DEUX CENT SEIZIÈME JOURNÉE.
Samedi 31 août 1946.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

L’article 24j du Statut prévoit que chaque accusé pourra faire une déclaration au Tribunal ; je donne donc maintenant la parole aux accusés et leur demande s’ils veulent faire une déclaration. Accusé Hermann Wilhelm Göring ?

ACCUSÉ GÖRING

Le Ministère Public, dans ses réquisitoires, a dit que la Défense et la production de ses preuves n’avaient aucune valeur. Les déclarations sous serment des accusés ont été acceptées comme véridiques là où elles pouvaient étayer l’Accusation, et en même temps considérées comme parjures lorsqu’elles étaient en opposition avec l’Accusation. Cette conception est très primitive, mais ne forme pas une base convaincante pour la production des preuves.

Le Ministère Public cite comme preuve le fait que j’étais le second personnage de l’État et qu’en tant que tel j’aurais dû savoir tout ce qui s’est passé. Il ne produit aucune preuve documentaire ou autre, dans laquelle je conteste sous la foi du serment cette connaissance ou cette volonté. Il ne s’agit donc que d’une supposition et d’une affirmation, lorsque le Ministère Public déclare : « Qui aurait dû le savoir, sinon Göring, en sa qualité de successeur du Führer ? » Mais à plusieurs reprises, nous avons entendu ici comment justement les crimes les plus graves ont été voilés de la façon la plus secrète.

Je précise expressément que je condamnais ces épouvantables assassinats de masse de la façon la plus catégorique et que je ne les comprends pas.

Mais je désire encore une fois exprimer devant le Tribunal que je n’ai jamais ordonné un assassinat à une époque quelconque. De même, je n’ai jamais ordonné de cruautés ni ne les ai tolérées quand j’ai pu en avoir connaissance et eu la possibilité de les empêcher. Quand à la nouvelle affirmation de M. Dodd dans son réquisitoire final, selon laquelle j’aurais donné ordre à Heydrich d’assassiner les Juifs, il n’y en a aucune preuve et elle n’est pas vraie. Il n’existe pas un seul ordre signé par moi ou rédigé sur mon ordre qui stipule que des aviateurs ennemis devaient être fusillés ou remis entre les mains du SD. On n’a pu établir un seul cas où des unités de mon aviation auraient exécuté un tel ordre.

Le Ministère Public produit en partie des documents qui contiennent des prétendues déclarations de troisième ou de quatrième main, communiquées ou écrites, sans que je les aie lues auparavant, afin de pouvoir rectifier les opinion erronées, ou exclure les causes de malentendus. Les comptes rendus sténographiques de ces audiences, qui demandent une vérification immédiate de leur exactitude, ’démontrent entre autres combien les versions données par des tiers défigurent totalement le sens de certaines ’déclarations.

Le Ministère Public produit, sur une époque de vingt-cinq années, des déclarations isolées qui ont été faites dans des circonstances tout à fait différentes, qui ne devaient avoir aucune conséquence et n’étaient pas des preuves d’intention ou de culpabilité. Ce sont des déclarations telles qu’on peut facilement en proférer dans l’excitation du moment ou de l’atmosphère ambiante. Il n’y a certainement pas une seule personnalité du côté adverse qui, au cours d’un quart de siècle, n’ait proféré, verbalement ou par écrit, quelque chose de similaire.

Le Ministère Public tire de tous les événements de ces vingt-cinq années, des conférences, des discours, des lois, des actions partielles et des décisions., qu’il y a eu une suite consciente et une séquence sans lacune, d’après lesquelles tout a été intentionnellement voulu dès le début. C’est une opinion complètement erronée, manquant de toute logique, que l’Histoire rectifiera un jour, après que la présentation des preuves eût d’ailleurs déjà démontré le non-fondé de cette affirmation.

Dans son réquisitoire, M. Jackson indique que les États signataires se trouvent encore en état de guerre avec l’Allemagne et qu’il n’y a qu’un simple armistice, par capitulation sans condition. Mais le Droit international est unique. La même chose doit être valable pour les deux côtés. Si donc tout ce qui se passe actuellement chez les autorités d’occupation en Allemagne est admissible du point de vue du Droit international, auparavant l’Allemagne était tout au moins dans la même situation à l’égard de la France, de la Hollande, de la Belgique, de la Norvège, de la Yougoslavie et de la Grèce. Si aujourd’hui la Convention de Genève n’a plus de valeur vis-à-vis des Allemands, si actuellement, dans toutes les parties de l’Allemagne, l’industrie est démontée et si d’autres valeurs, dans d’autres domaines, peuvent être envoyées dans des États victorieux, si aujourd’hui la fortune de millions d’Allemands peut être saisie, si l’on peut agir contre la liberté et la propriété des Allemands, de telles mesures de la part de l’Allemagne dans les pays cités plus haut ne peuvent avoir été prises à rencontre du Droit international et ne peuvent pas avoir été criminelles.

M. Jackson a exposé, en outre, qu’on ne peut accuser l’État, ou le punir, mais que l’on doit rendre les chefs responsables de ces faits. On paraît oublier que l’Allemagne était un État souverain, un Reich souverain, et que son pouvoir législatif à l’intérieur du peuple allemand n’était pas soumis à la juridiction de l’étranger. Aucun pays n’a notifié à temps, au Reich, que l’activité du national-socialisme serait punie et poursuivie. Au contraire. Si maintenant des personnes isolées estiment que nous, les chefs, devons être jugés, bien. Mais alors le peuple allemand ne doit pas être puni en même temps. Le peuple allemand faisait confiance au Führer et, avec la direction autoritaire de l’État, il n’avait pas d’influence sur les événements. Ignorant les graves crimes commis dont on a connaissance actuellement, le peuple a fidèlement fait des sacrifices et bravement lutté et souffert pour sa vie ou sa mort dans cette lutte pour son existence. Le peuple allemand est exempt de toute faute.

Je n’ai pas désiré la guerre et ne l’ai pas amenée ; j’ai tout fait pour l’éviter par des pourparlers. Lorsqu’elle fut déclenchée, je fis tout pour assurer la victoire. Comme les trois plus grandes puissances du monde, avec bien d’autres nations, luttaient contre nous, nous succombâmes finalement à l’immense puissance. Je reconnais ce que j’ai fait. Mais je rejette de la façon la plus catégorique que mes actions aient été dictées par la volonté de mettre par la guerre des peuples étrangers sous le joug, d’assassiner, de voler, de réduire en esclavage, de commettre des atrocités ou des crimes. La seule raison qui me conduisait était l’amour de mon peuple, son bonheur, sa liberté et sa vie. J’appelle là-dessus le témoignage du Tout-Puissant et de mon peuple allemand.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Rudolf Hess.

ACCUSÉ HESS

Je voudrais tout d’abord demander au Tribunal la permission de rester assis, étant donné mon état de santé.

LE PRÉSIDENT

Certainement.

ACCUSÉ HESS

Quelques-uns de mes camarades ici peuvent confirmer que, dès le début du Procès, j’ai dit les choses suivantes :

1. Des témoins apparaîtraient ici, qui, sous serment, feraient des déclarations fausses. Ces témoins pourraient faire l’impression la plus favorable et jouir de la meilleure réputation.

2. Il faudrait tenir compte du fait qu’au cours du Procès, des affidavits contenant de fausses indications seraient déposés devant le Tribunal.

3. Les accusés, avec quelques témoins allemands, auraient des sources de grande surprise.

4. Quelques accusés auraient une attitude curieuse et feraient des déclarations éhontées sur le Führer. Ils chargeraient leur propre peuple. Mutuellement, en partie, ils se chargeraient faussement. Peut-être même, ils se chargeraient eux-mêmes et cela aussi faussement.

Tout ce que j’ai prédit est arrivé, et pour autant que cela concerne les témoins et les affidavits, dans des douzaines de cas. Des cas dans lesquels le serment des accusés est en opposition avec les déclarations sous serment. Je ne voudrais, à ce propos, citer que le nom de Messersmith. M. Messersmith, par exemple, est censé avoir parlé au Grand-Amiral Donitz à Berlin, alors que celui-ci se trouvait sur l’océan Pacifique ou l’océan Indien. Ces prédictions, je ne les ai pas faites ici, au début du Procès, mais je les ai faites il y a des mois, avant le début du Procès, en Angleterre, entre autres au médecin qui se trouvait chez moi, le Dr Johnston, à Abergavenny. J’ai fait ces prédictions par écrit à cette époque déjà, et je peux le prouver.

Je passe sur ces prédictions et je me base sur ce qui s’est passé dans quelques pays étrangers. Je désire souligner dès maintenant, en citant ce qui s’est passé, que j’ai été convaincu, dès le premier abord, que les Gouvernements en question ne savaient pas ce qui se passait. C’est pour cela que je ne fais pas de reproches à ces Gouvernements. Pendant les années 1936 à 1938, dans un de ces pays, des procès politiques ont eu lieu. Ces procès étaient caractérisés par le fait que les accusés se chargeaient eux-mêmes d’une façon surprenante. Ils ont en partie cité toute une série de crimes qu’ils avaient commis ou qu’ils affirmaient avoir commis. Lorsqu’à la fin, une sentence de mort fut prononcée contre eux, ils applaudirent frénétiquement, aux yeux étonnés du monde. Quelques correspondants de presse étrangers rapportèrent cependant qu’on avait eu l’impression que ces accusés, par un moyen inconnu jusqu’alors, auraient eu leur état d’esprit transformé. Ce qui fit qu’ils se comportèrent ainsi. En Angleterre, une certaine occasion me rappela ces événements. Il ne m’était pas possible d’y recevoir les comptes rendus de ces procès, à peu près comme ici, mais j’avais à ma disposition les éditions correspondantes du Völkischer Beobachter. En les regardant, j’ai trouvé le passage suivant dans le numéro du 8 mars 1938. Il rapporte un communiqué de Paris, daté du 7 mars 1938. Le grand journal parisien Le Jour aurait dévoilé les moyens qui auraient vraisemblablement été employés dans les procès cités. Il s’agirait d’un moyen secret. Il est dit, je cite textuellement ce que le Völkischer Beobachter tire du journal Le Jour : « Ce moyen donne la possibilité de faire agir et parler les victimes choisies d’après les ordres qui leur ont été donnés ».

Je souligne et attire votre attention sur le fait que dans ce rapport du journal Le Jour on ne dit pas seulement « de parler d’après les ordres qui leur ont été donnés », mais encore « ... d’agir d’après les ordres qui leur ont été donnés ». Cette dernière chose est particulièrement importante en raison de l’action jusqu’à présent inexpliquée du personnel des camps de concentration allemands, y compris les hommes de science, les médecins, qui ont fait les expériences terribles sur les internés, moyens que des hommes normaux, notamment des scientifiques et des médecins, n’auraient pas pu employer. Cette remarque est d’une aussi grande importance à propos du comportement des personnes qui ont donné les ordres et les instructions qui ont provoqué les atrocités des camps de concentration, qui ont donné les ordres de fusiller les prisonniers de guerre, les ordres de lynchage, jusqu’au Führer lui-même.

Je rappelle que le Generalfeldmarschall Milch, cité comme témoin, a déclaré ici qu’il avait eu l’impression que le Führer, pendant ces dernières années, n’était plus dans son état normal, et une série de mes camarades, indépendamment les uns des autres et sans qu’ils sachent ce que j’allais déclarer ici aujourd’hui, m’ont dit que l’expression de la physionomie et l’expression des yeux du Führer pendant les dernières années avaient quelque chose de brutal, une propension à la folie. Je peux citer mes camarades comme témoins.

Je disais auparavant qu’une certaine occasion en Angleterre m’avait donné à penser à ces comptes rendus des procès en cours à l’époque. Elle tenait au fait que mon entourage, pendant ma captivité, s’était comporté à mon égard d’une façon curieuse et incompréhensible, d’une façon faisant déduire que ces gens agissaient dans un état d’esprit anormal. Ces hommes et ces personnages de mon entourage étaient changés de temps à autre. A cette occasion, quelques personnes parmi les nouvelles avaient des yeux curieux, vitreux et presque rêveurs. Mais ces symptômes ne duraient que quelques jours. Elles faisaient après une impression tout à fait normale ; on ne pouvait plus les distinguer des gens normaux.

Je n’ai pas été le seul à remarquer ces yeux curieux ; le médecin qui se trouvait dans mon entourage les a remarqués aussi ; c’était le Dr Johnston, un médecin militaire, un Écossais.

Au printemps 1942, un individu vint me voir qui désirait ouvertement me provoquer et se comporta curieusement à mon égard. Ce visiteur avait aussi des yeux curieux ; le Dr Johnston me demanda ultérieurement ce que je pensais de ce visiteur. Je lui dit que j’avais l’impression que pour une raison quelconque, il n’était pas tout à fait normal, à quoi le Dr Johnston ne protesta pas, comme je m’y attendais, mais de son côté acquiesça et me demanda si ces yeux curieux et rêveurs ne m’avaient pas frappé. Le Dr Johnston ne supposait pas qu’il avait lui-même les mêmes yeux lorsqu’il vint à moi. Mais ce qui est important, c’est que dans l’un des communiqués qui doivent figurer dans les archives de presse — il s’agit des procès de Moscou — on rapporte que les accusés avaient des yeux curieux. Ils avaient des yeux vitreux et rêveurs.

Je disais tout à l’heure que j’étais convaincu que les Gouvernements intéressés ne savaient pas ce qui se passait réellement. Il n’aurait donc pas non plus été de l’intérêt du Gouvernement britannique de déclarer dans mon exposé qu’on avait exclu l’opinion publique de ce que j’avais vécu lors de ma captivité. Car on aurait eu l’impression qu’on devait, en fait, cacher quelque chose ou que le Gouvernement britannique avait en réalité sa main dans le jeu. Mais je suis au contraire convaincu que le Gouvernement Churchill, aussi bien que le Gouvernement actuel, a donné des instructions pour que je sois convenablement traité jusqu’à la fin et conformément à la convention de Genève.

Je sais que ce que j’ai à déclarer sur le traitement qui m’a été réservé paraît tout d’abord incroyable, mais, pour mon bonheur, des gardes de prisonniers ont précédemment traité leurs prisonniers d’une façon qui paraissait incroyable lorsque les premières rumeurs en sont parvenues à l’opinion. Les rumeurs disaient qu’on aurait intentionnellement laissé les prisonniers mourir de faim, que parmi le peu de nourriture qu’on leur donnait il y avait du verre pilé, que les médecins qui traitaient les prisonniers malades ajoutaient aux médicaments des produits nocifs, qui augmentaient les souffrances et le nombre des victimes. En réalité, toutes ces rumeurs se sont confirmées par la suite. Il est un fait historique qu’un monument a été érigé à la mémoire des 26.370 femmes et enfants boers qui moururent dans des camps de concentration britanniques, de famine pour la plupart. Beaucoup d’Anglais, notamment Lloyd George, ont très vivement protesté à l’époque contre ces événements dans les camps de concentration anglais. Miss Bmily Hopfords, qui fut un témoin oculaire, en a fait de même.

Le monde se trouvait alors devant une énigme devant laquelle il se trouve à nouveau aujourd’hui à propos des conditions dans les camps de concentration en Allemagne. Le peuple anglais se trouvait devant unie énigme, devant la même énigme où se trouve aujourd’hui le peuple allemand en ce qui concerne les événements des camps de concentration en Allemagne. Le Gouvernement britannique lui-même se trouvait devant une énigme pour ce qui s’était passé dans les camps de concentration de l’Afrique du Sud, devant la même énigme devant laquelle se trouvent aujourd’hui les membres du Gouvernement du Reich, et les autres accusés, ici et ailleurs, en ce qui concerne les événements dans les camps de concentration allemands.

Il eût été naturellement d’une importance capitale que j’eusse déclaré sous la foi du serment ce que j’avais à dire au sujet des événements de ma captivité en Angleterre. Mais il m’était impossible de demander à mon défenseur de me poser les questions correspondantes. Il m’était impossible d’amener un autre défenseur à me poser les questions correspondantes, mais il est particulièrement important que ce que je dis le soit sous la foi du serment. C’est pourquoi je déclare maintenant : (L’accusé se lève.)

Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que ne cèlerai rien, n’ajouterai rien.

Je prie le Tribunal de considérer que tout ce que je dirai maintenant sera dit sous la foi du serment. (L’accusé se rassied.)

Je voudrais encore ajouter, en ce qui concerne ce serment, que je ne suis pas un homme d’Église, que je n’ai pas de rapports intérieurs avec l’Église, mais que je suis un homme profondément religieux ; je suis convaincu que ma croyance en Dieu est plus forte que celle de la plupart des autres hommes. C’est pour cela que je prie le Tribunal d’apprécier bien davantage ce que je déclare sous la foi du serment en en appelant à Dieu. (S’adressant à l’accusé Göring.)

Je te prie de ne pas m’interrompre.

Au printemps 1942...

LE PRÉSIDENT

Je dois attirer l’attention de l’accusé Hess sur le fait qu’il a déjà parlé vingt minutes. Le Tribunal avait indiqué aux accusés qu’il les autorisait à faire ides déclarations très courtes. Il doit entendre tous les accusés. Le Tribunal espère donc que l’accusé Hess terminera son discours rapidement.

ACCUSÉ HESS

Monsieur le Président, puis-je dire que j’ai été le seul accusé qui n’ait pu parler ici, car ce que j’ai à déclarer, j’aurais pu le dire en tant que témoin si ’dies questions correspondantes m’avaient été posées. Comme je le disais...

LE PRÉSIDENT

Je n’ai pas l’intention de discuter avec les accusés. Le Tribunal a décidé que les accusés ne feraient que de courtes déclarations. L’accusé Hess a eu toutes occasions de témoigner à la barre des témoins et de parler sous la foi du serment. Il fait maintenant une déclaration et il sera traité comme les autres accusés ; il se contentera d’une courte déclaration.

ACCUSÉ HESS

Je renoncerai donc, Monsieur le Président, aux explications que je désirerais donner sur le sujet que je traitais. Je vous demande tout simplement d’écouter quelques déclarations finales qui sont très générales et qui n’ont pas de rapport avec ce que je disais auparavant.

Les constatations que mon défenseur a faites en mon nom ici, je les avais demandées afin d’établir la vérité historique et la volonté de mon peuple. C’est la seule chose qui m’importe. Je ne me défends pas contre les accusateurs auxquels je dénie le droit de m’accuser et d’accuser mes compatriotes. Je ne me défends pas contre des reproches qui traitent d’affaires intérieures de l’Allemagne et qui ne regardent pas les étrangers. Je ne proteste pas contre des déclarations visant mon honneur et l’honneur du peuple allemand entier. Je considère de tels reproches de la part d’adversaires comme des preuves d’honneur. Il m’a été donné pendant de longues années de ma vie de vivre sous l’homme le plus puissant que mon peuple ait produit dans son histoire millénaire. Même si je le pouvais, je ne désirerais pas rayer ce temps de mon existence. Je suis heureux d’avoir fait mon devoir à l’égard de mon peuple, mon devoir en tant qu’Allemand, en tant que national-socialiste, en tant que fidèle du Führer. Je ne regrette rien. Si j’avais à recommencer, j’agirais de la même façon, même si je savais que m’attend à la fin un bûcher pour ma mort. Peu importe ce que peuvent faire les hommes. Je comparais devant le Tout-Puissant. C’est à lui que je rendrai des comptes et je sais qu’il m’acquittera.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Joachim von Ribbentrop.

ACCUSÉ VON RIBBENTROP

Ce Procès devait rechercher la vérité historique. Du point de vue de la politique étrangère allemande, je ne puis dire qu’une chose : ce Procès sera dans l’Histoire un exemple du fait qui veut qu’en se référant à des formules juridiques inconnues jusqu’à présent et à l’équité on peut condamner vingt-cinq années de grave histoire de l’Humanité. Si les racines de notre malheur se trouvent à Versailles, — et elles s’y trouvent — était-il réellement opportun d’empêcher une discussion au sujet d’un traité que ceux de ses auteurs qui étaient compréhensifs considéraient déjà comme la source du mal futur, tandis que les plus intelligents indiquaient déjà à cette époque les fautes pour lesquelles le Traité de Versailles amènerait une nouvelle guerre mondiale.

Pendant plus de vingt ans de ma vie j’ai consacré mon temps à éliminer ce mal avec le résultat que des hommes politiques étrangers qui le savaient disent aujourd’hui dans leurs affidavits qu’ils ne m’avaient pas cru. Ils auraient dû écrire qu’ils n’avaient pas la permission de me croire, dans l’intérêt de leur pays.

On me rend responsable de la direction de la politique étrangère, qu’un autre déterminait. Je sais que cette politique ne s’occupait pas de projet de domination mondiale, mais par exemple de l’élimination des conséquences de Versailles et du problème du ravitaillement du peuple allemand).

Si je conteste que la politique allemande ait projeté ou préparé une guerre d’agression, ce n’est pas une excuse. Cette vérité est prouvée par les forces que nous avons développées au cours de la dernière guerre mondiale et par la faiblesse qui était la nôtre au début de cette guerre. L’Histoire nous croira si je dis que nous avons moins préparé une guerre d’agression que nous ne l’avions réellement projetée. Ce que nous désirions, c’était maintenir notre existence de la façon la plus élémentaire, de même que l’Angleterre a maintenu ses intérêts afin de soumettre un cinquième du monde, alors que la Russie et les USA amenaient sous leur hégémonie une masse de tout un continent. La seule différence ’de la politique de ces pays par rapport à la nôtre était que nous exigions un petit pais comme Dantzig et le Corridor alors que ces puissances ne sont habituées qu’à parler de continents.

Avant l’élaboration du Statut de ce Tribunal, les puissances signataires de l’accord de Londres ont dû avoir d’autres opinions au sujet du Droit international et de la politique que celles qu’elles ont aujourd’hui. Lorsqu’on 1939 je vins trouver le maréchal Staline à Moscou, il ne parlait pas des possibilités d’une élimination pacifique du conflit germano-polonais dans le cadre du Pacte Briand-Kellogg, mais il fit connaître que s’il ne recevait pas la moitié de la Pologne, des Pays baltes et de la Lituanie avec le port de Libau, je pouvais repartir sur-le-champ.

En 1939, la conduite d’une guerre n’était peut-être pas encore considérée comme un crime international contre la paix, autrement je ne pourrais m’expliquer à la fin de la campagne de Pologne le télégramme de Staline, qui est ainsi rédigé :

« L’amitié de l’Allemagne et de l’Union soviétique fondée sur le sang versé en commun, a tout espoir d’être durable et solide ».

Je désire souligner ici que j’ai, moi aussi, vivement ’désiré cette amitié à cette époque. Mais il n’en reste pour l’Europe et le monde que le noyau. Est-ce l’Asie qui dominera l’Europe ? Est-ce que les puissances de l’Ouest pourront repousser l’influence des Soviets au delà de l’Elbe, sur la côte Adriatique et dans les Dardanelles ? En d’autres termes, la Grande-Bretagne et les USA se trouvent pratiquement aujourd’hui devant le même dilemme que l’Allemagne au moment où je menais les négociations avec la Russie. J’espère de tout cœur pour mon pays qu’elles auront plus de succès dans leur résultat.

Qu’est-ce qui a été prouvé dans ce Procès au sujet du caractère de la politique étrangère allemande ? Sur les 300 documents produits par la Défense, 150 ont été repoussés sans justification plausible. Les archives de la partie adverse n’ont pu être vues par la Défense allemande. L’allusion amicale de Churchill à mon égard disant qu’une Allemagne trop forte serait détruite a été considérée sans intérêt par ce Tribunal, dans l’appréciation des mobiles de la politique étrangère allemande. Une révolution n’est pas plus facilement compréhensible lorsqu’on la considère comme une conspiration. Le sort a fait de moi un défenseur de cette révolution. Je regrette les crimes terribles que j’ai appris ici et qui ont sali cette révolution. Je ne puis les mesurer avec une échelle de morale puritaine, encore moins après avoir vu que l’adversaire, malgré une victoire totale, n’a pu ni voulu éviter des atrocités énormes.

On peut considérer la théorie de la conspiration comme on le veut ; pour l’observateur critique, c’est une solution embarrassante. Quiconque œuvrait dans le IIIe Reich dans des fonctions importantes savait qu’elle constituait un mensonge historique et le père du Statut de ce Tribunal démontre seulement de quel milieu est issue sa pensée. Je pourrais tout aussi bien prétendre que les puissances signataires de ce Statut auraient formé une conspiration afin de réduire les besoins les plus élémentaires d’un peuple cultivé, appliqué et courageux.

En regardant tout ce que j’ai fait et désiré je ne puis que conclure : la seule chose dont je me sente coupable, non pas devant ce Tribunal mais devant le peuple allemand, c’est que ma volonté en matière de politique étrangère n’a pas été couronnée de succès.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Wilhelm Keitel.

ACCUSÉ KEITEL

J’ai reconnu à la barre des témoins ma responsabilité dans le cadre de mes fonctions et j’ai exposé la signification de ces fonctions lors de la présentation des preuves et lors de la plaidoirie de mon défenseur.

Loin de moi l’intention de minimiser ma participation à ce qui s’est passé ; cependant, dans l’intérêt de la vérité historique, il me paraît opportun de rectifier quelques erreurs contenues dans les réquisitoires du Ministère Public.

M. le Procureur Général américain a exposé dans son réquisitoire : « Keitel, outil faible et soumis, livra la Wehrmacht, le moyen d’agression, au Parti ».

Une « livraison » de la Wehrmacht au Parti par mes soins ne peut s’accorder avec mes fonctions, ni avant ni après le 4 février 1938, date où Hitler se proclama lui-même Commandant en chef de la Wehrmacht et régna ainsi sans aucune restriction sur le Parti et la Wehrmacht. Je ne me souviens pas qu’au cours de ce Procès une seule preuve eût été produite qui pouvait justifier cette grave allégation du Ministère Public.

Mais l’exposé des preuves a également démontré que l’affirmation suivant laquelle Keitel dirigeait la Wehrmacht lors de l’exécution de ses intentions criminelles est fausse. Cette affirmation est également en contradiction avec l’exposé des charges anglo-américain, dans lequel il est expressément déclaré que je n’avais pas de pouvoir de commandement. C’est pourquoi M. le Procureur Général britannique se trompe également lorsqu’il parle de moi comme d’un « Feldmarschall qui donnait des ordres à la Wehrmacht », et lorsqu’il prétend que j’aurais dit n’avoir eu aucune connaissance des résultats pratiques ainsi obtenus. C’est ce que dit la citation. Mais je crois que c’est une chose bien différente de ce que j’ai déclaré à la barre des témoins, à savoir : « Lorsqu’un ordre était promulgué, j’agissais à mon avis selon mon devoir, sans me laisser influencer par les conséquences possibles qu’il n’était pas toujours facile d’imaginer ».

De même l’affirmation : « Keitel et Jodl ne peuvent nier leurs responsabilité pour les opérations des Einsatzkommandos avec lesquels leurs propres commandants collaboraient étroitement et cordialement » ne peut s’accorder avec le résultat de l’examen des preuves. L’OKW était exclu du théâtre des opérations soviétiques et aucun commandant de troupe ne lui était subordonné.

M. le Procureur Général français a dit, dans son réquisitoire :

« Est-il nécessaire de rappeler la parole terrible de l’accusé Keitel, que la vie humaine dans les territoires occupés valait moins que rien » ? Ces paroles terribles ne sont pas mes paroles, je ne les ai pas pensées et elles n’ont fait l’objet d’aucun ordre. Je suis assez accablé par le fait que mon nom soit lié à la transmission de cet ordre du Führer.

Dans un autre passage, M. Champetier de Ribes expose :

« L’exécution de cet ordre — il s’agissait de la lutte contre les partisans — eut lieu en raison des instructions des commandants en chef des groupes d’armées qui, de leur côté, agissaient conformément aux instructions plus générales de l’accusé Keitel. »

Là encore, on reparle « d’instructions de Keitel » quoique l’exposé des charges français expose lui-même qu’en tant que chef de l’OKW, je ne pouvais donner directement un ordre aux différentes branches de la Wehrmacht.

Dans le réquisitoire final de M. le Procureur soviétique, il est dit :

« En commençant par les documents sur l’exécution de personnalités politiques, Keitel, ce soldat, comme il se targue si volontiers de l’être, a, négligeant son serment, menti honteusement, lors des interrogatoires du Ministère Public américain, en disant que cette ordonnance avait d’abord le caractère de représailles et que les personnes politiques étaient séparées des autres prisonniers de guerre sur le désir qu’elles en exprimaient. Il s’est démasqué devant le Tribunal ». Il s’agit du document PS-884.

Le reproche de mensonge n’est pas fondé. Le Ministère Public soviétique a omis que le procès-verbal de mon interrogatoire à l’instruction sur ce sujet ne faisait pas partie des preuves déposées devant le Tribunal. Il n’aurait donc pas dû non plus être utilisé pour le réquisitoire du Ministère Public. Je n’ai pas vu le procès-verbal de l’instruction et je n’en connais pas le texte. S’il est complet, il comportera la rectification de l’erreur qui provient du fait que le document en question ne m’a pas été montré. Au cours de mon interrogatoire par mon défenseur, j’ai exposé avec précision cette question à la barre des témoins.

Au dernier stade du Procès, le Ministère Public a tenté à nouveau de me charger lourdement du fait que mon nom était lié à un ordre de préparer la guerre bactériologique. Un témoin, le médecin-général Dr Schreiber, avait dit dans son rapport : « Le chef de l’OKW, le Feldmarschall Keitel, avait promulgué l’ordre de préparer la guerre bactériologique contre la Russie soviétique ». A la barre, toutefois, ce témoin a parlé d’un ordre du Führer, mais c’est également faux

Les déclarations du colonel Bürker déposées devant le Tribunal, en accord avec le Ministère Public, prouvent, qu’à l’automne 1943, j’ai rejeté énergiquement et catégoriquement — comme le déclare textuellement Bürker — les suggestions que m’avaient faites les services de santé et d’inspection sanitaire de l’Armée afin d’activer les expériences bactériologiques. Comme le dit Bürker, j’avais répondu qu’il n’en était nullement question, puisque c’était défendu. C’est exact. Le général Jodl peut également confirmer que jamais un ordre conforme aux dires du témoin n’a été promulgué, d’autant plus que Hitler avait interdit la guerre bactériologique suggérée par quelques services. Ainsi, l’affirmation contraire du témoin Dr Schreiber se trouve infirmée.

J’estime, pour ma part, avoir dit la vérité en toutes choses, même si elles me chargeaient, m’être en tout cas efforcé, malgré la complexité de mon domaine d’activité, d’avoir contribué à tirer au clair la vérité dans la mesure -de mes connaissances. C’est ainsi qu’à la fin de ce Procès je désire exposer ouvertement ma confession.

Mon défenseur m’a posé deux questions fondamentales au cours du Procès. La première, il y a déjà des mois, était libellée ainsi : Auriez-vous refusé, au cas d’une victoire, de participer au succès ? » J’ai répondu « Non, j’en aurais certainement été fier ». La seconde question était : « Comment agiriez-vous si vous vous trouviez à nouveau dans l’a même situation ? » J’ai répondu : « Je préférerais alors la mort, plutôt que de me laisser entraîner dans les rets de méthodes aussi néfastes ».

Que le Tribunal me juge d’après ces deux réponses. J’ai cru, je me suis trompé et je n’étais pas en état d’empêcher ce qu’il eût fallu empêcher. Telle est ma faute. Il est tragique de devoir reconnaître que le meilleur de ce que j’avais à donner en tant que soldat — l’obéissance et la fidélité — a été exploité dans des intentions imprévisibles et que je n’ai pas vu la limite qui fait également partie du devoir du soldat. Tel est mon sort. Puisse, à la lumière de la reconnaissance précise des causes, des méthodes néfastes et des conséquences terribles de cette guerre, le peuple allemand retrouver l’espoir d’un nouvel avenir dans la communauté des peuples.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Kaltenbrunner.

ACCUSÉ KALTENBRUNNER

Les Ministères Publics me rendent responsable des camps de concentration, de l’extermination de populations juives, des Einsatzgruppen et d’autres choses encore. Tout cela ne correspond ni à la production des preuves, ni à la vérité. Les accusateurs ainsi que les accusés ont succombé au danger d’une procédure sommaire.

Il est exact que j’ai dû prendre la charge du RSHA. Cela ne constitue pas un crime ; de tels services existent dans toutes les autres nations. Toutefois, l’activité dont je fus chargé en 1943 comprenait presque exclusivement la réorganisation du service de renseignements politiques et militaires allemand, non pas comme successeur de Heydrich, mais presque une année après sa mort, lorsqu’on soupçonna l’amiral Canaris de collaborer avec l’ennemi. Sur ordre et en tant qu’officier, je dus me charger de ce poste. Rapidement et d’une manière indiscutable, j’ai constaté la trahison de l’amiral Canaris et de ses complices. Les Amt IV et V du RSHA ne dépendaient de moi que pour la forme, et non de .facto. Quant au schéma des groupes qu’on a montré ici, et dont on a déduit mon pouvoir de commandement, il est faux et amène ides malentendus.

Himmler qui le comprenait admirablement, fit éclater les SS qui ne constituaient déjà plus une unité et une idéologie dans les groupes les plus infimes, et les exploita à ses fins. Il a, avec Müller, chef de la Gestapo, commis des crimes que nous connaissons aujourd’hui. Contrairement à l’opinion répandue, j’affirme d’une façon décisive que je n’ai pas eu connaissance des activités de Himmler et consorts dans les services qui leur étaient subordonnés. Je ne connaissais que ce qui avait trait à ma charge et à mes fonctions personnelles.

Dans la question juive, on m’a trompé aussi longtemps que d’autres fonctionnaires importants. Jamais je n’ai toléré ou approuvé l’extermination biologique des Juifs. L’antisémitisme des lois du Parti était considéré comme une mesure de défense pendant la guerre ; l’antisémitisme de Hitler, tel que nous le constatons aujourd’hui, était de la barbarie. Je n’ai collaboré à aucune des mesures prises, mais j’affirme que la cessation de l’extermination des Juifs est intervenue grâce à mon influence sur Hitler.

Au cours de l’exposé des preuves, différentes photographies ont été produites qui doivent étayer l’affirmation de ma connaissance des crimes dans les camps de concentration, du camp de concentration de Mauthausen, et de leurs instruments criminels. Jamais je n’ai mis les pieds au camp de Mauthausen, mais uniquement dans la partie du camp de travail où se trouvaient des criminels de Droit commun et non pas des Juifs ou des internés politiques. Les photos ne montrent rien d’autre, à part un bâtiment administratif. Les affidavits USA-909, les photos 894 à 897-F sont donc matériellement impossibles et sont des faux. La photo avec Hitler montre la visite d’un chantier à 35 kilomètres du camp de Mauthausen.

La déposition du Dr Morgen paraît exacte mais nécessite des explications supplémentaires, pour autant qu’elle touche ma personne et ma réaction. Dans la détresse de sa détention et de sa défense, le témoin ramène tout à lui et n’a pas expliqué qu’il avait été muté sur ma prière du poste de chef du service principal du tribunal des SS à l’Amt V duRSHA, pour compléter, en qualité de spécialiste des questions judiciaires, la commission spéciale qui avait été instituée par Nebe, chef de la Police criminelle, et par mes soins, pour les enquêtes sur les camps de concentration. Il ne pouvait pas déclarer ce que je savais des conditions ultérieures et ce que j’ai fait après le rapport de Müller, stupéfait de ce communiqué et qui tempêtait comme quelqu’un qui vient d’être démasqué. Le jour même, un rapport écrit et circonstancié, destiné à Hitler, partait par courrier pour le Quartier Général. Le lendemain, j’étais convoqué et je pris l’avion. Après un long entretien, Hitler consentit à une enquête sur Himmler et Pohl. Il déclara qu’un tribunal d’exception serait compétent pour les enquêtes ultérieures et les arrestations nécessaires. Pohl devait être immédiatement privé de son poste. Devant moi, Hitler donna à Fegelein, qui était l’officier de liaison, l’ordre à Himmler de venir le voir et me promit de prendre immédiatement toutes les dispositions contre ces excès. Mon désir d’être renvoyé au front fut repoussé et on me déclara que j’étais indispensable au service de renseignements. Eichmann fut arrêté et, ainsi que je l’ai rapporté, l’ordonnance de Himmler d’octobre 1944, qui le confirmait et mettait un point final, est une dernière œuvre diabolique de Himmler.

Le Ministère Public ne voit-il pas encore de contradiction dans le fait que l’Amt V du RSHA a découvert les crimes de l’Amt IV du même RSHA et d’une clique secrète de malfaiteurs ? J’y trouve la preuve que je n’ai moi-même jamais eu connaissance de ce qui se passait réellement et qu’au moment où j’en ai pris connaissance, je m’y suis opposé dans mon propre service. Aurais-je dû à cette époque me retrancher derrière l’irresponsabilité en simulant une maladie, ou avais-je le devoir de tout mettre en œuvre pour limiter les effets d’une barbarie sans précédent ? Cela seul doit déterminer ma faute ici. Les autres diffamations du Ministère Public à mon encontre n’y changent rien.

La lettre adressée au bourgmestre de Vienne qui me charge tant et que je ne me souvenais pas avoir signée est éclaircie pour moi aujourd’hui. Les 12.000 personnes, qui à cette époque avec des dizaines de milliers d’Allemandes et d’Allemands étaient employées à construire des fortifications à l’est de Vienne, ont été, avec 2.000 autres et par mon intermédiaire, confiées à la Croix-Rouge internationale à Gunskirchen en Autriche. Elles furent, de ce fait, libérées.

Le rythme du contre-interrogatoire et l’excitation du moment ne m’ont pas permis de me rappeler que je ne pouvais plus à ce moment, où les commissions de l’Amt V fonctionnaient dans les camps, croire à un danger pour la vie des Juifs. Dès lors, mon crédit était en jeu. Une demande du Ministère Public adressée à la Croix-Rouge de Genève aurait pu, dans un procès moins sommaire, rétablir ce crédit.

Si l’on me demande : « Pourquoi êtes-vous resté en fonctions après avoir eu connaissance des crimes commis par vos chefs ? », je ne puis que répondre que je ne pouvais pas les juger, de même que ce Tribunal n’est pas en état de juger les faits.

Pendant les derniers jours, le Ministère Public m’a reproché la participation à l’assassinat d’un général français. J’ai entendu parler de l’assassinat d’un général allemand Brodowski et de l’ordre donné par Hitler d’envisager la question de représailles. Mais je n’ai eu connaissance qu’ici, il y a quelques jours, de ce crime. Panzinger était chef du service des recherches à la Police criminelle du Reich et il ne dépendait que de Himmler qui était chef de l’armée de réserve et des prisonniers de guerre. Il n’était pas, comme le Ministère Public l’a affirmé, fonctionnaire de la Gestapo. En ce qui concerne la signature de la lettre du 30 décembre 1944 qui porte mon nom et concerne la façon dont ce projet devait être exécuté ainsi que les rapports à Himmler à son Quartier Général à Berlin, je constate que du 23 décembre au 3 janvier j’étais en Autriche auprès de ma famille et que je n’ai pu ni voir ni signer ce télétype. En novembre 1944, j’avais reçu exclusivement l’ordre d’examiner le rapport de Dietrich, chef de la presse du Reich, au sujet de l’assassinat du général allemand en France. Le Quartier Général en reçut les résultats des services locaux.

J’ai regretté que Hitler, au moment où je suis entré en fonction, en 1943, n’ait pas eu de meilleurs rapports avec les Églises qui constituent un facteur d’ordre dans tout État. Mes projets avortèrent. Je me suis efforcé de faire pour le mieux : la présentation des preuves l’a montré. Mais le Ministère Public n’en a pas tiré de conséquences.

Je sais seulement, que j’ai consacré toute ma force à mon peuple dans ma foi en Adolf Hitler. En tant que soldat allemand au service de l’Abwehr, je n’ai pas voulu me mettre à la disposition des forces destructives qui avait déjà presque mené l’Allemagne à l’échec et qui, maintenant, après le désastre, menacent encore le monde.

Si, dans mon activité, j’ai commis des erreurs en raison d’une mauvaise interprétation de l’idée de discipline, si les ordres mêmes que j’ai exécutés et qui sont considérés comme des ordres importants ont été promulgués avant mon entrée en fonction, alors la fatalité sera plus forte que moi. Je suis accusé parce que l’on me considère comme le représentant de Himmler et d’autres éléments contraires qui me sont étrangers. Si ma déclaration est acceptée ou rejetée, je demande que l’on réserve l’honneur et le destin die centaines de milliers d’hommes, vivants ou morts, des Waffen SS, des Allgemeine SS et des fonctionnaires qui, jusqu’au dernier moment ont, avec leur idée, défendu le Reich d’une façon courageuse, et de ne pas les lier à votre verdict justifié contre Himmler. Ils croyaient, comme moi, avoir agi légalement.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal va suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Alfred Rosenberg.

ACCUSÉ ROSENBERG

Les Procureurs, outre la répétition des anciennes accusations, en ont soulevé de nouvelles de la façon la plus véhémente. C’est ainsi que nous aurions tous assisté à des conciliabules secrets afin de projeter une guerre d’agression. De plus, nous aurions ordonné le prétendu assassinat de 12.000.000 d’hommes. On a réuni toutes ces accusations sous le terme de génocide. A ce propos, j’ai quelques remarques à faire : Je sais que devant ma conscience, je ne me sens aucunement coupable d’une telle faute, de la complicité de génocide. Au lieu de m’occuper de l’extermination de la culture et des sentiments nationaux des peuples de l’Est européen, je me suis employé à développer leurs conditions d’existence physique et morale. Au lieu de détruire leur sécurité personnelle et leur dignité humaine, je me suis opposé de toutes mes forces, ainsi qu’il a été prouvé, à toute politique de mesures coercitives et j’ai exigé une attitude juste de la part des fonctionnaires allemands et un traitement humain des ouvriers de l’Est. Au lieu de réduire des enfants en esclavage comme on l’a dit ici, j’ai fait protéger et soigner tout particulièrement les jeunes, originaires des régions menacées par la guerre. Au lieu d’éliminer la religion, j’ai restauré par un édit de tolérance la liberté des Églises dans les territoires de l’Est. En Allemagne, j’ai exigé, en propageant mes convictions idéologiques, la liberté de conscience : je l’ai accordée à tout adversaire et je n’ai jamais demandé de persécutions religieuses.

La pensée d’une destruction physique des Slaves et des Juifs, donc de génocides à proprement parler, ne m’est jamais venue à l’idée ; je l’ai donc encore bien moins propagée d’une façon quelconque. J’étais d’avis que la question juive existante devait trouver sa solution par la création d’un statut des minorités, par l’émigration ou par l’établissement des Juifs dans un territoire national, au cours d’un processus ’de transplantation qui durerait des centaines d’années. Le fait que l’évolution historique peut provoquer des mesures nullement prévues auparavant, est démontré par le Livre Blanc du Gouvernement britannique, en date du 24 juillet 1946.

La pratique de la direction de l’État allemand pendant la guerre, qui a été prouvée ici au cours de ce Procès, divergeait complètement de ma conception. Adolf Hitler s’entoura de plus en plus de personnes qui n’étaient pas mes camarades, mais mes adversaires. Voici ce que j’ai à déclarer au sujet de leur activité néfaste : Ce n’était pas la mise en œuvre du national-socialisme pour lequel des millions d’hommes et de femmes crédules avaient lutté, mais au contraire un vil abus de celui-ci, une dégénérescence que moi aussi je condamnais sévèrement.

J’accueille favorablement l’idée que le crime de génocide soit banni par convention internationale et puni des peines les plus graves, à la condition, naturellement, que ce génocide ne soit autorisé en aucune façon à l’avenir contre le peuple allemand.

Le Procureur Soviétique a déclaré, entre autres, que toute la prétendue activité idéologique était une préparation pour des crimes. Je voudrais faire quelques remarques à ce sujet : Le national-socialisme représentait l’idée d’une victoire sur la lutte des classes qui minait le peuple et l’idée d’une unité de toute la population au sein d’une grande communauté populaire. Il rétablissait par exemple par le service du travail obligatoire, l’honorabilité du travail manuel, du travail de la terre natale, et attira le regard de tous les Allemands sur la nécessité d’une paysannerie forte. Par le secours d’hiver, il forma une camaraderie de la nation entière pour tous les compatriotes nécessiteux, sans tenir compte de leur ancienne appartenance à un parti. Il construisit des foyers pour les mères, des auberges de jeunesse, des maisons communautaires dans les usines, et permit à des milliers de gens d’apprécier des trésors d’art insoupçonnés.

J’ai également servi tout cela, mais je n’ai jamais oublié, à côté de l’amour pour le Reich libre et fort, le devoir envers une Europe respectable. Je faisais déjà appel en 1932 à Rome à son maintien et à son développement pacifique, et je luttais pour l’idée qui devait faire adhérer les peuples de l’Europe de l’Est, dans leur for intérieur, à cette idée. Lorsque je suis devenu ministre de l’Est en 1941, j’ai continué cette lutte aussi longtemps que j’ai pu.

C’est pourquoi, à l’heure de la détresse, je ne peux renier l’idée de toute ma vie, l’idée d’une Allemagne socialement pacifiée et d’une Europe consciente de ses valeurs, et je lui reste fidèle, en dépit de toutes les faiblesses humaines.

Le service rendu honnêtement à cette idéologie, en raison de toutes les insuffisances humaines, n’était ’pas une conspiration. Mon activité n’a jamais été un crime, et j’entendais que ma lutte, tout comme celle de mes camarades, fût menée pour l’idée la plus noble pour laquelle on eût lutté depuis plus de cent ans et levé un drapeau.

Je demande qu’on reconnaisse que c’est la vérité. Alors ce Procès ne pourra donner lieu à aucune persécution idéologique ; alors, j’en suis convaincu, sera fait un premier pas pour une nouvelle entente des peuples, sans préjugé, sans mauvais sentiment et sans haine.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Frank.

ACCUSÉ FRANK

Messieurs les juges, Adolf Hitler, l’accusé principal, n’a pas dit son dernier mot au peuple allemand et au monde. Dans la misère la plus profonde de sa nation, il n’a pas trouvé de mots capables d’apaiser cette douleur, il a disparu et n’a pas exercé ses fonctions de chef ; il a disparu dans l’obscurité par son suicide. Était-ce du désespoir ou ide la révolte contre Dieu et les hommes ? Peut-être pensait-il : « Si je dois périr, alors que le peuple allemand sombre lui aussi ». Qui le saura jamais ?

Nous — et si maintenant je dis nous, j’entends par là moi-même et ceux des nationaux-socialistes qui sont d’accord avec moi dans cette profession de foi, et je n’entends pas par là mes coaccusés pour lesquels je n’ai aucun droit de parler — ne voulons pas abandonner le peuple allemand à son destin sans d’ire un mot. Nous ne voulons pas dire simplement : « Tâchez de voir comment vous pourrez vous débrouiller avec cet effondrement que nous vous avons légué ». Maintenant encore, et peut-être plus que jamais, nous portons une grande responsabilité morale. Au début de notre route, nous n’avons pas soupçonné en nous les desseins de Dieu, qui voulaient que nous nous exposions à des conséquences si mortelles, si terribles, que nous serions forcément entraînés toujours plus avant dans les fautes. Nous n’avons pas pu savoir alors que tant de fidélité et d’esprit de sacrifice du peuple allemand seraient si mal administrés par nous C’est pourquoi nous avons sombré dans la honte, parce que nous nous sommes détournés de Dieu et que nous devions disparaître. Ce ne sont pas seulement les difficultés techniques et les circonstances malheureuses qui ont amené la perte de la guerre, ce ne sont pas non plus le malheur et la trahison. Dieu avant tout a prononcé son jugement sur Hitler. Il a exécuté ce jugement sur lui et sur ce système que nous avons servi dans notre mentalité éloignée de Dieu. C’est pourquoi je souhaite que notre peuple soit rappelé en arrière, qu’il revienne sur ce chemin sur lequel Hitler l’a mené et sur lequel nous l’avons mené, nous, avec lui. Je prie notre peuple de ne pas persévérer dans cette direction et de ne pas faire un seul pas de plus, car le chemin de Hitler était un chemin osé sans Dieu, le chemin qui se détourne du Christ et enfin, en dernière analyse, le chemin de ceux qui sont insensés politiquement, le chemin du malheur et de la mort. Ce chemin est devenu de plus en plus celui d’un aventurier épouvantable sans conscience ni honnêteté, comme je le sais aujourd’hui à la fin de ce Procès

Nous rappelons le peuple allemand dont nous détenions le pouvoir, de ce chemin sur lequel nous devions échouer, notre système et nous, conformément au Droit et à la justice de Dieu et sur lequel échouera chacun de ceux qui essayeront de le prendre ou de le poursuivre partout dans le monde.

Sur les tombes des millions de morts de cette terrible deuxième guerre mondiale, ce Procès d’État qui a duré des mois a été l’épilogue juridique principal, et les esprits des morts étaient présents dans cette salle et élevaient leurs accusations.

Je remercie ceux qui m’ont donné la possibilité de me défendre et de me justifier sur les charges qui ont été élevées contre moi. Je pense, à ce propos, à toutes les victimes de la violence et de l’horreur des événements qui ont été entraînés par la guerre, car des millions ont dû disparaître sans qu’on ait pu les interroger et sans qu’on ait pu les entendre.

J’ai remis le journal de guerre qui contenait mes déclarations et mes actions au moment où l’on m’a privé de ma liberté. Si vraiment j’ai été dur une fois dans ma vie, alors je l’ai été au moment où j’ai montré ouvertement quelles avaient été mes activités pendant la guerre.

Je ne veux pas laisser sur le monde une faute cachée qui ne puisse être découverte. A la barre des témoins, j’ai assumé la responsabilité de ce dont je me portais garant. J’ai également reconnu la mesure de ma culpabilité, de la culpabilité qui me touche en tant que précurseur de la lutte nationale-socialiste d’Adolf Hitler, de son mouvement et de son Reich.

Je n’ai rien à ajouter à ce qu’a dit mon ’défenseur.

Il ne me faut plus que rectifier une déclaration que j’ai faite ici à la barre des témoins lorsque j’ai dit que mille ans ne pourraient dégager notre peuple de la responsabilité qui lui incombe à la suite de l’attitude de Hitler au cours de cette guerre. Ce n’est pas seulement l’attitude de nos ennemis vis-à-vis de notre peuple et de nos soldats qui a été soigneusement bannie de ces débats, mais aussi les crimes gigantesques et épouvantables qui, comme je viens de l’apprendre maintenant seulement, ont été commis sur des Allemands surtout en Prusse Orientale et en Silésie, en Poméranie et dans les Sudètes par des Russes, des Polonais, des Tchèques, qui ont déjà, dès aujourd’hui, payé toute responsabilité possible de notre peuple. Qui jugera un jour ces crimes commis contre le peuple allemand ?

C’est avec l’espoir qu’après toute l’horreur de la guerre et malgré tout ce qu’il y a de menaçant dans les solutions qui se dessinent, il y aura tout de même peut-être un jour une paix à laquelle notre peuple pourra également participer, que je termine mon dernier mot. C’est devant la seule justice éternelle de Dieu qui, l’espère, protégera notre peuple, que je m’incline confiant.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Wilhelm Frick.

ACCUSÉ FRICK

J’ai la conscience pure devant l’Accusation. Toute ma vie a été consacrée au service du peuple et de la patrie. C’est à eux que j’ai consacré le meilleur de ma force en remplissant mes devoirs. Je suis convaincu qu’aucun Américain ou citoyen d’un autre pays et qui est un patriote, dans une situation analogue de son pays, aurait agi autrement que moi, car toute autre façon d’agir eût constitué une violation de mon serment de fidélité et une haute trahison.

Je crois n’avoir pas mérité de peine pour avoir exécuté tout ce qui était de mon devoir légal et moral, aussi peu d’ailleurs que les dizaines de milliers d’employés, de fonctionnaires allemands qui, aujourd’hui encore, sont maintenus dans des camps simplement parce qu’ils ont rempli leur devoir. En ma qualité d’ancien ministre de l’Intérieur du Reich, je considère qu’il est de ma part un devoir d’honneur de penser à leur fidélité.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Julius Streicher.

ACCUSÉ STREICHER

Messieurs les juges, au début de ce Procès, M. le Président m’a demandé si je me reconnaissais coupable au sens de l’Acte d’accusation. J’ai répondu par la négative à cette question. Les débats et la présentation des preuves ont confirmé la justesse de cette déclaration. Il a été établi, premièrement, que les assassinats en masse ont eu lieu exclusivement et sans aucune influence sur l’ordre du Fuhrer de l’État, Adolf Hitler ; et, deuxièmement, que l’exécution de ces assassinats se fit sans que le peuple allemand en eût connaissance, dans le secret le plus absolu, par le Reichsführer Heinrich Himmler.

Le Ministère Public a affirmé que, sans Streicher et son Stürmer, ces assassinats n’auraient pas pu être perpétrés. Le Ministère Public n’a ni offert ni produit ’de preuves qui puissent étayer cette affirmation. Il est établi qu’au cours de la journée de boycottage, en 1933, que je dirigeais sur ordre et lors des démonstrations ordonnées par le ministre du Reich, le Dr Goebbels, en 1938, je n’ai, en ma qualité de Gauleiter, ni ordonné ni demandé ou participé à des brutalités quelconques contre des Juifs. De plus, il est établi que j’ai soutenu dans plusieurs articles de mon hebdomadaire, le Stürmer, la demande sioniste tendant à la création d’un État juif, solution naturelle du problème juif. Ces faits’ prouvent que je ne désirais pas résoudre la question juive par la violence. Si d’autres auteurs ou moi-même avons parlé dans quelques articles de mon hebdomadaire le Stürmer, d’un anéantissement ou d’une extermination des Juifs, nous ne faisions là que répondre ouvertement aux élucubrations provocantes d’auteurs Juifs qui réclamaient l’extermination du peuple allemand.

Les exécutions en masse ordonnées par le Führer de l’État, Adolf Hitler, devaient, selon la manifestation de sa dernière volonté, constituer des représailles dues au seul fait de l’évolution défavorable de la guerre dont on commençait à se rendre compte. Cette action du Führer die l’État contre les Juifs s’explique par son attitude qui est complètement différente de la mienne en ce qui concerne la question juive. Hitler voulait punir les Juifs parce qu’il les croyait responsables du déclenchement de la guerre et des bombardements de la population civile allemande. Il est profondément regrettable que les assassinats en masse dus à la décision personnelle du Führer de l’État, Adolf Hitler, soient à l’origine d’un traitement du peuple allemand qu’on se voit obligé de considérer comme n’étant plus humain lui non plus. Tout comme chaque Allemand honnête, je réprouve les assassinats en masse qui ont eu lieu.

Messieurs les juges, je n’ai commis de crime ni en ma qualité de Gauleiter, ni en celle d’écrivain politique, et je puis attendre ainsi votre jugement la conscience tranquille.

Je ne demande rien pour moi-même, mais pour le peuple auquel j’appartiens. Messieurs les juges, le sort vous a donné le pouvoir de prononcer toute décision. Ne prononcez pas de jugement, Messieurs les juges, qui imprime sur le front d’un peuple entier le sceau du déshonneur.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Walther Funk.

ACCUSÉ FUNK

A l’époque de la plus grande misère de mon peuple, j’ai rejoint le mouvement politique dont le but était la lutte pour la liberté et l’honneur de la patrie et pour une véritable communauté sociale et populaire. Ce mouvement obtint la direction de l’État par des moyens légaux. C’est cet État que j’ai servi en raison de mes devoirs de fonctionnaire et en exécution des lois allemandes.

Je me suis senti lié à l’accomplissement de ces devoirs sur une plus large échelle par le danger de, guerre et par la guerre elle-même au cours de laquelle l’existence de la patrie a été menacée au plus haut point. Mais pendant la guerre, l’État compte étroite-ment sur la loyauté et la fidélité de ses fonctionnaires. Or, des crimes atroces ont été révélés ici dans lesquels ont été partiellement entraînés aussi les services que je dirigeais. Je n’ai appris cela qu’ici devant le Tribunal. Je n’ai pas connu ces crimes et je n’ai pas pu les connaître. Ces actions criminelles me remplissent d’une honte profonde, comme elles remplissent de honte tout Allemand.

J’ai fait un examen de conscience minutieux, fait appel à tous mes souvenirs et dit au Tribunal loyalement et ouvertement tout ce qui je savais. Je n’ai rien caché.

Em ce qui concerne les dépôts des SS à la Reichsbank, je n’agissais là aussi qu’en exécution des devoirs qui m’incombaient en tant que président de la Reichsbank. D’après les dispositions légales, les dépôts d’or et de devises faisaient partie des affaires de la Reichsbank. Le fait que la saisie de ces valeurs avait été opérée par les organes des SS subordonnés à Himmler ne pouvait pas faire naître de soupçons en moi. C’est à Himmler qu’étaient subordonnés l’ensemble de la Police, la protection des frontières et, en particulier, aussi la police des devises dans le Reich et dans tous les territoires occupés. Mais j’ai été trompé et dupé par Himmler.

Jusqu’à ce Procès, je n’ai pas su et je n’ai pas soupçonné que, parmi les valeurs déposés à la Reichsbank, il y eut des quantités énormes de perles, de pierres précieuses, de bijoux, d’objets en or de toute sorte et même de montures de lunettes, et — chose affreuse à dire — de dents en or. On ne m’en a jamais fait part et je ne m’en suis jamais aperçu. Je n’ai jamais vu ces choses.

Mais je ne savais pas non plus, jusqu’à ce Procès, que des millions de Juifs avaient été assassinés dans les camps de concentration ou par des Einsatzkommandos à l’Est. Personne ne m’a jamais parlé de ces événements. L’existence des camps d’extermination m’était absolument inconnue ; je ne connaissais aucun de ces noms ; je n’ai d’ailleurs jamais franchi le seuil d’un camp de concentration.

Que l’or et les devises livrées à la Reichsbank proviennent en partie de camps de concentration, je l’ai su moi aussi et je l’ai déclaré moi-même dès le début, au cours ’die tous les interrogatoires. Mais d’après la loi allemande, chacun devait remettre ces valeurs à la Reichsbank. Par ailleurs, la nature et l’importance de ces dépôts des SS ne m’avaient pas été indiquées en détail. Comment donc pouvais-je seulement soupçonner que les SS avaient acquis ces biens en profanant des cadavres ? Si j’avais connu ces circonstances épouvantables, jamais ma banque n’aurait accepté la garde et l’utilisation de telles valeurs. Je les aurais refusées, cela eût-il dû m’en coûter la tête. Si j’avais connu ces crimes, je ne serais pas assis aujourd’hui sur le banc des accusés. Messieurs les juges, vous pouvez en être convaincus La terre me serait plus légère que la vie douloureuse, cette vie pleine de suspicion, de calomnies et d’infâmes accusations dont je suis l’objet.

Pas un seul homme n’a perdu la vie du fait de mesures que j’aurais ordonnées. J’ai toujours respecté le bien d’autrui. Je me suis toujours efforcé d’aider ceux qui étaient dans la misère et, dans la mesure où cela m’était possible, d’apporter du bonheur et de la joie d&ns les existences. Nombreux sont ceux qui m’en sont reconnaissants et qui me resteront reconnaissants pour cela.

La vie humaine est faite d’erreurs et de fautes. Moi aussi je me suis trompé et j’ai été trompé dans bien des cas : je le reconnais ouvertement. J’ai été trop insouciant et trop crédule dans bien des cas. C’est là que je vois ma faute. Mais je me sens libre d’une responsabilité pénale que j’aurais encourue dans l’exercice de mes fonctions, conformément à mon devoir. A cet égard, ma conscience est aussi pure aujourd’hui à la fin de ce Procès que le jour où, il y a dix mois, j’ai pénétré pour la première fois dans cette salle d’audience.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Hjalmar Schacht.

ACCUSÉ SCHACHT

Mon sentiment du Droit a été profondément blessé par le fait que les réquisitoires finaux du Ministère Public ont complètement négligé ce qui résulte des preuves de ce Procès. La seule chose dont je sois accusé, selon le Statut, c’est d’avoir voulu la guerre. Mais l’amoncellement écrasant de preuves a établi que j’étais un adversaire fanatique de la guerre et que j’ai essayé activement et passivement par la contradiction, le sabotage, la ruse et la violence, d’empêcher la guerre. Comment, dans ces conditions, le Ministère Public peut-il prétendre que j’ai été en faveur de la guerre ? Comment le Procureur soviétique peut-il prétendre que je ne me sois détourné de Hitler qu’en 1943, alors que ma première tentative de coup d’État a été faite dès l’automne de l’année 1938 ?

Et voici que Justice Jackson, dans son réquisitoire final, a élevé contre moi une charge nouvelle qui, jusqu’ici, au cours de tout le Procès, n’avait jamais été mentionnée : j’aurais projeté de permettre aux Juifs de quitter l’Allemagne contre une rançon en devises étrangères. Mais cela non plus n’est pas vrai.

Indigné par les pogroms de novembre 1938, j’ai réussi à obtenir l’assentiment de Hitler à un plan qui devait faciliter l’émigration aux Juifs. Je voulais confier à la gestion d’un comité international 1.500.000.000 de Mark provenant des biens juifs confisqués, et l’Allemagne devait s’engager à verser cette somme au comité en vingt annuités, et cela en devises étrangères. C’est donc exactement le contraire de ce que Justice Jackson a prétendu ici.

J’ai conféré au sujet de ce plan, à Londres, en décembre 1938, avec Lord Berstedt, avec Lord Winterton et avec le représentant américain, M. Rublee. Ils ont tous été en faveur de ce plan ; mais étant donné que peu de temps après Hitler m’écarta de la Reichsbank, l’affaire n’eut pas de suite. Si ce plan avait été mis à exécution, pas un seul Juif allemand n’eût perdu la vie.

Mon opposition à la politique de Hitler était connue dans le pays et à l’étranger, et cela si clairement qu’en 1940 encore le chargé d’affaires des États-Unis, M. Kirk, avant de quitter son poste à Berlin, me fit transmettre ses salutations, en me faisant dire qu’après la guerre, on comptait sur moi, sur un homme sans tache. Ces détails sont traités par le témoin Hülse dans son affidavit, document 37-b de mon livre de documents.

Mais au lieu de cela, le Ministère Public m’a cloué au pilori pendant une année entière, dans la presse mondiale, comme un brigand, un assassin et un imposteur. C’est au Ministère Public que je dois d’être, au soir de ma vie, sans moyen d’existence et sans domicile, mais le Ministère Public se trompe s’il croît, comme il l’a dit dans son premier discours, pouvoir me compter parmi les « formes lamentables et brisées... »

Certes, j’ai commis des erreurs politiques ; je n’ai jamais prétendu être un politicien ; mais ma politique économique et financière de création de travaux par l’octroi de crédits a brillamment fait ses preuves. Le nombre des chômeurs était tombé de 7.000.000 à zéro. En 1938, les recettes de l’État avaient augmenté dans des proportions telles que le remboursement des crédits de la Reichsbank était entièrement assuré. Le fait que Hitler ait refusé ce remboursement qu’il avait solennellement promis, constituait une escroquerie monstrueuse que je ne pouvais pas prévoir. Mon erreur politique a été de n’avoir pas reconnu assez tôt la nature criminelle de Hitler dans sa portée, mais mes mains n’ont pas été souillées par une seule action illégale ou immorale. La terreur de la Gestapo ne m’a pas intimidé, car toute terreur est condamnée à échouer si l’on fait appel à sa conscience. C’est là qu’est la grande source de force que nous donne la religion.

Malgré cela, Justice Jackson a trouvé bon de m’accuser d’opportunisme et de lâcheté, après que la fin de la guerre m’eût trouvé dans le camp d’extermination de Flossenburg, après dix mois de captivité, et où je n’ai échappé à l’ordre d’assassinat de Hitler que grâce à un destin bienveillant.

A l’issue de ce Procès, je me trouve bouleversé dans le plus profond de mon âme par la misère indicible que j’ai essayé d’empêcher de toutes mes forces, et par tous les moyens qui étaient à ma portée, mais que je n’ai pas pu empêcher, et sans qu’il y ait de ma faute. C’est pourquoi je porte la tête haute et ma voix est inébranlable. Le monde guérira, non par le pouvoir de la violence, mais seulement par la force de l’esprit et la moralité dans l’action.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Karl Dönitz.

ACCUSÉ DÖNITZ

J’aimerais dire trois choses.

1° Vous jugerez de la légalité de la guerre sous-marine allemande comme vous l’ordonnera votre conscience ; quant à moi, j’estime que cette manière de mener la guerre est justifiée et j’ai agi selon ma conscience. Si j’avais à recommencer, il me faudrait agir exactement de la même façon. Mais mes subordonnés qui ont suivi mes ordres ont agi dans la confiance qu’ils avaient en moi, et sans avoir même l’ombre d’un doute sur la nécessité et la légalité de ces ordres. A mes yeux, aucun jugement postérieur ne peut les priver de la bonne foi qu’ils avaient dans l’honorabilité d’une lutte à laquelle ils ont participé volontairement jusqu’à la dernière heure, au cours de laquelle ils ont fait des sacrifices innombrables.

2° On a beaucoup parlé ici d’un complot qui aurait existé parmi les accusés. Je considère cette affirmation comme un dogme politique. En tant que tel, il ne peut pas être démontré ; on peut simplement y croire ou le rejeter. Mais des parties importantes du peuple allemand ne croiront jamais qu’un tel complot soit la source de leur malheur. Libre aux politiciens et aux juristes de discuter là-dessus. Ils permettront plus difficilement au peuple allemand de tirer de ce Procès une leçon qui est d’une importance décisive pour son attitude, à la fois dans son passé et en ce qui concerne son avenir. C’est la nécessité de reconnaître que le principe du chef est faux sur le plan politique.

Le principe du chef a admirablement fait ses preuves dans la conduite militaire de toutes les armées du monde. C’est sur la base de cette expérience que j’ai estimé que ce principe était juste également en ce qui concernait la direction politique, en particulier lorsqu’il s’agissait d’un peuple qui se trouvait dans une situation aussi désespérée que l’était celle du peuple allemand en 1932. Les grands succès du nouveau Gouvernement, un sentiment de bonheur que n’avait jamais éprouvé la nation tout entière semblaient le justifier.

Mais si, malgré tout l’idéalisme, malgré toute l’honnêteté, malgré tout le dévouement de la grande masse du peuple allemand, en dernière analyse, le principe du chef n’a pas pu permettre d’arriver à un résultat autre que le malheur du peuple, alors ce principe doit être faux. Faux, parce que la nature humaine apparemment n’est en mesure d’utiliser la puissance que donne ce principe pour le bien, sans succomber aux tentations de cette puissance.

3° am30081946 zMa vie a été consacrée à ma profession, et par là au service du peuple allemand. En tant que dernier Commandant en chef de la Marine de Guerre allemande, et en tant que dernier Chef d’État, je me sens responsable devant le peuple allemand pour tout ce que j’ai fait ou négligé.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Erich Raeder.

ACCUSÉ RAEDER

Le Procès, à la fin de l’exposé des preuves, a eu un résultat favorable pour l’Allemagne, mais inattendu pour le Ministère Public. Par des déclarations de témoins, dont on ne peut douter, le peuple allemand, et par conséquent toutes les personnes qui sont dans la même situation que moi, sont déchargées du reproche le plus grave d’avoir su que l’on tuait des millions de Juifs et d’autres hommes, voir même d’y avoir participé. La tentative du Ministère Public qui, lui, connaissait depuis longtemps la vérité par les interrogatoires précédents, et qui malgré cela a maintenu ses accusations dans l’exposé écrit des charges et au cours des ’interrogatoires contradictoires, de prêcher la morale le doigt tendu, et qui a constamment répété cet essai de diffamation de l’ensemble du peuple allemand, s’est ; effondrée.

Le second résultat général, et par conséquent important également pour moi dans ce Procès, est le fait qu’on s’est vu obligé de reconnaître la propreté et la moralité de la Marine allemande au combat, et cela sur la base des preuves présentées. Elle est devant ce Tribunal et devant le monde avec un pavillon qui n’est pas souillé. Les tentatives dans le réquisitoire Shawcross de placer la guerre sous-marine sur le même plan que des atrocités, ces tentatives, nous pouvons les rejeter, la conscience tranquille, car ces affirmations, d’après le résultat sans équivoque de l’exposé des preuves, ne peuvent pas être maintenues. En particulier, le reproche selon lequel la Marine n’aurait jamais eu l’intention d’observer les lois régissant la guerre sur mer (voir Shawcross, pages 70 et 71) est dépouillé de toute sa force probante. De même, il est établi que la Direction des opérations, navales et son chef n’ont jamais fait preuve de mépris pour le Droit international maritime (voir réquisitoire final Dubost, page CC 8). Au contraire, du premier au dernier moment, on a fait un effort loyal pour mettre en accord la guerre sur mer moderne avec les exigences du Droit international et de l’Humanité, sur la même base que celle qui était utilisée par nos ennemis.

Je regrette que le Ministère Public ait essayé sans cesse de diffamer ma personne et la Marine, ce qui est déjà démontré par la présentation d’un second exposé des charges, modifié, qui n’est différent de la première version que dans la mesure où il augmente le nombre et la virulence des expressions insultantes. Ce fait montre que le Ministère Public lui-même éprouvait le sentiment que les accusations objectives étaient trop faibles, mais je suis convaincu aussi que les Ministères Publics britannique et américain ont rendu un mauvais service à leurs propres Marines en rabaissant moralement et en présentant comme ayant peu de valeur cet adversaire contre lequel les Forces navales alliées ont mené une guerre navale qui a duré des années, qui a été très difficile et les a couvertes d’honneur. Je suis convaincu que les amiraux des pays alliés me comprennent et savent qu’ils n’ont pas combattu un criminel.

Je ne puis m’expliquer cette attitude du Ministère Public que par le fait que ses représentants, comme j’ai été amené à le constater toujours à nouveau, n’avaient que peu de jugement sur le principe du soldat véritable et de la direction militaire, et qu’ils semblent par conséquent être peu indiqués pour exprimer un jugement sur l’honneur du soldat.

Je me résume : en tant que soldat, j’ai fait mon devoir, parce que j’étais convaincu de servir ainsi le peuple allemand et la patrie, pour laquelle j’ai vécu et pour laquelle je suis prêt à mourir à tout moment, parce que j’ai cru ainsi les servir au mieux. Si je devais m’être rendu coupable d’une manière quelconque, ce serait tout au plus dans le sens que, malgré mes fonctions purement militaires, j’ai été peut-être ou plutôt j’aurais dû être, dans une certaine mesure, non seulement un soldat, mais peut-être aussi également un politicien. Mais c’était contraire à toute ma nature et à la tradition de la Wehrmacht allemande. Cela constituerait alors une responsabilité morale à l’égard du peuple allemand et ne peut jamais permettre de faire de moi un criminel de guerre. Ce ne serait pas là une responsabilité devant un tribunal humain, mais une responsabilité devant Dieu.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Baldur von Schirach.

ACCUSÉ VON SCHIRACH

Le 24 mai, j’ai fait ici une déclaration dont je réponds devant Dieu et devant ma conscience, et qu’aujourd’hui encore, à la fin de ce Procès, je maintiens pleinement, parce qu’elle correspondait et correspond à ma conviction sincère la plus profonde.

Le Ministère Public anglais a prononcé dans son réquisitoire final la phrase suivante : « Shirach a corrompu des millions d’enfants allemands, afin qu’ils deviennent ce qu’ils sont devenus réellement aujourd’hui, les instruments aveugles de cette poli tique meurtrière et dominatrice que ces hommes ont menée ».

Si ce reproche était fondé, je ne prononcerais pas un mot pour ma défense. Mais ce reproche n’est pas fondé, il est faux. Celui qui tient compte des résultats de la présentation des preuves de ce Procès et les apprécie sincèrement, ne serait-ce que dans une mesure limitée, ne peut au grand jamais m’adresser le reproche d’avoir, par mon activité éducatrice, corrompu la jeunesse, d’avoir empoisonné son âme. Les principes et les buts de la communauté que notre jeunesse, par ses propres forces, a bâtis sous ma direction, ont été l’amour de la patrie allant jusqu’au sacrifice, la suppression des préjugés sociaux et de la haine de classes, l’hygiène rationnelle, l’entraînement par la marche, le sport et le jeu, l’encouragement de la formation professionnelle et en particulier le rapprochement de camaraderie avec la jeunesse des pays étrangers.

Ces principes et ces buts ont été, à mes yeux, depuis ma propre jeunesse, l’idéal d’une éducation nationale allemande de l’avenir. Ces principes et ces buts ne m’ont pas été prescrits par le Parti et par l’État, et la présence de Hitler ici serait pour ma défense absolument sans importance, car en tant que Führer de la jeunesse du Beich, ce n’est pas de lui que je me réclame, mais de moi-même et de moi seul, et les principes de cette éducation qui sont démontrés nulle fois par tous mes discours, écrits et instructions et auxquels en tant que Führer de la jeunesse du Reich, je suis toujours resté fidèle, je suis fermement convaincu qu’ils sont des principes de toute direction de la jeunesse, consciente de son devoir envers le peuple et la jeunesse.

Les tâches accomplies par notre jeunesse et son attitude morale m’ont donné raison et démontrent qu’elle n’a jamais été corrompue et ne le fut jamais par moi. La jeunesse allemande a été et demeure travailleuse et correcte, propre et idéaliste. Elle a, en temps de paix, travaillé honnêtement à son perfectionnement, et pendant la guerre, elle a, avec une bravoure extrême, fait son devoir pour notre peuple, pour notre patrie allemande.

A cette heure où, une dernière fois, je puis parler devant le Tribunal militaire des quatre puissances victorieuses, je voudrais, la conscience pure, confirmer à notre jeunesse allemande qu’elle est complètement innocente ides monstruosités et de la dégénérescence du régime hitlérien établies par ce Procès, qu’elle n’a jamais voulu la guerre et qu’elle n’a pas participé, ni en temps de paix, ni pendant la guerre, à des crimes quelconques.

J’ai été de longues années chef de la jeunesse du Reich, et je connais l’évolution, les opinions, l’attitude de notre jeune génération ; qui peut la connaître mieux que moi ? Cette jeunesse a été ma joie constante. Dans ses rangs, j’ai toujours été heureux ; en tout temps, j’en ai été fier. Je sais qu’au cours de toutes ces années où j’ai été Führer de la jeunesse du Reich, malgré le nombre de ses membres qui atteignait plusieurs millions, la jeunesse n’a, par principe et sans exception, commis aucune action dont elle aurait à rougir aujourd’hui. Elle n’a rien su des nombreuses atrocités commises par des Allemands et, de même qu’elle n’avait connaissance d’aucune injustice, elle n’a pas non plus voulu d’injustice.

Même l’amertume la plus grande de l’après-guerre n’a pu faire naître la pensée d’accuser comme organisation criminelle la jeunesse allemande et ses chefs.

Camaraderie désintéressée au sein d’un mouvement de jeunesse qui apportait justement aux enfants du peuple les plus pauvres l’amour le plus fort, fidélité à la terre natale, joie dans le sport et rapprochement sincère avec la jeunesse d’autres pays, voilà quels furent les buts de la jeunesse et le contenu de son éducation, du premier au dernier jour de mon activité de chef de la jeunesse du Reich.

Cette jeunesse n’a vraiment pas mérité le terrible destin qui s’est abattu sur elle. Mon destin personnel est chose secondaire, mais la jeunesse est l’espoir de notre peuple, et si, au dernier instant, j’exprime une prière, c’est celle-ci : contribuez par votre jugement à supprimer l’image déformée que le monde se fait souvent aujourd’hui encore de la jeunesse allemande et qui ne peut pas résister à l’examen de l’Histoire. Dites au monde, dans votre sentence, que la brochure diffamatoire d’un certain Grégor Ziemer, utilisée par le Ministère Public, ne contient que des calomnies méchantes d’un homme qui reporte sa haine contre tout ce qui est allemand, sur la jeunesse allemande aussi. Contribuez également par votre jugement à ce que les organisations de jeunesse de vos peuples reprennent la collaboration avec la jeunesse allemande au point où, en 1939, sans que la jeune génération y fût pour rien, elle avait été interrompue.

C’est le cœur plein de reconnaissance que notre jeunesse a entendu les mots de Lord Beveridge qui, avec pénétration et passion, est intervenu pour que l’on déclare innocente la jeunesse allemande. C’est avec joie qu’elle saisira la main qu’on lui tend par delà les ruines et les décombres. Contribuez, Messieurs les juges, par votre sentence, à créer pour la jeune génération une atmosphère de respect mutuel, exempte de haine et d’esprit de vengeance. Voilà mon ultime prière, une prière sincère en faveur de notre jeunesse allemande.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)