DEUX CENT SEIZIÈME JOURNÉE.
Samedi 31 août 1946.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a reçu aujourd’hui une nouvelle requête du Dr Seidl aux fins d’un autre examen de l’état de santé de l’accusé Hess. Comme il l’a annoncé le 20 août, le Tribunal a reçu et pris en considération le rapport du capitaine G. M. Gilbert, daté du 17 août, relatif à l’accusé Hess, et il a considéré qu’il n’était plus nécessaire de recevoir d’autres rapports. Le Tribunal maintient toujours cette opinion, mais considérera toutes questions et toutes les matières contenues dans la demande du Dr Seidl y compris le rapport médical et la déclaration que l’accusé Hess a faite aujourd’hui.

Je donne la parole...

Dr OTTO NELTE (avocat de l’accusé Keitel)

Monsieur le Président, on nous a communiqué que le Tribunal estimait que le moment était opportun pour déposer les documents qui n’ont pas encore été soumis d’une façon formelle.

LE PRESIDENT

Très bien, Docteur Nelte. Vous faites allusion aux questionnaires qui viennent de vous parvenir ?

Dr NELTE

Et aux affidavits qui nous ont été accordés. A l’audience du 22 août, le Tribunal m’a accordé deux affidavits de l’accusé Keitel et du général Reinecke que j’étais autorisé à produire aussitôt que les traductions seraient terminées. Ces traductions me sont parvenues entre temps et après avoir vu le Ministère Public, qui ne fait pas d’objection et qui a donné son accord par la bouche de Sir David, lors de l’audience du 22 août ; je déposerai donc les deux documents K-26 et K-27, sans les lire, et prie le Tribunal de les accepter comme preuves.

LE PRÉSIDENT

Oui, ils seront pris en considération.

Dr SERVATIUS

Monsieur le Président, j’ai un document à déposer pour lequel j’avais reçu l’autorisation. Il concerne les chefs politiques : c’est un affidavit de Sauckel, PL-69. En outre, j’ai un extrait du livre Statistiques du Parti auquel on s’est référé lors des tableaux sur le nombre des membres que j’ai remis au Tribunal le 17 août. J’en ai parlé avec le Ministère Public britannique et je prie le Tribunal de m’autoriser à déposer une page de ce livre.

Dr KUBUSCHOK

J’ai reçu la réponse au questionnaire envoyé à l’ambassadeur hollandais Visser à propos de von Papen. Il s’agissait des efforts de paix de von Papen en 1939 que le témoin confirme. Je dépose ce document sous le numéro 107.

LE PRÉSIDENT

Bien, Docteur Kubuschok.

Dr GUSTAV STEINBAUER (avocat de l’accusé Seyss-Inquart)

Monsieur le Président, je dépose sous le numéro 115 les questions et réponses sous la foi du serment que le Tribunal m’a autorisé à recevoir, ainsi qu’un contre-interrogatoire du Dr Arved Bolle, ingénieur de constructions portuaires à Hambourg. Elles sont en allemand et sont accompagnées d’une traduction anglaise certifiée conforme. Je cite, à propos du reproche adressé à Seyss-Inquart d’avoir été l’auteur de la famine en septembre 1944, une courte phrase à la page 3 du procès-verbal :

« Avec la grève, toute la navigation intérieure hollandaise passa aux mains des militaires. Elle fut dès lors soustraite à l’influence de l’administration civile et du ministère des Communications du Reich. »

Je dépose en outre sous le numéro 116 l’affidavit de l’accusé Seyss-Inquart qui m’a été autorisé hier, et prie le Tribunal de bien vouloir l’accepter comme preuve.

Je n’ai plus qu’à préciser que les documents PS-3640 et PS-3645 dont l’accusé Seyss-Inquart n’avait pu obtenir le dépôt par affidavit, ont, immédiatement après mon retour, aimablement été mis à ma disposition sous forme de photocopies par la Délégation française du Ministère Public qui est prêt à déposer les originaux de ces deux documents, conformément au désir du Tribunal.

Dr HANS FLÄCHSNER (avocat de l’accusé Speer)

Monsieur le Président, je viens de recevoir trois réponses aux questionnaires pour lesquels j’avais reçu l’accord du Tribunal au printemps. Je voudrais les déposer sous les numéros Speer-47, 48 et 49. Il s’agit des questionnaires des témoins von Poser, Malzacher et Baumbach.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Sauckel.

ACCUSÉ SAUCKEL

Messieurs les juges, je suis atteint au plus profond de mon âme par les crimes révélés au cours de ce Procès. Je m’incline avec humilité et respect devant les victimes de tous les pays et devant le malheur et les souffrances de mon propre peuple, avec lequel je dois seul mesurer ma destinée. Je suis d’une condition sociale toute autre que celle de mes coaccusés. Par mon être et ma mentalité, je suis resté un marin et un ouvrier.

Après la première guerre mondiale, ma vie a été déterminée par ma participation aux peines et aux souffrances de mon peuple qui luttait pour son existence. Des conflits intérieurs m’ont poussé vers la politique. Je ne pouvais être que socialiste. Je n’ai pu reconnaître le manifeste communiste. Je n’ai jamais été anti-religieux ou athée, bien au contraire. J’ai dû me livrer un rude combat à moi-même. Et finalement j’ai porté l’amour et la justice socialistes à ceux dont la seule richesse réside dans leur force de travail et en même temps dans le destin de la nation. J’y voyais le seul lien possible entre le socialisme et le vrai patriotisme. Cette conviction a déterminé seule ma vie et mon comportement. Je n’y voyais pas d’incompatibilité avec les lois de l’Humanité. Je ne voyais dans l’autorité du chef et la fidélité qu’on lui doit aucune dictature ou tyrannie arbitraire.

J’ai peut-être été coupable d’avoir eu des sentiments et une confiance exagérés en Hitler et de l’avoir trop vénéré. Je ne le connaissais qu’en tant que responsable des droits vitaux du peuple allemand et je voyais en lui la bonté envers les travailleurs, les femmes et les enfants et celui qui comblait les intérêts vitaux de l’Allemagne. Je n’ai pas pu reconnaître le Hitler de ce Procès. Peut-être était-ce encore une faute de demeurer dans la solitude et de me perdre dans le monde de mon imagination et de mes tâches. Je n’avais pas de rapports mondains avec les titulaires des postes élevés du Reich. Mes rares loisirs étaient consacrés à ma famille. J’ai été et suis fier que ma femme soit la fille d’un ouvrier qui était lui-même social-démocrate et qui l’est resté.

Je déclare solennellement dans ces derniers mots que tous les événements de la politique étrangère et le déclenchement de toutes ces hostilités ont été pour moi une surprise. En aucun cas, je n’aurais contribué comme travailleur allemand et pour des ouvriers allemands à des actes ou à des projets pouvant déclencher le délire d’une guerre d’agression.

Je ne suis devenu national-socialiste que parce que je condamnais la lutte des classes, l’expropriation et la guerre civile et que je croyais fermement à la volonté absolue d’une entente pacifique et à l’œuvre de construction de Hitler. Dans mon propre rayon d’action, je me suis toujours efforcé de mon mieux, puisque j’étais ouvrier, d’empêcher les abus et l’arbitraire de toute espèce. J’ai eu la naïveté, malgré Himmler et Goebbels, de publier mon manifeste et bien d’autres ordonnances encore sur le recrutement forcé de la main-d’œuvre qui ordonnaient à tous les services de traiter correctement et humainement les travailleurs étrangers.

Si j’avais connu ces secrets et ces crimes effroyables, je n’aurais jamais pu les supporter sans protester, ni n’aurais-je osé paraître alors devant mon peuple ou devant mes dix enfants innocents. Je n’ai pris aucune part à un complot quelconque contre la Paix ou l’Humanité, et n’ai pas toléré de meurtres ou d’atrocités. Pendant la guerre, j’ai dû faire mon devoir. Mon poste *de délégué général à la main-d’œuvre me fut confié en 1942 en pleine crise et d’une façon complètement inattendue pour moi. J’ai été lié par les lois sur le travail qui existaient déjà, par les ordres du Führer et les ordonnances du Conseil des ministres pour la défense du Reich. Je ne sais pas pourquoi c’était précisément à moi que cette tâche était confiée. Dans mon propre Gau, je m’étais acquis la confiance des ouvriers, des paysans et des artisans et, dès avant 1933, donc avant la prise de pouvoir par Hitler, lors d’élections parlementaires libres, j’avais été choisi à une grande majorité comme chef du gouvernement régional. Je crois que la Providence m’a doté de bonnes dispositions pour l’organisation et le travail pratique, ainsi que d’enthousiasme. C’est peut-être la raison qui me valut cette nomination. Elle m’imposait une lourde charge. Le milieu de Berlin m’était complètement inconnu.

Je n’ai jamais songé, parce que je suis un ouvrier, à réduire des étrangers en esclavage. Mon exigence d’utiliser l’homme avec précaution ne voulait pas dire son exploitation, mais son emploi économique raisonnable et judicieux. Je n’ai jamais eu l’intention de commettre des crimes contre les lois des peuples, de la guerre ou de l’Humanité. Pas un seul instant je n’ai douté du caractère légal et admissible de ma tâche, car j’excluais la possibilité d’une violation du Droit international ’de la part du Gouvernement allemand.

Lorsqu’on m’objecte que, malgré cela, on n’avait pas le droit d’appliquer la législation allemande du travail dans les territoires occupés, je dois répliquer que des Français, des Belges, des Polonais et également des Russes haut placés m’avaient déclaré qu’ils apportaient à l’Allemagne l’aide de leur travail dans le but de préserver l’Europe d’un système communiste menaçant et d’empêcher le chômage et la misère des masses pendant la guerre.

Je ne me suis pas seulement appliqué avec zèle à l’exécution de ma tâche, mais je me suis encore astreint de toutes mes forces à remédier par tous les moyens à la carence de l’organisation et du ravitaillement des travailleurs étrangers provoquée par la catastrophe de l’hiver 1941-1942 et à supprimer toutes les insuffisances et tous les abus dès ma prise de pouvoir.

Je croyais également, comme mes documents le prouvent, qu’un traitement correct, tel que je l’exigeais, gagnerait les travailleurs étrangers à notre cause, pour notre tâche allemande. Peut-être aux yeux de Himmler et de Goebbels passais-je pour un incorrigible utopiste. Ils étaient mes adversaires. Mais je luttais honnêtement pour obtenir que l’on accordât à tous les travailleurs étrangers les mêmes droits et les mêmes conditions qu’aux Allemands. Les nombreux documents de mon défenseur en témoignent également, et toutes les dépositions faites devant ce Tribunal l’ont confirmé.

Si mon œuvre est restée imparfaite, personne ne peut le déplorer plus vivement et plus douloureusement que moi-même. Malheureusement, je n’en commandais qu’une partie, comme mon avocat l’a prouvé. La présentation des preuves a montré qu’il s’est produit dans les régions occupées des choses à l’égard desquelles l’organisation du recrutement des travailleurs civils était impuissante.

Cependant, je recevais les réclamations des employeurs allemands et des services disant que je ne leur procurais jamais assez de travailleurs pour la conduite de cette guerre, et que j’étais responsable des crises dangereuses qui menaçaient l’économie de guerre et le ravitaillement. Cette grave responsabilité et ce souci me préoccupaient tellement qu’il ne me restait plus de temps pour d’autres questions. Je le regrette.

Je porte la responsabilité de mes ordonnances et de mes fonctionnaires placés sous mon autorité. Avant ce Procès, je n’ai jamais eu sous les yeux les procès-verbaux de l’Officié central du Plan. Sinon, j’aurais rectifié les passages inexacts prêtant à confusion, comme par exemple celui qui cite la proportion impossible de 220.000 volontaires seulement. Il en est de même pour un certain nombre d’autres déclarations que j’ai faites, qui ont été notées faussement par des tierces personnes, mais qui n’ont jamais été traduites dans les faits. Parce que je suis un ouvrier et parce que j’ai servi sur des bateaux étrangers, j’ai des sentiments de reconnaissance à l’égard des travailleurs étrangers qui sont venus en Allemagne, car ils travaillaient bien et nous aidaient considérablement. C’est peut-être une preuve du fait qu’ils ont, en général, été traités d’une façon correcte et humaine. Moi-même je leur ai souvent rendu visite.

Parce que j’étais ouvrier, j’ai passé en 1943 et en 1944 les fêtes de Noël parmi les travailleurs étrangers, afin de leur manifester ainsi mon attitude envers eux. Mes propres enfants travaillaient aux côtés des travailleurs étrangers et dans les mêmes conditions de vie. Pouvais-je considérer, moi-même comme les ouvriers allemands ou le peuple allemand, que c’était de l’esclavage ? Cette nécessité était notre nécessité de guerre. Le peuple allemand et l’ouvrier allemand n’auraient jamais toléré l’esclavage autour d’eux. Avec une objectivité extrême, mon défenseur a exposé mon cas en toute vérité. Je le remercie de tout cœur de ce qu’il a fait. Il a été sévère et correct dans l’examen de mon cas.

Ma volonté et ma conscience sont pures. Les insuffisances et les misère de cette guerre, le caractère épouvantable de ses conditions me vont droit au cœur. Je suis prêt moi-même pour tout destin que la Providence me réserve, comme mon fils tombé au champ d’honneur. Les Gauleiter que je chargeais de questions de main-d’œuvre en ma qualité de délégué général avaient pour seule tâche de surveiller le ravitaillement et le traitement corrects des Allemands et des ouvriers étrangers.

Que Dieu protège mon peuple bien aimé. Que Dieu protège l’œuvre des travailleurs allemands pour lesquels j’ai vécu et souffert, et qu’il accorde la paix au monde.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Alfred Jodl.

ACCUSÉ JODL

Monsieur le Président, Messieurs les juges, je crois d’une foi inébranlable que les historiens futurs rendront un jugement objectif et équitable sur les grands chefs militaires et leurs adjoints, car ils se sont trouvés, et avec eux toute l’Armée allemande, devant une tâche insoluble : celle ide conduire une guerre qu’ils n’avaient pas voulue, sous les ordres d’un Commandant en chef dont ils n’avaient pas la confiance et auquel ils n’accordaient eux-mêmes qu’une confiance limitée, en utilisant des méthodes qui étaient souvent en contradiction avec leurs principes de commandement et leurs vues traditionnelles éprouvées, avec certaines troupes militaires et de police qui n’étaient pas entièrement soumises à leur autorité de commandement et avec un service de renseignements qui travaillait en partie pour l’ennemi, et tout cela ’en ayant clairement conscience que cette guerre décidait de la question de la vie ou de la mort de la patrie aimée.

Et ils n’ont pas servi l’enfer ou un criminel, mais leur peuple et leur patrie.

En ce qui me concerne, je crois que personne ne peut mieux faire que de poursuivre le plus haut des buts que, dans la situation où il se trouve, il est à même d’atteindre. C’est cela et pas autre chose qui a depuis toujours été la directive de mon action, et c’est pourquoi, quel que soit le jugement que vous prononcerez contre moi, Messieurs les juges, je quitterai cette salle d’audience la tête haute, tout comme j’y ai pénétré il y a dix mois. Mais celui qui m’appelle traître à la tradition de l’Armée allemande ou celui qui prétend que c’est pour des motifs égoïstes personnels que je suis resté à mon poste, celui-là je l’appelle, moi, traître à la vérité.

Dans une guerre comme celle-ci ou des centaines de milliers de femmes et d’enfants ont été anéantis par des bombardements ou des aviateurs en rase-mottes et où des partisans utilisèrent tous — je dis bien tous — les moyens qui leur paraissaient appropriés, des mesures sévères, dussent-elles même paraître douteuses aux yeux du Droit international, ne sont pas des crimes devant la morale et la conscience. Car je crois et j’affirme que le devoir envers le peuple et la patrie prime tous les autres. Remplir ce devoir a été mon honneur et ma loi suprême. Puisse, dans un avenir plus heureux, ce devoir être remplacé par un autre plus élevé encore, par le devoir envers l’humanité.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Franz von Papen.

ACCUSÉ VON PAPEN

Monsieur le Président, Messieurs les juges, lorsque je revins dans mon pays en 1919, j’y trouvai un peuple déchiré par les luttes politiques et qui, au sortir de la défaite, cherchait une nouvelle forme d’existence. En ces jours de malheur pour ma patrie, je ne crus pas, en Allemand conscient de ma responsabilité, avoir le droit de rester à l’écart sans agir. Je me rendais compte que la renaissance de mon pays n’était possible que grâce à la paix et à une discussion spirituelle qui ne devait pas s’appliquer seulement à la réforme politique mais bien plutôt à la solution du plus brûlant des problèmes, le problème social, condition indispensable de tout apaisement intérieur.

En face de l’assaut des idéologies rationalistes, il s’agissait de maintenir — et c’était là ma conviction la plus intime — le christianisme comme point de départ de la reconstruction. De l’issue de cette discussion intérieure devait déprendre également le maintien de la paix européenne.

Tout le travail de mes meilleures années a été consacré à cette question : dans la commune, au Parlement, dans l’État de Prusse et dans le Reich. Tous ceux qui connaissent les faits savent qu’en 1932 je ne me suis pas pressé pour obtenir ce poste élevé.

Le pressant appel patriotique de Hindenburg a été un ordre pour moi, et si, dans la situation critique de 1933, je me suis décidé, ainsi que bien d’autres Allemands, à collaborer dans un poste élevé, je l’ai fait parce que j’estimais que c’était mon devoir et parce que je croyais à la possibilité d’aiguiller le national-socialisme dans la voie du calme et des responsabilités conscientes, parce que j’espérais que le maintien des principes chrétiens constituerait le meilleur contrepoids à un radicalisme idéologique et politique, et assurerait un développement pacifique intérieur et extérieur.

Le but n’a pas été atteint. La force du mal l’a emporté, précipitant irrémédiablement l’Allemagne dans la catastrophe. Faut-il, pour cette raison, condamner également ceux qui, dans la lutte de la foi contre l’incroyance, ont élevé l’étendard de la foi ? Et Justice Jackson est-il en droit d’affirmer que je n’ai été que l’agent hypocrite d’un gouvernement incroyant ? Ou encore, qu’est-ce qui autorise Sir Hartley Shawcross a déclarer avec sarcasme, ironie et mépris : « Il a préféré régner en enfer plutôt que servir au ciel » ? Messieurs les Procureurs, ce n’est pas vous qui avez le droit de juger ainsi. Il appartient à un autre juge. Mais je demande : Est-ce que la question de la défense des valeurs transcendantales ne se pose pas plus impérieusement aujourd’hui au centre des efforts destinés à reconstruire le monde ?

Je crois que je peux accepter ma responsabilité, la conscience tranquille. L’amour de ma patrie et de mon peuple ont seuls déterminé toutes mes actions. J’ai parlé sans crainte lorsque j’avais à parler. Ce n’est pas le régime nazi, mais ma patrie que j’ai servie lorsque, malgré le rude échec de mes espoirs dans le domaine de la politique intérieure, je me suis efforcé, à la faveur de mes fonctions diplomatiques, de sauver tout au moins la paix.

Lorsque je fais mon examen de conscience, je ne trouve aucune faute là où le Ministère Public prétend en voir. Mais où trouveriez-vous un homme sans fautes, sans erreurs ? D’un point de vue historique, cette faute résid’e peut-être dans ce tragique 2 décembre 1932, lorsque je n’ai pas essayé d’inciter par tous les moyens le Président du Reich à maintenir sa décision de la veille, malgré la violation de la Constitution et malgré la menace de guerre civile proférée par le général von Schleicher.

Le Ministère Public veut-il vraiment condamner tous ceux qui se sont offerts à collaborer avec une volonté sincère ? Affirme-t-il que le peuple allemand a choisi Hitler en 1933 parce qu’il voulait la guerre ? Affirme-t-il réellement que le peuple allemand, dans son écrasante majorité, a consenti ces immenses sacrifices moraux et matériels, jusqu’au sacrifice de sa jeunesse sur les champs de bataille de cette guerre, pour satisfaire les buts criminels utopiques de Hitler ?

Le Tribunal se trouve en face de la tâche infiniment ardue de reconnaître, à un moment trop proche encore de la catastrophe, les causes et les effets de l’évolution historique dans leurs rapports exacts. Ce n’est que s’il reconnaît la vérité historique que le sens historique de ce Procès sera réalisé. Ce n’est qu’alors que le peuple allemand, malgré la destruction de son Reich, trouvera la reconnaissance de ses fautes mais aussi la force pour accomplir sa mission future.

LE PRÉSIDENT

La parole est à l’accusé Seyss-Inquart.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Monsieur le Président, dans mes derniers mots je veux contribuer à éclaircir les points du Procès qui ont été discutés ici en exposant les motifs et les réflexions personnelles relatives à ma conduite.

J’ai peu de choses à dire sur la question de l’Autriche. Je considère l’Anschluss, isolé des événements ultérieurs, comme une question exclusivement intérieure de l’Allemagne. Pour tout autrichien, l’Anschluss était un but en soi et n’a jamais été le moins du monde un pas vers une guerre d’agression, car l’Anschluss était un but bien trop important, le but le plus élevé du peuple allemand. « J’annonce au peuple allemand l’accomplissement de la mission la plus importante de ma vie ». J’ai cru ces mots que le Führer a prononcés le 15 mars 1938 à la Hofburg à Vienne. Ils étaient vrais d’ailleurs.

J’ai pris, le 11 mars 1938, vers 8 heures du soir, environ, après l’effondrement total de toute autre autorité politique ou gouvernementale, le chemin ouvert par Berlin pour la raison suivante : la résistance injustifiée contre des élections en bon ordre avait pratiquement, mais aussi psychologiquement, ouvert la voie à des mesures radicales. Je me suis demandé si j’avais le droit d’être opposé à ces méthodes, étant donné qu’apparemment mon chemin ne s’était pas avéré praticable. Mais si ces mesures paraissaient justifiées, alors je me sentais obligé d’apporter la contribution dont j’étais capable dans cette situation. Je suis certain que c’est surtout grâce à cette contribution que cette modification fondamentale a pu se dérouler, en particulier la nuit du 11 au 12 mars, dans un tel calme et sans effusion de sang, bien qu’il y eût une haine très violente chez les nationaux-socialistes autrichiens.

J’étais pour l’union des Allemands quel que fût le régime de l’Allemagne. Je crois que le Ministère Public se réfère à ce propos à ’des documents de l’époque qui suivit l’Anschluss pour en déduire ma volonté d’annexion et d’agression. Il s’agit de documents, de déclarations au sujet de la Tchécoslovaquie et de l’espace danubien après le 1er octobre 1938, après l’accord de Munich et sur le bassin de la Vistule après le 1er septembre 1939, après le début de la guerre. Je maintiens ces déclarations et leur bien-fondé a été confirmé entre temps. Tant que l’espace danubien a été intégré dans la monarchie austro-hongroise, il s’est développé pour le bien de tous, l’élément allemand a déployé une activité non pas impérialiste mais tendant au contraire à favoriser l’essor culturel et économique et à aplanir les difficultés. Depuis que cet espace est divisé par l’application des principes de nationalités intégrales, il n’a pas trouvé de repos. C’est conscient de cela que j’ai pensé a un espace vital commun dont j’ai déclaré qu’il devait donner à tous — aux Allemands, aux Tchèques, aux Slovaques, aux Hongrois, aux Roumains — un ordre social tel qu’il rendît la vie de chaque individu digne d’être vécue. C’est dans ce sens aussi que j’ai songé à la Tchécoslovaquie à propos de la question linguistique en Moravie que je connaissais moi-même. Si, après le 1er septembre 1939, j’ai parlé du bassin de la Vistule comme d’un espace où se jouait le destin de l’Allemagne, je l’ai fait dans mon désir de prévenir des dangers pour l’avenir, dangers devenus manifestes après le début de la guerre et qui aujourd’hui sont devenus une terrible réalité pour tout Allemand. Ils n’ont pas plus de force probante d’une intention agressive que par exemple l’application pratique des décisions de Téhéran au sujet des territoires allemands de l’Est.

Voilà donc que cette guerre avait éclaté, cette guerre que j’avais toujours désignée comme une lutte à mort pour le peuple allemand.

Je ne pouvais opposer qu’un non catégorique à l’exigence d’une capitulation sans conditions. Je crois à ce qu’a dit Rathenau : « On peut briser des peuples courageux, mais on ne peut jamais les faire plier ».

En ce qui concerne les Pays-Bas, je constate simplement, à propos du reproche de l’intervention dans l’administration dans des buts politiques, que personne n’a été forcé d’adopter une doctrine politique ou n’a été privé de sa liberté s’il n’avait une activité hostile au Reich ou au national-socialisme, quelle que fût son opinion.

J’ai déjà déclaré que j’avais de sérieux scrupules humains et juridiques au sujet de l’expulsion des Juifs ; aujourd’hui je dois me dire qu’il doit y avoir une justification de ces expulsions de grande envergure puisque aujourd’hui une même expulsion touche plus de 10.000.000 d’Allemands qui ont vécu pendant plus de dix siècles dans les maisons qu’ils avaient toujours occupées.

A partir du milieu de 1944, les saboteurs et les terroristes furent fusillés par la Police sur un ordre direct du Führer, mais je n’ai jamais entendu parler à cette époque d’exécutions d’otages à proprement parler. Les patriotes hollandais sont considérés aujourd’hui à juste titre comme des héros tombés au champ d’honneur ; est-ce que l’on ne déprécie pas cet héroïsme quand on les représente comme des victimes d’un crime, en sous-entendant que leur conduite n’aurait pas présenté de tels dangers si l’occupant s’était conduit correctement ? Il en est des mouvements de résistance comme des soldats du front : la balle frappe celui qui sert dans la zone dangereuse.

Pouvais-je être l’ami des Hollandais dont l’écrasante majorité se dressait contre mon peuple qui luttait pour son existence ; d’ailleurs, je n’ai eu que des regrets de n’avoir pu devenir leur ami, mais je n’ai été ni un bourreau, ni un pillard de mon plein gré comme l’affirme le Ministère Public soviétique.

Ma conscience est tranquille du fait que la situation biologique du peuple néerlandais a été meilleure pendant la période où je détenais les pleins pouvoirs, c’est-à-dire jusqu’au milieu de 1944, que pendant la première guerre mondiale où il n’y avait ni occupation, ni blocus. Ce fait est prouvé par le chiffre des mariages, des naissances, le taux des maladies et des mortalités. Il s’explique par les effets d’une série de mesures dont je suis responsable : un vaste système d’assurances, d’allocations de mariage ou de naissance, une graduation des impôts sur le revenu, etc. Enfin, je n’ai pas exécuté l’ordre qui m’avait été donné de détruire le pays et j’ai prévu, de ma propre initiative, la fin de l’occupation, lorsque la résistance hollandaise eût perdu sa signification.

Pour terminer, j’ai encore deux constatations à faire en ce qui concerne l’Autriche.

Si les Allemands d’Autriche désirent que leur communauté de destin avec les Allemands du Reich devienne une réalité à l’intérieur comme à l’extérieur, les obstacles autoritaires ne doivent pas être opposés à ce désir et aucune immixtion de forces étrangères à l’Allemagne ne doit être autorisée dans ce cas. Sinon, le peuple Allemand suivra alors la tendance la plus radicale dans la question de l’Anschluss sans tenir compte de quoi est fait le reste du programme politique d’un tel mouvement. En second lieu, en ce qui concerne l’efficacité du Droit international pendant une guerre, l’Allemagne ne doit pas vouloir une guerre dans son propre intérêt. Il faut qu’elle veille à ce qu’on ne mette pas d’armes entre ses mains. Les autres peuples non plus ne veulent pas de guerre, mais la possibilité n’en est pas exclue, à moins que les peuples en aient horreur. Et il est donc faux de vouloir enjoliver une guerre future, de diminuer ainsi les forces de résistance du peuple en faisant croire qu’une guerre mondiale future pourrait être maintenue d’une manière quelconque dans le cadre de la convention de La Haye et d’autres accords internationaux.

Je voudrais encore parler maintenant de mon attitude à l’égard d’Adolf Hitler. Est-ce que, du fait qu’il ne voyait qu’en lui-même la mesure de toute chose, il s’est avéré impuissant à accomplir une tâche décisive pour le peuple allemand et pour l’Europe même, ou bien est-ce qu’il s’est élevé une fois encore, mais en vain, jusqu’aux excès les plus inouïs, contre le cours d’un destin inexorable ? Pour moi, il reste l’homme qui a placé la grande Allemagne dans l’Histoire. Contre cet homme que j’ai servi, je ne peux pas crier aujourd’hui, en raison de ce qui s’est passé « Crucifiez-le », alors que j’ai crié « Hosannah ! »

Je remercie enfin mon défenseur pour les efforts qu’il a faits et la peine qu’il s’est donnée pour ma défense.

Mon dernier mot est le principe pour lequel j’ai toujours agi et que je maintiendrai jusqu’à mon dernier souffle : Je crois en l’Allemagne !

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Albert Speer.

ACCUSÉ SPEER

Monsieur le Président, Messieurs les juges. Hitler et l’effondrement de son système ont amené une époque de souffrances immenses pour le peuple allemand. La vaine poursuite de cette guerre et les destructions inutiles rendent la reconstruction encore plus difficile. Une époque de privations et de misères est venue pour le peuple allemand. Après ce Procès, il méprisera et maudira Hitler, auteur de son malheur. Quant au monde, il apprendra de ce qui est arrivé, non seulement à haïr la dictature en tant que forme de gouvernement, mais aussi à la craindre.

La dictature de Hitler se distinguait par un trait fondamental de tous les précédents historiques. C’était la première dictature d’un État industriel dans cette époque de technique moderne, une dictature qui se servait à la perfection, pour la domination de son propre peuple, de moyens techniques. C’est par les moyens de la technique, tels que la radio et les haut-parleurs, qu’on ôta à 80.000.000 d’hommes l’indépendance de pensée. C’est ainsi qu’ils durent être soumis à la volonté d’un seul individu. Le téléphone, le télétype et la radio permirent par exemple de transmettre des ordres, même des plus hautes instances, directement jusqu’au dernier échelon de la hiérarchie où ils étaient exécutés sans critique, en raison de la haute autorité que leur conférait leur origine ; ou bien ces moyens avaient encore pour conséquence que de nombreux services et commandos étaient rattachés directement à la Direction suprême dont ils recevaient directement leurs ordres sinistres ; ou bien encore ils avaient pour conséquence un réseau étendu de surveillance des citoyens et le secret gardé au sujet des actions criminelles.

Pour une personne du dehors, cet appareil d’État peut apparaître comme le fouillis apparemment inextricable du système des câbles d’un central téléphonique, mais tout comme ces câbles, il pouvait être commandé et dominé par une volonté. Les dictatures d’autrefois avaient besoin de collaborateurs doués de hautes qualités, même dans les services subalternes, donc qui fussent capables de penser et d’agir avec indépendance. Le système autoritaire de l’âge de la technique peut s’en passer. Les moyens de communication à eux seuls lui permettent de mécaniser le travail des services subalternes. La conséquence en est la naissance du type nouveau de celui qui reçoit les ordres sans critique. Nous n’étions qu’au début de cette évolution. Le cauchemar de beaucoup d’hommes, selon lequel les peuples seraient dominés un jour par la technique était presque réalisé dans le système de Hitler. Tous les États du monde sont aujourd’hui en danger d’être terrorisés par la technique, mais dans une dictature moderne, cela me semble inévitable. C’est pourquoi plus la technique se développe dans le monde, plus il devient nécessaire d’encourager, pour la contrebalancer, la liberté individuelle et la conscience individuelle des hommes.

Hitler a utilisé la technique non seulement pour dominer son propre peuple, mais il a failli réussir à soumettre l’Europe grâce à l’avance qu’il avait sur le plan technique. C’est seulement par suite de quelques erreurs de commande typiques dans une dictature à cause du manque de critique, qu’il n’a pas eu le double de chars, d’avions et de sous-marins avant 1942. Mais si un État industriel moderne emploie durant plusieurs années son intelligence, sa science, le développement de la technique et sa production pour gagner une avance dans le domaine de l’armement, alors il peut terrasser et vaincre le monde en utilisant peu d’hommes et grâce à sa technique supérieure, si les autres nations pendant le même temps utilisent leurs capacités techniques pour le progrès culturel de l’humanité. Plus la technique se développe dans le monde, plus ce danger est grand et plus une avance dans le domaine des moyens techniques de conduite de la guerre aura de poids. Cette guerre-ci s’est terminée avec des fusées sans pilotes, des avions qui atteignent la vitesse du son, des sous-marins de types nouveaux et des torpilles qui trouvent leur but toutes seules, enfin avec des bombes atomiques et la perspective d’une guerre chimique terrible.

La prochaine guerre sera nécessairement placée sous le signe de ces nouvelles inventions destructrices de l’esprit humain. La technique de la guerre fournira dans cinq ou dix ans la possibilité de tirer des fusées de continent à continent avec une terrible précision. Elle peut, par la désintégration de l’atome, anéantir au centre de New-York, 1.000.000 d’hommes, avec une équipe de dix hommes, en quelques secondes, avec une fusée invisible, sans avertissement, plus rapide que le son, de jour et de nuit. La science des divers pays est capable de répandre des épidémies parmi les hommes et les animaux et d’anéantir les récoltes par une guerre d’insectes. La chimie a trouvé des moyens terribles pour infliger aux hommes sans défense des souffrances infinies.

Y aura-t-il encore un État qui se servira des expériences de cette guerre pour en préparer une nouvelle, tandis que le reste du monde utilisera le progrès technique pour le bien de l’humanité et essaiera par là de créer une faible compensation à ces horreurs ?

En tant qu’ancien ministre chargé d’un armement très développé, c’est mon dernier devoir de constater qu’une nouvelle grande guerre se terminera par la destruction de la culture et de la civilisation humaines. Rien n’empêche la technique et la science déchaînées d’accomplir sur les hommes l’œuvre de destruction qu’elles ont commencée dans cette guerre d’une manière si terrible. C’est pourquoi ce Procès doit contribuer à empêcher des guerres à l’avenir et fixer les règles fondamentales de la vie en commun des hommes. Qu’importe mon propre destin après tout ce qui s’est passé et à côté d’un but si élevé !

Au cours des siècles passés, le peuple allemand a beaucoup contribué à l’édification de la civilisation humaine. Il a souvent fourni ses contributions à des époques où il était aussi impuissant et abandonné qu’il l’est aujourd’hui. Les hommes de valeur ne se laissent pas pousser au désespoir. Ils créeront de nouvelles œuvres durables, et sous la pression énorme qui pèse sur tout, ces œuvres seront d’une grandeur particulière. Si le peuple allemand, aux époques inévitables de sa pauvreté et de son impuissance, mais en même temps aussi à l’époque de son édification, crée ainsi de nouvelles valeurs de civilisation, il aura par là apporté à l’Histoire du monde la contribution la plus précieuse qu’il puisse fournir dans la situation où il se trouve.

Ce ne sont pas les batailles des guerres qui seules décident de l’histoire de l’Humanité, mais dans un sens plus élevé, les œuvres de civilisation qui deviennent un jour le bien commun de toute l’humanité. Un peuple qui croit en son avenir ne périra pas. Que Dieu protège l’Allemagne et la civilisation occidentale !

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’accusé Constantin von Neurath.

ACCUSÉ VON NEURATH

Je suis convaincu que la vérité et la justice triompheront aussi devant ce tribunal de toute haine, de toute calomnie et de toute déformation.

Je ne crois devoir ajouter que ceci aux paroles de mon défenseur : j’ai voué ma vie à la vérité, à l’honneur, au maintien de la paix et à l’entente des peuples, à l’humanité et à la justice. Ma conscience est pure, non seulement à mes propres yeux mais aussi devant l’Histoire et devant le peuple allemand. Si, malgré cela, le verdict de ce Tribunal devait conclure à ma culpabilité, je saurais l’accepter aussi et je le prendrais comme un dernier sacrifice pour mon peuple que j’ai toujours servi car tel est le sens et le contenu de toute mon existence.

LE PRÉSIDENT

La parole est à l’accusé Hans Fritzsche.

ACCUSÉ FRITZSCHE

Messieurs les juges, les réprésentants principaux du Ministère Public ont, dans leurs réquisitoires de clôture, répété quelques accusations contre moi, bien qu’à mon avis elles aient été clairement réfutées par la présentation des preuves.

J’ai réuni un certain nombre de ces points ; je n’ai pas l’intention de les lire. Si cela n’est pas contraire aux règles du Tribunal et s’il plaît au Tribunal, je le prie de bien vouloir prendre connaissance de ce résumé ; il s’agit de six pages qui sont traduites.

Je ne voudrais pas gaspiller la chance qui m’est offerte dans cet important Procès en ces derniers instants en énumérant des détails que l’on peut certes tous trouver dans les procès-verbaux ; il faut que je me tourne vers l’ensemble des crimes car le Ministère Public affirme que je suis lié à ces crimes par un complot.

Messieurs les juges, à ce reproche je ne puis que répondre : « Ah que n’ai-je fait dans mes discours à la radio la propagande que me reproche l’Accusation ! Que n’ai-je soutenu la doctrine de la race des seigneurs ! Que n’ai-je excité à la guerre d’agression, à la violence, au meurtre et à la barbarie car, Messieurs les juges, si j avais dit tout cela, le peuple allemand se serait alors détourné de moi et aurait rejeté le système en faveur duquel je parlais ! Même si j’avais fait cela sous une forme dissimulée, mes auditeurs l’auraient remarqué et ils l’auraient rejeté ».

Mais le malheur réside justement dans le fait que je n’ai pas soutenu cette thèse, selon laquelle Hitler et un petit cercle de complices agissaient en secret, un cercle qui, d’après les déclarations des témoins Höss, Reinecke et Morgen, sort peu à peu du brouillard qui le cachait jusque là. J’ai cru aux assurances que donnait Hitler et à sa sincère volonté de paix. J’ai fortifié ainsi la foi du peuple allemand en lui. J’ai cru au démenti officiel allemand opposé à toutes les informations de l’étranger concernant les atrocités allemandes. Avec ma foi j’ai fortifié la foi du peuple allemand dans la propreté de la direction de l’État allemand. Voilà ma faute, ni plus ni moins.

Les représentants du Ministère Public ont exprimé l’indignation de leur peuple devant les atrocités qui furent commises. Il n’attendaient rien de bon de Hitler et demeurent interdits devant ce qui s’est réellement passé ; mais essayez un instant de concevoir l’indignation de ceux qui attendaient tant de bien de Hitler et qui voient maintenant comment on a abusé de leur bonne foi, de leur bonne volonté et de leur idéalisme.

Je me trouve dans cette situation que je partage avec beaucoup d’autres Allemands dont le Ministère Public dit qu’ils auraient pu connaître ce qui s’est passé à la fumée des cheminées des camps de concentration ou au simple aspect des détenus.

Je ressens comme un grand malheur le fait que le Ministère Public présente les’ choses comme si toute l’Allemagne avait été un enfer du crime aux proportions géantes ; c’est un malheur que le Ministère Public généralise encore l’étendue des crimes qui sont bien assez terribles sans cela. A cela j’oppose la constatation suivante : celui qui, autrefois, dans les années de construction pacifique, a cru en Hitler, il lui suffisait de fidélité, de courage et d’esprit de sacrifice pour continuer à croire en lui jusqu’au jour où, par la découverte de secrets soigneusement gardés, il a dû reconnaître en lui le démon. Voilà la seule explication à donner à la lutte que l’Allemagne a soutenue soixante-huit mois durant ; un tel esprit de sacrifice n’a pas ses racines dans le crime mais uniquement dans l’idéalisme et la bonne foi ainsi que dans une organisation intelligente et juste en apparence.

Je regrette que le Ministère Public ait généralisé les crimes parce que cette généralisation ne peut qu’augmenter la somme de haine qui existe dans le monde, mais il est temps d’interrompre ce circuit éternel de la haine qui a jusqu’ici dominé le monde.

Il est grand temps de mettre un terme à cette alternance de semailles et de récoltes de haine. En définitive, le meurtre de 5.000.000 d’hommes est un avertissement horrible et l’humanité possède aujourd’hui les moyens techniques de se détruire elle-même. C’est pourquoi, à mon avis, le Ministère Public ne peut pas ajouter une nouvelle haine à une haine éteinte.

J’ai, devant ma conscience, le droit de dire cela, car je n’ai pas, comme l’a prétendu le Ministère Public, prêché la haine et fermé la porte à la pitié ; j’ai bien plutôt même, au plus fort du combat, toujours élevé la voix du sentiment humain. Voilà ce que démontre l’écrasante majorité de mes chroniques, que l’on peut apprécier en tous temps en les comparant aux déclarations de mes adversaires. Mes allocutions, même si elles n’ont pas pu être présentées maintenant au Tribunal, ne peuvent pas simplement avoir disparu du monde.

Il est très possible, peut-être même compréhensible, que la tempête d’indignation déchaînée dans le monde par les atrocités commises efface les frontières de la responsabilité individuelle. S’il en est ainsi, la responsabilité collective doit aussi toucher des personnes de bonne foi dont on a abusé. Dans ce cas, Messieurs les juges, rendez-moi responsable. Ainsi que l’a déjà fait ressortir mon défenseur, je ne me cache pas derrière les milliers de gens de bonne foi dont on a abusé. Je couvre ceux pour qui le crédit qu’ils m’accordaient constituait alors une garantie supplémentaire de la pureté des buts du système ; mais je ne réponds que des gens de bonne foi, mais non pas des auteurs, des complices ou de ceux qui ont été au courant d’atrocités, à commencer par le meurtre, jusqu’à la sélection d’êtres humains vivants pour collections anatomiques. Entre ces criminels et moi, il n’y a qu’un seul lien, ils ont simplement abusé de moi d’une autre façon que de ceux qui ont été physiquement leurs victimes.

Il peut être difficile de séparer le crime allemand de l’idéalisme allemand, mais ce n’est pas impossible. Si l’on procède à cette séparation, alors on évitera beaucoup de souffrances pour l’Allemagne et pour le monde.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal va prendre soigneusement en considération les déclarations que les accusés viennent de faire. Le Tribunal va maintenant suspendre ses audiences pour délibérer sur sa décision. Avant de le faire, le Tribunal désire exprimer sa reconnaissance pour la façon dont les représentants du Ministère Public et de la Défense ont rempli leur devoir.

Le Tribunal a été informé que les avocats recevaient des lettres d’Allemands qui critiquent d’une façon inconvenante leur attitude de défenseurs au cours de cette procédure. Le Tribunal protégera les avocats pour autant que cela sera nécessaire et il ne doute pas que le Conseil de Contrôle les protégera dans la suite contre de telles attaques. Le Tribunal estime que les avocats ont accompli un devoir public important, en accord avec les hautes traditions de la profession judiciaire, et il les remercie de leur assistance.

Le Tribunal va maintenant suspendre ses audiences jusqu’au 23 septembre, afin de délibérer sur sa décision. Le jugement sera prononcé à cette date. Si un délai s’avérait nécessaire, il serait communiqué en temps opportun.

(L’audience sera reprise le 30 septembre 1946 à 10 heures.)