3 décembre 1938, les décrets « sur la liquidation des biens juifs » et d’autres lois. Dans tout État, le Gouvernement est responsable de toutes les lois promulguées dans la période où il se trouvait au pouvoir.
Le Tribunal a eu la possibilité d’examiner en détails toute l’activité du Gouvernement hitlérien dirigée dans le sens de la préparation et du déclenchement d’agressions. Il ne m’est pas indispensable de parler à nouveau des agressions contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie en 1938-1939, de l’attaque contre la Pologne, la Yougoslavie, l’Union Soviétique. De nombreux ’documents déposés devant le Tribunal confirment que, du côté du Gouvernement hitlérien, tout avait été fait pour conserver sous contrôle allemand les territoires envahis de France, de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Yougoslavie, de Norvège, de Hollande, de Belgique, ainsi que des parties du territoire de l’URSS. Seuls les puissants coups de boutoir de l’Armée rouge et des armées des Gouvernements alliés ont empêché les conspirateurs fascistes de réaliser ces plans criminels.
L’activité du Gouvernement hitlérien avait mené à une guerre qui a emporté des millions de vies humaines et apporté des dommages matériels incalculables ainsi que des souffrances incommensurables à de nombreux peuples.
Le Gouvernement hitlérien est responsable également de tous les crimes de guerre et de tous les crimes contre l’Humanité qui furent perpétrés par les troupes et les autorités allemandes au cours des opérations militaires. De nombreuses preuves présentées au Tribunal ont démontré d’une façon suffisamment claire que l’Allemagne hitlérienne se préparait à mener la guerre de la façon la plus impitoyable, avec un mépris total des lois et des usages de la guerre.
Les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité étaient perpétrés non seulement à l’égard des forces années des peuples épris de liberté unis contre l’agresseur fasciste, mais aussi contre les populations civiles pacifiques et innocentes. Bien avant l’agression perfide contre l’Union Soviétique, le Gouvernement de l’Allemagne hitlérienne avait soigneusement élaboré les plans d’une extermination monstrueuse de l’élite des populations soviétiques.
Le rapport publié à son époque par la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités germano-fascistes dans les villes de Novgorod, Stavropol, Orel, Staline, Smolensk, Kiev, ainsi que dans d’autres villes, a établi l’existence d’un système approfondi d’extermination préméditée en masse par l’occupant germanique, des prisonniers de guerre et des paisibles citoyens soviétiques.
Tous les accusés membres du Gouvernement hitlérien ont affirmé en hypocrites qu’ils n’avaient soi-disant rien su jusqu’au Procès actuel ides atrocités inouïes commises par les hitlériens dans les camps de concentration, de l’arbitraire sauvage des SS, de la conduite scandaleuse des autorités allemandes dans les territoires temporairement occupés par elles. Mais toutes ces affirmations sont évidemment fausses.
Chaque Allemand était au courant de ces faits dans une certaine mesure. Les radios du monde entier les avaient annoncés.
Les atrocités révoltantes des autorités allemandes perpétrées à l’égard des prisonniers de guerre et des paisibles citoyens soviétiques ont été portées à la connaissance du monde entier par les rapports du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’URSS, V. M. Molotov, en date du 25 novembre 1941 et du 27 avril 1942. Et malgré le fait que la violation des exigences les plus élémentaires du Droit international et de la morale humaine admises par l’Armée allemande et par les autorités allemandes était connues du Gouvernement du Reich par les rapports dont je viens de parler, la violation criminelle des lois et usages de la guerre s’est poursuivie cependant de 1943 à 1945. Tous ces crimes étaient donc accomplis avec le consentement et selon les indications directes du Gouvernement hitlérien.
Et Rosenberg, n’avait-il pas reçu une note de service de Lam-mers indiquant qu’en ce qui concernait les prisonniers de guerre soviétiques, la Convention de Genève n’était pas applicable ?
Une circulaire portant la signature de l’accusé Bormann n’avait-elle pas été envoyée aux ministres par la chancellerie du Parti avec une directive sur le traitement cruel et les brimades à l’égard des prisonniers de guerre soviétiques ?
Le ministère de l’Intérieur, le BSHA, la Gestapo, les prisons et les camps de concentration n’étaient-ils pas des organes du Gouvernement allemand ?
Il doit être rendu entièrement responsable des crimes commis par ces organes gouvernementaux fascistes.
Les membres du Gouvernement hitlérien ont tenté par tous les moyens de nier leurs rapporte avec les SS et, après avoir été confondus, ils ont inventé chaque fois de nouvelles versions, les unes plus mensongères que les autres. Rosenberg, Neurath, Frick, Ribbentrop et d’autres ministres étaient généraux SS.
Et cela n’avait certainement pas seulement une signification de pure forme, ce dont on peut se convaincre en lisant la lettre de l’accusé Ribbentrop à Himmler en date du 22 juillet 1940, versée au Tribunal par le Ministère Public soviétique.
Le ministre Rosenberg s’est efforcé de convaincre le Tribunal qu’il ne savait également rien des ordres monstrueux du ministre Himmler, mais justement Himmler qui, lorsqu’il prescrivait le 7 septembre 1943 aux Führer des SS et du SD de procéder, de concert avec le Haut Commandement des Forces armées, à la dévastation totale des régions ukrainiennes, lorsqu’il proposait « qu’il ne reste pas un seul homme, une seule tête de bétail, un seul quintal de blé ni une seule voie ferrée, qu’il ne reste pas une seule maison intacte, pas une seule mine que l’on puisse exploiter au cours de plusieurs années à venir, pas un puits qui ne soit empoisonné », a pris des dispositions spéciales afin que le ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, Rosenberg, soit informé de cet ordre.
Le ministre Göring a adressé le 8 mars 1940 « aux autorités supérieures du Reich », une directive criminelle sur « le traitement des ouvriers et ouvrières civils de nationalité polonaise travaillant dans le Reich ».
Le ministre Frank, comme il l’a noté plus d’une fois dans son journal personnel, recevait des directives de Göring sur la déportation pour l’esclavage en Allemagne, par n’importe quel moyen, de centaines de milliers de Polonais.
Les ministres Speer, Sauckel, Rosenbeng, Keitel, Funk, Seyss-Inquart et d’autres, ont été convaincus devant le Tribunal d’avoir donné et élaboré des mesures relatives à l’utilisation de la main-d’œuvre forcée parmi les prisonniers de guerre et les citoyens pacifiques des territoires envahis par les Allemands.
C’est le ministre Rosenberg lui-même qui a approuvé les mesures prises par le groupe d’armées du centre, relatives à la déportation de 40.000 à 50.000 enfants âgés de 10 à 14 ans qui devaient être pris dans les territoires soviétiques et envoyés en Allemagne.
Ces exemples ne témoignent-ils pas des crimes du Gouvernement hitlérien ?
Il est établi par des documents que le pillage systématique et organisé des territoires annexés par les Allemands était mené conformément aux directives officielles et aux indications du Gouvernement hitlérien et de certains de ses membres. Les directives du ministre Göring sur le pillage méthodique des territoires soviétiques occupés (c’est ce qu’on appelle « le dossier vert de Göring »), l’activité de bandits de l’Einsatzstab et du « bataillon spécial » des ministres Rosenberg et Ribbentrop, qui pillaient les valeurs culturelles et les monuments d’art, les activités des ministres Funk et Speer, ne sont-elles pas suffisantes pour en déduire la participation du Gouvernement hitlérien au pillage des territoires envahis ?
Le Gouvernement du Reich allemand est responsable du pillage des biens de l’État, des biens communautaires et privés, de la destruction et du pillage des valeurs culturelles dans les territoires temporairement occupés par les hitlériens. Les dommages matériels subis par l’URSS seule, du fait de l’occupation, s’élèvent à la somme de 679.000.000.000 de roubles.
Les membres du Gouvernement du Reich sont responsables de la germanisation forcée des régions occupées par les Allemands. Ce sont justement les ministres du Reich, Göring, Frick, Hess, Lam-mers qui ont signé l’ordre d’incorporer au Reich quatre provinces occidentales de la Pologne.
C’est bien le ministre Frick lui-même qui, tout en donnant ses instructions au Gauleiter Rainer ’disait :
« ... Votre mission principale sera d’incorporer les nouvelles régions de la Carinthie yougoslave et de la Haute-Carniole dans l’ensemble du Reich allemand..., car sans la création d’un rempart d’Allemands dans ce pays, toute l’œuvre du Gouvernement, aussi bonne soit-elle, croulera tôt ou tard... C’est à vous, camarade Rainer, qu’incombe la tâche de germaniser de nouveau totalement cette région... »
Il suffit de se rappeler l’accord des ministres Ribbentrop et Himmler sur l’organisation du service de renseignements à l’étranger, l’accord Himmler-Bormann avec le ministre de la Justice Thierack, en date du 18 novembre 1942, sur la réalisation de mesures policières spéciales menées sur une grande échelle et relatives à l’extermination des Juifs, des Tziganes, des Russes, des Ukrainiens, des Polonais, des Tchèques, en tant qu’éléments prétendus asociaux ; la lettre du ministre Lammers en date du 4 juin 1944, adressée au ministre Thierack et portant sur l’impunité des coupables des assassinats d’aviateurs alliés au sol ; la lettre du ministre Keitel au ministre des Affaires étrangères au sujet du traitement à infliger aux aviateurs alliés ; il suffit de se remémorer tout cela afin de pouvoir se représenter ce qu’était un gouvernement de bandits.
Le 4 février 1933, Hitler avait créé un Conseil de cabinet secret, en indiquant ainsi ses fonctions :
« Pour me conseiller sur les questions de politique étrangère, je crée le Conseil de cabinet secret. »
En qualité de président du Conseil secret, Hitler nommait Neurath et, comme membres : Ribbentrop, Göring, Hess, Goebbels, Lammers, Brauchitsch, Raeder et Keitel.
Le 21 mai 1935, Hitler créait le Conseil de la défense du Reich.
Le 30 août 1939, Hitler remaniait le Conseil pour la défense du Reich en Conseil des ministres pour la défense du Reich allemand, en nommant comme président de ce conseil, le ministre Göring et, comme membres, les ministres Hess, Frick, Funk, Keitel et Lammers.
A la séance du 23 juin 1939, le président de ce conseil, Göring, soulignait que « le Conseil pour la défense ’du Reich est un organisme de première importance pour les questions de la préparation à la guerre » et que « les réunions du Conseil de défense sont prévues pour prendre les décisions les plus importantes ».
Ce n’est pas la défense, mais l’agression, les préparatifs des guerres d’agression, qui étaient les tâches de ce conseil. Aux préparatifs de la guerre, participaient non seulement les membres du Conseil pour la défense du Reich, mais aussi tous les autres ministres.
Ainsi, ont pris part à la séance du conseil du 23 juin 1939, aux côtés de Göring, de Funk, de Frick, de Himmler, de Keitel et de Lammers, les ministres Schwerin von Krosigk, Dorpmüller et d’autres.
A cette conférence, on a prévu non seulement l’utilisation des prisonniers de guerre et des populations des territoires occupés dans l’industrie de guerre, mais aussi le travail des internés et même le nombre des internés pendant la guerre.
Le procès-verbal de cette séance indique :
« Il est confié au délégué général à l’Économie (c’est-à-dire à Funk) de déterminer le travail qui devra être accompli par les prisonniers ’de guerre, ainsi que par ceux qui resteront dans les prisons, dans les camps de concentration et les maisons de force. Selon le Reichsführer SS, il y aura au cours de la guerre une quantité infiniment plus grande d’internés dans les camps de concentration. Selon des données préliminaires, les ateliers, à l’intérieur des camps de concentration, vont employer 20.000 internés. »
A cette conférence, on avait mentionné les directives sur la coopération entre l’OKW et le délégué général à l’Économie, en date du 3 mai 1939, à propos de la préparation des entreprises à leur passage à l’Économie de guerre. On avait discuté les projets d’une guerre totale, on avait entendu les rapports spéciaux du colonel Gerke, chef du département V de l’État-Major, et ceux de Dorpmüller, ministre des Communications.
Tous les membres du Gouvernement du Reich étaient-ils au courant de ces décisions ? Il est certain que oui, et cela ressort ne serait-ce que de la liste des destinataires à qui fût adressé le procès-verbal de la conférence du 23 juin 1939. Le procès-verbal de cette conférence du Conseil de défense du Reich a été envoyé à l’adjoint du Führer, au chef de la Chancellerie du Reich, au président du Conseil de cabinet secret, au délégué au Plan de quatre ans, aux ministres des Affaires étrangères, de la Justice, de l’Intérieur, de l’Éducation et de l’Enseignement national, de l’Économie, aux ministres des Cultes, du Ravitaillement et de l’Agriculture, du Travail, des Finances, des Communications, ides Postes, au président du Directoire de la Reichsbank, etc.
Le seul fait que la majorité des membres du Gouvernement ’du Reich sont les accusés du Procès actuel décide à l’avance de la question de savoir quel était le caractère de cette organisation.
Je considère que la culpabilité du Gouvernement hitlérien allemand dans les crimes les plus abominables est entièrement prouvée et qu’il doit être déclaré organisation criminelle.
Messieurs les juges, pour la réalisation des crimes qu’ils avaient prémédités, les dirigeants du complot fasciste ont créé un système d’organisations criminelles auxquelles étaient consacrées ces explications.
Actuellement, ceux qui se sont donné pour but la conquête du monde et l’extermination des peuples, attendent avec angoisse la décision du Tribunal. Et cette décision devra frapper non seulement les auteurs des sanglantes idées fascistes, les organisateurs principaux des crimes hitlériens qui se trouvent au banc des accusés, mais votre verdict devra atteindre également tout le système criminel du fascisme allemand, ce réseau complexe et vaste d’organisations du Parti, d’organisations gouvernementales et des SS, d’organisations militaires, qui ont directement mis en pratique les projets criminels des principaux conspirateurs.
Sur les champs de bataille, l’Humanité a déjà rendu son jugement sur le criminel fascisme germanique.
Dans le feu des plus grandes batailles de l’histoire ’die l’Humanité, l’héroïque Armée rouge et les vaillantes Forces alliées ont non seulement écrasé les hordes hitlériennes, mais ont instauré également les principes nobles et élevés de la coopération internationale, de la morale humaine, les règles humanitaires de la vie en commun.
Le Ministère Public a accompli son devoir devant le Tribunal, devant la mémoire pure des victimes innocentes et la conscience des peuples et, enfin, devant sa propre conscience.
Puisse la justice des peuples frapper tous les bourreaux fascistes d’un jugement équitable et sévère.
L’audience est levée.