DEUX CENT DIX-SEPTIÈME JOURNÉE.
Lundi 30 septembre 1946.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

Nous allons maintenant procéder à la lecture du jugement du Tribunal Militaire International. Je renonce à la lecture du titre et des parties purement formelles.

JUGEMENT.

Le 8 août 1945, le Gouvernement du Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, le Gouvernement Provisoire de la République Française et le Gouvernement de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques ont conclu un Accord instituant ce Tribunal, afin de juger les grands criminels de guerre dont les crimes n’avaient pas de localisation géographique précise.

Les Gouvernements des Nations Unies, ci-après désignés, ont notifié leur adhésion à cet Accord, comme l’article 5 en prévoyait la possibilité : Grèce, Danemark, Yougoslavie, Pays-Bas, Tchécoslovaquie, Pologne, Belgique, Ethiopie, Australie, Honduras, Norvège, Panama, Luxembourg, Haïti, Nouvelle-Zélande, Inde, Venezuela, Uruguay, et Paraguay.

Le Statut annexé à l’Accord a fixé la composition, la compétence et les fonctions du Tribunal. Celui-ci a été habilité à juger et à punir les individus coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’Humanité, tels que le Statut les définit.

Le Statut stipule également que, lors du jugement d’un individu appartenant à un groupement ou à une organisation quelconque, le Tribunal pourra déclarer (en corrélation avec un acte dont l’inculpé sera reconnu coupable) que le groupement ou l’organisation dont il était membre, était une organisation criminelle.

Conformément à l’article 14 du Statut, le Tribunal a été, le 18 octobre 1945 à Berlin, saisi d’un Acte d’accusation dressé contre les inculpés ci-dessus nommés, à la suite de leur désignation comme grands criminels de guerre par le comité des Procureurs Généraux des Puissances signataires.

Une traduction en allemand de l’Acte d’accusation a été remise à chacun des accusés détenus, trente jours au plus tard avant l’ouverture des débats.

L’Acte d’accusation inculpe les accusés de crimes contre la Paix, constitués par la préparation, le déclenchement et la conduite de guerres d’agression qui violaient également des traités internationaux, des accords conclus ou des assurances données ; de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Les accusés sont en outre inculpés de participation à la formation ou à l’exécution d’un plan concerté ou complot ayant pour but la perpétration des crimes énumérés ci-dessus. Le Ministère Public a, de plus, demandé au Tribunal de déclarer criminels au sens du Statut, les six groupements ou organisations désignes dans l’Acte d’accusation.

Le 25 octobre 1945, l’accusé Robert Ley se suicida dans sa prison.

Le 15 novembre 1945, le Tribunal décida que l’accusé Gustav Krupp von Bohlen und Halbach ne pouvait pas être jugé en raison de son état physique et mental, mais que les inculpations retenues contre lui dans l’Acte d’accusation seraient maintenues en vue d’un procès ultérieur éventuel, si son état de santé le permettait.

Le 17 novembre 1945, le Tribunal décida, en vertu de l’article 12 du Statut, de juger l’accusé Bormann par contumace.

Le 1er décembre 1945, le Tribunal, après discussion et examen des rapports médicaux et après avoir entendu les déclarations personnelles de l’accusé Hess décida qu’il n’y avait pas lieu, du fait de l’état mental de ce dernier, de retarder son procès.

Une décision analogue fut prise en ce qui concerne l’accusé Streicher.

Conformément aux articles 16 et 23 du Statut, les avocats ont été choisis par les accusés eux-mêmes, ou nommés, sur leur demande, par le Tribunal, En outre, le Tribunal a désigné un avocat pour l’accusé Bormann, absent, et a nommé des défenseurs pour représenter les groupements ou organisations mis en cause.

Le Procès s’est ouvert le 20 novembre 1945. Les débats ont été conduits en quatre langues : anglais, russe, français, allemand, et ont pris fin le 31 août 1946. Tous les accusés sauf Bormann, absent, ont plaidé « non coupable ».

Il a été tenu 403 audiences publiques ; 33 témoins à charge et 61 témoins à décharge ont été entendus ; en outre, 19 des accusés ont comparu personnellement à la barre.

D’autre part, 143 dépositions écrites ont été produites par la Défense. Le Tribunal a nommé une commission d’enquête chargée de recueillir les témoignages relatifs aux organisations et 101 témoins ont été ainsi entendus à la demande de la Défense ; 1809 dépositions écrites, émanant d’autres témoins, ont été fournies et 6 rapports ont résumé le contenu d’un grand nombre d’autres dépositions écrites ; 38.000 dépositions écrites, signées par 155.000 personnes ont été produites en ce qui concerne les Chefs politiques, 136.213 les SS, 10.000 les SA., 7.000 le SD, 3.000 l’Êtat-Major général et l’OKW, et 2.000 la Gestapo.

Le Tribunal lui-même a entendu à l’audience 22 témoins déposant pour le compte des organisations.

Le nombre des documents à charge versés contre les accusés et les organisations a atteint plusieurs milliers. Tous les débats ont fait l’objet d’un procès-verbal sténographié ainsi que d’un enregistrement sonore.

Des copies en langue allemande de toutes les pièces déposées comme preuve par le Ministère Public ont été fournies à la Défense. Les demandes faites par les accusés pour produire certains témoins et certains documents ont suscité, en certains cas, de nombreux problèmes, par suite de la condition instable de l’Allemagne. Le Tribunal, astreint à une procédure rapide en vertu de l’article 18, a et b du Statut dut limiter le nombre des témoins à citer : en conséquence, après en avoir délibéré, il fit droit aux seules demandes qu’il estima pertinentes, tant en ce qui concernait les accusés que les organisations mises en cause, et à la condition que ces témoins ne fissent pas double emploi avec d’autres. Les dispositions nécessaires furent prises, par l’intermédiaire du Secrétariat général établi auprès du Tribunal, pour obtenir la comparution des témoins et la production des documents accordés à la Défense.

Une grande partie des preuves produites par le Ministère Public consiste en documents saisis par les Armées alliées dans des bureaux d’états-majors allemands, dans des locaux gouvernementaux et en divers autres lieux. Certains documents furent découverts dans des mines de sel ou enfouis dans le sol, ou dissimulés derrière de faux murs, aussi bien que dans diverses cachettes considérées comme sûres. Ainsi l’inculpation des accusés repose-t-elle, pour une large part, sur des documents dont ils sont eux-mêmes les auteurs et dont l’authenticité, à une ou deux exceptions près, n’a pas été contestée.

LES DISPOSITIONS DU STATUT.

Les accusés sont inculpés en vertu de l’article 6 du Statut qui s’exprime en ces termes :

« Article 6. — Le Tribunal établi par l’accord mentionné à l’article 1er ci-dessus pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l’Axe sera compétent pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l’Axe, auront commis, individuellement ou à titre de membres d’organisations, l’un quelconque des crimes suivants :

« Les actes suivants, ou l’un quelconque d’entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une responsabilité individuelle :

« a. Les crimes contre la Paix : c’est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression, ou d’une guerre de violation des traités, assurances, ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précédent ;

« b. Les crimes de guerre : c’est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées : l’assassinat, les mauvais traitements ou la déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés ; l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer ; l’exécution des otages ; le pillage des biens publics ou privés ; la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ;

« c. Les crimes contre l’Humanité : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

« Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes ci-dessus définis, sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes, en exécution de ce plan. »

Ces dispositions, qui gouvernent juridiquement le Procès, lient le Tribunal. Elles feront l’objet d’un examen détaillé ; mais il y a lieu de procéder auparavant à un exposé des faits. Se proposant de dévoiler les raisons profondes des guerres d’agression et des crimes de guerre dénoncés par l’Acte d’accusation, le Tribunal passera tout d abord en revue certains des événements qui ont suivi la première guerre mondiale ; en particulier, il retracera la naissance du parti nazi sous l’impulsion de Hitler jusqu’à son accession au pouvoir suprême qui lui permit de prendre en mains les destinées du peuple allemand et qui conduisit à la perpétration de tous les crimes mis par le Ministère Public à la charge des accusés.

LE RÉGIME NAZI EN ALLEMAGNE.

ORIGINE ET BUTS DU PARTI NAZI.

Le 5 janvier 1919, moins de deux mois après la signature de l’armistice qui mit fin à la première guerre mondiale et six mois avant la signature des traités de paix à Versailles, un petit parti politique, dénommé le parti travailliste allemand, naquit en Allemagne. Le 16 septembre, Adolf Hitler devint membre de ce parti et, lors de la première réunion qui eut lieu à Munich, le 24 février 1920, il en exposa le programme. Ce dernier, qui resta inchangé jusqu’à la dissolution du Parti en 1945, comprenait vingt-cinq points, dont les cinq suivants présentent en la cause un intérêt particulier :

« 1er point

Nous demandons la réunion de tous les Allemands dans la « Plus Grande Allemagne », en accord avec le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ;

« 2e point

Nous demandons l’égalité de droits pour le peuple allemand vis-à-vis des autres nations ; l’abrogation des Traités de Paix de Versailles et de Saint-Germain ;

« 3e point

Nous demandons de la terre et des territoires pour nourrir notre peuple et la possibilité d’employer à la colonisation l’excédent de notre population ;

« 4e point

Peut seul être citoyen un membre de la race. Est membre de la race celui-là seul qui est de sang allemand, sans considération de croyance. Aucun Juif ne peut être membre de la race ;

« 22e point

Nous demandons l’abolition de l’armée de métier et la création d’une armée nationale. »

Celui de ces buts que le parti nazi semble avoir considéré comme le plus important, et dont presque tous les discours publics faisaient mention, était d’effacer la « honte » de l’Armistice et de supprimer les restrictions imposées par les Traités de Paix de Versailles et de Saint-Germain. C’est ainsi que, dans un discours caractéristique prononcé à Munich le 13 avril 1923, Hitler déclara, au sujet du Traité de Versailles :

« Le Traité a été conclu en vue de conduire à la mort vingt millions d’Allemands et de ruiner la nation allemande... Au moment de sa création, notre mouvement formula trois demandes :

« 1. Abolition du Traité de Paix ;

« 2. Unification de tous les Allemands ;

« 3. Espace et terres pour nourrir notre nation. » La demande d’unification de tous les Allemands dans la « Plus Grande Allemagne » devait jouer un rôle important dans les événements qui précédèrent l’annexion de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie ; l’abrogation du Traité de Versailles devait servir de prétendue justification à la politique allemande ; les revendications territoriales allaient servir de prétexte à l’acquisition d’« espace vital » au détriment des autres nations ; l’exclusion des Juifs de la race allemande devait conduire aux atrocités dont furent victimes les populations juives et la demande visant à obtenir une armée nationale devait avoir pour conséquence des mesures de réarmement intensif et, finalement, la guerre.

Le 29 juillet 1921, le Parti, qui avait pris le nom de « National-Sozialistische Deutsche Arbeiterpartei » (NSDAP) fut réorganisé et Hitler en devint le premier « président ». Ce fut au cours de cette année que les Sturmabteilungen, ou SA, furent fondées et placées sous le commandement de Hitler. Le but était de constituer une force paramilitaire qui protégerait les chefs nazis contre les attaques des partis politiques rivaux et qui maintiendrait l’ordre dans les réunions du parti national-socialiste. En réalité, on s’en servit pour combattre dans les rues les membres de l’opposition politique. En mars 1923, Göring fut nommé chef des SA.

L’organisation interne du Parti était dominée de la manière la plus absolue par le « Principe du Chef » (Führerprinzip).

D’après ce principe, tout « chef » avait le droit de gouverner, d’administrer ou de prendre des décisions, sans être soumis à un contrôle de quelque sorte qu’il fût ; ce chef avait un pouvoir discrétionnaire et n’était subordonné qu’aux ordres lui venant de ses supérieurs.

Ce principe s’appliquait en premier lieu à Hitler lui-même en tant que chef suprême et, au degré inférieur, à toutes les autres personnalités du Parti, dont les membres prêtaient un serment de « fidélité éternelle » envers leur Führer.

Pour atteindre les trois buts principaux, ci-dessus mentionnés, l’Allemagne n’avait que deux moyens : la négociation ou la force. Les vingt-cinq points du programme du Parti ne contiennent aucune mention spéciale des méthodes que les chefs de ce Parti se proposaient d’appliquer, mais l’histoire du régime nazi montre que Hitler et ses partisans ne comptaient négocier qu’autant qu’on accéderait à leurs demandes et qu’en cas de refus ils emploieraient la force.

Dans la nuit du 8 novembre 1923, eut lieu le putsch avorté de Munich. Hitler et quelques-uns de ses partisans firent irruption dans une réunion à la Bürgerbräu-Keller ; à la tribune parlait le Premier Ministre de Bavière, Kahr. On voulut le convaincre de marcher sur Berlin. Cependant dans la matinée suivante, aucun soutien ne venant de la Bavière, la manifestation de Hitler se heurta aux forces militaires de la Reichswehr et de la Police. Quelques coups de feu furent échangés ; et, après qu’une douzaine de ses adhérents eurent été tués, Hitler se sauva et la manifestation prit fin. Les accusés Streicher, Frick et Hess participèrent à cette tentative de soulèvement. Par la suite, Hitler passa en jugement pour haute trahison, fut reconnu coupable et condamné à une peine de prison.

Les SA furent proscrites par une loi. En 1924, Hitler fut libéré et, en 1925, les Schutzstaffeln ou SS furent créées sous le prétexte de lui servir de garde du corps personnelle, mais en réalité pour terroriser les ennemis politiques. Ce fut aussi l’année de la publication de Mein Kampf, livre contenant les idées et les buts politiques de Hitler considéré comme la source authentique de la doctrine nazie.

LA PRISE DU POUVOIR.

Dans les huit années qui suivirent la publication de Mein Kampf , le parti nazi étendit son activité à toute l’Allemagne, en apportant une attention particulière à l’éducation de la jeunesse selon les principes du national-socialisme. La première organisation de jeunesse nazie avait été créée en 1922, mais ce fut seulement en 1925 que la Hitler-Jugend fut officiellement reconnue par le Parti (et elle devint plus tard une branche cadette des SA). En 1931, Baldur von Schirach, qui avait adhéré au Parti en 1925, devint le chef de la Jeunesse hitlérienne du Reich.

Le Parti s’employa à gagner l’appui politique du peuple allemand et il prit part aux élections au Reichstag et aux Landtage. Ce faisant, les dirigeants nazis ne tentèrent pas de dissimuler le fait qu’en se mêlant à la vie politique allemande leur seul but était de détruire la structure démocratique de la République de Weimar et d’y substituer un régime totalitaire national-socialiste, lequel les mettrait à même d’exécuter sans opposition leur politique. Pour préparer son accès au pouvoir, Hitler nomma, en janvier 1929, Heinrich Himmler Reichsführer SS et lui confia la mission de faire des SS un groupe d’élite, sur lequel il pourrait compter en toutes circonstances.

Le 30 janvier 1933, Hitler réussit à se faire nommer chancelier du Reich par le Président von Hindenburg. Auparavant, les accusés Göring, Schacht et von Papen s’étaient activement occupés de recruter des appuis à cet effet. Von Papen qui, le 1er juin 1932, avait été nommé chancelier du Reich, rapporta le 14 juin le décret du Cabinet Brüning du 13 avril qui avait prononcé la dissolution des organisations paramilitaires nazies, y compris les SA et les SS. Bien que von Papen ait commencé par nier — contrairement à l’affirmation du Dr Hans Volz dans Les Dates de l’Histoire de la NSDAP — qu’un accord en date du 28 mai, avec Hitler, eût été à l’origine de cette mesure, il a finalement reconnu l’existence d’un tel accord.

Les élections au Reichstag du 31 juillet 1932 eurent comme résultat un accroissement considérable de la puissance du parti nazi et von Papen offrit le poste de vice-chancelier à Hitler qui le refusa, en exigeant celui de chancelier. En novembre 1932, un certain nombre de personnalités de l’industrie et de la finance signèrent et adressèrent au Président von Hindenburg une pétition lui demandant de confier à Hitler le poste de chancelier ; Schacht contribua activement à réunir les signatures qui figuraient au bas de cette pétition.

Les élections du 6 novembre, qui suivirent la chute du Gouvernement, réduisirent le nombre des députés du parti nazi ; néanmoins, von Papen poursuivit ses efforts infructueux pour obtenir la participation de Hitler. Le 12 novembre, Schacht écrivit à Hitler :

« J’ai la certitude que l’évolution actuelle des événements ne peut aboutir qu’à votre nomination comme Chancelier. Il semble que notre tentative de réunir dans ce but de nombreuses signatures, dans les milieux des affaires, n’ait pas été vaine... »

Après le refus de Hitler du 16 novembre, von Papen donna sa démission et fut remplacé par le général von Schleicher, mais il n’en continua pas moins ses démarches. Il eut, le 4 janvier 1933, une entrevue avec Hitler chez un banquier de Cologne, von Schröder, et assista, ainsi que Göring et quelques autres à une réunion qui se tint le 22 janvier chez von Ribbentrop. Il rencontra également, le 9 janvier, le Président von Hindenburg et, à partir du 22 janvier, discuta officiellement avec lui de la formation d’un cabinet par Hitler.

Hitler tint sa première réunion de cabinet le jour où il fut nommé chancelier. Les accusés Göring, Frick, Funk, von Neurath et von Papen y assistaient en leur qualité de ministres. Le 28 février 1933, le bâtiment du Reichstag à Berlin fut incendié. Hitler et son cabinet se servirent de cet incendie comme prétexte pour promulguer, le même jour, un décret suspendant les garanties constitutionnelles des libertés individuelles. Ce décret fut signé par le Président von Hindenburg et contresigné par Hitler et par l’accusé Frick, qui occupait alors le poste de ministre de l’Intérieur.

Le 5 mars, eurent lieu de nouvelles élections au cours desquelles le parti nazi obtint 288 voix sur 647. Le cabinet de Hitler était désireux de faire voter une « loi de pleins pouvoirs » qui lui donnerait l’autorité législative, y compris le droit de s’écarter de la Constitution ; mais comme il n’avait pas pour cela la majorité nécessaire au Reichstag, il se servit du décret abolissant les garanties de la liberté individuelle et mit en « détention de protection » un grand nombre de députés communistes, ainsi que quelques sociaux-démocrates et divers affiliés à ces partis. Ceci fait, Hitler soumit la « loi des pleins pouvoirs » au Reichstag qui, sous la menace de mesures plus énergiques au cas où elle ne serait pas adoptée, l’entérina le 24 mars 1933.

Je vais maintenant demander à M. Birkett de bien vouloir continuer la lecture.

M. BIRKETT (juge suppléant britannique)

LA CONSOLIDATION DU POUVOIR.

Le parti nazi, ayant ainsi pris le pouvoir, continua à étendre son influence sur tous les aspects de la vie allemande. Les partis politiques furent persécutés, leurs biens confisqués et un grand nombre de leurs membres placés dans des camps de concentration. Le 26 avril 1933, Göring créa en Prusse une police secrète qui prit le nom de « Geheime Staatspolizei » ou « Gestapo », et confia au chef-adjoint de celle-ci que la tâche principale de cette organisation consistait à éliminer les adversaires politiques de Hitler et du national-socialisme. Le 14 juillet 1933, une loi fit du parti nazi le seul parti politique autorisé et déclara criminel le fait de maintenir un groupement existant ou d’en former un nouveau.

Afin de placer le contrôle complet du mécanisme gouvernemental entre les mains des dirigeants nazis, une série de lois et de décrets furent promulgués qui réduisirent le pouvoir des gouvernements régionaux et locaux dans toute l’Allemagne, les transformant en divisions subordonnées au Gouvernement du Reich. Les assemblées des représentants des provinces furent abolies et, avec elles, toutes les élections locales. Le Gouvernement entreprit alors de s’assurer le contrôle de l’Administration. Il y parvint grâce à un système de centralisation et d’épuration minutieuse de tous les services administratifs. La loi du 7 avril 1933 prévoyait la mise à la retraite des fonctionnaires « qui ne sont pas d’ascendance aryenne » et stipulait aussi que « les fonctionnaires qui, par suite de leur activité politique antérieure, n’offrent pas la garantie qu’ils agiront sans réserve dans l’intérêt de l’État nazi, seront révoqués ». La loi du 11 avril ordonna la révocation de « tous les fonctionnaires appartenant au parti communiste ».

De même, la justice fut soumise à un contrôle. Les juges furent démis de leur fonction pour des raisons politiques ou raciales. Ils étaient espionnés et placés devant l’alternative d’adhérer au Parti ou de se laisser destituer. Lorsque la Cour Suprême eut acquitté trois des quatre accusés inculpés de complicité dans l’incendie du Reichstag, sa compétence en matière de trahison lui fut retirée et donnée à un « Tribunal du Peuple » nouvellement créé, composé de deux juges et de cinq personnes occupant un poste dans le Parti. Des tribunaux spéciaux, composés uniquement de membres du Parti, furent institués pour juger les crimes politiques. Les personnes qui étaient arrêtées par les SS sous des inculpations de cette nature étaient détenues dans des prisons et des camps de concentration et les juges n’avaient aucun pouvoir sur ces internements. On graciait généralement les membres du Parti condamnés par les tribunaux, même lorsque cette condamnation sanctionnait des délits bien prouvés. C’est ainsi que, en 1935, plusieurs fonctionnaires du camp de concentration de Hohnstein furent reconnus coupables d’avoir infligé des traitements brutaux aux internés. De hautes personnalités nazies essayèrent d’influencer le tribunal et, après que les fonctionnaires eurent été déclarés coupables, Hitler les gracia tous. En 1942, des « lettres aux juges » furent adressées par le Gouvernement à tous les magistrats allemands, leur donnant des instructions concernant les « lignes générales de conduite » qu’ils devaient adopter.

Résolus à supprimer toutes les sources d’opposition, les dirigeants du Parti tournèrent leur attention vers les syndicats, les Églises et les Juifs. En avril 1933, Hitler ordonna à Ley, qui était alors chef du personnel de l’organisation politique du parti nazi, « de prendre en main les syndicats ». La plupart de ceux-ci étaient réunis en deux vastes fédérations, les « syndicats libres » et les « syndicats chrétiens ». Les syndicats qui n’étaient pas compris dans ces deux grandes fédérations ne comptaient que 15 % de la totalité des ouvriers syndiqués.

Le 21 avril 1933, Ley publia une circulaire du parti nazi, annonçant pour le 2 mai une « action de coordination dirigée contre les syndicats libres. La circulaire ordonnait que des hommes des SA et des SS fussent utilisés pour l’exécution du projet « d’occupation des immeubles des syndicats et de ’placement en détention de protection de certaines personnalités ». Après cette opération, l’agence de presse officielle du Parti annonça que l’organisation nationale-socialiste des coopératives industrielles avait « éliminé les anciens chefs des syndicats libres » et avait assumé elle-même la direction de ces syndicats. Le 3 mai 1933, la même agence annonça que les syndicats chrétiens s’étaient « soumis sans condition à la volonté du Führer Adolf Hitler ». A la place des syndicats, le Gouvernement nazi établit le « Deutsche Arbeitsfront » (DAF), contrôlé par le Parti et auquel tous les travailleurs de l’Allemagne se virent, en fait, contraints d’adhérer. Les présidents de syndicats furent tous incarcérés et victimes de sévices allant des coups et blessures jusqu’au meurtre.

Dans ses efforts pour combattre l’influence des Églises chrétiennes dont les doctrines s’opposaient radicalement à celles de la philosophie nationale-socialiste, le Gouvernement nazi procéda plus lentement. Il n’interdit jamais radicalement la pratique delà religion chrétienne mais, d’année en année, s’efforça de limiter l’influence qu’elle pouvait exercer sur le peuple allemand.

Bormann écrivait à Rosenberg : « La religion chrétienne et la doctrine nationale-socialiste sont incompatibles ». En juin 1941, le même Bormann prit secrètement un décret réglant les rapports de la religion chrétienne avec le national-socialisme. Il y était déclaré :

« Le Führer a conscience d’avoir entre ses mains un pouvoir absolu, comme l’histoire de l’Allemagne n’en a jamais connu. En créant le Parti, les unités qui le composent et celles qui y sont rattachées, il a forgé pour lui-même et aussi pour les chefs du Reich allemand un instrument qui le rend indépendant du Traité... De plus en plus, le peuple doit être éloigné des Églises et de leurs représentants, les pasteurs... On ne doit plus jamais laisser les Églises prendre de l’influence sur le gouvernement du peuple. Cette influence doit être complètement et définitivement détruite. Seul le Gouvernement du Reich et, conformément à ses instructions, le Parti, les unités qui le composent et celles qui y sont rattachées, ont le droit de diriger le peuple. »

Dès le début de la NSDAP, l’antisémitisme avait tenu une place importante dans le programme et la propagande du parti national-socialiste. Les Juifs, qui n’étaient d’ailleurs pas jugés dignes du titre de citoyens allemands, étaient tenus pour largement responsables des désordres dont avait souffert la nation à la suite de la guerre de 1914-1918. En outre, l’insistance que l’on mettait à souligner la supériorité de la race et du sang allemands augmentait l’antipathie ressentie à l’égard des Juifs.

Le deuxième chapitre du livre Ier de Mein Kampf est consacré à ce que l’on peut appeler la théorie de la « Race des seigneurs », c’est-à-dire la doctrine de la supériorité de la race aryenne sur toutes les autres et au droit qu’auraient les Allemands, en vertu de cette supériorité, de dominer les peuples et de s’en servir en vue de leurs propres intérêts. Après que les nazis furent arrivés au pouvoir en 1933, la persécution des Juifs fit partie de la politique officielle de l’État. Le 1er avril 1933, le Cabinet nazi approuva le boycottage des entreprises juives et, dans les années qui suivirent, une série de lois antisémites furent votées pour limiter les activités des Juifs dans l’administration, les professions juridiques, le journalisme et l’armée.

En septembre 1935, on vota les lois appelées « lois de Nuremberg », dont le résultat le plus important fut d’enlever aux Juifs le titre de citoyens allemands. L’influence des éléments juifs dans les affaires allemandes fut ainsi éliminée et l’une des sources éventuelles d’opposition à la politique nazie se trouva tarie.

Il faut citer, parmi toutes les formes que revêtit la lutte contre l’opposition, le massacre du 30 juin 1934. Il reçut le nom d’ « épuration Roehm » ou de « Bain de sang » et révéla les méthodes que Hitler et ses proches associés, notamment Göring, étaient prêts à employer pour écarter leurs adversaires et consolider leur propre pouvoir. Ce jour-là sur l’ordre de Hitler, Roehm, chef d’État-Major des SA depuis 1931, fut assassiné et la « Vieille Garde » des SA fut exécutée sans jugement et sans avertissement. On profita de l’occasion pour tuer un grand nombre des personnes qui avaient à un moment quelconque fait opposition à Hitler.

Le prétexte invoqué pour l’assassinat de Roehm fut que celui-ci avait fomenté un complot pour renverser Hitler, complot dont Göring, à tort ou à raison, a prétendu avoir eu connaissance.

Le 3 juillet, le Cabinet approuva la décision de Hitler en la qualifiant de mesure de « légitime défense de l’État ».

Hindenburg étant mort peu après, Hitler devint à la fois président et chancelier du Reich. Au cours du plébiscite qui suivit, trente millions d’Allemands approuvèrent, sous la pression nazie, cette double nomination et la Reichswehr ayant prêté serment de fidélité à Hitler, celui-ci détint désormais le pouvoir absolu.

L’Allemagne avait accepté la dictature avec les méthodes de terreur qu’elle comporte et le mépris qu’elle professe pour les règles du Droit.

En dehors de cette politique de suppression des adversaires éventuels du régime, le Gouvernement nazi s’employa activement à consolider son autorité sur le peuple allemand. Dans le domaine de l’éducation on fit tout pour que la jeunesse allemande fût élevée dans l’atmosphère du national-socialisme et sous l’influence de ses théories. Dès le 7 avril 1933, la loi sur la réorganisation de la fonction publique avait permis au Gouvernement nazi de supprimer tous les « membres du corps enseignant dangereux et suspects » et cette mesure fut suivie d’un grand nombre d’autres, tendant à fournir aux écoles un personnel de confiance qui enseignerait aux enfants le credo national-socialiste. En même temps que sur l’influence de l’enseignement nazi pratiqué dans les écoles, les chefs du Parti comptaient sur l’organisation de la Jeunesse hitlérienne pour donner au régime l’appui des jeunes générations. L’accusé von Schirach, qui avait été chef de la jeunesse du Parti depuis 1931, fut nommé chef de la jeunesse du Reich en juin 1933. Bientôt toutes les organisations de jeunesse, à l’exception du mouvement catholique, furent dissoutes ou absorbées par la Jeunesse hitlérienne. Ce dernier groupement avait une organisation strictement militaire et, dès 1933, la Wehrmacht apporta sa collaboration en prenant la charge de l’entraînement militaire des jeunes gens.

Le Gouvernement nazi entreprit, par une propagande intensive, de gagner la nation à sa politique. Il créa un certain nombre d’organismes chargés de contrôler et d’influencer la presse, la radio, le cinéma et les maisons d’éditions en Allemagne, et de diriger l’activité culturelle et artistique. Toutes ces organisations dépendaient du ministère de l’Information et de la Propagande dirigé par Goebbels, qui portait, en même temps que l’organisme correspondant du Parti et la Chambre de culture du Reich, l’ultime responsabilité de ce contrôle et de cette direction générale. Rosenberg joua un rôle capital dans la diffusion, au nom du Parti, des doctrines nationales-socialistes ; Fritzsche, en collaboration avec Goebbels, remplit le même rôle au nom de l’État.

On mit l’accent sur la mission suprême que dictaient au peuple allemand son sang nordique et sa pureté raciale, mission de commandement et de domination, et le terrain fut ainsi préparé pour faire accepter l’idée d’une hégémonie allemande sur le monde.

Grâce à une radio et une presse efficacement contrôlées, le peuple allemand, après 1933, fut soumis à une propagande accrue ; toute critique hostile, voire même toute critique quelle qu’elle fût, fut prohibée. L’indépendance du jugement, fondée sur la liberté de pensée, fut bannie.

LE RÉARMEMENT.

Au cours des années qui suivirent immédiatement la désignation de Hitler au poste de chancelier, le Gouvernement nazi s’efforça, avec une minutie extrême, de réorganiser toute la vie économique de l’Allemagne et, en particulier, l’industrie de guerre.

Il était nécessaire de donner à la production de guerre des bases financières solides. En avril 1936, Göring fut chargé de coordonner tous les problèmes ayant trait aux matières premières et aux devises étrangères et reçut le pouvoir de contrôler toute activité de l’État et du Parti se rattachant à ces questions. Il réunit le ministre de la Guerre, le ministre de l’Économie, le président de la Reichsbank et le ministre des Finances de Prusse, afin de discuter des problèmes touchant la mobilisation du pays et, le 27 mai 1936, s’adressant à eux, il s’opposa à toute limitation financière de la production de guerre, ajoutant que « toutes les mesures devaient être considérées du point de vue d’une guerre à venir ». Au congrès du Parti, tenu à Nuremberg en 1936, Hitler annonça l’institution du Plan de quatre ans et la nomination de Göring comme plénipotentiaire pour ce plan. Ce dernier avait déjà commencé à créer une force aérienne considérable et, le 8 juillet 1938, lors d’une autre réunion, il annonça que Hitler lui avait ordonné de mettre sur pied un programme d’armement gigantesque, qui ferait considérer comme insignifiantes toutes les réalisations antérieures. Il déclara qu’il avait reçu l’ordre de créer aussi rapidement que possible une force aérienne cinq fois supérieure à celle originairement prévue, d’accélérer le réarmement terrestre et naval, et de porter tous ses efforts sur les armes offensives, surtout sur l’artillerie lourde et les chars lourds. Il proposa ensuite un programme établi pour parvenir à ces buts. Hitler fit connaître dans un mémorandum du 9 octobre 1939, le degré de développement atteint par le réarmement :

« L’utilisation militaire de la force de notre peuple a été effectuée dans une si large mesure que, pendant un certain temps, elle ne pourra pas être améliorée d’une façon notable par quelque effort que ce soit...

« L’équipement de guerre d’un grand nombre de divisions allemandes est actuellement plus considérable en quantité et meilleur en qualité, qu’il n’était en 1914. Une enquête approfondie démontre que les armes elles-mêmes sont plus modernes que celles que possède actuellement n’importe quel autre pays du monde. Elles viennent de prouver leur efficacité supérieure au cours d’une campagne victorieuse... Il n’y a pas de preuve qu’un autre pays dispose d’un meilleur stock total de munitions que le Reich... Notre artillerie antiaérienne n’a pas son égale ailleurs ».

Dans cette réorganisation de la vie économique de l’Allemagne à des fins militaires, le Gouvernement nazi trouva l’industrie d’armement allemande toute prête à apporter sa coopération et à jouer son rôle dans le programme de réarmement. En avril 1933, Gustav Krupp von Bohlen soumit à Hitler, au nom de l’Association de l’industrie allemande, un plan pour la réorganisation de celle-ci ; ce plan, déclara-t-il, était caractérisé par le désir de coordonner les mesures économiques et les nécessités politiques. Dans ce plan, Krupp inséra ce qui suit : « La tournure des événements politiques concorde avec les désirs que moi-même et le Conseil d’administration avons nourris pendant longtemps ». Ce qu’il voulait dire par cette affirmation apparaît clairement dans le brouillon d’un discours qu’il projetait de faire à l’Université de Berlin en janvier 1944, mais qui en fait ne fut jamais prononcé. Se référant aux années 1919-1933, il écrivait : « C’est le grand mérite de l’économie de guerre allemande entière de n’être pas restée oisive pendant ces mauvaises années, même si pour des raisons évidentes son activité n’a pu être étalée au grand jour. Pendant ces années de travail secret, furent posées les bases scientifiques et essentielles permettant de travailler à nouveau pour les Forces armées allemandes, d’une seconde à l’autre et sans tâtonnements, à l’heure voulue. Ce ne fut que grâce à l’activité secrète entreprise par l’Allemagne, de même qu’à l’expérience acquise dans la production du temps de paix, que l’on put, après 1933, se mettre au niveau des nouvelles tâches qui s’imposaient et qui devaient refaire de l’Allemagne une puissance militaire ».

En octobre 1933, l’Allemagne se retira de la Conférence internationale du Désarmement et de la Société des Nations. En 1935, le Gouvernement nazi décida de prendre ouvertement les premières mesures qui libéreraient le pays des obligations que lui imposait le Traité de Versailles. Le 10 mars 1935, Goring annonça que l’Allemagne reconstituait une force aérienne militaire. Six jours après, le 16 mars 1935, fut promulguée une loi qui, signée notamment par les accusés Göring, Hess, Frank. Frick, Schacht et von Neurath, instituait le service militaire obligatoire et mettait sur pied une armée dont l’effectif était de cinq cent mille hommes en temps de paix. Essayant toutefois de rassurer l’opinion publique des pays étrangers,- le Gouvernement annonça, le 21 mai 1935, que l’Allemagne, malgré la dénonciation des clauses de désarmement, respecterait les limitations territoriales du Traité de Versailles et se soumettrait aux prescriptions des Pactes de Locarno. C’est le jour même de cette déclaration que la « Loi de défense du Reich » fut promulguée ; Hitler en interdit la publication. Les pouvoirs et obligations du Chancelier et des Ministres au cas d’une entrée en guerre éventuelle de l’Allemagne y étaient déterminés. Cette loi prouve qu’en mai 1935 Hitler et son Gouvernement en étaient arrivés, dans l’exécution de leurs plans, au point où il leur était nécessaire d’avoir à leur disposition l’instrument indispensable à l’administration et au gouvernement du pays, au cas où leur politique conduirait à la guerre.

En même temps que l’économie allemande se préparait à la guerre, l’Armée s’organisait en vue de reconstruire la puissance militaire de l’Allemagne.

La Marine fut particulièrement active à cet égard. Ses historiens officiels, Assmann et Gladisch, admettent que le Traité de Versailles était en vigueur seulement depuis quelques mois lorsqu’il fut violé, notamment par la construction d’une nouvelle force sous-marine.

Les publications du capitaine Schuessler et du colonel Scherff, toutes deux patronnées par Raeder, montrèrent au peuple allemand la nature de l’effort entrepris par la marine en vue de réarmer au mépris du Traité de Versailles.

Les documents traitant des détails de ce réarmement ont été déposés à titre de preuves.

Le 12 mai 1934, Raeder fit paraître un plan intitulé : « La troisième phase d’armement ». On peut y lire :

« Tous les préparatifs théoriques et pratiques doivent être poursuivis de façon que l’on soit prêt à faire la guerre, sans aucune période d’alerte. »

Un mois plus tard, Raeder eut une conversation avec Hitler au cours de laquelle celui-ci lui ordonna de continuer à garder secrète la construction, alors en cours, de sous-marins et bâtiments de guerre, dépassant la limite fixée à dix mille tonnes.

Le 2 novembre, Raeder eut un nouvel entretien avec Hitler et Göring. Hitler déclara qu’il considérait comme vital que la flotte allemande « fût développée selon les plans établis, aucune guerre re pouvant être menée si la Marine n’était pas capable de protéger l’importation de minerai de Scandinavie ».

Raeder cherche à excuser les ordres massifs de mise en chantier passés en 1933 et 1934, en expliquant que l’Allemagne et la Grande-Bretagne poursuivaient avec succès des négociations en vue de conclure un accord qui permettrait à l’Allemagne de construire un plus grand nombre de navires que le Traité de Versailles ne le prévoyait. Cette convention, signée en 1935, limita la flotte allemande a un tonnage égal à 33% de celui de la flotte britannique ; une exception était faite en faveur des sous-marins, pour lesquels 45% furent admis ; l’Allemagne était même autorisée à dépasser cette dernière proportion, à condition d’en informer au préalable le Gouvernement britannique et de lui donner la possibilité d’en discuter.

Un nouvel accord anglo-allemand fut conclu en 1937 aux termes duquel les deux puissances s’engageaient à se communiquer les détails complets de leur programme de construction navale, au moins quatre mois avant de passer à son exécution.

Il a été démontré que ces clauses ne furent pas observées par l’Allemagne.

En ce qui concerne les navires de ligne, par exemple, les chiffres du tonnage furent falsifiés et diminués de 20% ; quant aux sous-marins, les historiographes de la Marine, allemande, Assmann et Gladisch, écrivirent à leur sujet :

« Il est probable que c’est précisément dans le domaine de la construction de sous-marins que l’Allemagne observa le moins les restrictions du Traité anglo-allemand ».

On aperçoit toute l’importance de ces violations de l’accord, lorsque l’on considère les motifs de ce réarmement. Au cours de l’année 1940, en effet, Raeder écrivait :

« Jusqu’au dernier moment, le Führer espérait être à même de reculer jusqu’en 1944-1945 la date du conflit anglo-allemand qui menaçait. A cette époque, la Marine aurait disposé d’une puissante supériorité en sous-marins et d’un rapport de force beaucoup plus favorable en ce qui concerne tous les autres types de navires, en particulier ceux destinés à la guerre en haute mer ».

Le 21 mai 1935, le Gouvernement nazi affirma son intention de respecter les clauses territoriales du Traité de Versailles. Le 6 mars 1936, en violation de ce traité, la zone démilitarisée de Rhénanie était envahie par les troupes allemandes. En annonçant cet événement au Reichstag, Hitler s’efforça de justifier cette réoccupation en arguant des alliances récemment conclues par l’Union Soviétique, avec la Tchécoslovaquie d’une part, et la France d’autre part. Il essaya aussi de prévenir la réaction hostile qu’il attendait à la suite de cette violation, en déclarant :

« Nous n’avons pas de revendications territoriales à faire valoir en Europe ».

LE PLAN CONCERTÉ OU COMPLOT ET LA GUERRE D’AGRESSION.

Le Tribunal examinera dans ce chapitre les crimes contre la Paix vises par l’Acte d’accusation. L’inculpation formulée dans le premier chef de cet Acte est celle de complot ou de plan concerté en vue de commettre des crimes contre la Paix. L’inculpation formulée dans le deuxième chef est celle de crimes contre la Paix consistant en la préparation, le déclenchement et la poursuite de guerres d’agression. Il y a lieu de réunir la question de l’existence d’un plan concerté avec celle des guerres d’agression, et de traiter dans la partie finale du jugement la question de la responsabilité particulière de chaque accusé.

L’inculpation selon laquelle les accusés auraient préparé et poursuivi des guerres d’agression est capitale. La guerre est un mal dont les conséquences ne se limitent pas aux seuls États belligérants, mais affectent le monde tout entier.

Déclencher une guerre d’agression n’est donc pas seulement un crime d’ordre international ; c’est le crime international suprême, ne différant des autres crimes de guerre que du fait qu’il les contient tous.

Les premiers actes agressifs que mentionne l’Acte d’accusation sont l’invasion de l’Autriche et celle de la Tchécoslovaquie, et la première guerre d’agression visée est la guerre contre la Pologne, commencée le 1er septembre 1939.

Avant d’examiner cette accusation, il est nécessaire de se reporter aux événements qui ont précédé les agressions. La guerre germano-polonaise n’a pas éclaté soudainement dans un ciel sans nuages. Il a été prouvé clairement que cette guerre, de même que l’invasion de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie, avait été préméditée et soigneusement préparée. Elle a été entreprise au moment jugé opportun et comme conséquence d’un plan préétabli.

En effet, les desseins agressifs du Gouvernement nazi ne sont pas nés de la situation politique existant à ce moment-là en Europe et dans le monde ; ils constituaient une partie essentielle et délibérément arrêtée de la politique extérieure nazie.

Dès le début, le mouvement national-socialiste prétendit que son but était d’unir le peuple allemand sous la conduite du Führer en lui donnant conscience de sa mission et de son destin fondés sur les qualités propres de la race.

Pour atteindre ce but, deux entreprises furent estimées primordiales : la dislocation de l’ordre européen tel qu’il existait depuis le Traité de Versailles et la création d’une Grande Allemagne débordant des frontières de 1914, ce qui impliquait nécessairement la conquête de territoires étrangers.

Dans ces conditions, la guerre fut considérée comme inévitable ou tout au moins probable. Il fallait donc organiser le peuple allemand avec toutes ses ressources, comme une grande armée de caractère politique et militaire, entraînée à obéir sans discussion aux ordres de l’État.

LA PRÉPARATION DE L’AGRESSION.

Dans son livre Mein Kampf, Hitler avait exprimé clairement ses intentions. Il faut se souvenir que cet ouvrage n’était pas un simple journal privé reflétant les pensées secrètes de Hitler. Il fut répandu dans tout le pays, utilisé dans les écoles et dans les universités, parmi les Jeunesses hitlériennes, les SS et les SA, et le peuple allemand en général ; un exemplaire en était même officiellement offert aux nouveaux mariés. Au cours de l’année 1945 le tirage de ce livre se monta à six millions et demi d’exemplaires. Ainsi qu’on le sait, Hitler affirmait sans cesse sa croyance en la nécessité d’employer la force pour résoudre les problèmes internationaux. Il écrivait notamment :

« Le sol sur lequel nous vivons à présent n’a pas été un cadeau accordé par le Ciel à nos aïeux. Ils ont dû le conquérir au péril de leur vie. De même, à l’avenir, notre peuple n’obtiendra pas de territoires, et par là de moyens d’existence, à titre de faveur consentie par un autre peuple, mais il devra les conquérir à la pointe d’une épée triomphante. »

Mein Kampf est rempli de passages semblables et la force comme instrument de politique étrangère y est exaltée.

Les objectifs précis de cette politique sont nettement soulignés. On y lit dès la première page « qu’un Empire austro-allemand doit être reconstitué et doit devenir la grande Patrie germanique », non pour des raisons économiques, mais parce que « des peuples de même sang doivent être dans le même Reich ».

La restauration des frontières allemandes de 1914 est considérée comme absolument insuffisante et l’Allemagne, si elle veut exister, doit reprendre sa place de puissance mondiale ayant l’étendue territoriale qui lui est nécessaire.

Mein Kampf est tout à fait explicite quand il précise où des territoires nouveaux devront être trouvés :

« Nous avons donc, nous, nationaux-socialistes, répudié à dessein l’attitude adoptée par l’Allemagne d’avant-guerre en matière de politique étrangère. Nous avons mis fin à la marche perpétuelle du germanisme vers le Sud et l’Ouest de l’Europe, et avons tourné les yeux vers les terres de l’Est. Nous avons mis un terme à la politique coloniale et commerciale d’avant-guerre et nous sommes passés à une politique territoriale de l’avenir.

« Mais quand nous parlons aujourd’hui de territoires nouveaux en Europe, nous devons penser principalement à la Russie et aux États limitrophes qui lui sont soumis. »

Mein Kampf ne doit être considéré ni comme un exercice de style, ni comme l’expression définitive d’une politique ; son importance réside surtout dans l’attitude agressive que révèlent ses pages.

L’ÉTABLISSEMENT DES PLANS D’AGRESSION.

Certains des documents saisis montrent que Hitler a tenu quatre réunions secrètes qui éclairent d’une vive lumière la question du plan concerté et celle des guerres d’agression.

Au cours de ces réunions, qui eurent lieu respectivement les 5 novembre 1937, 23 mai 1939, 22 août 1939 et 23 novembre 1939, Hitler fit d’importantes déclarations qui ne laissent aucun doute sur les buts qu’il poursuivait.

Ces documents ont fait l’objet de quelques critiques de la part de la Défense. Celle-ci, en effet, sans contester leur authenticité intrinsèque, à prétendu par exemple qu’ils ne correspondaient pas aux procès-verbaux sténographiés des discours dont ils font état, que d’une part en particulier le document relatif à la réunion du 5 novembre 1937 porte une date postérieure de cinq jours à celle où la réunion eut effectivement lieu, et que d’autre part les dieux documents se rapportant à la réunion du 22 août 1939 sont différents l’un de l’autre et ne sont pas signés.

Le Tribunal, tout en admettant le principe de ces critiques, estime néanmoins que les documents dont il s’agit ont une importance capitale et que leur authenticité et leur véracité sont pleinement établies. En effet, il est incontestable que ce sont des comptes rendus scrupuleux des événements qu’ils décrivent et ils ont été conservés comme tels dans les archives du Gouvernement allemand où ils se trouvaient quand ils furent saisis. Rien ne permet de les écarter comme constituant des faux ou comme contenant des inexactitudes ou des altérations ; ils relatent des événements qui se sont effectivement déroulés.

CONFÉRENCES DES 5 NOVEMBRE 1937 ET 23 NOVEMBRE 1939.

Il est peut-être préférable de traiter tout d’abord de la réunion du 23 novembre 1939, où Hitler réunit ses commandants en chef. Un procès-verbal des paroles prononcées fut dressé par un des assistants. A cette date, l’Autriche et la Tchécoslovaquie avaient été incorporées dans le Reich allemand, la Pologne avait été conquise et la guerre avec la Grande-Bretagne et la France en était encore à une phase d’immobilité. Le moment était bien choisi pour passer en revue les événements antérieurs. Hitler annonça à ses généraux que le but de la conférence était de leur faire connaître sa pensée et ses décisions. Il rappela ensuite l’activité politique qui avait été la sienne depuis 1919, et évoqua le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations, son attitude à l’égard de la Conférence du Désarmement, la décision de réarmer, l’institution du service militaire obligatoire, l’occupation de la Rhénanie, l’annexion de l’Autriche et l’opération entreprise contre la Tchécoslovaquie. Il déclara :

« Une année après, ce fut le tour de l’Autriche ; ce premier pas paraissait aléatoire. Il amena pourtant un renforcement considérable de la puissance allemande. L’étape suivante fut la Bohême, la Moravie et la Pologne. On ne pouvait accomplir tout cela en une seule campagne. Il fallait terminer d’abord les fortifications occidentales. Il n’était pas possible d’atteindre le but proposé d’un seul coup ; il m’apparut clairement, dès le début, que je ne pouvais pas me contenter du territoire allemand des Sudètes. Ce n’était qu’une solution partielle. La décision fut alors prise d’entrer en Bohême. La création du Protectorat s’ensuivit et avec elle fut jetée une base d’opérations contre la Pologne, mais je ne voyais pas encore clairement à ce moment-là si je commencerais par l’Est pour continuer à l’Ouest, ou inversement... Jamais je n’ai organisé l’Armée pour qu’elle reste sur la défensive. La décision d’attaquer fut toujours en moi. Je voulais tôt ou tard résoudre ce problème et, pressé par les événements, j’ai décidé que l’Est serait attaqué en premier. »

Ce discours concernant les événements passés et affirmant une fois de plus que la volonté d’agression existait dès l’origine, supprime tout doute possible quant au caractère des opérations entreprises contre l’Autriche et contre la Tchécoslovaquie et de la guerre faite à la Pologne.

Ces agressions furent en effet exécutées selon un plan qu’il y a lieu maintenant d’examiner de plus près.

Lors de la réunion du 23 novembre 1939, dont il vient d’être question, c’est le passé que Hitler considérait ; mais lors des conférences antérieures dont nous allons maintenant traiter, ils se tournait vers l’avenir et révélait ses plans à son entourage. La comparaison est pleine d’enseignements.

Le lieutenant-colonel Hossbach, officier d’ordonnance personnel de Hitler, assistait à la réunion qui fut tenue à la Chancellerie du Reich à Berlin, le 5 novembre 1937 ; il rédigea à ce sujet une longue note qu’il data du 10 novembre 1937, et qu’il signa.

Étaient présents : Hitler, les accusés Göring, von Neurath et Raeder, respectivement en tant que Reichsmarschall, ministre du Reich pour les Affaires étrangères et Commandant en chef de la Marine, le général von Blomberg, ministre de la Guerre et le général von Fritsch, Commandant en chef de l’Armée.

Hitler commença par dire que le sujet de la conférence était d’une telle importance que, dans d’autres pays, il aurait été traité en Conseil de Cabinet. Il continua en déclarant que son discours avait pour objet d’exposer le résultat de ses réflexions approfondies et de l’expérience qu’il avait acquise pendant plus de quatre années passées au Gouvernement. Il demanda que les déclarations qu’il allait faire fussent considérées, s’il mourait, comme ses dernières volontés et son testament. Le thème principal du discours était le problème de l’espace vital et Hitler ne discuta de diverses solutions possibles que pour les écarter. Il en conclut qu’il était nécessaire de conquérir de « l’espace vital » dans le continent européen et s’exprima en ces termes :

« La question qui se pose n’est pas de se rendre maître de populations, mais de s’emparer de terrains utilisables pour l’agriculture. Notre but serait aussi de chercher en Europe et dans les pays limitrophes de l’Allemagne, plutôt qu’au delà des mers, des territoires riches en matières premières, et cet objectif devrait être atteint en une ou deux générations... L’Histoire de tous les temps — empire romain, empire britannique — a prouvé que toute expansion territoriale doit être effectuée en brisant une résistance et en courant des risques. On ne peut même éviter certains échecs ; pas plus autrefois qu’aujourd’hui, il n’a été possible de s’approprier de l’espace sans l’enlever à son possesseur auquel celui qui attaque se heurte toujours. »

Il termina par la remarque suivante :

« La question qui se pose pour l’Allemagne est de savoir où la plus grande conquête pourrait être acquise au prix le plus bas. »

Rien ne pourrait indiquer plus clairement les intentions belliqueuses qu’avait Hitler, et les événements qui suivirent montrent la réalité de ses desseins. Il est impossible d’admettre, comme on l’a prétendu, qu’en fait il ne voulait pas la guerre ; en effet, après avoir remarqué que l’Allemagne pouvait s’attendre à l’opposition de l’Angleterre et de la France, et après avoir analysé les forces et les faiblesses de ces nations, il continua en ces termes :

« Le problème allemand ne peut être résolu que par la force, et ceci n’est jamais sans risque... Si les considérations qui vont suivre demeurent inspirées principalement par notre décision d’utiliser la force avec les risques que cela comporte, alors il ne nous reste plus qu’à répondre aux questions « quand » et « où ».

A cet égard, il nous faut choisir entre trois éventualités différentes. »

La première de ces trois éventualités, telle que Hitler la présenta, était une situation internationale hypothétique dans laquelle il agirait au plus tard entre 1943 et 1945 :

« Si le Führer vit encore, dit-il, alors sa décision irrévocable sera de donner une solution au problème de l’espace allemand, au plus tard entre 1943 et 1945. On verra dans les éventualités 2 et 3 les conditions dans lesquelles il serait nécessaire d’agir avant 1943 et 1945. »

La seconde et la troisième éventualité que Hitler envisagea montrent l’intention arrêtée de s’emparer de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie. A ce sujet, il s’exprima ainsi :

« Pour l’amélioration de notre situation militaire et politique, notre premier objectif, au cas où nous serions entraînés à la guerre, doit être de conquérir la Tchécoslovaquie et l’Autriche simultanément, pour supprimer toute menace venant de flanc, si jamais nous avancions vers l’Ouest. »

Il ajouta :

« L’annexion de ces deux États à l’Allemagne nous soulagerait considérablement du point de vue militaire comme du point de vue politique, étant donné qu’elle nous donnerait des frontières plus courtes et meilleures, qu’elle libérerait des combattants qu’on pourrait employer à d’autres fins, et qu’elle nous permettrait de reconstituer de nouvelles armées qui pourraient se monter à une force d’environ douze divisions. »

Cette décision de s’emparer de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie fut pesée dans ses moindres détails ; l’opération devait être entreprise dès qu’une occasion favorable se présenterait.

La force militaire que l’Allemagne avait mise sur pied depuis 1933 allait maintenant être dirigée contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie.

L’accusé Göring a déclaré qu’il ne croyait pas à cette époque que Hitler pensât vraiment attaquer l’Autriche et la Tchécoslovaquie et que la conférence avait seulement pour objet d’exercer une pression sur von Fritsch pour hâter le réarmement.

L’accusé Raeder a déclaré que ni lui-même, ni von Fritsch, ni von Blomberg, ne croyaient que Hitler voulait vraiment la guerre, et Raeder prétend qu’il en demeura persuadé jusqu’au 22 août 1939. Cette conviction était fondée sur l’espoir que Hitler parviendrait à une « solution politique » du problème allemand. Mais tout cela signifie, quand on y regarde de plus près, que la position de l’Allemagne était jugée si forte et s’a puissance militaire si écrasante que les territoires convoités pourraient être acquis sans combat. On doit aussi se rappeler que les intentions manifestées par Hitler à l’égard de l’Autriche furent en fait réalisées quatre mois après la conférence, que, moins d’un an après, la première partie de la Tchécoslovaquie fut conquise et que la Bohême et la Moravie le furent à leur tour quelques mois plus tard. Si, en novembre 1937, quelques doutes demeuraient encore dans l’esprit de ses auditeurs, il ne pouvait plus en subsister après le mois de mars 1939 quant à la volonté arrêtée de Hitler de recourir à la guerre. Le Tribunal estime que la réunion dont il s’agit a été fidèlement relatée par le lieutenant-colonel Hossbach et que ceux qui y étaient présents ont su parfaitement que l’Autriche et la Tchécoslovaquie seraient annexées par l’Allemagne à la première occasion.

LE PRESIDENT

L’audience est suspendue pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Je prie maintenant M. Donnedieu de Vabres de bien vouloir poursuivre cette lecture.

M. LE PROFESSEUR HENRY DONNEDIEU DE VABRES (juge français)

L’ANNEXION DE L’AUTRICHE.

L’invasion de l’Autriche ne fut qu’un premier pas dans l’exécution du plan général d’agression. Elle eut pour résultat l’affermissement des frontières allemandes et l’affaiblissement de celles de la Tchécoslovaquie. Une première étape était ainsi franchie dans l’acquisition du « Lebensraum » ; de nouvelles et nombreuses divisions de combattants entraînés étaient acquises et, par la saisie des réserves de devises étrangères, la réalisation du programme de réarmement allait se trouver grandement facilitée.

Le 21 mai 1935, Hitler annonça au Reichstag que l’Allemagne ne se proposait pas d’attaquer l’Autriche ou même de s’immiscer dans sa politique intérieure. Le 1er mai 1936 il proclama publiquement ses intentions pacifiques tant à l’égard de l’Autriche que de la Tchécoslovaquie ; le 11 juillet 1936, il reconnut encore, par un traité, la souveraineté de l’Autriche dont l’Allemagne s’empara finalement au cours du mois de mars 1938. Longtemps avant cette date, les nationaux-socialistes d’Allemagne et d’Autriche avaient coopéré en vue de la réunion de cette dernière au Reich^ allemand. Le putsch du 25 juillet 1934, qui entraîna l’assassinat du Chancelier Dollfuss, tendait déjà à ce résultat ; mais le putsch échoua et fut suivi de la mise hors la loi en Autriche du parti national-socialiste.

Le 11 juillet 1936 fut conclu entre les deux pays un accord dont l’article premier stipulait :

« Le Gouvernement allemand reconnaît, dans l’esprit des déclarations que le Führer Chancelier a faites le 21 mai 1935, la souveraineté de l’État fédéral d’Autriche. »

L’article 2 était rédigé comme suit :

« Chacun des deux Gouvernements considère l’ordre politique intérieur (y compris la question du national-socialisme autrichien), tel qu’il existe dans l’autre pays, comme une question relevant de la souveraineté dudit pays, sur laquelle il ne cherchera ni directement ni indirectement à exercer une influence. »

Le mouvement national-socialiste en Autriche poursuivit cependant en secret son activité illégale : les nationaux-socialistes d’Allemagne apportèrent au parti nazi autrichien leur aide et les « incidents » qui en résultèrent leur servirent de prétexte pour se mêler aux affaires autrichiennes. Après la conférence du 5 novembre 1937, ces « incidents » se multiplièrent Les relations se tendirent peu à peu entre les deux pays et le Chancelier d’Autriche Schuschnigg fut incité, notamment par l’accusé von Papen, à avoir une entrevue avec Hitler. Cette entrevue eut lieu à Berchtesgaden le 12 février 1938. L’accusé Keitel y assistait et Hitler menaça Schuschnigg d’envahir immédiatement l’Autriche. Schuschnigg accepta d’accorder l’amnistie politique à différents nazis condamnés pour leur activité et de nommer Seyss-Inquart au ministère de l’Intérieur et de la Sûreté avec droit de contrôle sur la Police. Le 9 mars 1938, essayant de sauvegarder la souveraineté de son pays, Schuschnigg décida qu’un plébiscite aurait lieu sur la question de l’indépendance autrichienne. Ce plébiscite fut fixé au 13 mars 1938. Deux jours plus tard, Hitler envoyait à Schuschnigg un ultimatum lui enjoignant d’ajourner ce plébiscite. Le 11 mars 1938, Göring présenta au Gouvernement autrichien une série d’exigences en appuyant chacune d’elles de la menace d’une invasion. Après que le Chancelier autrichien eut accepté l’ajournement du plébiscite, on exigea encore de lui qu’il démissionnât, en nommant à sa place Seyss-Inquart. En conséquence, Schuschnigg démissionna et le Président Miklas, après avoir d’abord refusé, consentit finalement à la désignation de Seyss-Inquart comme Chancelier.

Dans l’intervalle, Hitler avait donné l’ordre aux troupes allemandes de franchir la frontière à l’aube du 12 mars et avait enjoint à Seyss-Inquart d’utiliser les formations nationales-socialistes autrichiennes pour renverser Miklas et s’emparer du pouvoir. Après que les troupes allemandes eurent reçu l’ordre d’avancer, Göring téléphona à l’ambassade d’Allemagne à Vienne et dicta le télégramme que Seyss-Inquart devait envoyer à Hitler pour justifier l’opération militaire en cours. Ce télégramme était ainsi conçu :

« Le Gouvernement provisoire autrichien qui, après la démission du Gouvernement Schuschnigg, considère de son devoir d’établir la paix et l’ordre dans le pays, demande instamment au Gouvernement allemand de l’appuyer dans sa tâche et de l’aider à éviter une effusion de sang. A cette fin, il demande au Gouvernement allemand d’envoyer des troupes allemandes aussitôt que possible. »

Keppler, fonctionnaire de l’ambassade d’Allemagne, répondit :

« Les SA et les SS locaux défilent dans les rues, mais tout est calme. »

Après une discussion prolongée, Göring déclara :

« Veuillez montrer à Seyss-Inquart le texte du télégramme, et lui dire que nous lui demandons de nous l’envoyer. Au fond, il n’a même pas besoin de le faire. Tout ce qui est nécessaire, c’est qu’il dise : D’accord. »

Seyss-Inquart n’envoya jamais le télégramme, et il ne télégraphia même jamais : « D’accord ».

Il semble que dès qu’il fut nommé Chancelier, peu après 22 heures, il ait téléphoné à Keppler et l’ait chargé de transmettre à Hitler ses protestations contre l’occupation. Ce procédé indigna Göring parce que, dit-il, « cela troublerait le repos du Führer qui voulait se rendre en Autriche le lendemain ». A 23 h. 15, un fonctionnaire du ministère de la Propagande de Berlin téléphona à l’Ambassade à Vienne et Keppler lui répondit : « Dites au Generalfeldmarschall que Seyss-Inquart est d’accord. »

Le 12 mars 1938, à l’aube, les troupes allemandes entrèrent en Autriche et ne rencontrèrent aucune résistance. La presse allemande annonça que Seyss-Inquart avait été désigné comme successeur de Schuschnigg et cita, bien qu’il n’eût jamais été envoyé, le texte du télégramme proposé par Göring, pour montrer que Seyss-Inquart avait requis la présence des troupes allemandes dans la crainte de troubles. Le 13 mars 1938, fut promulguée une loi consacrant la réunion de l’Autriche au Reich allemand. Seyss-Inquart ayant demandé au Président Miklas de signer cette loi, celui-ci refusa et donna sa démission. Seyss-Inquart le fit à sa place au nom de l’Autriche et cette loi entra dans la législation du Reich par un décret du Cabinet publié le même jour, et signé par Hitler, Göring, Frick, von Ribbentrop et Hess.

On a soutenu devant le Tribunal que l’annexion de l’Autriche était justifiée par le profond désir exprimé dans de nombreux milieux d’une union de l’Autriche et de l’Allemagne ; que les deux peuples avaient beaucoup d’intérêts communs qui rendaient cette union souhaitable ; et enfin que ce but fut atteint sans effusion de sang.

Même si ces assertions sont exactes, les faits ne démontrent pas moins que les méthodes employées pour atteindre le but furent celles d’un agresseur. La Force armée allemande prête à entrer en jeu à la moindre résistance avait constitué le facteur décisif. Bien plus, il ne semble pas, d’après le compte rendu fait par Hossbach de la réunion du 5 novembre 1937, qu’aucune des considérations mises en avant ait été le mobile essentiel de l’action de Hitler, car on insista surtout à cette conférence sur le profit que devait tirer de cette annexion la puissance militaire de l’Allemagne.

L’OCCUPATION DE LA TCHÉCOSLOVAQUIE.

La conférence du 5 novembre 1937 montre clairement que l’occupation de la Tchécoslovaquie avait été décidée à l’avance, mais qu’il restait à choisir le moment le plus favorable à cette entreprise. Le 4 mars 1938, von Ribbentrop fit part à Keitel d’une proposition qui lui avait été faite par l’ambassadeur de Hongrie à Berlin, et qui tendait à faire étudier par les armées allemande et hongroise l’hypothèse d’une guerre éventuelle contre la Tchécoslovaquie.

Von Ribbentrop lui écrivit à cette occasion :

« J’ai des craintes quant à ces négociations. Au cas où nous devrions discuter avec la Hongrie l’hypothèse d’une guerre contre la Tchécoslovaquie, il serait à redouter que d’autres ne soient mis au courant. »

Le 11 mars 1938, Göring fit à M. Mastny, ministre de Tchécoslovaquie à Berlin, deux déclarations distinctes, l’assurant de ce que les événements actuels d’Autriche n’auraient aucune influence préjudiciable aux relations existant entre le Reich allemand et la Tchécoslovaquie, et il souligna l’effort continu et sincère fait par les Allemands pour améliorer ces relations. Le 12 mars, Göring demanda à M. Mastny de lui rendre visite et réitéra ces assurances.

Le procédé consistant à rassurer la Tchécoslovaquie pendant que s’opérait l’annexion de l’Autriche était une manœuvre caractéristique de l’accusé Göring II devait la renouveler par la suite à propos de la Pologne que tous ses efforts tendirent à isoler à la veille du conflit. A la même date du 12 mars, l’accusé von Neurath s’entretint avec M. Mastny et l’assura, au nom de Hitler, de ce que l’Allemagne se considérait toujours comme liée par la Convention d’arbitrage germano-tchèque conclue à Locarno en octobre 1925.

Il est prouvé qu’après l’occupation de l’Autriche par l’armée allemande, le 12 mars, et son annexion le 13, Conrad Henlein, alors chef du parti allemand ! des Sudètes en Tchécoslovaquie, eut une entrevue avec Hitler à Berlin le 28 du même mois. Le lendemain, dans la même ville, lors d’une conférence à laquelle assistaient von Ribbentrop et Henlein, la situation générale fut discutée et l’accusé Jodl nota plus tard dans son journal :

« Après l’annexion de l’Autriche, le Führer estime qu’il n’est pas urgent de résoudre la question tchèque car il faut d,’abord digérer l’Autriche. Il faudra néanmoins que les préparatifs du « Cas Vert » (c’est-à-dire le plan contre la Tchécoslovaquie) soient faits énergiquement ; il faudra les refaire d’après un plan nouveau fondé sur le changement de la position stratégique dû à l’annexion de l’Autriche. »

Le 21 avril 1938 eut lieu entre Hitler et Keitel, au sujet du « Cas Vert », un échange de vues d’où il résulte clairement que les préparatifs d’attaque contre la Tchécoslovaquie étaient sérieusement mis à l’étude. Le 28 mai 1938, Hitler ordonna de préparer pour la date approximative du 2 octobre, une action militaire contre la Tchécoslovaquie, dont le projet d’invasion fut dès lors constamment à l’étude Le 30 mai 1938, une ordonnance signée de Hitler exprima sa « décision irrévocable d’écraser militairement la Tchécoslovaquie dans un proche avenir ».

En juin 1938, comme le montre un document saisi dans les dossiers du SD à Berlin, un projet détaillé de l’emploi de ces formations en Tchécoslovaquie avait été préparé. Ce projet prévoyait que le « SD devait suivre, si possible immédiatement, les troupes ’d’avant -garde, et se charger des mêmes tâches qu’en Allemagne... ».

Des fonctionnaires de la Gestapo furent désignés pour coopérer avec le SD. Des agents spéciaux devaient être entraînés à la lutte contre le sabotage et prévenus « à temps avant l’attaque... afin de pouvoir se cacher et éviter arrestations et déportations... ».

« Il faut s’attendre, au début, à des guérillas et des combats de partisans ; c’est pourquoi il nous faut des armes. »

Des dossiers de renseignements devaient être établis et porter des mentions telles que : « A arrêter », « A liquider », « A confisquer », « A priver de passeport », etc.

Le plan prévoyait la division provisoire du pays en unités territoriales d’étendues diverses et prenait en considération différentes « propositions » concernant l’incorporation des districts de la Tchécoslovaquie et de leurs habitants au Reich allemand. La « proposition finale » portait sur le pays tout entier, y compris la Slovaquie et la Russie Subcarpathique, et une population de presque quinze millions d’habitants.

Ce plan fut quelque peu modifié en septembre, après la Conférence de Munich, mais son existence seule et sa rédaction en termes agressifs indiquaient l’intention bien arrêtée d’avoir recours à la force.

Le 31 août 1938, Hitler approuva un mémoire de Jodl en date du 24 août, concernant la date d’invasion de la Tchécoslovaquie et la question des mesures défensives. Ce mémorandum contenait notamment la phrase suivante :

« Le « Cas Vert » sera déclenché au moyen d’un « incident » en Tchécoslovaquie qui permettra à l’Allemagne de prétexter une provocation pour justifier son intervention militaire ; la fixation du moment précis où cet incident sera créé est de la plus grande importance. »

Ces faits démontrent que l’occupation de la Tchécoslovaquie avait été minutieusement préparée bien avant la Conférence de Munich.

Les conférences et les entretiens avec les chefs militaires continuèrent en septembre 1938. En raison du caractère critique de la situation, le Premier britannique, M. Chamberlain, se rendit à Munich par avion, puis alla voir Hitler à Berchtesgaden. Le 22 septembre, il le rencontra à Bad Godesberg et eut avec lui de nouvelles entrevues. Le 26 septembre 1938, dans un discours prononcé à Berlin, Hitler déclara au sujet de ces conversations :

« Je lui ai donné l’assurance, que je réitère ici, qu’une fois ce problème résolu il ne se posera plus, pour l’Allemagne, de questions territoriales en Europe ; je lui ai donné aussi l’assurance que, à partir du moment où la Tchécoslovaquie aura trouvé une solution aux autres difficultés qu’elle rencontre — c’est-à-dire lorsque les Tchèques auront trouvé un arrangement pacifique et ne comportant pas l’oppression d’autres minorités — je ne m’occuperai plus de l’État tchèque et que, en ce qui me concerne, je lui en donnerai ma garantie. Nous ne voulons pas de Tchèques. »

Le 29 septembre 1938 à la suite d’une conférence entre Hitler Mussolini et les Premiers Ministres britannique et français, les accords de Munich qui demandaient à la Tchécoslovaquie de consentir à céder le territoire des Sudètes à l’Allemagne, furent signés. Le « chiffon de papier », que le Premier Ministre britannique rapporta à Londres et qui portait sa signature ainsi que celle de Hitler, exprimait l’espoir que l’Angleterre et l’Allemagne pourraient vivre, à l’avenir, sans faire la guerre. Le fait que, peu après, Hitler se renseigna auprès de Keitel sur la force militaire que ce dernier estimait nécessaire pour briser toute résistance tchèque en Bohême-Moravie, montre qu’il n’avait jamais eu l’intention de respecter l’Accord de Munich. Keitel lui envoya son avis le 11 octobre 1938 et, dix jours après, Hitler assigna à l’Armée ses tâches futures. L’une de ces directives contenait la phrase suivante :

« Il faut que nous ayons la possibilité d’écraser à tout moment le reste de la Tchécoslovaquie, si sa politique devenait hostile à l’Allemagne. »

Il est inutile de revenir en détail sur les événements caractéristiques des mois suivants. Le 14 mars 1939, le Président tchèque Hacha et son ministre des Affaires étrangères, Chvaikovsky, se rendirent à Berlin sur la demande de Hitler et assistèrent à une réunion à laquelle prirent part, entre autres, von Ribbentrop, Göring et Keitel. On proposa à Hacha de consentir par un accord à l’incorporation immédiate de la population tchèque dans celle du Reich allemand et de sauver ainsi la Bohême-Moravie de la destruction. Il fut informé de l’ordre que les troupes allemandes avaient déjà reçu de se mettre en route et de briser toute résistance par la force. Göring menaça en outre de bombarder la ville de Prague et de la détruire entièrement. Devant cette cruelle alternative, Hacha et son ministre des Affaires étrangères, à 4 h. 30 du matin, signèrent l’accord qu’on exigeait d’eux ; Hitler et Ribbentrop le signèrent pour l’Allemagne.

Le 15 mars, les troupes allemandes occupèrent la Bohème-Moravie et, le 16 mars, le pays fut incorporé du Reich en tant que protectorat par un décret au bas duquel von Ribbentrop et Frick apposèrent leur signature.

L’AGRESSION CONTRE LA POLOGNE.

En mars 1939, le projet d’annexion de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie, que Hitler avait exposé lors de la conférence du 5 novembre 1937, se trouvait réalisé. Le moment semblait propice aux dirigeants allemands pour envisager de nouvelles agressions que le succès des précédentes rendait plus faciles à accomplir.

Le 23 mai 1939, au cours d’une conférence qui se déroula à la nouvelle Chancellerie du Reich à Berlin, dans le bureau die Hitler, celui-ci annonça qu’il avait décidé d’attaquer la Pologne et envisagé l’effet que pourrait produire sur d’autres pays cette décision dont il expliqua les raisons. Cette importante conférence fut la deuxième de celles dont nous avons déjà parlé, mais afin de souligner la gravité des paroles prononcées et des actes qui les suivirent, il est nécessaire de rappeler brièvement -quelques-uns des principaux événements qui marquèrent l’histoire des relations germano-polonaises.

Une convention d’arbitrage avait été conclue en 1925 à Locarno entre l’Allemagne et la Pologne. Elle prévoyait le règlement de tous les différends pouvant surgir entre les deux pays. Le 26 janvier 1934, un traité de non-agression germano-polonais fut signé par l’accusé von Neurath au nom du Gouvernement allemand. Le 30 janvier 1934 et le 30 janvier 1937, Hitler, dans deux discours, exprima devant le Reichstag le point de vue selon lequel la Pologne et l’Allemagne pouvaient travailler de concert, dans le calme et la paix. Le 20 février 1933, Hitler, au cours d’un troisième discours déclara :

« Ainsi, on a réussi à ouvrir la voie à une entente amiable, qui, commençant à Dantzig, a abouti aujourd’hui, malgré les tentatives de certains fauteurs de troubles, à extraire des relations entre l’Allemagne et la Pologne le poison qui les viciait et à fusionner en une coopération sincère et cordiale ces relations. Confiante en ses amitiés, l’Allemagne fera tout pour sauver cet idéal qui constitue le fondement de son devoir futur : la Paix. »

Le 26 septembre 1938, au plus fort de la crise provoquée par la question des Sudètes, Hitler, dans le discours de Berlin dont il a déjà été question, affirma au Premier ministre britannique qu’il ne se poserait plus pour l’Allemagne de problèmes territoriaux en Europe lorsque la question tchécoslovaque aurait été résolue. Néanmoins, le 24 novembre suivant, l’OKW ordonna aux Forces armées allemandes de se préparer à attaquer Dantzig par des directives où on lisait notamment :

« Le Führer a ordonné que :

« Il faut également faire des préparatifs pour permettre aux troupes allemandes d’occuper par surprise l’État libre de Dantzig. »

En dépit de ces instructions formelles relatives à l’occupation de cette ville, Hitler déclara le 30 janvier 1939 à la tribune du Reichstag :

« Au cours des mois troubles de l’année dernière, l’amitié de l’Allemagne et de la Pologne a été l’un des facteurs qui ont ramené la confiance dans la vie politique de l’Europe. »

Cinq jours auparavant, le 25 janvier 1939, von Ribbentrop avait affirmé dans un discours prononcé à Varsovie :

« La Pologne et l’Allemagne peuvent envisager l’avenir avec une confiance entière sur la basse solide de leurs relations réciproques. »

A la suite de l’occupation de la Bohême-Moravie par l’Allemagne, le 15 mars, occupation qui constituait une violation flagrante de l’Accord de Munich, la Grande-Bretagne, le 31 mars 1939, donna l’assurance à la Pologne qu’au cas où son indépendance serait menacée et où le Gouvernement polonais estimerait devoir faire appel à l’armée nationale pour résister, la Grande-Bretagne se considérerait comme immédiatement tenue de prêter à la Pologne toute l’aide possible. Le Gouvernement français adopta la même position. La Défense invoqua souvent à ce sujet l’argument d’après lequel les accusés avaient pu croire jusqu’ici que leur manière d’agir n’était pas contraire au Droit international par suite de l’assentiment qui leur était donné par les autres puissances. Mais les déclarations faites le 31 mars 1939 par la Grande-Bretagne et par la France montraient, tout au moins à partir de ce moment, que cette idée devait être abandonnée.

Le 3 avril 1939, les Forces armées allemandes reçurent de l’OKW un ordre qui, après avoir traité de la question de Dantzig, envisageait le « Cas Blanc » (c’était le nom conventionnel donné au projet d’invasion de la Pologne), et stipulait :

« Le Führer a ajouté les instructions suivantes au « Cas Blanc » :

« 1. Les préparatifs doivent être effectués de telle sorte que l’opération puisse avoir lieu à n’importe quel moment, à partir du 1er septembre 1939.

« 2. Le Haut Commandement des Forces armées a reçu l’ordre d’établir un horaire précis pour le « Cas Blanc », et des accords qui assurent une action synchronisée des trois branches de l’Armée. »

Le 11 avril 1939, Hitler signa un nouvel ordre, dont l’une des annexes porte les mots suivants :

« Il serait bon d’éviter des querelles avec la Pologne, mais, au cas où elle adopterait une attitude menaçante à l’égard de l’Allemagne, il sera nécessaire de procéder à un règlement définitif, en dépit du pacte conclu avec le Gouvernement polonais. Dans cette hypothèse, il s’agira de détruire la force militaire de la Pologne et de créer dans l’Est une situation en rapport avec les exigences militaires L’État libre de Dantzig sera incorporé à l’Allemagne au plus tard lors de l’ouverture du conflit. Notre politique vise à limiter la guerre à la Pologne seule et ceci est considéré comme possible en raison de la crise intérieure existant en France et de la réserve britannique qui en résulte. »

Malgré le contenu de ces deux ordres, Hitler, dans un discours prononcé au Reichstag, le 28 avril 1939, décrivit la façon dont le Gouvernement polonais avait soi-disant repoussé son offre relative à Dantzig et au Corridor et ajouta :

« J’ai vivement déploré l’attitude incompréhensible du Gouvernement polonais, mais ceci n’est pas le seul fait décisif ; le pire est que la Pologne — comme la Tchécoslovaquie il y a un an — croit maintenant, sous la pression d’une longue campagne internationale, qu’elle doit mobiliser son armée, bien que l’Allemagne, pour sa part, n’ait pas appelé un seul homme et n’ait envisagé aucune espèce d’action contre la Pologne. C’est uniquement la presse internationale qui a prêté à l’Allemagne des intentions agressives. »

Ce fut quatre semaines après ce discours que Hitler tint, le 23 mai 1939, l’importante conférence militaire que le Tribunal à déjà mentionnée. Göring, Raeder et Keitel entre autres y prirent part. Le lieutenant-colonel Schmundt y assistait à titre d’officier d’ordonnance et il en a fait un compte rendu que sa signature authentifie.

Le but de cette conférence était de permettre à Hitler de communiquer aux commandants des Forces armées et à leurs états-majors ses opinions sur la situation politique et sur ses projets d’avenir. Il souligna qu’il était indispensable de garder le secret pour assurer la réalisation de ses desseins. Après avoir exposé la situation et passé en revue le cours des événements depuis 1933, il annonça qu’il avait décidé d’attaquer la Pologne. Il reconnut que cette agression ne résulterait pas du différend qui s’était élevé entre l’Allemagne et ce pays au sujet de Dantzig, mais de la nécessité d’agrandir l’espace vital de l’Allemagne et d’assurer son ravitaillement.

Il déclara :

« Il faut du courage pour résoudre cette question. Le principe est inadmissible selon lequel on évite de donner une solution à un problème sous prétexte de s’adapter aux circonstances. Ce sont les circonstances qui doivent se plier à nos buts. En l’espèce, rien n’est possible sans une invasion de pays étrangers, ou des attaques contre des biens étrangers. »

Il affirma plus loin :

« Il n’est pas question d’épargner la Pologne, et nous n’avons plus qu’à décider de l’attaquer à la première occasion propice. Nous ne pouvons pas compter sur une répétition de l’affaire tchèque. Ce sera la guerre. Il nous faut isoler la Pologne. La réalisation de cet isolement sera décisive... L’isolement de la Pologne est une affaire d’habileté politique. »

Le compte rendu du lieutenant-colonel Schmundt révèle que Hitler se rendait parfaitement compte de la possibilité d’une intervention de la Grande-Bretagne et de la France en faveur de la Pologne. Au cas où il ne réussirait pas à isoler ce pays, il estimait que l’Allemagne devrait d’abord attaquer la Grande-Bretagne et la France en portant en premier lieu ses efforts sur une guerre à l’Ouest, afin d’amener une rapide défaite de ces deux puissances, ou tout au moins de détruire leur potentiel de guerre. Hitler souligna cependant que la guerre contre la Grande-Bretagne et la France serait une lutte à mort, qui pourrait durer longtemps, et qu’il fallait s’y préparer en conséquence.

Au cours des semaines qui suivirent cette conférence, d’autres réunions eurent lieu et des ordres furent donnés pour la préparation de la guerre Von Ribbentrop fut envoyé à Moscou pour négocier un pacte de non-agression avec l’Union Soviétique.

Le 22 août 1939 se tint une importante réunion déjà mentionnée. Le Ministère Public a versé au dossier deux documents non signés qui paraissent en être des procès-verbaux faits par certains des auditeurs. Le premier est intitulé : « Discours de Hitler aux Commandants en chef, le 22 août 1939 ». Ce discours avait pour but d’annoncer la décision de faire immédiatement la guerre à la Pologne ; Hitler commença par ces mots :

« Il me paraissait évident que nous arriverions tôt ou tard à un conflit avec la Pologne. J’avais déjà au printemps accepté cette éventualité, mais je pensais me tourner contre l’Ouest dans quelques années, et seulement ensuite contre l’Est... Je voulais établir des relations acceptables avec la Pologne, afin de combattre d’abord contre l’Ouest. Mais ce plan, qui me convenait, n’a pas pu être réalisé, car des points fondamentaux ont changé. Il m’a paru évident que la Pologne nous attaquerait en cas d’un conflit avec l’Ouest. »

Hitler continua en expliquant pourquoi il pensait que le moment le plus favorable pour déclencher la guerre était arrivé. « La Pologne est maintenant, dit-il, dans la situation dans laquelle je voulais qu’elle fût... Je crains seulement qu’au dernier moment un « Schweinehund » quelconque ne fasse des propositions de médiation... Nous avons commencé à détruire l’hégémonie anglaise. »

Ce document a beaucoup d’analogie avec un autre document qui a été versé au dossier en faveur de Raeder et qui contient un résumé du discours en question, établi le jour même par l’amiral Böhm, d’après des notes qu’il avait prises au cours de la réunion. Il y est dit en substance que le moment de régler le désaccord avec la Pologne par une invasion militaire est arrivé, que, malgré la perspective d’un conflit inévitable à la longue entre l’Allemagne et l’Ouest, il est peu probable que la Grande-Bretagne et la France viennent en aide à la Pologne et que, même dans l’éventualité d’une guerre à l’Ouest, le premier objectif devrait être l’écrasement de la puissance militaire polonaise. Le document contient, en outre, une déclaration de Hitler selon laquelle sera donnée une raison de propagande, dont la vérité ou la fausseté importera peu puisque « Le bon droit réside dans la victoire ».

Le deuxième document, non signé, versé au dossier par le Ministère Public, porte comme titre « Deuxième discours du Führer, prononcé le 22 août 1939 » et se présente sous forme de notes évoquant les points principaux traités par Hitler. En voici quelques-uns :

« Tout le monde devra se pénétrer de l’idée que nous sommes, dès le début, décidés à combattre les puissances de l’Ouest. C’est une lutte pour la vie ou la mort... Au premier plan, la destruction de la Pologne. Notre but est de supprimer des forces vivantes et non d’arriver à un certain point. Même si la guerre éclatait dans l’Ouest, notre but principal devrait être la destruction de la Pologne... Je donnerai une raison de propagande pour expliquer le déclenchement de la guerre. Qu’importe si elle est plausible ou non. On ne nous demandera pas, plus tard, lorsque nous aurons vaincu, si nous avons dit la vérité ou pas. Lorsqu’on déclenche ou qu’on poursuit une guerre, ce qui importe, ce n’est pas le droit, mais la victoire... Nous donnerons probablement samedi matin l’ordre de déclencher les hostilités. » (C’est-à-dire le 26 août.)

Bien qu’il soit censé se rapporter à un autre discours, ce document a suffisamment de points communs avec ceux qu’on vient de citer pour qu’il ait trait vraisemblablement au même exposé dont il contient la substance, sinon les détails.

Ces trois documents établissent que, à l’anéantissement de la Pologne décidé antérieurement, Hitler n’assigna une date définitive que peu de temps avant le 22 août 1939. Ils montrent aussi que, malgré son espoir d’éviter un conflit avec la Grande-Bretagne et la France, Hitler savait parfaitement qu’il courait ce risque, mais il était décidé à l’accepter.

Les événements des derniers jours d’août confirment cette détermination. Le 22 août, le jour même où fut prononcé le discours qu’on vient de mentionner, le Premier Ministre britannique écrivit à Hitler une lettre dont on peut extraire ce passage :

« Ayant ainsi clairement indiqué notre attitude, je tiens à vous répéter ma conviction qu’une guerre entre nos deux peuples serait la plus grande des calamités qui pourrait se produire. »

Hitler répondit le 23 août :

« La question d’un règlement pacifique des problèmes européens ne dépend pas de l’Allemagne, mais surtout de ceux qui, depuis le criminel Traité de Versailles, se sont obstinément et constamment opposés à une révision pacifique de ce Traité. Ce n’est que lorsqu’il se produira un revirement dans la mentalité des puissances responsables qu’il pourra y avoir un changement réel dans les relations entre l’Angleterre et l’Allemagne. »

Il s’ensuivit de nombreux appels à Hitler tendant à le dissuader de résoudre la question polonaise par la guerre. Ils furent notamment lancés par le Président Roosevelt, le 24 et le 25 août, par Sa Sainteté le Pape, le 24 et le 31 août, et par M. Daladier, Président du Conseil français, le 26 août. Ces appels furent vains.

Le 25 août, la Grande-Bretagne signa avec la Pologne un pacte d’assistance mutuelle, renforçant l’engagement qu’elle avait déjà pris précédemment à son égard. Cet accord, ainsi que le manque d’empressement manifesté par Mussolini à participer à la guerre aux côtés de l’Allemagne, fit momentanément hésiter Hitler. L’invasion de la Pologne qui devait commencer le 26 août fut retardée jusqu’à ce qu’une autre tentative eût été faite pour persuader la Grande-Bretagne de ne pas intervenir. Hitler lui ayant proposé de conclure une entente, une fois la question polonaise réglée, le Gouvernement du Royaume-Uni proposa, en réponse, de trancher le désaccord polonais par des négociations. Le 29 août, Hitler fit savoir à l’Ambassadeur britannique que le Gouvernement allemand, bien que sceptique quant au résultat, serait prêt à entrer en pourparlers directs avec un envoyé polonais à condition qu’il se présentât à Berlin, muni de pleins pouvoirs, le lendemain 30 août avant minuit. Le Gouvernement polonais fut informé de cette proposition mais, ayant en mémoire l’exemple de Schuschnigg et celui de Hacha, il décida de ne pas envoyer cet émissaire. Le 30 août, à minuit, von Ribbentrop donna hâtivement à l’Ambassadeur britannique lecture d’un document formulant pour la première fois, avec précision, les exigences allemandes à l’égard de la Pologne. Il refusa de remettre à ce diplomate une copie du document et déclara que, de toutes façons, il était d’ores et déjà trop tard, puis-qu’aucun plénipotentiaire polonais n’était encore arrivé.

Le Tribunal juge que la manière dont ces négociations ont été conduites par Hitler et par von Ribbentrop montre qu’elles étaient dénuées de bonne foi et ne témoignaient pas de leur désir de maintenir la paix, mais visaient uniquement à empêcher la Grande-Bretagne et la France de faire honneur à leurs engagements envers la Pologne.

De son côté, Göring essaya, en vain, d’isoler la Pologne, en persuadant la Grande-Bretagne de ne pas tenir sa parole et utilisa à cet effet les services du Suédois Birger Dahlerus. Ce dernier, que Göring a fait citer au Procès, connaissait parfaitement l’Angleterre et les questions anglaises. Au mois de juillet 1939, désireux d’améliorer les relations germano-britanniques et d’empêcher une guerre entre ces deux pays, il se mit en rapport avec Göring ainsi qu’avec certains milieux officiels de Londres ; pendant la dernière partie du mois d’août, il servit au maréchal du Reich d’intermédiaire officieux chargé d’obtenir du Gouvernement britannique qu’il renonçât à s’opposer aux intentions allemandes à l’égard de la Pologne. Dahlerus ignorait, à cette époque, la décision qu’avait prise Hitler et qu’il avait confidentiellement fait connaître le 22 août, et ne connaissait pas non plus les directives militaires existantes concernant l’attaque contre la Pologne. Comme il l’a reconnu à l’audience au cours de sa déposition, ce fut seulement le 26 septembre, après que la conquête de la Pologne eut été virtuellement terminée, qu’il se rendit compte, pour la première fois, que le but recherché par Göring avait toujours été d’obtenir le consentement de la Grande-Bretagne aux visées allemandes sur la Pologne.

Toutes les tentatives faites pour obtenir de l’Allemagne qu’elle acceptât un règlement raisonnable du conflit germano-polonais échouèrent et Hitler, le 31 août, lança l’ordre final fixant à l’aube du 1er septembre le déclenchement de l’attaque contre la Pologne et prévoyant les opérations qu’il faudrait entreprendre si la Grande-Bretagne et la France entraient en guerre pour défendre leur alliée.

Le Tribunal estime que les événements qui précédèrent immédiatement le 1er septembre montrent que Hitler et ses complices étaient, en dépit de toutes les protestations qui leur parvenaient, résolus à mettre coûte que coûte à exécution leur projet d’invasion de la Pologne. Hitler, encore qu’il sût que son action entraînerait une guerre avec la Grande-Bretagne et la France, était décidé à ne pas s’écarter de la voie qu’il s’était tracée. Le Tribunal est pleinement convaincu par les preuves qui lui ont été soumises que la guerre déclenchée par l’Allemagne contre la Pologne, le 1er septembre 1939, était une guerre d’agression, qui devait par la suite engendrer un conflit mondial et entraîner la perpétration d’un nombre incalculable de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité.

LE PRÉSIDENT

Je demande à M. Falco, conseiller à la Cour de Cassation, de bien vouloir continuer la lecture.

M. LE CONSEILLER ROBERT FALCO (juge suppléant français)

L’INVASION DU DANEMARK ET DE LA NORVÈGE.

La guerre contre la Pologne ne fut qu’un début. L’agression nazie se porta rapidement d’un pays à l’autre. Le Danemark et la Norvège en furent les premières victimes.

Le 31 mai 1939 était intervenu entre l’Allemagne et le Danemark un traité de non-agression qui fut signé par von Ribbentrop. Il y était solennellement déclaré que les parties contractantes étaient « fermement résolues à maintenir la paix entre le Danemark et l’Allemagne, en toutes circonstances ». L’Allemagne envahit néanmoins le Danemark le 9 avril 1940.

Le 2 septembre 1939, après que la guerre avec la Pologne eut éclaté, le Gouvernement allemand adressait à la Norvège une assurance solennelle conçue dans les termes suivants :

« Le Gouvernement du Reich allemand est résolu, en raison des relations d’amitié existant entre la Norvège et l’Allemagne, à ne porter préjudice en aucune circonstance à l’inviolabilité et à l’intégrité de la Norvège et à respecter son territoire. En faisant cette déclaration, le Gouvernement du Reich s’attend naturellement à ce que, de son côté, la Norvège observe une neutralité irréprochable envers le Reich et il ne tolérera aucune violation de la neutralité de la Norvège de la part d’un tiers. Si le Gouvernement royal norvégien devait s’écarter de cette attitude, en favorisant une violation de neutralité de cette nature, le Gouvernement du Reich serait alors obligé de sauvegarder ses intérêts selon les exigences de la situation. »

Le 9 avril 1940, poursuivant l’exécution de son plan, l’Allemagne envahit la Norvège.

L’idée de cette campagne prit naissance, semble-t-il, dans l’esprit des accusés Raeder et Rosenberg. Le 3 octobre 1939, Raeder avait préparé un mémorandum sur « l’acquisition de bases en Norvège ». Parmi les questions discutées se trouvait celle-ci : « Est-il possible d’obtenir des bases par la force des armes et contre la volonté de la Norvège, s’il est impossible de le faire sans combattre ? » En dépit de ce projet agressif, l’Allemagne, trois jours plus tard, donna à la Norvège des assurances supplémentaires qui disaient notamment :

« L’Allemagne n’a jamais eu de conflits d’intérêt, ni même de différends avec les États nordiques et elle n’en a pas davantage à l’heure actuelle. »

Quelques jours après, Dönitz rédigea un mémoire traitant également de la question des bases norvégiennes et suggéra l’établissement d’un point d’appui à Trondhjeim ou d’un dépôt de carburants à Narvik. Au même moment, Raeder écrivit à ce sujet à l’amiral Karls qui lui fit remarquer l’intérêt qu’aurait l’Allemagne à occuper la côte norvégienne. Le 10 octobre, Raeder mit Hitler au courant des inconvénients qui résulteraient pour l’Allemagne d’une occupation de cette côte par les troupes britanniques. Pendant les mois d’octobre et de novembre, l’occupation éventuelle de la Norvège fit l’objet, d’études menées par Raeder en collaboration avec « L’Organisation Rosenberg » ; cette dernière était le Bureau des Affaires étrangères du parti nazi et Rosenberg, en sa qualité de Reichsleiter, en avait la charge. Au début de décembre, Quisling, le traître norvégien notoire, se rendit à Berlin où il fut reçu par Rosenberg et Raeder, auxquels il soumit le plan d’un coup d’État en Norvège. Le 12 décembre, au cours d’une conférence tenue entre Hitler, Keitel, Jodl et l’État-Major naval, Raeder fit un rapport sur les projets dont Quisling lui avait fait part. Le 16 décembre, Hitler, en personne, s’entretint avec Quisling de ces questions. Dans le compte rendu des activités du Bureau des Affaires étrangères du parti nazi concernant la période 1933-1943, il est dit, sous le titre « Préparations politiques pour l’occupation militaire de la Norvège », que, lors de son entrevue avec Quisling, Hitler déclara qu’il préférerait que la Norvège observât comme toute la Scandinavie une attitude de neutralité, car il ne désirait pas étendre le théâtre de la guerre ou entraîner d’autres nations dans le conflit. Mais si l’ennemi étendait le champ des opérations, Hitler serait obligé de se défendre contre cette entreprise. Enfin, il promit son appui financier et confia à un état-major spécial l’examen des questions militaires que soulevait cette campagne.

Le 27 janvier 1940, Keitel rédigea un mémorandum concernant les plans d’invasion de la Norvège. Le 28 février, Jodl notait dans son journal :

« Je proposai d’abord au Chef de l’OKW, et ensuite au Führer, que le « Cas Jaune » (c’est-à-dire l’opération contre les Pays-Bas) et l’« Exercice Weser », (c’est-à-dire l’opération contre la Norvège et le Danemark) fussent préparés de manière à être indépendants l’un de l’autre en ce qui concerne non seulement le moment choisi, mais aussi les forces employées. »

Le 1er mars, Hitler lança un ordre concernant l’« Exercice Weser » et contenant le passage suivant :

« Le développement de la situation en Scandinavie exige que soient faits tous les préparatifs en vue de l’occupation du Danemark et de la Norvège par une partie des Forces armées allemandes. Cette opération doit empêcher une intervention britannique en Scandinavie et dans la Baltique ; de plus, elle doit protéger notre source de minerai en Suède et donner à notre Marine et à notre Aviation une ligne de départ plus étendue contre la Grande-Bretagne... Le franchissement de la frontière danoise et le débarquement en Norvège doivent avoir lieu simultanément... Il est de la plus haute importance que les Etats Scandinaves ainsi que les pays de l’Ouest soient surpris par nos mesures. »

Le 24 mars, les ordres d’opérations navales relatifs à l’« Exercice Weser » furent donnés et suivis le 30 mars par ceux de Dönitz, Commandant en chef de la flotte sous-marine. Le 9 avril 1940, les Forces allemandes envahissaient la Norvège et le Danemark.

Il ressort clairement de ce récit que, dès octobre 1939, la question de l’invasion de la Norvège était envisagée. La Défense a prétendu que l’Allemagne s’était vue obligée d’attaquer la Norvège pour prévenir un débarquement allié et que, par conséquent, ces opérations revêtaient un caractère préventif.

Il y a lieu de rappeler ici qu’une action préventive en territoire étranger ne se justifie que dans le cas d’« une nécessité pressante et urgente de défense, qui ne permet ni de choisir les moyens, ni de délibérer » (affaire Caroline, Moore’s Digest of International Law, II, 412). Il n’est pas possible de savoir exactement dans quelle mesure les milieux allemands influents s’attendaient à une occupation de la Norvège par les Alliés. Quisling estimait que ces derniers interviendraient en Norvège avec l’assentiment tacite du Gouvernement de ce pays. La légation allemande à Oslo, contrairement à l’avis de son attaché naval, ne partageait pas ce point de vue.

Selon le journal de guerre de l’État-Major allemand des opérations navales en date du 13 janvier 1940, le chef de cet État-Major pensait que la solution la plus favorable serait de maintenir la neutralité de la Norvège, mais il était fermement convaincu que l’Angleterre projetait d’occuper ce pays dans un proche avenir, avec le consentement tacite du Gouvernement d’Oslo.

L’ordre donné par Hitler, le 1er mars 1940, en vue de l’attaque du Danemark et de la Norvège stipulait que l’opération « avait pour objet de prévenir une intervention britannique en Scandinavie et dans la Baltique ».

On ne doit cependant pas oublier que le mémoire de Raeder, en date du 3 octobre 1939, ne contient aucune mention de cette nature, mais indique simplement comme but de l’attaque « l’amélioration de notre position stratégique et tactique ».

Ce mémoire, d’ailleurs, ainsi que celui de Dönitz en date du 9 octobre 1939, est intitulé : « Conquête de bases en Norvège ». La même observation est valable mutatis mutandis pour le mémoire de l’accusé Dönitz du 9 octobre 1939.

Aussi bien, Jodl inscrivait-il dans son journal, le 13 mars 1940 :

« Le Führer ne donne pas encore d’ordres pour « W » (Exercice Weser). Il cherche toujours une excuse. » (Justification ?)

Le 14 mars, il écrivait encore :

« Le Führer n’a pas encore décidé quelle raison il faudrait donner pour l’Exercice Weser. »

Le 21 mars 1940, il consignait les déceptions que ressentait le Corps expéditionnaire XXI devant le long intervalle écoulé entre la date de la prise de positions d’alerte et la fin des négociations diplomatiques et ajoutait :

« Le Führer rejette l’idée de toute négociation préliminaire pour éviter que ne soient adressés à l’Angleterre et à l’Amérique des appels à l’aide. Si une résistance se produit, elle doit être réprimée impitoyablement. »

Le 2 avril, il mentionne que tous les préparatifs sont achevés ; le 4 avril, l’ordre d’opérations navales était donné et, le 9 avril, l’invasion commençait.

Il ressort clairement de ce qui précède que, lorsque les plans d’attaque pour la Norvège furent élaborés, ce fut non pas pour prévenir un débarquement allié imminent, mais tout au plus une occupation alliée ultérieure.

Le 23 mars 1940, après que les ordres définitifs pour l’invasion de la Norvège par l’Allemagne eurent été donnés, le journal de l’Etat-Major des opérations navales mentionna :

« Une intervention massive des Anglais dans les eaux territoriales norvégiennes... ne doit pas être attendue actuellement. »

Et une note de l’amiral Assmann, en date du 26 mars, indique :

« Un débarquement britannique en Norvège ne doit pas être pris au sérieux. »

La Défense s’est appuyée sur des documents qui furent saisis plus tard par les Allemands et qui démontreraient que le plan allié, visant à occuper des ports et des aérodromes de Norvège occidentale, était bien arrêté, malgré son retard sur les plans allemands qui présidèrent à l’exécution effective de l’invasion. D’après ces documents, un plan modifié avait été finalement adopté le 20 mars ; un convoi devait quitter l’Angleterre le 5 avril et la pose de mines dans les eaux norvégiennes devait commencer le même jour ; ces documents indiquent aussi que, le 5 avril, la date de départ fut reportée au 8 avril. Quoi qu’il en soit, ces plans ne furent pas la cause de l’invasion allemande. C’est pour acquérir des bases d’attaque plus efficaces contre l’Angleterre et contre la France que l’Allemagne occupa la Norvège selon des plans établis bien avant les plans alliés, sur lesquels on s’appuie aujourd’hui pour invoquer le prétexte de la légitime défense.

On a prétendu au surplus que, dans ce cas, et, conformément aux réserves formulées par diverses puissances signataires, lors de la conclusion du Pacte Briand-Kellogg, il appartenait à l’Allemagne de juger en dernier ressort de la nécessité d’une action préventive. Mais si le Droit international doit jamais devenir une réalité, la question de savoir si une action entreprise sous le prétexte de la légitime défense était de caractère agressif ou bien défensif, devra faire l’objet d’une enquête appropriée et d’un arbitrage.

Quant au Danemark, il n’a pas été soutenu qu’un plan d’occupation ait été établi par un belligérant quelconque autre que l’Allemagne et rien n’a été invoqué pour justifier cette agression.

Lorsque les armées allemandes entrèrent en Norvège et au Danemark, un mémoire fut remis à chacun des Gouvernements de ces deux pays, pour leur donner l’assurance que les troupes allemandes ne venaient pas en ennemies et qu’elles n’avaient pas l’intention de se servir comme bases d’opérations contre l’Angleterre des points quelles occuperaient, à moins qu’elles n’y soient forcées par l’attitude de l’Angleterre et de la France. Ce document spécifiait que la présence de ces troupes avait pour seul but de protéger le Nord contre le projet que formaient les Forces franco-britanniques d’occuper certains points stratégiques norvégiens.

Le mémoire ajoutait que l’Allemagne n’avait pas l’intention de violer l’intégrité territoriale et l’indépendance du Royaume de Norvège, ni dans le présent ni dans l’avenir. Néanmoins, un rapport de la Marine allemande, en date du 3 juin 1940, discutait de l’utilisation ultérieure de la Norvège et du Danemark, et proposait notamment que les territoires danois et norvégien acquis pendant la guerre fussent à l’avenir organisés de façon à pouvoir être considérés comme possessions allemandes.

A la lumière des preuves présentées, le Tribunal estime qu’on ne peut soutenir valablement l’argument selon lequel l’invasion du Danemark et celle de la Norvège auraient été de nature défensive et, selon son opinion, ces invasions constituent des actes d’agression.

L’INVASION DE LA BELGIQUE, DES PAYS-BAS ET DU LUXEMBOURG.

Le projet d’invasion de la Belgique et des Pays-Bas fut d’abord étudié en août 1938, au moment où se préparait l’attaque contre la Tchécoslovaquie et où se dessinait la possibilité d’un conflit armé avec la France et l’Angleterre. On mit alors en relief les avantages qui résulteraient pour l’Allemagne de l’utilisation à ses propres fins de la Belgique et des Pays-Bas, surtout comme bases aériennes dans une guerre contre l’Angleterre et contre la France.

En mai 1939, lorsque Hitler se décida irrévocablement à attaquer la Pologne et dut en conséquence prévoir l’éventualité d’une guerre contre l’Angleterre et contre la France, il déclara à ses chefs militaires :

« Les bases aériennes belges et néerlandaises doivent être occupées. Il ne faut pas tenir compte des déclarations de neutralité. »

Le 22 août de la même année, il exprima devant les mêmes auditeurs l’opinion que l’Angleterre et la France ne « violeraient pas la neutralité de ces pays ». A la même époque, il donnait à la Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg l’assurance qu’il respecterait leur neutralité et, le 6 octobre 1939, après la campagne de Pologne, il renouvelait cette assurance. Le 7 octobre, le général von Brauchitsch ordonnait au groupe d’armées B de se préparer « pour l’invasion immédiate du territoire néerlandais et belge, si la situation politique l’exigeait ». Par une série d’ordres signés des accusés Keitel et Jodl, l’attaque fut fixée au 10 novembre 1939, mais fut ensuite retardée jusqu’en mai 1940 en raison des conditions météorologiques et des problèmes de transport.

Lors de la conférence qui se tint le 23 novembre 1939, Hitler déclara :

« Nous avons un talon d’Achille : la Ruhr. Le progrès de la guerre dépend de la possession de cette région. Si l’Angleterre et la France avancent à travers la Belgique et les Pays-Bas jusque dans la Ruhr, nous nous trouverons dans une situation des plus dangereuses... Certainement l’Angleterre et la France prendront l’offensive contre l’Allemagne dès qu’elles seront armées. Elles disposent de moyens par lesquels elles peuvent forcer la Belgique et les Pays-Bas à leur demander aide. Dans ces deux pays, la France et l’Angleterre jouissent de toutes les sympathies... Si l’Armée française entre en Belgique afin de nous attaquer, il sera déjà trop tard pour nous. Nous devons les devancer... Le long des côtes anglaises, nous poserons des mines qu’on ne pourra pas enlever. Cette guerre de mines, menée avec l’aide de la Luftwaffe, nécessite une nouvelle base de départ. L’Angleterre ne peut pas vivre sans ses importations alors que nous pouvons assurer nous-mêmes notre subsistance. Si nous posons continuellement des mines le long des côtes anglaises, nous réduirons l’Angleterre à notre merci. Mais nous ne pouvons atteindre ce but que si nous occupons d’abord la Belgique et les Pays-Bas. Ma décision est irrévocable ; j’attaquerai la France et l’Angleterre au moment le plus propice et aussi rapidement que possible. La violation de la neutralité de la Belgique et des Pays-Bas ne signifie rien. Personne ne nous en demandera compte quand nous aurons vaincu. Nous ne procéderons pas à cette violation de neutralité aussi bêtement qu’en 1914. Si nous ne violons pas cette neutralité, l’Angleterre et la France le feront. Sans offensive, il est impossible de mener la guerre à une fin victorieuse. »

Le 10 mai 1940, les Forces armées allemandes envahissaient les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Le même jour, les ambassadeurs d’Allemagne remettaient aux Gouvernements néerlandais et belge un mémoire où l’on prétendait que les armées britannique et française, avec le consentement de la Belgique et des Pays-Bas, se préparaient à traverser ces deux pays afin d’attaquer la Ruhr et où l’on tentait, par cet argument, de justifier l’invasion allemande. L’Allemagne assurait néanmoins les Pays-Bas et la Belgique que l’intégrité de leurs territoires et de leurs possessions serait respectée. Le même jour, un mémoire analogue fut remis au Gouvernement luxembourgeois.

Aucune preuve n’a été fournie au Tribunal pour étayer l’affirmation selon laquelle les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg auraient été envahis par l’Allemagne parce que l’Angleterre et la France avaient déjà projeté une occupation de ces pays. Il est vrai que les Etats-Majors britannique et français avaient collaboré à la préparation de certains projets d’opérations militaires devant se dérouler en Belgique et aux Pays-Bas, mais le but de ces projets était seulement de défendre ces pays dans le cas d’une attaque allemande.

Rien, en conséquence, ne peut justifier l’invasion de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg. Elle fut entreprise en application d’une politique élaborée et mûrie de longue date : elle constitue manifestement une guerre d’agression. La décision d’envahir ces pays fut prise à la seule fin de poursuivre les buts de la politique allemande d’agression.

L’AGRESSION CONTRE LA YOUGOSLAVIE ET LA GRÈCE.

Le 12 août 1939, Hitler, lors d’un échange de vues avec Ciano et von Ribbentrop à Obersalzberg, déclara :

« D’un point de vue général, le mieux serait de liquider les neutres l’un après l’autre. Mais nous pourrions le faire plus facilement si, chaque fois, l’un des partenaires de l’Axe protégeait l’autre pendant qu’il s’occupe du neutre indécis. L’Italie devrait considérer la Yougoslavie comme un neutre de cette espèce. »

Cette remarque fut faite seulement deux mois après les assurances que Hitler avait données à la Yougoslavie, aux termes desquelles il considérait les frontières de ce pays comme définitives et inviolables. A l’occasion de la visite en Allemagne du Prince Régent de Yougoslavie, le 1er juin 1939, Hitler avait publiquement déclaré :

« Les relations de confiance, qui se sont finalement établies entre l’Allemagne et la Yougoslavie depuis que les événements historiques nous ont faits voisins et nous ont donné une frontière commune fixée pour toujours, garantiront non seulement une paix durable entre nos deux peuples, mais représenteront aussi un élément de calme sur notre continent tourmenté. Cette paix est le but de tous ceux qui sont disposés à faire un travail vraiment constructif. »

Le 6 octobre 1939, l’Allemagne renouvelait ces assurances après que Hitler et von Ribbentrop eurent échoué dans leurs efforts pour décider l’Italie à entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne, en attaquant la Yougoslavie. Le 28 octobre 1940, l’Italie envahissait la Grèce, mais ses opérations militaires ne furent pas couronnées de succès. En novembre, Hitler, écrivant à Mussolini au sujet de cette invasion et de l’extension de la guerre dans les Balkans, lui faisait remarquer que des opérations militaires ne pourraient pas être entreprises dans ces régions avant le mois de mars de l’année suivante et que la Yougoslavie devait donc, si cela était possible, être conquise par d’autres méthodes. Cependant, le 12 novembre 1940, Hitler publiait des directives militaires où l’on peut lire :

« Les Balkans : le Commandant en chef de l’Armée se préparera à l’occupation de la Grèce continentale, au nord de la mer Egée, en l’envahissant, au besoin, par la Bulgarie. »

Le 13 décembre, une autre directive concernant l’opération « Marita » (nom conventionnel désignant l’invasion de la Grèce) disait :

« Le résultat des combats en Albanie n’est pas encore décisif. En raison de la situation périlleuse dans ce pays, il est doublement nécessaire que la tentative britannique de créer des bases aériennes sous la protection d’un front balkanique échoue complètement, en raison du danger que ce front présenterait pour l’Italie et pour les champs pétrolifères roumains.

« Mon plan est donc :

« a) De constituer d’ici un mois en Roumanie méridionale, une formation qu’on renforcerait peu à peu ;

« b) Lorsque le temps se sera fixé au beau, en mars probablement, d’envoyer une autre unité chargée d’occuper, en passant par la Bulgarie, la côte nord de la mer Egée et, au besoin, tout le continent grec. »

Le 20 janvier 1941, lors d’une conférence avec Mussolini à laquelle assistaient von Ribbentrop, Keitel, Jodl et d’autres personnalités, Hitler déclara :

« La concentration de troupes en Roumanie vise un triple but :

« a) Opération contre la Grèce ;

« b) Protection de la Bulgarie contre la Russie et la Turquie :

« c) Sauvegarde de la garantie donnée à la Roumanie... Il est à souhaiter que ce déploiement de forces s’achève sans intervention de l’ennemi. Par conséquent, ne découvrir son jeu que le plus tard possible. On s’efforcera de traverser le Danube au dernier moment et de se mettre en formation de combat au plus tôt. »

Le 19 février 1941, une directive de l’OKW, au sujet de l’opération « Marita », spécifiait :

« Le 18 février, le Führer a pris, à propos de l’exécution de l’opération « Marita », la décision qui suit :

« Les dates ci-après sont prévues :

« Commencement de la construction d’un pont, 28 février ; passage du Danube, 2 mars. »

Le 3 mars 1941, les troupes britanniques débarquaient en Grèce pour aider ce pays à résister à l’Italie, et le 18 mars, au cours d’une réunion à laquelle assistaient Hitler, Keitel et Jodl, Raeder demanda confirmation du projet suivant lequel « toute la Grèce devait être occupée, même dans l’éventualité d’un règlement pacifique ». Hitler lui répondit : « L’occupation complète est une condition préalable à tout règlement ».

Le 25 mars, au cours d’une réunion tenue à Vienne, à l’occasion de l’adhésion de la Yougoslavie au Pacte Tripartite, von Ribbentrop confirma, au nom du Gouvernement allemand, la décision de l’Allemagne de respecter en tout temps la souveraineté et l’intégrité de la Yougoslavie. Le 26 mars, à leur retour de Vienne, les ministres yougoslaves qui avaient adhéré au Pacte Tripartite furent démis de leurs fonctions par suite d’un coup d’État survenu à Belgrade et le nouveau Gouvernement rejeta le Pacte. Le 27 mars, au cours d’une conférence tenue à Berlin devant le Haut Commandement, et en présence de Göring, de Keitel, de Jodl et, pendant un certain temps, de von Ribbentrop, Hitler déclara que la Yougoslavie était un facteur d’incertitude en ce qui concernait l’attaque projetée contre la Grèce et davantage encore en ce qui concernait celle qui devait être dirigée ensuite contre la Russie. Il ajouta qu’il était décidé à faire tous les préparatifs nécessaires à l’anéantissement militaire et politique de la Yougoslavie, sans attendre de possibles déclarations de loyalisme émanant du nouveau Gouvernement.

Le 6 avril 1941, les Forces allemandes envahissaient la Grèce et la Yougoslavie et Belgrade était bombardé par la Luftwaffe. Cette invasion avait été si rapide qu’on n’avait même pas eu le temps d’organiser un seul des « incidents » habituels, ni d’inventer et de publier des « explications politiques » appropriées. Le 6 avril, dès le début de l’attaque, Hitler déclara au peuple allemand que cette attaque était nécessaire parce que l’envoi de troupes britanniques en Grèce, destinées à défendre ce pays contre l’Italie, représentait une tentative anglaise d’étendre la guerre aux Balkans.

La suite des événements qu’on vient de rappeler montre que, de toute évidence, la guerre d’agression déclenchée contre la Grèce et contre la Yougoslavie avait été envisagée longtemps à l’avance, en tout cas dès le mois d’août 1939. Le fait que la Grande-Bretagne était venue au secours des Grecs et aurait pu être ainsi à même de compromettre sérieusement par la suite les intérêts allemands servit de prétexte à l’occupation des deux pays.

LA GUERRE D’AGRESSION CONTRE L’UNION

DES RÉPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIÉTIQUES.

Le 23 août 1939, l’Allemagne signait avec l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques un pacte de non-agression.

Il a été démontré que non seulement l’Union Soviétique, pour sa part, s’était conformée aux termes de ce pacte, mais encore que le Gouvernement allemand connaissait cette attitude, grâce aux rapports de ses représentants les plus autorisés. Il apprit ainsi, par son ambassadeur à Moscou, que l’Union Soviétique n’entrerait en guerre que si elle était attaquée par l’Allemagne ; la déclaration de ce diplomate fut d’ailleurs consignée dans le journal de guerre allemand, à la date du 6 juin 1941.

Néanmoins, dès la fin de l’été 1940, l’Allemagne, en dépit du pacte de non-agression, commençait ses préparatifs d’attaque contre l’URSS. Cette opération fut étudiée secrètement sous le nom conventionnel de « Cas Barbarossa » et l’ancien Feldmarschall Paulus a témoigné devant le Tribunal qu’à partir du 3 septembre 1940, date à laquelle il rejoignait le Grand État-Major allemand, il avait participé à la préparation de ce plan qui fut entièrement terminé au début de novembre 1940.

Aux dires de ce témoin, le Grand État-Major allemand ne possédait à cette date aucune information relative à une attaque de l’Union Soviétique contre l’Allemagne.

Le 18 décembre 1940, Hitler, par la directive n° 21 que paraphèrent Keitel et Jodl, exigeait l’achèvement, pour le 15 mai 1941, de tous les préparatifs liés à la mise en œuvre du « Cas Barbarossa ». Cette directive stipulait :

« On doit apporter le plus grand soin à ne pas divulguer l’intention d’attaquer. Les Forces armées allemandes doivent être prêtes à écraser la Russie soviétique par une campagne rapide, avant la fin de la guerre contre l’Angleterre. »

Précédemment à cette instruction, Göring avait fait connaître le plan d’ensemble du général Thomas, chef du Service de l’économie de guerre de l’OKW et celui-ci avait rédigé des rapports sur les possibilités économiques de l’URSS, ses matières premières, son système de transport et sa capacité de fabrication d’armes.

Conformément aux conclusions de ces rapports, un État-Major économique pour les territoires de l’Est fut créé, comprenant plusieurs unités placées sous la haute direction de Göring. Ces unités devaient, en liaison avec le Commandement militaire, poursuivre, dans l’intérêt de l’Allemagne et de la façon la plus complète et la plus efficace, l’exploitation des territoires occupés.

Le cadre de la future organisation politique et économique de ceux-ci fut mis au point par Rosenberg pendant plus de trois mois, après de nombreuses conférences et avec l’aide de Keitel, de Jodl, de Raeder, de Funk, de Göring, de von Ribbentrop, de Frick, de Fritzsche ou de leurs représentants. Un rapport détaillé fut rédigé à ce sujet aussitôt après l’invasion.

Les plans prévus esquissaient un projet de destruction de l’Union Soviétique en tant qu’État indépendant et son partage par la création de « Commissariats du Reich » et la transformation en colonies allemandes de l’Estonie, de la Lituanie, de la Russie Blanche et de divers autres territoires. En même temps qu’elle travaillait à ces projets, l’Allemagne entraînait la Hongrie, la Roumanie et la Finlande dans la guerre contre la Russie. En décembre 1940, la Hongrie acceptait d’y prendre part contre la promesse qu’elle obtiendrait certains territoires aux dépens de la Yougoslavie. En mai 1941, fut conclu avec Antonesco, Premier Ministre de Roumanie, un accord prévoyant l’intervention de ce dernier pays contre l’URSS, en échange de la promesse de recevoir la Bessarabie et le nord de la Bukovine, et du droit d’occuper le territoire soviétique jusqu’au Dnieper.

Le 22 juin 1941, l’Allemagne, en application de plans depuis longtemps établis, envahissait le territoire soviétique sans déclaration de guerre.

Les preuves apportées au Tribunal montrent que l’Allemagne avait le dessein réfléchi d’écraser la puissance militaire et politique de l’URSS, afin de pouvoir s’étendre à l’Est, conformément à son désir. Dans Mein Kampf, Hitler avait écrit :

« Si l’on devait acquérir de nouveaux territoires en Europe, on devrait le faire principalement aux dépens de la Russie, et une fois de plus, le nouvel Empire allemand suivrait la même route que celle des chevaliers teutoniques naguère. Il s’agirait cette fois de conquérir à la pointe de l’épée des territoires pour l’agriculture allemande et de fournir ainsi à la nation son pain quotidien. »

Mais on se proposait un but plus immédiat qui consistait, d’après les termes d’un rapport de l’OKW, à nourrir les armées allemandes, pendant la troisième année de la guerre, aux dépens du territoire soviétique, même si « cela devait, comme disait Rosenberg, amener des millions de gens à mourir de faim parce que tout ce qui nous était nécessaire avait été pris par nous ».

L’objectif final de l’attaque contre l’Union Soviétique a été décrit au cours d’une conférence tenue par Hitler, le 16 juillet 1941, en présence de Göring, Keitel, Rosenberg et Bormann.

« Il n’est pas question de laisser se créer une puissance militaire à l’ouest de l’Oural quand bien même nous devrions lutter pendant cent ans pour empêcher cela . . . Toutes les régions de la Baltique doivent être incorporées dans le Reich, ainsi que la Crimée et les pays avoisinants (nord de la Crimée). La région de la Volga aussi bien que le district de Bauk doivent aussi être intégrés dans le Reich. Les Finnois veulent la Carélie orientale. Cependant la presqu’île de Kola doit être cédée à l’Allemagne à cause des importants gisements de nickel qui s’y trouvent. »

La Défense a soutenu que l’attaque contre l’URSS était justifiée parce que l’Union Soviétique avait elle-même l’intention d’attaquer l’Allemagne, et se préparait à le faire ; mais, à la lumière des preuves, il est difficile de croire que l’Allemagne ait jamais envisagé ce point de vue.

Les plans prévoyant l’exploitation économique de l’URSS, le déplacement massif de populations, l’assassinat de commissaires et de chefs politiques s’intégraient tous dans le projet soigneusement préparé dont l’exécution, commencée le 22 juin sans avertissement aucun et sans l’ombre d’une excuse juridique, a constitué l’agression la plus évidente.

LA GUERRE CONTRE LES ÉTATS-UNIS.

Quatre jours après l’attaque du 7 décembre 1941 lancée par les Japonais contre la flotte américaine à Pearl Harbor, l’Allemagne déclarait la guerre aux États-Unis.

Le Pacte Tripartite entre l’Allemagne, l’Italie et le Japon avait été signé le 27 septembre 1940, et, depuis cette date jusqu’au jour de l’agression contre l’URSS, von Ribbentrop et d’autres accusés s’efforcèrent d’inciter le Japon à s’emparer des possessions britanniques en Extrême-Orient. Cela, pensait-on, précipiterait la défaite de l’Angleterre et empêcherait les États-Unis d’entrer en guerre.

La possibilité d’une attaque directe contre les États-Unis fut envisagée et discutée comme une question à réserver pour l’avenir. Le commandant von Falkenstein, officier de liaison de la Luftwaffe auprès de l’État-Major des opérations de l’OKW, résumant en octobre 1940 à Berlin les problèmes militaires qu’il était nécessaire d’examiner, parla de la possibilité « de poursuivre la guerre contre l’Amérique à une date ultérieure ». Il est d’autre part évident que la politique allemande, consistant à faire obstacle si possible à l’entrée de l’Amérique en guerre, n’a pas empêché l’Allemagne de promettre son appui au Japon contre les États-Unis. Le 4 avril 1941, Hitler, en présence de von Ribbentrop, disait au ministre des Affaires étrangères japonais Matsuoka que l’Allemagne « frapperait sans attendre » si une attaque de Singapour par les troupes japonaises devait conduire à une guerre entre le Japon et les États-Unis. Le lendemain, von Ribbentrop lui-même insista auprès de Matsuoka pour qu’il entraînât le Japon dans la guerre.

Le 28 novembre 1941, dix jours avant l’attaque de Pearl Harbor, von Ribbentrop encourageait le Japon, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Berlin, à attaquer la Grande-Bretagne et les États-Unis : il déclara que, si le Japon entrait en guerre contre les États-Unis, l’Allemagne interviendrait immédiatement. Quelques jours plus tard, des représentants japonais informèrent l’Allemagne et l’Italie que leur pays se préparait à attaquer les États-Unis et leur demandèrent leur appui. L’Allemagne et l’Italie y consentirent, bien qu’aux termes du Pacte Tripartite, elles ne se fussent engagées à assister le Japon que s’il était attaqué. Quand l’agression contre Pearl Harbor eut lieu, von Ribbentrop devint, a-t-on dit, « fou de joie » et, plus tard, lors d’une cérémonie à Berlin au cours de laquelle une décoration allemande fut décernée à l’ambassadeur japonais Oshima, Hitler fit connaître son approbation de la tactique adoptée par les Japonais dans leurs négociations avec les États-Unis, tactique qui avait consisté à faire traîner les choses en longueur et à frapper durement sans déclaration de guerre.

Bien qu’il soit vrai que Hitler et ses complices n’aient pas tout d’abord pensé qu’un conflit avec les États-Unis servirait leurs intérêts, il est évident qu’au cours de l’année 1941 leur point de vue changea et qu’ils encouragèrent le Japon, de toutes les façons possibles, à adopter une politique qui devait amener presque certainement les États-Unis à entrer en guerre. Et lorsque le Japon attaqua la flotte américaine à Pearl Harbor, déclenchant ainsi une guerre d’agression contre les États-Unis, le Gouvernement nazi leur déclara aussitôt la guerre, plaçant ainsi l’Allemagne aux côtés du Japon.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue jusqu’à 14 h. 15.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 h. 15.)