DEUX CENT DIX-HUITIÈME JOURNÉE.
Mardi 1er octobre 1946.
Audience du matin.
Le Tribunal désire apporter une rectification à la page 159 de la décision qui a été prononcée hier à propos du SD. L’attention du Tribunal a été attirée sur le fait que le Ministère Public a expressément exclu les informateurs bénévoles qui n’étaient pas membres des SS, ainsi que les membres de l’Abwehr qui avaient été mutés au SD. Étant donné cette exclusion par le Ministère Public, le Tribunal estime à son tour que ces personnes ne font pas partie du SD qui a été déclaré criminel.
L’article 26 du Statut prévoit qu’en ce qui concerne la culpabilité ou l’innocence de chaque accusé, le jugement du Tribunal devra être motivé.
Le Tribunal en conséquence va maintenant énoncer les motifs sur lesquels se fondent ses déclarations d’innocence ou de culpabilité,
GÖRING.
Göring est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Les preuves versées aux débats montrent qu’il était la seconde personnalité du régime nazi, placé immédiatement au-dessous du Chancelier du Reich. Commandant en chef de la Luftwaffe, plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans, il a joui d’une influence considérable auprès de Hitler jusqu’en 1943, date à laquelle leurs relations se sont tendues au point d’aboutir en 1945 à son arrestation. Il a déclaré, dans sa déposition, que Hitler le tenait au courant de toutes les questions d’ordre militaire et politique importantes.
Crimes contre la Paix.
Depuis le moment où il devint membre du Parti en 1922, et où il prit la tête des SA, organisation destinée à la guerre des rues, Göring fut le conseiller, l’agent actif de Hitler et l’un des principaux chefs du mouvement nazi. Comme représentant politique de Hitler, il contribua, pour une large part, à amener les nationaux-socialistes au pouvoir en 1933 et fut chargé de consolider leur puissance, en même temps que d’accroître la force militaire de l’Allemagne. Il développa la Gestapo et créa les premiers camps de concentration, dont il devait, en 1934, transférer la direction à Himmler.
Il procéda, la .même année, à l’« épuration Roehm » et porte la responsabilité des mesures odieuses qui contraignirent von Blomberg et von Fritsch à quitter l’Armée. En 1936, il devint plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans, c’est-à-dire théoriquement et pratiquement le directeur économique du Reich. Peu après la signature de l’Accord de Munich, il annonça qu’il allait rendre la Luftwaffe cinq fois plus importante qu’elle n’était et accélérer l’armement, en développant particulièrement les armes offensives.
Gôring fut l’une des cinq personnalités qui prirent part à la conférence du 5 novembre 1937, dite « Conférence Hossbach », et il assista également aux conférences essentielles dont ce jugement a déjà fait état.
Il joua dans l’Anschluss de l’Autriche le rôle principal, celui d’un chef de bande ; il a déclaré à l’audience : « J’accepte de prendre sur moi cent pour cent de la responsabilité... J’ai même vaincu les objections du Führer et conduit les choses jusqu’au bout ». Lors de l’annexion des Sudètes, il prépara, en tant que chef de la Luftwaffe, une offensive aérienne qui s’avéra d’ailleurs inutile, et, comme homme politique, il tranquillisa les Tchèques par de mensongères protestations d’amitié. Il a reconnu devant le Tribunal qu’au cours d’une conférence tenue avec Hitler et Hacha il avait, la nuit précédant l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’annexion de la Bohême-Moravie, menacé de bombarder Prague, si le Président Hacha ne se soumettait pas.
Göring assista, le 23 mai 1939, à la réunion de la Chancellerie du Reich au cours de laquelle Hitler déclara à ses chefs militaires :
« Il ne peut, par conséquent, être question d’épargner la Pologne ». Il assista aussi à la réunion du 22 août 1939 à Obersalzberg où Hitler distribua ses ordres. Il est prouvé qu’il a joué un rôle actif dans les manœuvres diplomatiques qui suivirent. De connivence avec le Chancelier du Reich et par l’intermédiaire de l’homme d’affaires suédois Dahlerus, il essaya, comme ce dernier en a témoigné devant le Tribunal, d’empêcher le Gouvernement britannique de tenir la promesse de garantie faite aux Polonais par ce gouvernement.
Il commanda la Luftwaffe lors de l’attaque de la Pologne et au cours des guerres d’agression ultérieures.
Même s’il est vrai, comme il l’a prétendu, qu’il s’est opposé aux plans de Hitler dirigés contre la Norvège et l’Union Soviétique, il n’est pas douteux qu’il le fit uniquement pour des raisons stratégiques. Lorsque Hitler eut pris sa décision, il le suivit sans hésiter. Il a explicitement déclaré, dans sa déposition, que ses différends avec Hitler n’ont jamais été d’ordre idéologique ou juridique. L’invasion de la Norvège le « mit en fureur », mais uniquement parce qu’on ne lui avait pas donné la possibilité de préparer l’offensive de la Luftwaffe. Il a reconnu qu’il avait approuvé le principe de cette agression : « Mon attitude était absolument favorable ». Il participa efficacement à la préparation et à l’exécution des campagnes de Yougoslavie et de Grèce, et il a déclaré que le plan d’attaque de la Grèce (dit « Plan Marita ») avait été préparé longtemps à l’avance. Il considérait l’Union Soviétique comme « la plus grande menace pour l’Allemagne », tout en estimant que, du point de vue militaire, une attaque immédiate ne s’imposait pas. En fait, sa seule objection à une guerre d’agression contre l’URSS portait sur le choix du moment ; pour des raisons d’ordre stratégique, il aurait voulu attendre que l’Angleterre fût conquise : « Mon point de vue, a-t-il déclare dans sa déposition, n’a été déterminé que par des considérations militaires et politiques. »
Après les aveux qu’il a faits devant ce Tribunal et en raison des postes qu’il a occupés, des conférences auxquelles il a assisté et des paroles qu’il a prononcées en public, il n’est pas permis de douter que, immédiatement après Hitler, Gôring a été le véritable promoteur des guerres d’agression. Il est à l’origine de tous les plans de la guerre poursuivie par l’Allemagne et il en réalisa tous les préparatifs militaires et diplomatiques.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Les dossiers sont remplis des aveux de Göring sur le rôle qu’il a joué dans l’emploi des travailleurs forcés. « Nous avons, dit-il, utilisé ces travailleurs pour des raisons de sécurité, afin qu’ils ne fussent pas employés dans leur propre pays et ne pussent pas travailler contre nous. D’autre part, ils ont contribué à la poursuite de la guerre économique. » Il a déclaré en outre : « On contraignait les travailleurs à venir dans le Reich. C’est un fait que je n’ai pas nié. » Il faut se rappeler que c’est lui qui était plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans et chargé du recrutement et de la répartition de la main-d’œuvre. En sa qualité de Commandant en chef de la Luftwaffe, il demanda à Himmler de lui fournir un plus grand nombre de travailleurs forcés pour ses usines souterraines d’aviation. « Il est exact, dit-il, que j’ai demandé des internés des camps de concentration pour travailler à l’armement de la Luftwaffe et il faut considérer cela comme une chose naturelle. »
En sa qualité de plénipotentiaire, Göring signa un ordre concernant le traitement des travailleurs polonais en Allemagne et le fit appliquer par les instructions qu’il donna au SD, notamment à propos du « traitement spécial ». Il ordonna d’employer les prisonniers de guerre français et soviétiques dans l’industrie d’armement. Il parlait aussi d’appréhender des Polonais et des Hollandais, de les considérer, au besoin, comme des prisonniers de guerre et de les utiliser pour le travail. Il a reconnu, à l’audience, que l’on utilisait des prisonniers de guerre soviétiques pour servir les batteries de DCA.
Toujours en sa qualité de plénipotentiaire, Göring joua un rôle actif dans le pillage des territoires conquis. Pour parvenir à ce but, il établit des plans, bien avant que fût déclenchée la guerre avec l’Union Soviétique. Deux mois avant celle-ci, Hitler donna à Göring la direction suprême de l’administration économique des territoires qui seraient envahis. A cet effet, Göring mit sur pied un État-Major économique. Parce qu’il était Reichsmarschall du « Reich Grand Allemand », ses ordres s’étendaient à tous les domaines économiques, y compris le ravitaillement et l’agriculture. Aux termes de ce que l’on appelle son « Dossier Vert », imprimé par les soins de la Wehrmacht, un État-Major exécutif économique de l’Est fut créé. Les directives contenues dans ce dossier tendaient au pillage et à l’abandon de toutes les industries qui se trouvaient dans les régions déficitaires au point de vue du ravitaillement ; quant aux denrées des régions excédentaires, elles devaient être envoyées en Allemagne pour servir aux besoins de la population. Göring prétend que ses intentions ont été mal comprises, mais il reconnaît qu’il était « naturel et obligatoire pour nous d’utiliser la Russie au mieux de nos intérêts ».
Il participa à la conférence du 16 juillet 1941, au cours de laquelle Hitler déclara que les nationaux-socialistes n’avaient pas l’intention de jamais quitter les pays occupés et qu’ils prendraient les mesures appropriées telles que celles consistant à fusiller ou transplanter les habitants, etc.
A la suite des manifestations de novembre 1938, Göring imposa aux Juifs une amende d’un milliard de Reichsmark. Il les persécuta non seulement en Allemagne, mais aussi dans les territoires conquis. Les déclarations qu’il a faites à cette époque, autant que sa déposition à la barre, montrent qu’il s’intéressait surtout à la question de savoir comment évincer les Juifs de la vie économique de l’Europe et s’emparer de leurs biens. Il étendit aux pays occupés les lois antisémites du Reich, au fur et à mesure de l’avance de l’armée allemande dans ces territoires. Le Reichsgesetzblatt des années 1939, 1940 et 1941, contient plusieurs décrets antisémites signés par Göring. Bien que Himmler fût chargé de l’extermination des Juifs, Göring, malgré ses protestations à l’audience, était loin, en cette matière, d’être indifférent ou inactif. Par décret du 31 juillet 1941, il ordonna à Himmler et à Heydrich d’aboutir à une « solution totale de la question juive dans la sphère d’influence allemande en Europe ».
Aucune circonstance atténuante ne peut être invoquée en faveur de Göring. Il fut souvent — et l’on pourrait dire presque toujours — l’élément dynamique du Parti, placé immédiatement après Hitler.
Il fut le promoteur des guerres d’agression, aussi bien comme chef politique que comme chef militaire. Il dirigea le programme du travail forcé et fut l’instigateur des mesures de persécution contre les Juifs et d’autres races, tant en Allemagne qu’à l’étranger. Tous ces crimes, il les a reconnus sans détour.
Les témoignages peuvent différer sur certains points particuliers mais, en général, les propres aveux de Göring sont plus que suffisants pour permettre de conclure à sa culpabilité. Cette culpabilité est unique dans son étendue. Rien, dans son dossier, ne peut servir d’excuse à cet homme.
Conclusion. Le Tribunal déclare : Que l’accusé Göring est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
HESS.
Hess est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1920 et participa au putsch de Munich du 9 novembre 1923. Il fut emprisonné avec Hitler dans la forteresse de Landsberg en 1924, et devint son confident personnel le plus intime ; il le resta jusqu’à sa fuite en Angleterre. Le 21 avril 1933, il fut nommé représentant du Führer et, le 1" décembre, ministre du Reich sans portefeuille. Le 4 février 1938, il devint membre du Conseil de Cabinet secret et, le 30 août 1939, membre du Conseil des ministres pour la Défense du Reich. En septembre 1939, Hitler le désigna officiellement comme son successeur, après Göring. Le 10 mai 1941, il quitta l’Allemagne par avion et gagna l’Ecosse.
Crimes contre la Paix.
Représentant du Führer, Hess fut l’homme le plus haut placé du parti nazi. Toutes les questions intéressant le Parti en général lui étaient confiées et, en ce qui concernait plus particulièrement la direction, il était autorisé à prendre des décisions au nom de Hitler. En tant que ministre du Reich sans portefeuille, il avait le pouvoir d’approuver, avant leur mise en vigueur, tous les actes législatifs proposés par les différents ministres. A ces divers titres, Hess prit une part active à la préparation de la guerre. Sa signature figure au bas de la loi du 16 mars 1935 qui instituait le service militaire obligatoire. Tout au long de ces années, il soutint par de nombreux discours la politique hitlérienne de réarmement intensif. Il demanda au peuple de consentir des sacrifices et répandit le slogan « des canons au lieu de beurre ».
Il est vrai qu’entre 1933 et 1937 Hess prononça des discours dans lesquels il exprimait son désir de paix et plaidait pour une coopération économique internationale. Mais rien, dans le contenu de ces discours, ne peut changer quoi que ce soit au fait que Hess savait mieux qu’aucun des autres accusés combien Hitler était déterminé à réaliser ses ambitions, combien c’était un homme fanatique et violent et combien il était peu probable qu’il s’abstînt de recourir à la force, si c’était le seul moyen qui lui permît d’atteindre ses buts.
Hess prit part, en connaissance de cause et de son plein gré, aux agressions allemandes contre l’Autriche, la Tchécoslovaquie et la Pologne. Il fut en rapport avec le parti nazi illégal d’Autriche et lui donna ses instructions pendant toute la période s’étendant entre l’assassinat de Dollfuss et l’Anschluss. Hess se trouvait à Vienne le 12 mars 1938, lorsque les troupes allemandes y firent leur entrée ; le 13 mars, il signa la loi qui incorporait l’Autriche au Reich allemand. Une loi du 10 juin 1939 prévoyait sa participation à l’administration de l’Autriche. Le 24 juillet 1938, dans un discours qu’il prononça en commémoration de la tentative de putsch entreprise par les nationaux-socialistes, quatre ans auparavant, il célébra les étapes qui avaient abouti à l’Anschluss et justifia l’occupation de l’Autriche par l’Allemagne.
Pendant l’été 1938, Hess fut en rapports suivis avec Henlein, chef du parti allemand des Sudètes en Tchécoslovaquie. Le 27 septembre 1938, au moment de la crise de Munich, il s’entendit avec Keitel pour exécuter les instructions de Hitler visant à faire fonctionner le mécanisme du parti nazi en vue d’une mobilisation secrète. Le 14 avril 1939, Hess signa un décret incorporant au Reich le territoire de Sudètes, et une ordonnance du 10 juin 1939, prévoyant sa participation à l’administration de ce territoire. Le 7 novembre 1938, Hess avait intégré dans le parti nazi allemand le parti de Henlein, et avait déclaré, dans un discours, que Hitler n’aurait pas hésité à s’emparer du pays des Sudètes par la force, si les circonstances l’avaient exigé. Le 27 août 1939, l’attaque contre la Pologne ayant été provisoirement ajournée dans l’espoir de persuader la Grande-Bretagne d’abandonner la garantie donnée par elle à ce pays, Hess vanta publiquement « l’offre magnanime » de Hitler à la Pologne et accusa cette dernière d’agitation belliciste, attitude dont l’Angleterre, selon lui, était responsable. Après l’invasion de la Pologne, Hess signa des décrets qui incorporaient au Reich Dantzig et certains territoires polonais et créaient le Gouvernement Général.
Ces mesures, prises par l’accusé pour soutenir les plans d’agression de Hitler, ne montrent pas encore toute l’étendue de sa responsabilité. Jusqu’à sa fuite en Angleterre, Hess fut le confident personnel le plus intime du Chancelier du Reich et, à ce titre, fut certainement au courant des plans d’agression dès leur conception. Il favorisa l’exécution de ces plans, chaque fois que cela fut nécessaire.
Il partit pour l’Angleterre avec certaines propositions de paix que, d’après lui, Hitler considérait comme acceptables. Il est significatif que ce voyage ait eu lieu dix jours seulement après que Hitler eut fixé au 22 juin 1941 la date de l’attaque contre l’Union Soviétique. Dans les entretiens qu’il eut après son arrivée en Grande-Bretagne, Hess soutint avec ardeur tous les actes d’agression commis jusqu’à ce moment et essaya de justifier l’attitude de l’Allemagne vis-à-vis de l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Norvège, le Danemark, la Belgique et les Pays-Bas. Il accusa l’Angleterre et la France d’être responsables de la guerre.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
D’après certaines preuves soumises au Tribunal, la Chancellerie du Parti aurait, sous la direction de Hess, participé à la transmission des ordres relatifs à la perpétration des crimes de guerre, et Hess aurait eu connaissance des crimes commis dans l’Est, même s’il n’y a pas participé ; il aurait aussi proposé des lois d’exception contre les Juifs et les Polonais et aurait signé des décrets obligeant certaines catégories de Polonais à accepter la nationalité allemande. Toutefois, le Tribunal estime que les preuves invoquées pour démontrer la participation de Hess à ces crimes ne suffisent pas à établir sa culpabilité.
Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, le Tribunal a estimé, après un examen médical complet et un rapport sur l’état de santé de Hess, qu’il devait être jugé sans ajournement. On a demandé depuis, à plusieurs reprises, qu’il soit examiné à nouveau. Le Tribunal, après un rapport du psychiatre de la prison, a rejeté ces requêtes.
Il est possible que Hess agisse d’une manière anormale, qu’il souffre d’amnésie partielle et que ses facultés intellectuelles se soient affaiblies au cours du Procès, mais rien ne prouve qu’il ne saisisse pas la nature de l’accusation qui pèse sur lui ou qu’il ait été incapable de se défendre. Il a été régulièrement représenté au Procès par un avocat désigné à cet effet par le Tribunal. Il n’a pas été allégué que Hess ne fût pas complètement sain d’esprit lorsqu’il a commis les crimes dont il est accusé.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Hess est coupable des crimes visés par les premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation.
Que l’accusé Hess n’est pas coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
VON RIBBENTROP.
Von Ribbentrop est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1932. L’année suivante, il devint, en matière de politique étrangère, le conseiller de Hitler et le représentant du parti nazi. En 1934, il fut nommé délégué aux questions de désarmement et, en 1935, ministre plénipotentiaire sans portefeuille ; c’est en cette dernière qualité qu’il négocia l’Accord naval anglo-allemand en 1935 et le Pacte anti-komintern en 1936. Le 11 août 1936, il fut envoyé comme ambassadeur en Angleterre. Le 4 février 1938, il succéda à von Neurath comme ministre des Affaires étrangères du Reich, au cours du remaniement général qui suivit le renvoi de von Fritsch et celui de von Blomberg.
Crimes contre la Paix.
Von Ribbentrop n’assista pas à la conférence du 5 novembre 1937, dite « Conférence Hossbach », mais le 2 janvier 1938, alors qu’il était encore ambassadeur en Angleterre, il envoya un mémorandum à Hitler indiquant que, à son avis, une modification favorable à l’Allemagne du statu quo à l’Est ne pouvait être obtenue que par la force et proposant des moyens d’empêcher l’Angleterre et la France d’intervenir dans une guerre européenne faite à cette fin. Quand von Ribbentrop devint ministre des Affaires étrangères, Hitler lui déclara que l’Allemagne avait encore quatre problèmes à résoudre, l’Autriche, les territoires des Sudètes, Memel et Dantzig, et mentionna la possibilité « d’abattre son jeu » et de recourir à un « règlement militaire » pour les résoudre.
Le 12 février 1938, von Ribbentrop assista à l’entretien au cours duquel Hitler força Schuschnigg, par des menaces d’invasion, à faire une série de concessions ’destinées à renforcer la position des nazis en Autriche et qui comprenaient notamment la nomination de Seyss-Inquart au poste de ministre ’de la Sûreté et de l’Intérieur, avec contrôle de la police. Von Ribbentrop était à Londres quand l’occupation de l’Autriche fut réalisée et, grâce aux renseignements que lui fournit Göring, il informa le Gouvernement britannique du fait que l’Allemagne n’avait pas présenté à l’Autriche un ultimatum, mais n’était intervenue que pour empêcher une guerre civile. Le 13 mars 1938, von Ribbentrop signa la loi incorporant l’Autriche au Reich allemand.
Von Ribbentrop participa aux plans d’agression contre la Tchécoslovaquie. Dès mars 1938, il se tint en contact étroit avec le parti allemand des Sudètes et lui donna des instructions qui avaient pour but de continuer à faire du problème des Sudètes une question brûlante, susceptible de servir d’excuse à l’attaque projetée contre la Tchécoslovaquie. En août 1938, il participa à une conférence dont l’objet était d’obtenir l’appui des Hongrois en cas de guerre avec la Tchécoslovaquie. Après le Pacte de Munich, il continua d’exercer une pression diplomatique en vue d’occuper le reste de ce pays. Il contribua à inciter les Slovaques à proclamer leur indépendance. Il assista à la conférence des 14 et 15 mars 1939, au cours de laquelle Hitler, sous la menace d’une invasion, obligea le président Hacha à consentir à l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne. Après l’entrée des troupes allemandes, von Ribbentrop signa la loi établissant un protectorat sur la Bohême et la Moravie.
Von Ribbentrop joua un rôle particulièrement important dans l’activité diplomatique qui conduisit à l’agression contre la Pologne. Il prit part, le 12 août 1939, à une conférence dont le but était d’obtenir l’appui de l’Italie si l’attaque conduisait à une guerre générale en Europe. Dans la période comprise entre le 25 et le 30 août 1939, von Ribbentrop exposa à l’Ambassadeur britannique les demandes allemandes concernant Dantzig et le corridor polonais ; il savait pourtant que l’attaque contre la Pologne n’avait été provisoirement ajournée que pour inciter les Anglais à se dégager de la garantie qu’ils avaient donnée à ce pays. La manière dont il mena ces discussions montre clairement qu’il n’y prit pas part de bonne foi, dans l’espoir d’aplanir le différend germano-polonais.
Von Ribbentrop fut informé à l’avance des attaques qui devaient être effectuées contre la Norvège et le Danemark, d’une part, les Pays-Bas, de l’autre ; il prépara les mémorandums officiels du ministère des Affaires étrangères qui essayaient de justifier ces actes d’agression.
Von Ribbentrop assista à la conférence du 20 janvier 1941, au cours de laquelle Hitler et Mussolini envisagèrent l’attaque contre la Grèce, et à la conférence du même mois qui permit à Hitler d’obtenir d’Antonesco que les troupes allemandes fussent autorisées à traverser la Roumanie pour effectuer cette attaque. Lorsque, le 25 mars 1941, la Yougoslavie adhéra au Pacte Tripartite, elle avait reçu de von Ribbentrop l’assurance que l’Allemagne respecterait sa souveraineté et son intégrité territoriale. Le 27 mars 1941, à la suite du coup d’état yougoslave dirigé contre l’Axe, l’accusé assista à une réunion au cours de laquelle furent élaborés des plans en vue de réaliser l’intention qu’avait proclamée Hitler de détruire la Yougoslavie.
En mai 1941, von Ribbentrop assista à une conférence entre Hitler et Antonesco, au sujet de la participation roumaine à l’attaque contre l’URSS. Il s’entretint également avec Rosenberg de l’établissement d’un plan prémilitaire d’exploitation politique des territoires soviétiques. En juillet 1941, après le déclenchement de la guerre contre l’Union Soviétique, il pressa le Japon d’attaquer ce pays.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Von Ribbentrop participa à une réunion le 6 juin 1944, au cours de laquelle fut décidé le lynchage systématique des aviateurs alliés effectuant des attaques à basse altitude. En décembre 1944, le ministre des Affaires étrangères fut mis au courant des plans d’assassinat d’un général français, prisonnier de guerre, et il invita ses subordonnés à veiller à ce que les détails de cette opération fussent exécutés de façon à éviter qu’elle ne fût découverte par les Puissances protectrices.
Von Ribbentrop est également responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité en raison de son activité à l’égard des pays occupés et des satellites ide l’Axe. Le fonctionnaire allemand le plus important au Danemark et dans la France de Vichy était un représentant du ministère des Affaires étrangères et von Ribbentrop est donc responsable des mesures économiques et politiques appliquées pendant l’occupation de ces pays. Il incita les Italiens à adopter des méthodes impitoyables en Yougoslavie et en Grèce.
Il joua un rôle important dans la « solution finale » de la question juive. En septembre 1942, il ordonna aux représentants diplomatiques allemands accrédités auprès de certains satellites de l’Axe d’accélérer la déportation des Juifs vers l’Est. En juin 1942, l’ambassadeur d’Allemagne à Vichy demanda à Lavai de livrer cinquante mille Juifs pour les déporter vers l’Est. Le 25 février 1943, von Ribbentrop protesta auprès de Mussolini contre la lenteur des Italiens à déporter les Juifs de la zone d’occupation italienne en France. Le 17 avril 1943, il assista à un entretien entre Hitler et Horthy au sujet de la déportation des Juifs de Hongrie et fit connaître au Régent de ce pays que les « Juifs devaient être soit exterminés, soit mis dans des camps de concentration ». A la même conférence, Hitler avait assimilé les Juifs à des « bacilles tuberculeux » et dit que s’ils ne travaillaient pas, il fallait les fusiller.
Von Ribbentrop, pour se défendre contre les accusations portées contre lui, prétend que Hitler prenait toutes les décisions importantes et que lui-même, en admirateur et fidèle disciple, ne mettait jamais en doute les assertions répétées de Hitler concernant son désir de paix, ou le bien-fondé des raisons qu’il donnait pour justifier sa politique d’agression. Le Tribunal estime que cette explication n’est pas conforme aux faits.
En résumé, von Ribbentrop a participé à toutes les agressions nazies, depuis l’occupation de l’Autriche jusqu’à l’invasion de l’Union Soviétique. Encore qu’il soit personnellement impliqué dans la préparation diplomatique plutôt que dans la réalisation militaire de ces actes, il n’en reste pas moins que tous ses efforts de diplomate étaient en liaison si étroite avec la guerre qu’il ne pouvait ignorer le caractère agressif des actes de Hitler. Dans l’administration des territoires dont l’Allemagne s’était injustement emparée, von Ribbentrop a participé à l’application de méthodes criminelles incluant en particulier celles qui ont abouti à l’extermination des Juifs. Au surplus, de nombreuses preuves démontrent que von Ribbentrop était en complet accord avec la doctrine du parti nazi et que c’est sans réserve qu’il a collaboré avec Hitler et d’autres accusés à la perpétration de crimes contre la Paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. C’est en raison de son accord total avec la politique et les plans de Hitler, que von Ribbentrop l’a suivi si complaisamment jusqu’au bout.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé von Ribbentrop est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
KEITEL.
Keitel est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il fut chef d’État-Major du ministre de la Guerre von Blomberg depuis 1935 jusqu’au 4 février 1938 ; à cette date, Hitler prit le commandement des armées allemandes et nomma Keitel chef du Haut Commandement des Forces armées. Ce poste ne lui conférait pas le pouvoir de donner des ordres aux trois armes de la Wehrmacht, qui dépendaient directement du Chef Suprême et, en fait, l’OKW constituait l’État-Major militaire de Hitler.
Crimes contre la Paix.
Keitel assista, ainsi que deux autres généraux, à l’entrevue qui eut lieu avec Schuschnigg au mois de février 1938. Il a reconnu que leur présence à tous trois était une « démonstration militaire », mais a expliqué que, ayant été nommé chef de l’OKW seulement une semaine auparavant, il ne savait pas pour quelle raison on l’avait convoqué. Hitler et Keitel continuèrent par la suite à exercer une pression sur l’Autriche, en émettant des messages radiodiffusés et de fausses rumeurs et en organisant des mouvements de troupes. Keitel dirigeait toutes ces manœuvres et Jodl a noté dans son journal que « l’effet fut rapide et énergique ».
Lorsque Schuschnigg eut décidé d’organiser un plébiscite, Keitel, la même ’nuit, en informa Hitler et ses généraux ; et Hitler publia le « Cas Otto » que Keitel parapha.
Le 21 avril 1938, Hitler et Keitel examinèrent la façon dont on pourrait utiliser un « inciden » — tel que l’assassinat du Ministre allemand à Prague — comme prétexte à l’attaque contre la Tchécoslovaquie. Keitel signa de nombreuses directives et de nombreux mémorandums concernant le « Cas Vert » et, entre autres, l’instruction du 30 mai qui contenait la déclaration suivante de Hitler :
« C’est ma décision irrévocable d’écraser la Tchécoslovaquie par une action militaire dans un avenir très proche. » Après Munich, Keitel parapha l’ordre de Hitler concernant l’attaque contre la Tchécoslovaquie et ajouta deux suppléments. Le second précisait que l’attaque devrait apparaître à l’étranger comme « un acte de simple pacification et non pas comme une entreprise belliqueuse ». Keitel assista aussi aux négociations entre <Hitler et Hacha à l’issue desquelles ce dernier finit par céder.
Il était encore présent, le 23 mai 1939, lorsque Hitler annonça sa décision « d’attaquer la Pologne à la première occasion favorable ». Déjà, il avait signé l’ordre enjoignant à la Wehrmacht de soumettre pour le 1er mai à l’OKW l’horaire des opérations du « Cas Blanc ».
Le 12 décembre 1939, Keitel étudia avec Hitler, Jodl et Raeder, la question ’de l’invasion de la Norvège et du Danemark, et une instruction du 27 janvier 1940 lui donna « la direction personnelle et immédiate » des plans concernant la Norvège. Hitler ayant déclaré, le 23 mai 1939, qu’il ne tiendrait aucun compte de la neutralité de la Belgique et des Pays-Bas, Keitel signa les ordres d’attaque les 15 octobre, 20 et 28 novembre 1939. Par la suite, les dix-sept ordres repoussant la date de l’attaque jusqu’au printemps 1940 furent tous signés par Keitel et par Jodl.
Les préparatifs concernant l’attaque de la Grèce et de la Yougoslavie avaient commencé officiellement en novembre 1940. Le 18 mars 1941, Keitel entendit Hitler déclarer à Raeder que l’occupation complète de la Grèce était la condition indispensable qui devait précéder tout règlement ; il entendit également Hitler affirmer le 27 mars que la destruction de la Yougoslavie serait menée avec une « dureté impitoyable ».
Quant à l’invasion de l’Union Soviétique, Keitel a témoigné qu’il s’y était opposé à la fois pour des raisons militaires et parce que cela constituerait une violation du Pacte de non-agression. Malgré cela, il revêtit de ses initiales le « Cas Barbarossa », signé par Hitler le 18 décembre 1940, et assista à la réunion du 3 février 1941 entre celui-ci et les représentants de l’OKW. Keitel, le 13 mars, ajouta un additif pour régler les rapports entre les chefs militaires et les chefs politiques. Il établit aussi, le 6 juin, l’horaire des opérations d’invasion et assista à la conférence du 14 juin au cours de laquelle les généraux firent leurs derniers rapports avant l’attaque.
Il nomma Jodl et Warlimont pour représenter l’OKW auprès de Rosenberg, en ce qui concernait les questions se rapportant aux territoires de l’Est. Le 16 juin, il ordonna à toutes les unités de l’Armée d’appliquer les directives économiques que Göring avait données dans le « Dossier Vert » pour l’utilisation des produits alimentaires et des matières premières fournis par le territoire russe.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Le 4 août 1942, Keitel émit une directive d’après laquelle les parachutistes devaient être livrés au SD. Le 18 octobre, Hitler publia l’ordre relatif aux commandos qui fut appliqué en maintes occasions. Après le débarquement en Normandie, Keitel réitéra cet ordre, puis retendit aux unités alliées combattant aux côtés des groupes de résistance. Il reconnaît avoir su que l’ordre était illégal, mais prétend n’avoir pas pu empêcher Hitler de le promulguer.
Après la publication par l’OKW, le 8 septembre 1941, de règles impitoyables pour le traitement des prisonniers de guerre soviétiques, Canaris écrivit à Keitel que le SD, en s’occupant de cette question, violait les règles du Droit international. Sur ce mémorandum, Keitel, le 23 septembre, écrivit de sa main et parapha la note suivante : « On élève des objections inspirées par une conception chevaleresque de la guerre, mais il s’agit ici de détruire une idéologie. Par conséquent, j’approuve et soutiens ces mesures. » Keitel a déclaré qu’en réalité il était d’accord avec Canaris et qu’il avait discuté de cette question avec Hitler mais sans succès.
Keitel donna aux autorités militaires l’ordre de coopérer avec l’Einsatzstab Rosenberg pour le pillage des biens culturels dans les territoires occupés.
Lahousen a déclaré à la barre que Keitel lui avait dit, le 12 septembre 1939, dans le train spécial de Hitler, qu’il fallait supprimer la classe intellectuelle, la noblesse et les Juifs de Pologne. Le 20 octobre, Hitler dit à Keitel qu’on empêcherait les intellectuels de demeurer une classe dirigeante, que le standard de vie resterait peu élevé et qu’on n’utiliserait la Pologne que pour en tirer de la main-d’œuvre. Keitel/ ne se souvient pas de sa conversation avec Lahousen mais admet qu’une telle politique fut effectivement poursuivie et qu’il avait fait à ce sujet de vaines protestations auprès de Hitler.
Le 16 septembre 1941, il ordonna qu’aux attaques dont étaient victimes les soldats allemands dans l’Est, on répondît par la mise à mort de cinquante à cent communistes pour un soldat allemand, en ajoutant ce commentaire que « dans l’Est, une vie humaine était moins que rien ». Le 1er octobre, il donna l’ordre aux chefs militaires de détenir, en permanence, ides otages prêts à être exécutés, pour le cas où des soldats allemands seraient attaqués. Terboven, commissaire du Reich pour la Norvège, ayant écrit à Hitler que la proposition de Keitel, tendant à rendre les parents des travailleurs responsables des actes commis par ces derniers, ne pourrait être appliquée que si l’on autorisait l’emploi de pelotons d’exécution, Keitel écrivit dans la marge de ce mémorandum : « Oui, c’est ce qu’il y a de mieux. »
Le 12 mai 1941, cinq semaines avant l’invasion de l’Union Soviétique, l’OKW insista auprès de Hitler pour qu’il approuvât une directive de l’OKH, ordonnant à l’Armée de « liquider » les commissaires politiques. Keitel admet que cette directive fut transmise aux commandants en campagne. Le 13 mai, Keitel signa un ordre d’après lequel on devait exécuter sans jugement les civils que l’on soupçonnait d’avoir commis des crimes contre les troupes ; par contre on ne devait pas poursuivre les soldats allemands ayant commis les mêmes actes contre des civils. Le 27 juillet, on décida la destruction de toutes les copies de cet ordre, sans que, pour autant, celui-ci cessât d’être valable. Quatre jours avant, Keitel avait signé un autre ordre qualifiant d’insuffisants les châtiments légaux, et précisant que les troupes devaient user de méthodes terroristes.
Le 7 décembre 1941, Keitel signa le décret « Nacht und Nebel » déjà mentionné et qui prévoyait que les civils ne seraient poursuivis dans les territoires occupés que si une condamnation à mort était probable ; dans les autres cas, ils devaient être livrés à la Gestapo pour être emmenés en Allemagne.
Keitel ordonna aussi que les prisonniers de guerre soviétiques fussent employés dans l’industrie de guerre allemande. Le 8 septembre 1942, il ordonna d’affecter des citoyens français, hollandais et belges, à la construction du « Mur de l’Atlantique ». Enfin, il était présent lorsque le 4 janvier 1944, Hitler donna à Sauckel l’ordre de recruter dans les territoires occupés quatre millions de nouveaux travailleurs.
Devant de tels documents, Keitel ne nie pas avoir participé aux actes énumérés ci-dessus. Il invoque, pour sa défense, sa qualité de soldat et l’argument de l’« ordre supérieur », que l’article 8 du Statut rejette comme moyen de défense.
Aucune circonstance atténuante ne peut être invoquée en sa faveur. Les ordres supérieurs, même donnés à un soldat, ne peuvent constituer des circonstances atténuantes, là où des crimes aussi révoltants que nombreux ont été commis sciemment, impitoyablement et sans la moindre justification militaire.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Keitel est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
KALTENBRUNNER.
Kaltenbrunner est inculpé des crimes visés par les premier, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. En 1932, il adhéra au parti nazi autrichien et aux SS. En 1935, il devint chef des SS pour l’Autriche. Après l’Anschluss, il fut nommé secrétaire d’État à la Sûreté en Autriche, puis, lorsque ce poste fut supprimé, en 1941, chef de la Police et des SS. Le 30 janvier 1943, il devint chef de la Police de sûreté et du SD et chef du Bureau central de sûreté du Reich (RSHA), poste qui avait été occupé par Heydrich jusqu’à son assassinat en juin 1942. Il avait le rang d’Obergruppenführer dans les SS.
Crimes contre la Paix.
Comme chef des SS en Autriche, Kaltenbrunner joua un rôle actif dans le complot formé contre le Gouvernement de Schuschnigg. Dans la nuit du 11 mars 1938, après que Göring eut donné l’ordre aux nationaux-socialistes autrichiens de s’emparer du Gouvernement, cinq cents SS, sous le commandement de Kaltenbrunner, encerclèrent la Chancellerie fédérale ; un détachement spécial y pénétra sous la conduite de l’adjoint de Kaltenbrunner, pendant que Seyss-Inquart négociait avec le Président Miklas. Mais rien, par ailleurs, ne prouve que Kaltenbrunner ait participé aux divers plans de guerre d’agression. L’Anschluss, bien qu’il ait été un acte d’agression, n’est pas considéré comme une guerre d’agression et les charges que l’on peut relever contre Kaltenbrunner dans le domaine du premier chef d’accusation, ne constituent pas, selon le Tribunal, la démonstration de sa participation directe à un plan établi en vue d’une guerre de cette nature.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Quand il devint, le 30 janvier 1943, chef de la Police de sûreté et du SD ainsi que chef du RSHA, Kaltenbrunner prit en charge une organisation qui comprenait les principaux services de la Gestapo, du SD et de la Police criminelle. En tant que chef du RSHA, il avait qualité, soit pour ordonner les mises en « détention de protection » dans les camps de concentration, soit pour faire libérer des internés. Les ordres, dans ce domaine, portaient habituellement sa signature.
Kaltenbrunner avait connaissance des conditions de vie qui régnaient dans les camps de concentration. Il avait certainement visité Mauthausen, et il résulte de plusieurs témoignages qu’il y a vu des prisonniers exécutés, à titre de démonstration, par diverses méthodes : pendaison, coup de feu dans la nuque et asphyxie par les gaz. Kaltenbrunner a personnellement ordonné des exécutions d’internés et son service servait à transmettre aux camps de concentration les ordres d’exécution émanant du bureau de Himmler. A la fin de la guerre, Kaltenbrunner participa à l’organisation de l’évacuation des internés des camps et à l’extermination de beaucoup d’entre eux, afin de les soustraire aux armées alliées qui allaient les libérer.
Le RSHA — pendant la période où Kaltenbrunner le dirigea — fut utilisé pour la réalisation d’un vaste programme de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Des prisonniers de guerre furent maltraités et assassinés. Ceux de l’Union Soviétique furent passés au crible par des Einsatzkommandos, opérant sous le contrôle de la Gestapo : les Juifs, les commissaires et les autres personnes jugées hostiles à l’idéologie du régime nazi, étaient signalés au RSHA ; celui-ci les faisait transférer dans des camps de concentration où ils étaient exécutés. Pendant la même période, le RSHA promulgua un ordre dit « Action Kugel », en vertu duquel certains prisonniers de guerre, évadés, et repris, devaient être amenés à Mauthausen et fusillés. Un ordre prévoyant l’exécution des groupes de commandos fut étendu par la Gestapo aux parachutistes. Un autre ordre, enfin, interdisant à la Police d’intervenir dans les attaques dont les aviateurs alliés obligés d’atterrir étaient l’objet de la part de la population, fut signé par Kaltenbrunner lui-même. En décembre 1944, Kaltenbrunner participa à l’organisation de l’assassinat d’un général français prisonnier de guerre.
Pendant la période où Kaltenbrunner fut chef du RSHA, la Gestapo et le SD continuèrent à maltraiter et à exterminer la population des territoires occupés, à utiliser des méthodes telles que la torture et l’internement dans les camps de concentration ; ils agissaient en général en vertu d’ordres sur lesquels était apposé le nom de Kaltenbrunner.
La Gestapo était responsable de l’application de la discipline rigide à laquelle furent soumis les travailleurs forcés et une série de camps de représailles furent créés à cet effet par Kaltenbrunner. Quand les SS entreprirent la réalisation pour leur compte d’un programme de travail forcé, elles utilisèrent la Gestapo pour obtenir les travailleurs dont elles avaient besoin et firent envoyer ceux-ci dans des camps de concentration.
Le BSHA joua un rôle capital dans la réalisation de la « solution définitive » de la question juive, qui n’était autre chose que l’extermination des Juifs. Une section spéciale, placée sous l’autorité de l’Amt IV du RSHA fut créée pour faire exécuter ce programme. Sous sa direction, six millions de Juifs environ furent tués, dont deux millions par les Einsatzgruppen et par les autres unités de la Police de sûreté. Kaltenbrunner, lorsqu’il était chef de la Police et des SS, connaissait l’activité particulière de ces Einsatzgruppen qui continuèrent d’opérer quand il fut devenu chef du RSHA.
L’assassinat de près de quatre millions de Juifs dans les camps de concentration a déjà été décrit. Le RSHA, sous la direction de Kaltenbrunner, contrôlait l’exécution de cette partie du programme : des groupes spéciaux parcoururent les territoires occupés et les pays satellites de l’Axe, afin d’y rechercher des Juifs et de les déporter vers les lieux où ils étaient exterminés. Kaltenbrunner était au courant de ces actions criminelles. Dans une lettre écrite par lui le 30 juin 1944, il décrivait l’embarquement de douze mille Juifs pour Vienne et il ordonnait que « tous ceux qui étaient incapables de travailler soient tenus prêts pour une « action spéciale », ce qui voulait dire leur extermination.
Kaltenbrunner a nié l’authenticité de sa signature au bas de cette lettre, ainsi qu’il l’a fait à l’occasion de nombreux ordres portant sa signature, tapée à la machine ou imprimée à l’aide d’un tampon, et d’autres ordres moins nombreux signés à la main. Il est inconcevable qu’à l’occasion de questions d’une telle gravité sa signature ait pu apparaître si souvent sans son autorisation.
Kaltenbrunner soutient qu’avant d’accepter les postes de chef du RSHA et de chef de la Police de sûreté et du SD, il se mit au préalable d’accord avec Himmler pour que son rôle fût limité au domaine des renseignements à l’étranger et ne consistât pas en une surveillance générale des agissements du RSHA. Il prétend aussi que l’exécution du programme criminel avait commencé avant qu’il occupât son poste ; qu’il était rarement mis au courant des actions entreprises par le RSHA et que, lorsqu’il les connaissait, il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour les arrêter. Il est exact qu’il s’est intéressé particulièrement à la question des renseignements à l’étranger, mais il a exercé un contrôle sur l’ensemble du RSHA, il a eu connaissance des crimes commis par cette formation et a participé activement à nombre d’entre eux.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Kaltenbrunner n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Kaltenbrunner est coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
ROSENBERG.
Rosenberg est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1919, participa au putsch de Munich le 9 novembre 1923 et essaya de maintenir le parti nazi, devenu illégal, pendant que Hitler était en prison. Reconnu comme l’idéologue du Parti, il développa et répandit les doctrines nazies dans les journaux Völkischer Beobachter et N. S. Monatshefte, dont il était l’éditeur, et dans de nombreux ouvrages. » Son livre Le Mythe du vingtième siècle fut tiré à plus d’un million d’exemplaires.
En 1930, Rosenberg fut élu au Reichstag et devint le représentant du Parti au ministère des Affaires étrangères. En avril 1933, il fut nommé Reichsleiter et directeur du Service des affaires étrangères du Parti (l’APA). En janvier 1934, Hitler fit de Rosenberg son adjoint pour le contrôle de toute l’éducation spirituelle et idéologique du Parti. En janvier 1940, il fut désigné pour fonder la « Hohe Schule », centre de recherches idéologiques et pédagogiques nationales-socialistes et organisa en même temps l’« Einsatzstab Rosenberg ». Le 17 juillet 1941, il fut nommé ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est.
Crimes contre la Paix.
Comme directeur de l’APA, Rosenberg était chargé d’une organisation dont les agents participaient aux intrigues nazies dans toutes les parties du monde. Ses propres rapports affirment que l’APA joua, par exemple, un rôle important dans l’adhésion de la Roumanie à l’Axe. Comme directeur de l’APA, il prit une large part à la préparation matérielle et stratégique de l’attaque contre la Norvège.
Rosenberg fut, avec Raeder, à l’origine du plan d’attaque de la Norvège, à laquelle il s’intéressait depuis l’entretien qu’il avait eu avec Quisling, au mois de juin 1939. Quisling avait souligné l’importance de la côte norvégienne au cas d’un conflit entre l’Allemagne et l’Angleterre et avait exprimé la crainte que la Grande-Bretagne ne fût aidée par les Norvégiens. A la suite de cette conférence, Rosenberg prit des dispositions pour que Quisling collaborât étroitement avec les nazis et bénéficiât de leur appui politique.
Quand la guerre éclata, Rosenberg soutint le point le vue de Quisling, qui craignait une intervention britannique en Norvège, et communiqua à Raeder un projet qui visait à utiliser Quisling pour un coup de main en Norvège. Ce fut Rosenberg qui ménagea entre Hitler et Quisling les entrevues de décembre 1939 qui aboutirent aux préparatifs de l’attaque contre la Norvège, et au cours desquelles le Chancelier du Reich promit à Quisling une aide financière. A la suite de ces conférences, Hitler chargea Rosenberg de l’« exploitation politique » de la Norvège et, deux semaines après l’invasion de ce pays, lui déclara que le motif de sa décision’, d’attaquer la Norvège « résultait des avertissements répétés de Quisling, tels qu’ils lui avaient été communiqués par le Reichsleiter Rosenberg ».
Rosenberg est l’un des principaux responsables de l’élaboration et de l’exécution des mesures qui furent adoptées dans les territoires occupés de l’Est. Le 2 avril 1941, il fut informé par Hitler de l’imminence de l’attaque contre l’Union Soviétique et il accepta d’y apporter sa collaboration à titre de « conseiller politique ». Le 20 avril 1941, il fut nommé commissaire au Contrôle central des affaires d’Europe orientale. Au coure de la préparation des plans d’occupation, il eut de nombreuses conférences avec Keitel, Raeder, Göring, Funk, von Ribbentrop et d’autres personnalités importantes du Reich. En avril et en mai 1941, il établit plusieurs projets de règlements relatifs à l’organisation de l’administration des territoires occupés de l’Est. Le 20 juin 1941, deux jours avant le déclenchement de l’atttaque contre l’URSS, il fit un discours à ses adjoints au sujet des problèmes posés par l’occupation et des mesures à envisager. Le 16 juillet 1941, il assista à la conférence de Hitler, au cours de laquelle les méthodes d’administration et d’occupation furent examinées. Le 17 juillet 1941, Hitler nomma Rosenberg ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est et lui confia officiellement la responsabilité de l’administration civile.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Rosenberg est responsable du pillage systématique des biens publics et privés qui fut pratiqué dans tous les pays envahis d’Europe. Agissant d’après les ordres donnés par Hitler, au mois de janvier 1940, pour fonder la « Hohe Schule », il organisa et dirigea l’« Einsatzstab Rosenberg » qui pilla des musées et des bibliothèques, confisqua des œuvres d’art et des collections, et mit à sac des habitations privées. Ses propres rapports montrent l’importance revêtue par ces confiscations. Au cours de l’« Action M » (Möbel), lancée en décembre 1941 sur la suggestion de Rosenberg, soixante-neuf mille six cent dix-neuf demeures juives furent pillées dans l’Ouest, dont trente-huit mille à Paris seulement, et il fallut vingt-six mille neuf cent quatre-vingt-quatre wagons de chemin de fer pour transporter en Allemagne les meubles confisqués. A la date 14 juillet 1944, vingt et un mille neuf cent trois objets d’art comprenant des peintures célèbres et des pièces de musée avaient déjà été saisis dans l’Ouest par l’Einsatzstab.
Nommé, le 17 juillet 1941, ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, Rosenberg fut investi de l’autorité suprême pour ces régions. Il aida à l’élaboration de la politique de germanisation, d’exploitation, de travail forcé, d’extermination des Juifs et des adversaires du nazisme, et il organisa l’administration qui mit cette politique à exécution. Il prit part à la conférence du 16 juillet 1941, au cours de laquelle Hitler déclara : « Nous avons maintenant la tâche de partager le grand gâteau suivant nos besoins, afin de pouvoir : d’abord le dominer, ensuite l’administrer et enfin l’exploiter » ; Hitler ajouta qu’il fallait agir impitoyablement. Rosenberg entra en fonctions le lendemain.
Rosenberg était parfaitement au courant des traitements brutaux et de la terreur auxquels étaient soumis les habitants des régions de l’Est. Il ordonna de ne pas considérer comme applicables dans ces territoires occupés les règles de la Convention de la Haye concernant la guerre terrestre. Il était au courant de l’enlèvement de matières premières et de produits alimentaires des régions conquises à l’Est et de leur expédition vers l’Allemagne, et il prit une part active à ce pillage. Il déclara que la première demande à présenter aux pays de l’Est était de ravitailler le peuple allemand, et que ce serait le peuple soviétique qui en souffrirait. Ses directives prévoyaient la mise à l’écart des Juifs et leur envoi dans les ghettos. Ses subordonnés prirent part aux massacres des Juifs et quant à ses fonctionnaires de l’Est, ils estimaient qu’il était indispensable de débarrasser des Juifs ces territoires. En décembre 1941, il proposa à Hitler que les cent otages qui devaient être fusillés en France fussent choisis uniquement parmi les Juifs. Rosenberg était au courant de la déportation des travailleurs des régions orientales, des ’méthodes de « recrutement », de l’horreur des déportations et des traitements infligés dans le Reich aux déportés. Il indiqua à ses fonctionnaires le nombre des travailleurs qui devaient être envoyés dans le Reich coûte que coûte. Son consentement à la « Heu Aktion » est indiqué par la signature qu’il apposa sur l’ordre du 14 juin 1944 concernant l’arrestation de quarante à cinquante mille enfants, âgés de dix à quatorze ans, pour leur envoi en Allemagne.
De temps en temps, Rosenberg s’opposa aux excès et aux atrocités commis par ses subordonnés, et notamment par Koch, mais ces excès continuèrent et il garda son poste jusqu’à la fin.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Rosenberg est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
FRANK.
Frank est inculpé des crimes visés par les premier, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1927. Il fut élu au Reichstag en 1930, nommé ministre de la Justice pour l’État de Bavière en mars 1933, puis, lorsque ce poste fut rattaché au Gouvernement du Reich en 1934, ministre du Reich sans portefeuille. Il fut nommé Reichsleiter du parti nazi chargé des questions juridiques en 1933, et, la même année, président de l’Académie allemande de droit. Il lui fut aussi conféré le grade, à titre honorifique, d’Obergruppenführer des SA. En 1942, Frank se trouvait en désaccord avec Himmler au sujet du système juridique qui devait exister en Allemagne. Au cours de la même année, il fut destitué de ses fonctions de Reichsleiter du parti nazi et de président de l’Académie allemande de droit.
Crimes contre la Paix.
Les preuves soumises n’ont pas établi que la participation de Frank au plan concerté en vue de déclencher une guerre d’agression ait été assez importante pour permettre au Tribunal de le déclarer coupable des crimes visés au premier chef.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Frank fut nommé chef de l’Administration civile des territoires polonais occupés et, le 12 octobre 1939, il en devint gouverneur général. Le 3 octobre 1939, il décrivit la politique qu’il avait l’intention d’adopter, dans les termes suivants : « La Pologne sera traitée comme une colonie ; les Polonais seront les esclaves du Plus Grand Reich allemand. » Les preuves versées aux débats indiquent clairement que cette politique d’occupation impliquait la destruction totale de la Pologne en tant qu’entité nationale et l’exploitation impitoyable de ses ressources humaines et économiques pour l’effort de guerre allemand.
Toute résistance fut écrasée avec une extrême rigueur. Un régime de terreur fut instauré, renforcé par des tribunaux sommaires qui ordonnaient, par exemple, des exécutions publiques de groupes de vingt à deux cents Polonais ou des exécutions massives d’otages. Le système des camps de concentration fut introduit dans le Gouvernement Général ; les camps fameux de Treblinka et de Maidanek furent établis. Dès le 6 février 1940, Frank dévoila lui-même ce régime de terreur, en commentant cyniquement, au cours d’un reportage, l’affiche où von Neurath annonçait l’exécution des étudiants tchèques : « Si je prescrivais que des affiches soient collées aux murs chaque fois qu’on fusille sept Polonais, les forêts de Pologne ne suffiraient pas à la fabrication du papier nécessaire. » Le 30 mai 1940, Frank déclara, dans une réunion de policiers, qu’il mettait à profit l’offensive d’Europe occidentale, détournait de la Pologne l’attention du monde, pour liquider des milliers de Polonais susceptibles de s’opposer à la domination allemande, y compris « les principaux représentants de l’élite intellectuelle polonaise ». Conformément à ces instructions, l’action brutale « A. B. « fut commencée : elle permettait à la Police de sûreté et au SD d’accomplir des exterminations qui n’étaient guère gênées par la procédure judiciaire. Aux termes d’un décret de Frank, du 2 octobre 1943, tout individu de nationalité non allemande qui sabotait des travaux effectués pour le compte du Reich dans le Gouvernement Général était jugé par des tribunaux sommaires de la Police de sûreté et du SD et condamné à mort.
Les exigences, en matière économique, auxquelles fut soumis le Gouvernement Général, dépassaient de beaucoup les besoins de l’armée d’occupation ; elles étaient hors de proportion avec les ressources du pays. Les denrées alimentaires furent expédiées en Allemagne en si grande quantité que le ravitaillement des territoires occupés fut réduit à un niveau de famine et que des épidémies se propagèrent rapidement. Certaines mesures furent prises pour assurer l’alimentation des travailleurs agricoles employés aux labours et aux récoltes, mais les besoins du reste de la population furent négligés. Il est certain, comme l’a montré l’avocat de la Défense, que les ravages de la guerre et la confusion économique qui s’ensuivit, rendaient inévitables certaines souffrances dans le Gouvernement Général. Mais ces souffrances furent intensifiées par une politique concertée d’exploitation économique.
Dès les premiers temps de son administration, Frank inaugura la déportation d’ouvriers pour le travail forcé en Allemagne. Le 25 janvier 1940, il exprima son intention de déporter un million de travailleurs et fit entendre, le 10 mai 1940, que ce chiffre devait être atteint par des rafles de police. Le 18 août 1942, Frank annonça qu’il avait déjà fourni huit cent mille travailleurs au Reich et qu’il comptait pouvoir en livrer encore cent quarante mille avant la fin de l’année.
Les persécutions de Juifs commencèrent immédiatement. A l’origine, le territoire contenait deux millions cinq cent mille à trois millions cinq cent mille Juifs. Ils furent tous contraints de vivre dans des ghettos, soumis à des lois d’exception, privés de la nourriture nécessaire à leur subsistance, finalement exterminés systématiquement et brutalement. Le 16 décembre 1941, Frank déclara aux membres de son Cabinet : « Il nous faut exterminer les Juifs, où que nous les trouvions et partout où c’est possible, afin de maintenir la structure et la cohésion du Reich. » Dès le 25 janvier 1944, Frank estimait qu’il ne restait plus que cent mille Juifs.
Au début de sa déposition, Frank a déclaré ressentir une « terrible culpabilité » en ce qui concerne les atrocités commises dans les territoires occupés. Mais sa défense s’est bornée généralement à tenter de prouver qu’en fait il n’était pas responsable, qu’il n’a ordonné que les mesures de pacification nécessaires, que les excès furent dus aux activités d’une police qui n’était pas placée sous son contrôle, et qu’il n’eut même jamais connaissance du régime des camps de concentration. Il a également été soutenu que la famine ne fut qu’une conséquence de la guerre et de la politique suivie en vertu du Plan de quatre ans, que le programme du travail forcé était placé sous la direction de Sauckel, et que l’extermination des Juifs fut effectuée par la Police et les SS sous les ordres directs de Himmler.
Il est indiscutable que la majeure partie du programme criminel dont Frank est accusé fut exécutée par la Police, que Frank eut des conflits de compétence avec Himmler au sujet du contrôle de la Police et que Hitler donna raison à Himmler dans un grand nombre de cas. Il se peut donc que certains des crimes commis dans le Gouvernement Général l’aient été à l’insu de Frank et même parfois malgré lui. Peut-être aussi certaines méthodes criminelles ne furent-elles pas instaurées par Frank, mais exécutées en application d’instructions reçues d’Allemagne. Mais il est également vrai que Frank participa volontairement et consciemment aux mesures de terreur en Pologne, à l’exploitation économique de ce pays qui entraîna la famine et la mort d’un grand nombre de personnes, à la déportation, pour le travail forcé en Allemagne, de plus d’un million de Polonais. Il participa au programme qui amena le meurtre d’au moins trois millions de Juifs.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Frank n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Frank est coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
FRICK.
Frick est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Spécialiste reconnu des questions administratives, il fit partie du premier Cabinet de Hitler, à titre de ministre de l’Intérieur du Reich. Il occupa ce poste important jusqu’en août 1943, date à laquelle il fut nommé protecteur du Reich pour la Bohême-Moravie. Grâce à ces fonctions qui le plaçaient au centre ’de toute l’administration interne du pays, il devint ministre de l’Intérieur de Prusse, directeur des Élections du Reich, plénipotentiaire général à l’Administration, ainsi que membre du Conseil de Défense du Reich, du Conseil des ministres pour la Défense du Reich et du « Conseil des Trois ». Lorsque les divers pays qui devaient être incorporés au Reich furent envahis, Frick fut placé à la tête des services centraux chargés de ces incorporations.
Encore que Frick n’ait adhéré officiellement au parti nazi qu’en 1925 il s’était déjà, lors du putsch de Munich et alors qu’il était fonctionnaire du Département de la Police de cette ville, rangé aux côtés de Hitler et de la cause nationale-socialiste. Élu membre du Reichstag en 1924, il devint Reichsleiter, en sa qualité de chef du groupe national-socialiste de cette Assemblée.
Crimes contre la Paix.
Frick, nazi ambitieux, contribua activement à soumettre l’Allemagne à la domination absolue du Parti. Dès que Hitler fut devenu Chancelier du Reich, le nouveau ministre de l’Intérieur commença à grouper les gouvernements régionaux sous la souveraineté du Reich. Les nombreuses lois qu’il élabora, signa et fit appliquer, eurent pour effet de supprimer tous les partis d’opposition et ouvrirent en outre la voie à la Gestapo et aux camps de concentration que celle-ci utilisait pour anéantir toute opposition individuelle. Il fut l’auteur principal et impitoyable de la législation qui visait à éliminer les syndicats, les Églises et les Juifs.
Jusqu’à l’agression contre l’Autriche, Frick ne s’occupa que de l’administration intérieure du Reich. Il n’est pas prouvé qu’il ait assisté à aucune des conférences au cours desquelles Hitler exposa ses intentions agressives. Le Tribunal estime, en conséquence, que Frick n’a pas participé au plan concerté ou complot en vue d’une guerre d’agression, tel qu’il est défini dans ce jugement.
Six mois après l’annexion de l’Autriche, Frick devint, en vertu de la loi de défense du Reich du 4 septembre 1938, plénipotentiaire général à l’Administration du Reich. Il fut prévu, au surplus, que, dans le cas où Hitler proclamerait l’« état de défense », Frick serait chargé de l’administration de guerre, exception faite pour le secteur militaire et économique. Les ministères de la Justice, de l’Éducation et des Cultes furent, ainsi que l’Office des questions d’espace, placés sous son autorité. En s’acquittant de la tâche qui lui était confiée, Frick mit sur pied une organisation administrative qui était adaptée aux conditions de guerre et qui, selon ses propres déclarations, entra en ]eu lorsque l’Allemagne eut décidé d’adopter une politique de recours à la force.
Frick signa la loi du 13 mars 1938, qui réunissait l’Autriche au Reich et il fut chargé de son exécution. Il établit en Autriche une administration allemande et prit des mesures législatives qui introduisaient dans ce pays les loi du Reich, y compris les décrets de Nuremberg et la loi sur le service militaire ; il confia les questions de police à Himmler.
C’est Frick, encore, qui signa les lois incorporant au Reich le Pays des Sudètes, Memel, Dantzig, les territoires de l’Est (Prusse occidentale et Posnanie) ainsi que ceux d’Eupen, de Malmédy et de Moresnet. Il fut chargé de l’exécution effective de ces incorporations et de l’établissement d’une administration allemande dans ces territoires. Il signa la loi établissant le Protectorat de Bohême et de Moravie.
En sa qualité de chef des Services centraux pour la Bohême et la Moravie, pour le Gouvernement Général et pour la Norvège, il eut la mission de susciter une étroite coopération entre les administrateurs allemands de ces territoires et les autorités suprêmes du Reich. Dans tous les pays occupés, il nomma le personnel administratif et tint Rosenberg au courant des désignations effectuées dans les territoires de l’Est. Enfin, il signa les lois qui nommaient Terboven commissaire du Reich en Norvège, et Seyss-Inquart commissaire du Reich en Hollande.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Antisémite fanatique, Frick prépara, signa et fit appliquer un grand nombre de lois destinées à éliminer les Juifs de la vie et de l’économie allemandes. Son œuvre législative fut à la base des décrets de Nuremberg, qu’il s’occupa activement à appliquer. Après avoir interdit aux Juifs l’exercice de certaines professions et confisqué leur fortune, il signa finalement, en 1943, après les exterminations massives de Juifs opérées à l’Est, un décret qui les plaçait « hors la loi » et remettait leur sort aux mains de la Gestapo. Ces mesures, qui ouvraient la voie à la « solution finale », furent étendues par l’accusé aux territoires incorporés ainsi qu’à certains des territoires occupés. Pendant la période où il fut protecteur du Reich pour la Bohême et la Moravie, ides milliers de Juifs furent transférés du ghetto de Terezin, en Tchécoslovaquie, à Auschwitz, où ils furent tués. Il institua par décret une procédure pénale d’exception, applicable aux Juifs et aux Polonais du Gouvernement Général.
Bien que la Police fût théoriquement subordonnée au ministre de l’Intérieur, Frick avait, en fait, peu d’autorité sur Himmler et sur les questions de police en général. Quoi qu’il en soit, c’est lui qui avait signé la loi nommant Himmler chef de la Police allemande, ainsi que les décrets plaçant les camps de concentration sous l’autorité de la Gestapo et réglementant, l’exécution des ordres d’internement de protection. Étant donné les nombreuses plaintes dont Frick eut connaissance et compte tenu des témoignages produits au cours des débats, le Tribunal estime que l’accusé connaissait les atrocités commises dans ces camps. En pleine connaissance des méthodes qu’employait Himmler, Frick l’autorisa, par décret, à prendre, dans certains des territoires occupés, les mesures de sécurité qu’il jugerait nécessaires. Or, on sait ce que furent ces « mesures de sécurité ».
En sa qualité d’autorité suprême du Reich en Bohême et en Moravie, Frick porte la responsabilité générale des actes d’oppression qui furent commis dans ce territoire après le 20 août 1943 : mesures de terreur contre la population, travail forcé, déportation et extermination des Juifs dans les camps de concentration. Il est vrai que les attributions que conférait à Frick son poste de protecteur du Reich étaient beaucoup plus resteintes que celles de son prédécesseur ; il est encore vrai qu’il n’avait aucun pouvoir législatif et que son autorité personnelle dans le Protectorat était limitée. Néanmoins, Frick savait parfaitement en quoi consistait à cette époque la politique nazie d’occupation, en particulier à l’égard des Juifs. En acceptant ce poste de protecteur du Reich, il assuma la responsabilité de l’exécution de cette politique en Bohême et en Moravie. Les questions de nationalité, tant dans les pays occupés que dans le Reich, étaient placées sous sa juridiction lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. Après avoir établi un registre racial des personnes d’origine allemande. Frick conféra à certaines catégories de citoyens de pays étrangers la nationalité allemande. Il est responsable de la germanisation qui fut pratiquée en Autriche, dans le pays des Sudètes, à Memel, à Dantzig, dans les territoires de l’Est (Prusse occidentale et Posnanie), et dans ceux d’Eupen, Malmédy et Moresnet. Il imposa aux ressortissants de ces régions les lois allemandes, les tribunaux allemands, l’éducation allemande, la police allemande, ainsi que le service militaire obligatoire.
Ainsi qu’il a été dit plus haut, l’euthanasie fut pratiquée, pendant la guerre, dans des sanatoriums, des hôpitaux et des asiles placés sous l’autorité de Frick. Il savait que des aliénés, des personnes malades et âgées, des « bouches inutiles », étaient mis à mort d’une façon systématique ; des plaintes lui parvinrent au sujet de ces meurtres, mais il ne fit rien pour faire cesser ces agissements. Un rapport de la Commission tchécoslovaque des Crimes de guerre a estimé que, parmi les personnes atteintes de déficience mentale ou âgées dont Frick avait la charge, deux cent soixante-quinze mille furent victimes de ces mesures.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Frick n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Frick est coupable des crimes visés par les deuxième, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
STREICHER.
Streicher est inculpé des crimes visés par les premier et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. Inscrit dès l’origine au parti nazi auquel il adhéra en 1921, il prit part au putsch de Munich. De 1925 à 1940, il fut Gauleiter de Franconie. Élu au Reichstag en 1933, il devint général des SA à titre honoraire. La violente campagne qu’il mena contre les Juifs est universellement connue. De 1923 à 1945, il édita le journal hebdomadaire antisémite, Der Stürmer, dont il fut le rédacteur en chef jusqu’en 1933.
Crimes contre la Paix.
Membre du parti nazi, Streicher fut un adepte convaincu de la politique générale de Hitler, mais aucune preuve n’établit qu’il ait jamais été un des conseillers intimes du Führer, ni qu’il ait, au cours de sa carrière, participé à l’élaboration de la politique qui conduisit à la guerre. En particulier, il n’assista jamais à aucune des importantes conférences au cours desquelles Hitler fit part à ses collaborateurs de ses décisions ; et, bien qu’il ait occupé le poste de Gauleiter, il n’a pas été prouvé qu’il ait eu connaissance de celles-ci. Le Tribunal, en conséquence, estime que la preuve de la participation de Streicher au complot ou plan concerté ayant pour but de déclencher une guerre d’agression, tel qu’il a été défini dans ce jugement, n’a pas été apportée.
Crimes contre l’Humanité.
Ayant, pendant vingt-cinq ans, prêché, par la parole et par la plume, la haine des Juifs, Streicher était universellement connu comme leur ennemi le plus acharné. Dans ses discours et ses articles hebdomadaires ou mensuels, il sema dans l’esprit allemand le virus de l’antisémitisme et poussa le peuple à se livrer à des actions hostiles à l’égard des Juifs. Chaque numéro du Stürmer, qui en 1935 atteignait un tirage de six cent mille exemplaires, était rempli d’articles en ce sens, souvent même licencieux et abjects.
Streicher fut chargé du boycottage des entreprises juives qui débuta le 1er avril 1933. Il prit parti pour les décrets de Nuremberg de 1935. Il est responsable de l’incendie de la synagogue de Nuremberg, le 10 août 1938, et, le 10 novembre, il préconisa publiquement le pogrom qui eut lieu à cette date.
Mais ce ne fut pas seulement contre les Juifs d’Allemagne que Streicher développa Ses doctrines. Dès 1938, il commença à demander l’anéantissement de la race juive. Vingt-trois articles du journal Der Stürmer, écrits entre 1938 et 1941, et dans lesquels était prônée une « élimination » des Juifs, ont été versés aux débats à titre d’exemple caractéristique de ses enseignements. Un éditorial, paru en septembre 1938, traitait le Juif de « bacille », de fléau, déclarait qu’il n’était pas un être humain et l’accusait d’être « un parasite, un être nuisible, un malfaiteur et un propagateur de maladies, qui doit être détruit dans l’intérêt de l’Humanité ». D’autres articles proclamaient que le problème juif ne pourrait être résolu que lorsque la « Juiverie internationale » aurait été anéantie et prédisaient que, d’ici cinquante ans, les tombes juives « attesteraient que ce peuple d’assassins et de criminels a bel et bien trouvé le sort qu’il méritait ».
En février 1940, Streicher publia la lettre d’un lecteur du Stürmer comparant les Juifs à des essaims de sauterelles qui devaient être totalement exterminés. Tel fut le poison que Streicher versa dans l’esprit de milliers d’Allemands ; il leur fit accepter la politique nationale-socialiste de persécution et d’extermination des Juifs. Un éditorial du Stürmer, publié en mai 1939, montre clairement l’intention dans laquelle il a été écrit :
« Une expédition punitive doit se faire en Russie contre les Juifs, qui leur réservera le même sort que celui auquel doit s’attendre tout meurtrier et tout criminel : condamnation à mort et exécution. Les Juifs de Russie doivent être tués. Ils doivent être extirpés et exterminés. »
La guerre ayant amené d’abord l’acquisition par le Reich de territoires de plus en plus vastes, Streicher redoubla d’efforts pour exciter partout les Allemands contre les Juifs. Vingt-six articles du Stürmer, parus entre le mois d’août 1941 et le mois de septembre 1944, figurent au dossier. Douze de ces articles, signés par Streicher, réclament l’anéantissement et l’extermination en termes non équivoques. Le 25 décembre 1941, il écrivait :
« Si le danger de voir se réaliser la malédiction divine que constitue le sang juif doit être évité, il n’y a qu’un moyen pour y parvenir : l’extermination de ce peuple dont le père est le diable. »
Et en février 1944, il affirmait dans un article signé de lui :
« Quiconque agit comme un Juif est une canaille, un criminel. Et celui qui répète ce que dit un Juif ou veut l’imiter mérite le même sort que ce dernier : l’extermination, la mort. »
Quand il fut informé de la disparition des Juifs des territoires de l’Est, l’accusé continua, par ses articles, à poursuivre sa propagande meurtrière. Au cours de sa déposition devant le Tribunal, il a nié avec véhémence avoir jamais eu connaissance des exécutions massives de Juifs. Mais les preuves produites indiquent clairement qu’il était tenu régulièrement au courant des progrès de la « solution définitive ». Le photographe de son journal fut envoyé en mission au printemps de 1943 pour visiter les ghettos de l’Est, au moment même de la destruction de celui de Varsovie. Le journal juif Israelitisches Wochenblatt , que Streicher recevait et lisait, publiait dans chaque numéro des bulletins relatifs aux atrocités commises dans l’Est ; ce journal donnait des comptes rendus indiquant le nombre des Juifs qui avaient été déportés et tués. Par exemple, certains numéros, publiés au cours de l’été et de l’automne de l’année 1942, signalèrent la mort de soixante-douze mille sept cent vingt-neuf Juifs à Varsovie, de dix-sept mille cinq cent quarante-deux à Lodz, de dix-huit mille en Croatie, de cent vingt-cinq mille en Roumanie, de quatorze mille en Lettonie, de quatre-vingt-cinq mille en Yougoslavie et de sept cent mille dans toute la Pologne. En novembre 1943, Streicher cita textuellement un article de l’Israelitisches Wochenblatt qui affirmait que les Juifs avaient effectivement disparu d’Europe ; il ajouta en commentaire : « Ceci n’est pas un mensonge juif ». En. décembre 1942, Streicher, faisant allusion à un article paru dans le London Times, relatif aux atrocités et aux exterminations, souligna que Hitler avait averti que la deuxième guerre mondiale amènerait la destruction des Juifs. En janvier 1943, il publia un article indiquant que la prédiction de Hitler était en cours de réalisation, que l’on était en train d’éliminer la juiverie mondiale, et qu’il était merveilleux d’apprendre que Hitler libérait le monde de ses bourreaux juifs.
Streicher ne peut guère prétendre, en présence de ces preuves, que la solution préconisée par lui était limitée au classement des Juifs parmi les étrangers et à l’institution d’une législation d’exception, comme les lois de Nuremberg ; d’après lui, ces dispositions seraient complétées, si possible, par un accord international créant, en un lieu quelconque, un État juif vers lequel tous les Israélites devraient émigrer.
Le fait que Streicher poussait au meurtre et à l’extermination, à l’époque même où, dans l’Est, les Juifs étaient massacrés dans les conditions les plus horribles, réalise « la persécution pour des motifs politiques et raciaux » prévue parmi les crimes de guerre définis par le Statut, et constitue également un crime contre l’Humanité.
Conclusion. Le Tribunal déclare : Que l’accusé Streicher n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Streicher est coupable des crimes visés par le quatrième chef de l’Acte d’accusation.
FUNK.
Funk est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Ancien journaliste spécialisé dans les questions financières, il adhéra au parti nazi en 1931 et, peu après, devint l’un des conseillers particuliers de Hitler pour les affaires économiques. Le 30 janvier 1933, il fut nommé chef de la Presse dans le Gouvernement du Reich, devint, le 11 mars, sous-secrétaire d’État au ministère de la Propagande puis, peu après, commença à jouer un rôle prépondérant dans les différentes organisations nazies dont le but était de contrôler la presse, le cinéma et les maisons d’éditions littéraires et musicales. Dès le début de 1938, il assuma les fonctions de ministre de l’Économie nationale et de plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre, puis celles de président de la Reichsbank en janvier 1939 ; dans ces trois postes, il succédait à Schacht. En août 1939, il fut nommé membre du Conseil des ministres pour la Défense du Reich, et en septembre 1943, membre du Comité central du Plan.
Crimes contre la Paix.
L’activité de Funk, dans le domaine économique, commença à une époque où les plans nazis de guerre d’agression avaient déjà pris une forme définitive. Un de ses représentants assista, le 14 octobre 1938, à une réunion au cours de laquelle Gôring annonça que la production des armements devait s’accroître dans des proportions énormes et donna au ministère de l’Économie nationale des instructions pour que les exportations soient augmentées de façon à procurer à l’Allemagne les devises nécessaires. Le 28 janvier 1939, l’un des subordonnés de Funk adressa à l’OKW un mémoire proposant l’utilisation des prisonniers de guerre pour combler les vides qui se manifesteraient dans la main-d’œuvre au cas d’une mobilisation. Le 30 mai 1939, le sous-secrétaire d’État au ministère de l’Économie nationale assista à une réunion au cours de laquelle des plans détaillés furent établis pour le financement de la guerre.
Le 25 août 1939, Funk adressa à Hitler une lettre dans laquelle il exprimait sa reconnaissance pour la possibilité qui lui était donnée de jouer un rôle dans des événements entraînant de telles répercussions pour le monde ; par la même occasion, il annonçait qu’il avait terminé les plans pour le « financement de la guerre », pour le contrôle des salaires et des prix et pour le renforcement de la position de la Reichsbank, et qu’ainsi, il avait converti en or, sans que cela pût se remarquer, toutes les ressources en devises dont disposait l’Allemagne. Le 14 octobre 1939, une fois la guerre déclenchée, il déclara dans un discours que les services économiques et financiers de l’Allemagne, travaillant au Plan de quatre ans, avaient participé en secret depuis plus d’un an à la préparation économique de la guerre.
Funk collabora aux plans économiques qui préparaient l’attaque de l’URSS. Son représentant tenait quotidiennement des réunions avec Rosenberg afin d’examiner les problèmes économiques que soulèverait l’occupation du territoire soviétique. Funk participa, en personne et avant l’attaque, aux projets d’impression, en Allemagne, de roubles qui devaient servir de monnaie d’occupation en URSS. Après l’attaque, il prononça un discours dans lequel il décrivit les préparatifs qu’il avait faits pour l’exploitation économique des « vastes territoires de l’Union Soviétique » qui seraient une source de matières premières pour l’Europe.
Funk ne joua pas un rôle prépondérant dans l’élaboration des plans nazi de guerre d’agression. Son activité dans les sphères économiques se déroula sous la haute direction de Göring, plénipotentiaire général pour le Plan de quatre ans. Mais Funk participa aux préparatifs économiques de certaines des guerres d’agression, notamment des guerres contre la Pologne et l’Union Soviétique ; il peut, en conséquence, être déclaré coupable des crimes visés par le deuxième chef de l’Acte d’accusation.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
En sa qualité de sous-secrétaire au ministère de la Propagande et de vice-président de la Chambre de culture du Reich, Funk avait pris part, dès le début, au programme nazi de mesures d’exception appliquées aux Juifs, sur le plan économique. Le 12 novembre 1938, après les pogroms qui eurent lieu au cours de ce mois, il assista à une réunion tenue sous la présidence de Göring, afin de discuter la solution du problème juif et proposa qu’un décret fût pris pour exclure les Juifs de toute activité commerciale, décret que Göring publia le jour même dans le cadre du Plan de quatre ans. Dans sa déposition, Funk a déclaré qu’il avait été choqué par les excès du 10 novembre ; on sait pourtant qu’il prononça, le 15 novembre, un discours dans lequel il décrivait ces excès comme « l’expression violente du dégoût qu’inspirait au peuple allemand l’attaque criminelle que les Juifs dirigeaient contre lui » ; il y affirmait aussi que l’exclusion totale des Juifs de toute activité économique devait logiquement découler de leur exclusion de la vie politique.
En 1942, Funk conclut avec Himmler un accord aux termes duquel la Reichsbank devait recevoir des SS certaines quantités d’or, de bijoux et de devises ; il ordonna à ses subordonnés, qui allaient fixer les détails de cet accord, de ne pas poser trop de questions. En application de cette convention, les SS envoyèrent à la Reichsbank tout ce qui avait appartenu aux personnes exterminées dans les camps de concentration. La Reichsbank gardait l’argent et les billets de banque et envoyait les bijoux, montres et autres effets personnels aux monts-de-piété de la municipalité de Berlin. Quant à l’or provenant des montures de lunettes ou arraché aux dentitions, il était déposé dans les sous-sols de la Reichsbank. Funk a affirmé n’avoir eu connaissance d’aucun de ces dépôts. Le Tribunal estime, néanmoins que, ou bien il avait connaissance de ce que la Reichsbank recevait, ou bien il fermait délibérément les yeux sur ce qui se passait.
En tant que ministre de l’Économie nationale et président de la Reichsbank Funk participa à l’exploitation économique des territoires occupés. Il était président de la Compagnie continentale des Pétroles, chargée de l’exploitation des gisements pétrolifères des territoires de l’Est. Il fut responsable de la saisie des réserves d’or de la Banque nationale tchécoslovaque et de la liquidation de la Banque nationale yougoslave. Le 6 juin 1942, son représentant adressa à l’OKW une lettre demandant que des fonds fussent prélevés sur la Caisse des frais d’occupation de la France, afin de servir à des achats au marché noir. Il connaissait la politique allemande d’occupation, puisqu’il assista à la réunion du 8 août 1942 au cours de laquelle Göring, s’adressant aux divers chefs des territoires occupés, leur indiqua quels produits alimentaires ils devaient en retirer et ajouta : « Il m’est absolument indifférent que vous me disiez que, à la suite de ces mesures, vos populations meurent de faim. »
En automne 1943, Funk devint membre du Conseil central du Plan qui fixait le chiffre total d’ouvriers nécessaires à l’industrie allemande et exigeait que Sauckel les fournît, la plupart du temps, en les déportant des territoires occupés. Funk ne paraît pas s’être particulièrement intéressé à cet aspect du programme de travail forcé ; il envoyait généralement aux réunions du Conseil un représentant qui était souvent son collaborateur le général des SS Ohlendorf, ancien chef du SD et ancien commandant de l’Einsatz-gruppe D ; Funk savait cependant que le conseil dont il était membre exigeait la déportation en Allemagne, pour le travail forcé, d’ouvriers qu’il répartissait ensuite parmi les industries placées sous son contrôle.
En sa qualité de président de la Reichsbank, Funk fut aussi indirectement mêlé à l’utilisation de la main-d’œuvre provenant des camps de concentration. Sous sa direction, la Reichsbank ouvrit aux SS un crédit de douze millions de Reichsmark comme fonds de roulement pour la construction d’usines utilisant les travailleurs de ces camps.
En dépit du fait qu’il occupa des postes officiels importants, Funk ne joua jamais un rôle prépondérant dans les différents programmes auxquels il participa. C’est une circonstance atténuante que le Tribunal retient en sa faveur.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Funk n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Funk est coupable des crimes visés par les deuxième, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
L’audience est suspendue pendant dix minutes.
SCHACHT.
Schacht est inculpé des crimes visés par les premier et second chefs de l’Acte d’accusation. De 1923 à 1930, il fut Commissaire aux questions monétaires et président de la Reichsbank ; il fut de nouveau nommé à ce dernier poste le 17 mars 1933 ; il devint ministre de l’Économie en août 1934 et plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre en mai 1935. Il se démit de ces deux fonctions en novembre 1937, et fut nommé ministre sans portefeuille. Le 16 mars 1937, il redevint président de la Reichsbank pour une durée d’un an et le 9 mars 1938 pour une durée de quatre ans, mais il fut relevé de ce poste le 20 janvier 1939, de même que de celui de ministre sans portefeuille, le 22 janvier 1943.
Crimes contre la Paix.
Schacht fut un partisan actif du national-socialisme avant l’accession du Parti au pouvoir le 30 janvier 1933 et favorisa la nomination de Hitler au poste de Chancelier. Après cette date, il joua un rôle important dans l’exécution du programme de réarmement intensif qui fut adopté par l’Allemagne en mettant au maximum les possibilités de la Reichsbank au service de cet effort. La Reichsbank, qui a de tout temps été l’agent financier du Gouvernement allemand, émit des emprunts d’État à long terme dont le montant fut employé au réarmement. L’accusé imagina un système selon lequel des billets de banque à échéance de cinq ans, connus sous le nom de billets Mefo furent utilisés pour obtenir de fortes sommes provenant du marché des devises à court terme pour le réarmement. Le remboursement de ces billets était garanti, mais en fait cette garantie ne provenait que du fait que la Reichsbank était banque d’émission.
En sa qualité de ministre de l’Économie et de plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre, Schacht s’occupa d’organiser l’économie allemande en vue de la guerre. Il fit des plans détaillés pour une mobilisation industrielle et la coordination de l’Armée avec l’industrie en cas de guerre.
Plus particulièrement, et pour pallier la pénurie de matières premières, il entreprit de réaliser un plan de stockage et un système de contrôle des changes. Il espérait ainsi éviter que la faible position de l’Allemagne vis-à-vis de la monnaie étrangère pût gêner l’acquisition à l’étranger de matières premières nécessaires au réarmement. Le 3 mai 1935, il déclarait dans un mémoire adressé à Hitler : « ... la réalisation rapide d’un vaste programme d’armement est le problème essentiel de la politique allemande ; tout doit en conséquence être subordonné à ce but. »
En avril 1936, Schacht commença à voir sa position centrale perdre son influence dans l’effort de réarmement allemand lorsque Göring fut chargé de la coordination des questions de matières premières et de devises étrangères. Göring se fit l’avocat d’un programme étendu de production de matières premières synthétiques, malgré l’opposition de Schacht qui estimait que l’effort financier qu’il faudrait fournir pourrait conduire à l’inflation. L’influence de Schacht diminua encore davantage quand, le 16 octobre 1936, Göring fut nommé plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans, ce qui le chargeait de mettre « toute l’économie en état d’alerte en vue de la guerre » dans un délai de quatre ans. Schacht s’était opposé à la publication de ce plan et à la nomination de Göring à sa tête ; la décision de Hitler montrait qu’il trouvait la politique économique de Schacht trop conservatrice pour la politique de réarmement intensif qu’il voulait appliquer.
Schacht et Göring, après la nomination de ce dernier, commencèrent immédiatement à se quereller. En plus de raisons personnelles qui dominaient leurs disputes, certains principes politiques les divisaient. Schacht, pour des raisons financières, préconisait une réduction du programme de réarmement, réprouvait, comme contraire aux principes d’économie, une augmentation aussi considérable des moyens de production, en particulier celle des produits synthétiques, et demandait une réduction sévère des crédits accordés au Gouvernement et une prudence plus vigilante dans le maniement des réserves en devises étrangères de l’Allemagne. A la suite de ces disputes et d’une discussion particulièrement acerbe au cours de laquelle Hitler accusa Schacht de bouleverser ses plans par ses méthodes financières, l’accusé quitta le ministère de l’Économie le 5 septembre 1937 pour partir en congé et il donna sa démission de ministre de l’Économie et de plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre, le 16 novembre 1937.
En sa qualité de président de la Reichsbank, Schacht devait encore prendre part à des discussions. Pendant toute l’année 1938, la Reichsbank continua à fonctionner comme banquier du Gouvernement allemand en émettant des emprunts à long terme pour financer les armements. Mais le 31 mars 1938, Schacht cessa d’émettre des billets à court terme garantis par la Reichsbank pour subvenir aux dépenses engagées pour l’armement. A la fin de l’année 1938, Schacht voulut essayer de reprendre, par l’intermédiaire de la Reichsbank, le contrôle de la politique financière et refusa, dans cet espoir, d’ouvrir, sur la demande instante du ministre des Finances du Reich, un crédit spécial permettant de payer les salaires des fonctionnaires, crédit qui n’était pas couvert par les fonds existants. Le 2 janvier 1939, Schacht tint une conférence avec Hitler au cours de laquelle il lui demanda instamment de réduire les dépenses d’armement. Le 7 janvier 1939, Schacht présenta à Hitler un rapport signé des directeurs de la Reichsbank demandant avec insistance que les dépenses d’armement soient énergiquement réduites et que le budget soit enfin équilibré. C’était, disait ce rapport, la seule méthode susceptible d’éviter l’inflation. Le 19 janvier, Hitler destitua Schacht de ses fonctions de président de la Reichsbank et le 22 janvier 1943, de celles de ministre sans portefeuille en raison de « son attitude générale durant la lutte décisive de la nation allemande ». Le 23 juillet 1944, Schacht fut arrêté par la Gestapo qui l’envoya dans un camp de concentration jusqu’à la fin de la guerre.
Il est évident que Schacht occupa une situation importante dans le programme de réarmement de l’Allemagne, et que les mesures qu’il prit, en particulier dans les premiers jours du régime nazi, ont causé l’ascension rapide de l’Allemagne nazie en tant que puissance militaire. Mais le réarmement, en lui-même, ne constitue pas un crime aux termes du Statut. Pour en faire un crime contre la Paix, aux termes de l’article 6 du Statut, il faudrait prouver que Schacht réalisa ce réarmement parce que cela faisait partie des plans faits par les nazis en vue d’une guerre d’agression.
Schacht a argué qu’il avait pris part au programme de réarmement seulement parce qu’il voulait construire une Allemagne forte et indépendante qui imposerait par sa politique étrangère autant de respect que les autres pays européens. Il a soutenu qu’il découvrit que les nazis réarmaient dans un but d’agression, et qu’à ce moment il essaya de ralentir la cadence du réarmement ; après la révocation de von Fritsch et de von Blomberg, il aurait pris part à l’élaboration de plans visant à se débarrasser de Hitler, d’abord en le renversant, puis en l’assassinant.
Pour des raisons financières, Schacht commença, dès 1936, à se déclarer en faveur d’une limitation du programme de réarmement. Si l’Allemagne avait adopté la politique que préconisait Schacht, elle n’aurait pas été en mesure de prendre part à une guerre européenne généralisée. L’insistance dont il faisait preuve pour défendre les méthodes qu’il préconisait amena sa révocation définitive de tous les postes économiques importants qu’il occupait en Allemagne. D’autre part, Schacht, grâce à sa connaissance approfondie des finances allemandes, était particulièrement à même de comprendre le sens véritable du réarmement frénétique entrepris par Hitler et de réaliser que la politique économique qui avait été adoptée n’avait qu’un seul but : la guerre. Schacht continua d’ailleurs à prendre part à la vie économique allemande et même, d’une façon accessoire, à certaines des premières agressions nazies. Avant l’occupation de l’Autriche, il établit le taux d’échange entre le mark et le schilling. Après cette occupation, il prit des dispositions pour incorporer la Banque nationale autrichienne à la Reichsbank, et prononça un discours faisant preuve de sentiments extrêmement nazis dans lequel il déclarait que la Reichsbank resterait nationale-socialiste aussi longtemps qu’il en ferait partie ; il y louait Hitler, défendait l’occupation de l’Autriche, tournait en dérision les critiques adressées à la manière dont elle avait été réalisée, et terminait par ces paroles : « Un triple Sïeg Heil pour notre Führer ». Il n’a pas prétendu que ce discours n’exprimât pas son état d’esprit à cette époque. Après l’occupation du territoire des Sudètes, il prit des mesures en vue d’un changement de la monnaie et en vue d’incorporer à la Reichsbank les différentes banques tchèques d’émission. Le 29 novembre 1938, il prononça un discours dans lequel il souligna avec fierté sa politique économique, qui avait fait de l’armement allemand ce qu’il était, et ajouta que cet armement avait permis de réaliser la politique étrangère de l’Allemagne.
Schacht n’a participé à l’établissement des plans d’aucune des guerres d’agression, respectivement visées au chef d’accusation n ° 2. 11 est vrai qu’il a pris part à l’occupation de l’Autriche et à celle du territoire des Sudètes (qui ne sont d’ailleurs ni l’une ni l’autre considérées comme guerres d’agression), mais ce fut dans une mesure trop restreinte pour que son action constituât une participation au plan commun visé au premier chef de l’Acte d’accusation.
De toute évidence, il n’avait pas trempé étroitement dans l’élaboration de ce plan, comme d’autres collaborateurs intimes de Hitler qui le considéraient avec une hostilité non déguisée. La déposition de Speer établit que Schacht fut arrêté le 23 juillet 1944, tout autant par suite de l’hostilité que manifestait Hitler à son égard à cause de son attitude avant la guerre, que par suite du fait qu’on le soupçonnait d’avoir participé au « complot de la bombe ».
Les accusations portées contre Schacht ne pourraient, en conséquence, être maintenues que dans la mesure où Schacht aurait effectivement eu connaissance des plans d’agression nazis.
Le Ministère Public a fourni des preuves relatives à cette question qui est très grave, et une masse de documents et de témoignages ont été produits par la Défense. Le Tribunal a examiné très attentivement toutes ces preuves et il en conclut que l’accusation contre lui est trop douteuse pour être retenue.
Conclusion. Le Tribunal déclare : Que l’accusé Schacht n’est pas coupable des crimes visés par l’Acte d’accusation ; Et ordonne : Que l’officier attaché au Tribunal prenne toutes dispositions pour que Schacht soit mis en liberté dès que l’audience sera levée.
DÖNITZ.
Dönitz est inculpé des crimes visés par les premier, deuxième et troisième chefs de l’Acte d’accusation. En 1935, il prit le commandement de la première flottille de sous-marins qui fut constituée après 1918 ; en 1936, il devint commandant en chef de l’arme sous-marine ; il fut nommé vice-amiral en 1940, amiral en 1942 et, le 30 janvier 1943, commandant en chef de la Marine allemande. Le 1er mai 1945, succédant à Hitler, il devint chef de l’État.
Crimes contre la Paix.
Il n’a pas été prouvé que Dönitz, bien qu’il eût construit et entraîné l’arme sous-marine allemande, ait participé au complot ourdi en vue de faire des guerres d’agression ou qu’il ait préparé et déclenché ces guerres. Il travaillait dans la section des opérations et s’occupait uniquement des questions tactiques. Il n’a pas assisté aux importantes conférences au cours desquelles furent exposés les plans de guerres d’agression et il n’est pas prouvé qu’il ait été au courant des décisions prises à ces conférences. Dönitz, cependant, a mené une guerre d’agression au sens que le Statut donne à ce mot. La guerre sous-marine qui a été déclenchée immédiatement après le début des hostilités, a été menée en pleine coordination avec les autres branches de la Wehrmacht ; il est clair que les sous-marins de Dönitz quoique peu nombreux à l’époque, étaient pleinement préparés à faire la guerre.
Il est vrai que, jusqu’à sa nomination, le 30 janvier 1943, au poste de commandant en chef, Dönitz n’était pas un « Oberbefehlshaber » Cependant, il ne faut pas sous-estimer l’importance de sa position : il n’était pas un simple commandant d’armée ou de division. L’arme sous-marine que commandait Dönitz constituait l’élément principal de la flotte allemande. En. effet, si la flotte de haute mer a bien fait quelques raids spectaculaires, ceux-ci ont été en réalité peu importants et les coups les plus graves que les Alliés ont reçus leur ont été portés par les sous-marins ; les milliers de tonnes de navires alliés et neutres envoyés par le fond en témoignent. De cette guerrs, Dönitz était le seul responsable ; la Direction des opérations navales se réservait seulement la tâche de décider du nombre de sous-marins à affecter à chaque zone.
Comme préparation à l’invasion de la Norvège, Dönitz fit, en octobre 1939, à propos de la question des bases sous-marines, des suggestions dont il prétend qu’elles ne constituaient qu’une étude d’état-major et, en mars 1940, il lança les ordres d’opérations qui concernaient les sous-marins de renfort et dont il a été déjà fait mention.
Le rôle important qu’on lui reconnaissait dans l’effort de guerre allemand ressort clairement du fait que Raeder le désigna comme son successeur et que Hitler le nomma, le 30 janvier 1943, commandant en chef de la Marine. Hitler, lui aussi, connaissait la part essentielle prise par l’arme sous-marine dans la guerre maritime menée par l’Allemagne.
A partir de janvier 1943, Dönitz fut consulté presque continuellement par Hitler. Il est prouvé qu’au cours de la guerre, ils se sont rencontres environ cent vingt fois pour discuter des problèmes navals.
En avril 1945, date à laquelle il reconnaît avoir enfin compris que la lutte était sans espoir, Dönitz exhorta la Marine à continuer le combat. Le 1er mai 1945, il devint le chef de l’État et, jusqu’à la capitulation du 9 mai 1945, il ordonna à la Wehrmacht de continuer la guerre à l’Est. Dönitz a expliqué qu’en donnant ces ordres il voulait assurer l’évacuation de la population civile allemande et permettre à l’Armée de se retirer de l’Est en bon ordre.
Les preuves ont convaincu le Tribunal de la participation active de Dönitz à la conduite de la guerre d’agression.
Crimes de guerre.
Dönitz est accusé d’avoir mené une guerre sous-marine totale, contrairement aux règles fixées par le Protocole naval de 1936 que l’Allemagne avait accepté et qui posait une fois de plus les règles de la guerre sous-marine, telles qu’elles étaient énoncées dans l’Accord naval de Londres de 1930.
Le Ministère Public a exposé que, le 3 septembre 1939, les sous-marins allemands, méconnaissant cyniquement le Protocole, commencèrent à torpiller tous les navires marchands sans restriction, tant ennemis que neutres et que, tout au long de la guerre, un effort calculé fut poursuivi pour voiler ces méthodes en invoquant hypocritement les règles du Droit international et les prétendues violations de ce Droit commises par les Alliés.
Dönitz insiste maintenant sur le fait que la Marine s’est toujours tenue dans les limites fixées par le Droit international et par le Protocole. Il a déclaré qu’au commencement de la guerre, l’ordonnance sur les prises allemandes, extraite presque textuellement du Protocole, était le code de la guerre sous-marine et que, en accord avec la façon de voir de l’Allemagne, il avait ordonné aux sous-marins d’attaquer tous les navires de commerce voyageant en convoi, ainsi que tous ceux qui refusaient de s’arrêter ou qui, à la vue d’un sous-marin, faisaient usage de leur radio. Quand il eut reçu des rapports signalant que des navires de commerce britanniques avaient donné des renseignements par sans-fil, qu’ils étaient armés et qu’ils attaquaient les sous-marins dès qu’ils les apercevaient, il ordonna, le 17 octobre 1939, à ses sous-marins, d’attaquer tous les navires de commerce ennemis sans avertissement et motiva cette décision par le fait que l’on devait s’attendre à une résistance. Déjà, le 21 septembre 1939, des ordres avaient été donnés d’attaquer tous les navires, les neutres y compris, qui naviguaient de nuit, sans feux, dans la Manche.
Le 24 novembre 1939, le Gouvernement allemand adressa un avertissement aux navires de commerce neutres, selon lequel leur sécurité ne pouvait plus être garantie dans les eaux britanniques et françaises, en raison des combats fréquents qui mettaient aux prises, dans ces parages, des sous-marins allemands et des navires marchands alliés ; ces derniers étaient, en effet, armés et avaient reçu l’ordre de se servir de leurs armes aussi bien que d’éperonner les sous-marins.
Le 1CT janvier 1940, le Haut Commandement des sous-marins allemands, agissant selon les instructions de Hitler, ordonna aux sous-marins d’attaquer tous les navires de commerce grecs dans la zone entourant les Iles Britanniques, zone qui était interdite à leurs propres navires par les États-Unis, ainsi que les navires de commerce de toute nationalité, dans la zone limitée du canal de Bristol. Cinq jours plus tard, un autre ordre fut donné aux sous-marins, selon lequel ils « devaient immédiatement et sans restriction faire usage de leurs armes contre tous les navires » dans une zone déterminée de la mer du Nord. En fin de compte, le 18 janvier 1940, les sous-marins reçurent l’autorisation de couler sans avertissement tous les navires se trouvant « dans les parages des côtes ennemies où l’on peut présumer que des mines ont été posées ». On fit une exception pour les navires des États-Unis, de l’Italie, du Japon et de l’Union Soviétique.
Peu de temps après le début de la guerre, l’Amirauté ’britannique, conformément à son Manuel d’instructions pour la Marine marchande de 1938, arma ses navires de commerce, les fit souvent convoyer par une escorte armée et donna l’ordre de transmettre des rapports de position dès que l’on apercevait des sous-marins ; de cette façon, les navires de commerce devenaient partie intégrante du réseau avertisseur du Service naval de renseignements. Le 1er octobre 1939, l’Amirauté britannique annonça qu’elle avait donné aux navires de commerce britanniques l’ordre d’éperonner les sous-marins toutes les fois que cela était possible.
Vu ces données de fait, le Tribunal n’est pas disposé à admettre la culpabilité de Dönitz en ce qui concerne la guerre sous-marine qu’il a menée contre des navires de commerce britanniques armés.
Cependant, le fait que certaines zones furent déclarées zones d’opérations et que des navires de commerce neutres pénétrant dans ces zones furent coulés, pose une question différente. Cette pratique fut suivie par l’Allemagne pendant la guerre de 1914-1918 et fut adoptée par la Grande-Bretagne en guise de représailles. La Conférence de Washington de 1922, l’Accord naval de Londres de 1930 et le Protocole de 1936 furent conclus en pleine connaissance du fait que pendant la première guerre mondiale de telles zones avaient été établies. Néanmoins, le Protocole ne fit aucune exception pour les zones d’opérations. Le Tribunal estime donc que l’ordre de Dönitz de couler à vue et sans avertissement les bâtiments neutres naviguant dans ces zones, représente par conséquent une violation du Protocole.
Il a été également soutenu que les sous-marins allemands, non seulement n’observèrent pas les stipulations du Protocole relatives aux sommations et au sauvetage, mais que Dönitz ordonna délibérément d’exécuter les survivants des navires naufragés, qu’ils fussent ennemis ou neutres. Le Ministère Public a fourni de nombreux documents relatifs à deux ordres de Dönitz, l’ordre de guerre n° am30091946 z151, datant de 1939, et l’ordre concernant le Laconia, datant de 1942. La Défense allègue que ces ordres, ainsi que les documents qui s’y rapportent ne révèlent pas l’existence d’une telle politique, et a fourni un grand nombre de preuves contraires. Le Tribunal estime qu’au cours des débats il n’a pas été établi avec une certitude suffisante que Dönitz ait ordonné délibérément l’exécution des survivants naufragés. Il n’est pourtant pas douteux que ces ordres étaient ambigus et que Dönitz encourt, de ce fait, de graves reproches.
Ce qui est prouvé cependant, c’est que les stipulations relatives au sauvetage ne furent pas observées et que l’accusé ordonna qu’elles ne le fussent pas. L’argument présenté en réponse par la Défense est que, suivant une règle maritime primordiale, la sécurité du sous-marin l’emporte sur le sauvetage rendu impossible par suite du développement de l’aviation. Il peut en être ainsi, mais le Protocole est explicite. Aux termes de ce dernier, un commandant de sous-marin ne peut couler un navire marchand que s’il est en mesure d’opérer le sauvetage de l’équipage ; sinon, il doit le laisser passer sain et sauf devant son périscope. Dönitz est donc, par les ordres qu’il a donnés, coupable de violation du Protocole.
Vu les faits, vu en particulier un ordre de l’Amirauté britannique en date du 8 mai 1940, suivant lequel tous les bateaux naviguant de nuit dans le Skagerrak devaient être coulés, et vu les réponses données par l’amiral Nimitz aux questionnaires qui lui furent adressés et indiquant qu’une guerre sous-marine sans restriction fut menée par les États-Unis dans l’océan Pacifique, dès le premier jour de leur entrée en guerre, Dönitz ne peut être condamné pour violation du Droit international en matière de guerre sous-marine.
Dönitz est, en outre, rendu responsable de l’ordre de Hitler du 18 octobre 1942, dit « ordre des commandos ». Il a admis qu’il avait reçu cet ordre et qu’il en avait pris connaissance alors qu’il était Commandant en chef de l’arme sous-marine, mais il a décliné sa responsabilité à ce sujet. Il a fait remarquer que l’ordre excluait expressément les hommes faits prisonniers au cours de la guerre maritime, que la Marine n’exerçait pas de commandement à terre, et que des commandants de sous-marins ne pouvaient pas entrer en contact avec des commandos.
Une seule fois, cependant, au cours de l’année 1943, alors que l’accusé était Commandant en chef de la Marine, les membres de l’équipage d’une vedette lance-torpilles alliée furent faits prisonniers par les Forces navales allemandes. En vue d’obtenir des renseignements intéressant le contre-espionnage, les services de l’amiral commandant la région les soumirent à un interrogatoire et les remirent ensuite entre les mains du SD qui les fusilla. Dönitz a dit que l’exécution des membres de l’équipage fut faite en violation de l’ordre des commandos, étant donné que leur capture avait été effectuée par la Marine, qu’au reste l’exécution ne fut pas publiée dans le communiqué de la Wehrmacht et qu’il n’avait jamais eu connaissance de l’incident. Il a fait remarquer que l’amiral en question n’était pas sous ses ordres, mais sous ceux du général de l’Armée de terre, commandant les territoires occupés de la Norvège. Cependant, Dönitz permit que l’ordre des commandos restât pleinement valable quand il devint Commandant en chef, et c’est dans cette mesure qu’il est responsable.
Dönitz a déclaré, dans une réunion tenue le 11 décembre 1944 :
« Douze mille prisonniers des camps de concentration seront employés comme main-d’œuvre supplémentaire dans les chantiers navals. » A cette époque-là, il n’avait pas d’ailleurs le contrôle des constructions navales et il prétend maintenant que c’était seulement une suggestion qu’il fit à cette réunion, qu’il voulait simplement que les fonctionnaires responsables prissent des mesures pour construire des navires, qu’il ne fit rien pour obtenir ces ouvriers, puisque cette question échappait à sa compétence et qu’au reste il ignore si cette main-d’œuvre a jamais été recrutée. Il reconnaît pourtant avoir eu connaissance de l’existence des camps de concentration. Un homme qui occupait une situation telle que la sienne a évidemment dû savoir qu’un très grand nombre d’habitants des pays occupés étaient enfermés dans les camps de concentration.
En 1945, Hitler demanda à Jodl et à Dönitz s’ils estimaient que la dénonciation de la Convention de Genève serait opportune. Dönitz, ainsi qu’en témoigne le compte rendu de l’entretien du 20 février 1945, entre les deux chefs militaires, exprima alors l’opinion qu’un acte de ce genre engendrerait des inconvénients plus importants que les avantages qui en découleraient. L’attitude adoptée par Dönitz est résumée dans cette phrase extraite des notes prises par un officier :
« Il vaudrait mieux mettre à exécution sans préavis les mesures nécessaires et sauver la face, à tout prix, vis-à-vis du monde extérieur. »
Le Ministère Public souligne que lorsqu’il est parlé de « mesures à mettre à exécution », cela signifie que si la Convention ne devait pas être dénoncée, elle pouvait être violée à volonté. L’explication fournie en réponse par la Défense consiste à dire que Hitler voulait enfreindre la Convention pour deux raisons : d’une part pour enlever aux troupes allemandes la protection qu’elle leur accordait, ce qui les empêchait de continuer à se rendre en masse aux Anglais et aux Américains, et d’autre part pour permettre d’exercer des représailles contre les prisonniers de guerre alliés en réponse aux bombardements aériens alliés. Dönitz prétend que par « mesures », il entendait des mesures disciplinaires contre les troupes allemandes pour les empêcher de se rendre et que ce mot n’avait aucun rapport avec des mesures à prendre contre les Alliés ; qu’il ne s’agissait que d’une suggestion et qu’en tout cas on ne prit jamais aucune mesure de ce genre, soit contre les Alliés, soit contre les Allemands. Le Tribunal, cependant, n’ajoute pas foi à cette explication. Quoi qu’il en soit, la Convention de Genève ne fut pas dénoncée par l’Allemagne. La Défense a versé aux débats plusieurs déclarations écrites prouvant que des prisonniers de guerre appartenant à la Marine britannique et détenus dans des camps qui dépendaient de Dönitz étaient traités strictement d’après la Convention et le Tribunal retient ce fait comme circonstance atténuante.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Dönitz n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Dönitz est coupable des crimes visés par les deuxième et troisième chefs de l’Acte d’accusation.
RAEDER.
Raeder est inculpé des crimes visés au premier, au deuxième et au troisième chefs de l’Acte d’accusation. En 1928, il devint chef de la Direction de la Marine et, en 1935, Commandant en chef de la Marine de guerre (OKM) ; en 1939, Hitler le fit Grand-Amiral. Il était membre du Conseil de la Défense du Reich. Le 30 janvier 1943, à sa demande, il fut remplacé par Dônitz et reçut le titre honorifique d’Amiral Inspecteur de la Marine.
Crimes contre la Paix.
Au cours des quinze années de son commandement, Raeder reconstruisit la flotte allemande et la mena au combat ; il en accepta la pleine responsabilité jusqu’à sa mise à la retraite en 1943. Il reconnaît que la Marine a violé le Traité de Versailles, mais affirme que « tout homme y eût mis son point d’honneur ». Il allègue d’ailleurs que ces violations furent minimes pour la plupart et que les constructions navales de l’Allemagne étaient restées en deçà de la limite permise. Ces violations, ainsi que celles de l’Accord naval germano-britannique de 1935, ont été analysées dans une autre partie du Jugement.
Raeder reçut de von Blomberg les directives du 24 juin 1937, qui prescrivirent d’effectuer des préparatifs spéciaux en vue de la guerre contre l’Autriche. Il fut l’une des cinq personnalités présentes à la conférence du 5 novembre 1937, dite « Conférence de Hossbach ». Il prétend que, lors de cette réunion, Hitler désirait seulement stimuler l’Armée afin d’obtenir un réarmement plus rapide.
Raeder affirme aussi que, personnellement, il croyait que les questions d’Autriche et de Tchécoslovaquie seraient réglées de manière pacifique, ainsi qu’elles l’ont été d’ailleurs, ajoute-t-il. Il cite également l’accord naval qui venait d’être signé à ce moment-là. Il ne reçut aucune directive en vue d’accélérer la construction des sous-marins et en conclut que Hitler ne préparait pas de guerre.
Raeder reçut les directives concernant le « Cas Vert » et le « Cas Blanc » à partir du 3 avril 1939 ; la première ordonnait à la Marine de seconder l’Armée de terre par une intervention navale. Raeder fut l’un des chefs militaires présents à la réunion du 23 mai 1939 et, le 22 août, il prit part à la réunion d’Obersalzberg au cours de laquelle furent données les directives générales.
C’est dans l’esprit de Raeder et non dans celui de Hitler que prit naissance l’idée d’envahir la Norvège. En dépit du désir, exprimé par Hitler dans sa directive d’octobre 1939, de maintenir la neutralité de la Scandinavie, la Marine examina dès cette époque l’avantage qui résulterait de l’établissement de bases navales dans ces parages. L’amiral Karls fit valoir tout d’abord auprès de Raeder l’intérêt de bases situées en Norvège. Un questionnaire, en date du 3 octobre 1939, fut distribué à la Direction des opérations navales en vue de recueillir des informations sur l’utilité de ces bases. Le
10 octobre, Raeder discuta de ces questions avec Hitler ; il note, à cette date, dans son journal de guerre, que Hitler avait l’intention de prendre l’affaire en considération. Quelques mois après, ce dernier s’entretint avec Raeder, Quisling, Keitel et Jodl ; en même temps que l’OKW commençait à dresser des plans, l’État-Major de la Marine travaillait en liaison avec les officiers d’État-Major de l’OKW. Raeder reçut, le 27 janvier 1940, l’ordre de Keitel concernant la Norvège et, le 1er mars, l’ordre que Hitler donna ensuite.
Raeder tente de justifier son activité en affirmant qu’il s’agissait d’une opération destinée à devancer les Britanniques. Il n’est pas utile de revenir sur ce moyen de défense que le Tribunal a déjà réfuté en concluant qui l’invasion allemande de la Norvège et du Danemark constituait une guerre d’agression. Dans une lettre adressée à la Marine, Raeder déclarait : « Les opérations navales liées à l’occupation de la Norvège resteront à tout jamais la grande contribution apportée par la Marine à cette guerre ».
Raeder reçut les ordres et les nombreux contre-ordres concernant l’attaque à l’Ouest. Le 18 mars 1941, lors d’une réunion à laquelle assistait Hitler, il conseilla avec insistance d’occuper toute la Grèce.
Il prétend que, d’une part, il fit cette recommandation seulement après que les Britanniques eurent débarqué et que Hitler eut ordonné l’attaque et que, d’autre part, la Marine elle-même ne s’intéressait pas à la Grèce. Il reçut aussi l’ordre de Hitler concernant la Yougoslavie.
Raeder s’efforça de dissuader Hitler d’entreprendre l’invasion de l’URSS et l’incita, en septembre 1940, à adopter plutôt une politique d’agression en Méditerranée. Le 14 novembre, il conseilla d’activer la guerre contre l’Angleterre, l’« ennemie principale », et affirma que la construction de la flotte sous-marine et de l’aviation navale devait être poursuivie. D’après les notes de l’État-Major naval de guerre allemand, il souleva des « objections sérieuses contre une campagne de Russie entreprise avant la défaite de l’Angleterre ». Il affirme aujourd’hui que ses objections étaient fondées sur le désir de ne pas violer le Pacte de non-agression, aussi bien que sur des considérations stratégiques. Mais une fois que la décision eut été prise, il donna, six jours avant l’invasion de l’Union Soviétique, l’autorisation d’attaquer les sous-marins russes dans la mer Baltique, dans les limites d’une zone déterminée. Il excuse cette attitude en alléguant que ces sous-marins se livraient à des opérations de reconnaissance. Il s’ensuit que Raeder a participé à la préparation et à la conduite de guerres d’agression.
Crimes de guerre.
Raeder est accusé aussi de crimes de guerre commis en haute mer. L’Athenia, paquebot britannique nom armé, fut coulé, le 3 septembre 1939, au cours de sa traversée vers l’Amérique. Deux mois plus tard, les Allemands prétendirent que M. Churchill avait délibérément coulé l’Athenia pour exciter l’hostilité des Américains à l’égard de l’Allemagne. En fait, ce paquebot fut torpillé par le sous-marin allemand U-30. Raeder prétend qu’un commandant de sous-marin inexpérimenté l’avait coulé par erreur, croyant avoir affaire à un navire de commerce armé et que l’on apprit la vérité seulement au retour de l’U-30, plusieurs semaines après que le démenti allemand eut été donné. Hitler ordonna alors à la Marine et au ministère des Affaires étrangères de continuer à nier le fait. Raeder affirme que pour sa part, il n’a pas eu connaissance de la campagne de propagande menée contre M. Churchill.
L’accusation la plus grave qui pèse sur Raeder est celle d’avoir mené une guerre sous-marine totale, comprenant le torpillage des navires marchands désarmés alliés et neutres, l’abandon des survivants et leur mitraillage, en violation du Protocole de Londres de 1936.
Sur ce point, le Tribunal aboutit aux mêmes conclusions au sujet de Raeder qu’au sujet de Dönitz, compte tenu du fait que Raeder fut mis à la retraite le 30 janvier 1943.
L’ordre sur les commandos, du 18 octobre 1942, qui, de façon expresse, ne s’appliquait pas à la guerre sur mer, fut transmis par la Direction des opérations navales aux différents commandants de la Marine avec des instructions selon lesquelles cet ordre devait être communiqué verbalement par les chefs de flottilles et les chefs de sections à leurs subordonnés. Les membres de deux commandos furent ainsi mis à mort à Bordeaux, le 10 décembre 1942, par la Marine, et non pas par le SD. Le commentaire de la Direction des opérations navales constatait que cette exécution était « conforme à l’ordre spécial du Führer, mais représentait néanmoins une innovation en Droit international, puisque les soldats fusillés étaient en uniforme ». Raeder admet avoir transmis l’ordre par la voie hiérarchique et ne pas avoir opposé d’objection à Hitler.
Conclusion. Le Tribunal déclare : Que l’accusé Raeder est coupable des crimes visés par les premier, deuxième et troisième chefs de l’Acte d’accusation.
VON SCHIRACH.
Von Schirach est inculpé des crimes visés par les premier et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. En 1925, il adhéra au parti nazi et aux SA. En 1929, il devint le chef de l’Union des étudiants nationaux-socialistes. En 1931, il fut nommé chef pour le Reich de la Jeunesse du Parti et chargé de la direction de toutes les organisations de jeunesse nazies, y compris la Jeunesse hitlérienne. En 1933, après la prise du pouvoir par les nazis, von Schirach fut nommé chef de l’ensemble de la Jeunesse du Reich allemand, poste qui dépendait à l’origine du ministère de l’Intérieur, puis à partir du 1er décembre 1936, du Cabinet du Reich. En 1940, von Schirach se démit de ses fonctions de chef de la Jeunesse hitlérienne et de chef de la Jeunesse du Reich allemand, mais conserva son poste de Reichsleiter chargé de la direction de l’éducation de la jeunesse. En 1940, il fut nommé Gauleiter du territoire de Vienne, gouverneur de cette ville et commissaire à la Défense du Reich pour ce territoire.
Crimes contre la Paix.
Après la prise du pouvoir par les nazis, von Schirach, usant à la fois de violence et d’autorité, supprima ou reprit en mains tous les groupes qui étaient en compétition avec la Jeunesse hitlérienne. Un décret de Hitler du 1er décembre 1936 incorporait toute la jeunesse allemande dans la Jeunesse hitlérienne. Lorsque l’inscription devint officiellement obligatoire en 1940, 97g /o des intéressés étaient déjà membres de la Jeunesse hitlérienne.
Von Schirach se servit de la « Hitler Jugend » pour donner à la jeunesse une éducation conforme « à l’esprit du national-socialisme » et la soumit à un programme intensif de propagande nazie. Il fit de la « Hitler Jugend » une organisation susceptible de fournir en hommes les formations du Parti. En octobre 1938, il conclut avec Himmler un accord aux termes duquel les membres de la « Hitler Jugend » qui répondaient aux conditions requises devaient être considérés comme la principale réserve des SS.
Von Schirach se servit également de la « Hitler Jugend » comme école de préparation militaire. Des unités spéciales furent créées en vue essentiellement de former des spécialistes pour les diverses branches de l’Armée. Le 11 août 1939, il conclut avec Keitel un accord aux termes duquel les membres de la « Hitler Jugend » acceptaient d’effectuer leur préparation militaire d’après les directives de la Wehrmacht. Celle-ci devait former chaque année 30.000 instructeurs destinés à la « Hitler Jugend ». Cette dernière s’attachait particulièrement à développer l’esprit militaire et son programme d’entraînement soulignait l’importance du retour des colonies au Reich, la nécessité de l’espace vital et la noblesse du destin qui consistait pour la jeunesse allemande à mourir pour Hitler.
Malgré le caractère militaire de l’activité de la « Hitler Jugend », il ne semble cependant pas que von Schirach ait joué un rôle quelconque dans la réalisation des projets de Hitler visant à une expansion territoriale par le moyen de guerres d’agression, ou qu’il ait participé en quoi que ce soit à l’élaboration des plans ou à la préparation de l’une de ces guerres.
Crimes contre l’Humanité.
En juillet 1940, von Schirach fut nommé, pour le territoire de Vienne, Gauleiter et gouverneur du Reich. Il devint commissaire à la Défense du Reich, d’abord pour la XVIIe région militaire comprenant les Gaue de Vienne, du Haut-Danube et du Bas-^Danube, puis à partir du 17 novembre 1942, pour le Gau de Vienne seulement. En sa qualité de commissaire à la Défense du Reich, il avait le contrôle de l’économie de guerre. Comme gouverneur du Reich, il dirigeait l’administration municipale de la ville de Vienne et il était chargé, sous la direction du ministre de l’Intérieur, de l’administration gouvernementale dans cette ville.
Von Schirach n’est pas inculpé de crimes de guerre, mais seulement de crimes contre l’Humanité. En effet, étant donné que l’Autriche avait été occupée conformément à un plan concerté d’agression, cette occupation constitue, aux termes de l’article 6, c du Statut, un crime « relevant de la juridiction du Tribunal ». Par suite, « le massacre, l’extermination, l’esclavage, la déportation et autres actes inhumains, ainsi que la persécution pour des raisons politiques, raciales ou religieuses », liés à cette occupation, constituent des crimes contre l’Humanité tels qu’ils sont définis par le Statut.
Comme Gauleiter de Vienne, et ainsi que tous les autres Gauleiter, von Schirach devint, en application du décret pris par Sauckel le 6 avril 1942, le délégué de celui-ci pour les questions de main-d’œuvre, avec pouvoir de contrôle sur l’utilisation et le traitement de cette main-d’œuvre dans le ressort de son Gau. Les directives de Sauckel prévoyaient que les travailleurs forcés devaient être nourris, logés et traités de manière à en obtenir le rendement maximum avec le minimum de frais.
Lorsque von Schirach devint Gauleiter de Vienne, la déportation des Juifs avait déjà commencé et sur les 190.000 qu’il y avait à Vienne au début, il n’en restait plus que 60.000. Le 2 octobre 1940, il assista, dans le bureau de Hitler, à une conférence au cours de laquelle il dit à Frank qu’il y avait à Vienne 50.000 Juifs dont le Gouvernement Général aurait à le débarrasser. Le 3 décembre 1940, l’accusé reçut une lettre de Lammers disant qu’après avoir reçu les rapports de von Schirach, Hitler avait décidé, en raison de la crise de logement qui sévissait à Vienne, de déporter dans le Gouvernement Général les 60.000 Juifs qui se trouvaient encore dans cette ville. La déportation des Juifs commença donc et se poursuivit jusqu’au début de l’automne 1942. Le 15 septembre 1942, von Schirach prononça un discours par lequel il expliquait qu’il avait poussé « les Juifs dans le ghetto de l’Est par dizaines de milliers » pour « apporter sa contribution à la culture européenne ».
Pendant que les Juifs étaient déportés de Vienne, le service de von Schirach recevait des rapports concernant l’extermination des Juifs par les Einsatzgruppen, qui lui étaient adressés officiellement et qui émanaient du Service du chef de la Police de sûreté et du SD. Un grand nombre de ces rapports portaient les initiales de l’un des principaux représentants de von Schirach. Le 30 juin 1944, le service de von Schirach reçut également une lettre de Kaltenbrunner qui lui faisait savoir qu’un convoi de 12.000 Juifs allait arriver à Vienne pour effectuer des travaux de guerre urgents, et que tous ceux qui seraient incapables de travailler devraient être gardés pour être prêts à subir une « action spéciale ».
Le Tribunal estime que von Schirach, bien que n’ayant pas provoqué la politique de déportation des Juifs de Vienne, a participé à cette déportation après être devenu Gauleiter de cette ville. Il savait que ce que les Juifs pouvaient espérer de plus favorable, c’était de vivre une existence misérable dans les ghettos de l’Est. Son service recevait des rapports sur l’extermination des Juifs.
Pendant qu’il était Gauleiter de Vienne, von Schirach continua à exercer ses fonctions de Reichsleiter pour l’éducation de la jeunesse, et en cette qualité, il fut informé du rôle joué en automne 1944 par la « Hitler Jugend » dans l’exécution d’uni plan selon lequel 50.000 jeunes gens, âgés de dix à vingt ansi, en provenance des territoires récemment repris par les Forces soviétiques, furent évacués vers l’Allemagne et y furent employés comme apprentis dans l’industrie ou comme auxiliaires dans des unités des Forces armées. Au cours de l’été 1942, von Schirach envoya à Bormann un télégramme pour proposer qu’une ville anglaise d’intérêt culturel soit bombardée en représailles de l’assassinat de Heydrich qui, selon lui, avait été organisé par la Grande-Bretagne.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé von Schirach n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé von Schirach est coupable des crimes visés par le quatrième chef de l’Acte d’accusation.
SAUCKEL.
Sauckel est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1923 et devint Gauleiter de Thuringe en 1927. Il fut député à l’assemblée législative de Thuringe de 1927 à 1933, fut nommé en 1932 Reichsstatthalter pour la Thuringe, et en mai 1933, ministre de l’Intérieur et président du Conseil de l’État de Thuringe. Il fut élu au Reichstag en cette même année et reçut le grade d’Obergruppenführer honoraire dans les SA et dans les SS.
Crimes contre la Paix.
Les preuves n’ont pas établi que Sauckel ait pris une part suffisamment importante dans le plan concerté en vue de la guerre d’agression, d’une part, et dans la préparation ou la conduite des guerres d’agression, d’autre part, pour permettre au Tribunal de le condamner pour les crimes visés aux premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Le 21 mars 1942, Hitler nomma Sauckel plénipotentiaire général pour l’Utilisation de la main-d’œuvre, avec le pouvoir de coordonner « l’utilisation de toute la main-d’œuvre disponible, y compris l’utilisation des ouvriers recrutés à l’étranger et des prisonniers de guerre ». Sauckel devait agir dans le cadre du Plan de quatre ans, et, le 27 mars 1942, Göring, en sa qualité de commissaire à ce Plan, promulgua un décret par lequel ses services de la main-d’œuvre étaient transférés à Sauckel. Le 30 septembre 1942, Hitler donna à Sauckel autorité pour nommer des commissaires dans les différents territoires occupés et « pour prendre toutes les mesures nécessaires en vue de l’exécution » du décret du 21 mars 1942.
Grâce aux pouvoirs qui lui furent ainsi conférés, Sauckel établit un programme de mobilisation de toutes les ressources de main-d’œuvre dont pouvait disposer le Reich.
L’un des aspects principaux de cette mobilisation fut l’exploitation systématique, et par la force, du potentiel de travail des territoires occupés. Peu de temps après que Sauckel fut entré en fonctions, il fit promulguer, par les autorités gouvernementales des différents territoires envahis, des décrets établissant le service du travail obligatoire en Allemagne. Eh. vertu de ces décrets, les commissaires de Sauckel, soutenus par les autorités de police des régions occupées, recrutèrent et envoyèrent en Allemagne le nombre d’ouvriers nécessaire pour atteindre les contingents fixés par Sauckel. Le système de recrutement prétendu « volontaire » a été décrit par lui au cours d’une conférence comme mis en œuvre par « une bande d’agents des deux sexes qui opéraient selon des méthodes utilisées à Shanghai, comme au bon vieux temps ». La déclaration de Sauckel du 1er mars 1944, suivant laquelle « sur les cinq millions de travailleurs étrangers qui sont en Allemagne, il n’y avait même pas deux cent mille volontaires ! », montre que le recrutement réellement volontaire était exceptionnel. Bien qu’il prétende maintenant que cette déclaration est inexacte, les circonstances dans lesquelles elle fut faite, de même que les preuves versées aux débats, permettent de dire sans aucun doute qu’elle était dans son ensemble conforme à la vérité.
On a déjà décrit la façon dont ceux qui étaient malheureusement contraints au travail obligatoire étaient rassemblés et transportés en Allemagne et le sort qui leur était réservé. Sauckel prétend qu’il n’est pas responsable des excès commis au cours de l’exécution du programme. Il explique que le nombre total des ouvriers qu’il fallait recruter était établi d’après les besoins de l’agriculture et de l’industrie, que les autorités d’occupation devaient trouver les ouvriers nécessaires &t que les chemins de fer allemands avaient la charge de les acheminer vers l’Allemagne ; à leur arrivée dans le Reich, ils étaient placés sous le contrôle des ministères du Travail et de l’Agriculture, du Front allemand du Travail et des différentes industries intéressées. Il a déclaré devant le Tribunal que, dans la mesure où il avait un pouvoir quelconque, il réclamait sans cesse un traitement humain pour les ouvriers.
Il n’en est pas moins vrai que Sauckel eut incontestablement une responsabilité générale dans l’ensemble du programme de travail obligatoire. A l’époque dont il s’agit, il exerçait certainement un contrôle sur les domaines dont il prétend maintenant que d’autres avaient la charge. Les règlements qu’il édictait donnaient à ses commissaires le pouvoir de recruter la main-d’œuvre ; et il s’appliquait constamment à surveiller les mesures prises. Il avait connaissance des méthodes impitoyables employées pour le recrutement et soutenait pleinement ces méthodes en se fondant sur ce qu’elles étaient nécessaires afin d’atteindre les contingents fixés.
Il résulte des directives de Sauckel qu’il avait la responsabilité du transport des ouvriers en Allemagne, de leur répartition entre les employeurs, de leur logement et de leur subsistance, et que tous les organismes qui s’occupaient de ces questions lui étaient subordonnés. Il connaissait les conditions défectueuses dans lesquelles vivaient les travailleurs. Il ne semble pas qu’il ait été, par principe, favorable à des méthodes brutales d’extermination par le travail, comme l’était Himmler. Son attitude s’exprime ainsi dans un règlement :
« Tous les hommes doivent être nourris, logés et traités de façon à en obtenir le rendement maximum avec le minimum de frais. »
Il a été démontré que Sauckel était chargé d’un programme qui impliquait, pour plus de cinq millions d’êtres humains, la déportation en vue du travail obligatoire et que, pour beaucoup d’entre eux, cette déportation s’effectuait dans des conditions de cruauté effroyables.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Sauckel n’est pas coupable des crimes visés par les premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Sauckel est coupable des crimes visés dans les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
JODL.
Jodl est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. De 1935 à 1937, il fut chef de la Section de la Défense nationale dans le Haut Commandement des Forces armées. Après une année passée dans une unité, il devint, en août 1939, chef de l’État-Major d’opérations du Haut Commandement des Forces armées. Bien qu’il ait eu Keitel comme supérieur immédiat, il était en relations directes avec Hitler pour toutes les questions d’opérations militaires. Du point de vue strictement militaire, Jodl fut le véritable instigateur de la guerre et l’un des principaux responsables de la stratégie et de la conduite des opérations.
Jodl allègue pour sa défense le fait qu’il était un soldat, forcé à l’obéissance, et non pas un politicien ; il ajoute que son travail d’État-Major prenait tout son temps. Il a dit que, lorsqu’il signait ou contresignait des ordres, des mémorandums et des lettres, il le faisait souvent au nom de Hitler et de Keitel, en l’absence de ce dernier. Bien que devant obéissance à Hitler en tant que soldat, il prétend avoir souvent essayé de s’opposer à certaines mesures en les retardant, et y avoir parfois réussi. Il en fut ainsi quand il résista à Hitler qui demandait que fût donné l’ordre de lyncher les « aviateurs terroristes » alliés.
Crimes contre la Paix.
D’après le journal de Jodl, en date des 13 et 14 février 1938, Hitler donna à ce dernier, ainsi qu’à Keitel, l’ordre de maintenir la pression armée que, lors de la conférence avec Schuschnigg, l’on avait commencé d’exercer contre l’Autriche, en simulant des mesures militaires qui, d’ailleurs, atteignirent leur but. Quand Hitler décida de « ne pas tolérer » le plébiscite de Schuschnigg, Jodl produisit, au cours de la conférence, « l’ancien projet », c’est-à-dire le plan tel que l’avait conçu l’État-Major. Son journal montre, le 10 mars, que Hitler ordonna alors la préparation du « Cas Otto » par une directive que contresigna Jodl.
Jodl publia, le 11 mars, des instructions additionnelles et parapha l’ordre d’invasion donné par Hitler pour le jour même.
D’après les notes de Schmundt, Jodl fut très actif dans les préparatifs d’attaque contre la Tchécoslovaquie. Il parapha les articles 14, 17, 24, 36 et 37 de ces notes. Jodl reconnaît qu’il était d’accord avec l’OKH pour que l’« incident » qui devait fournir un prétexte à l’intervention de l’Allemagne se produisît au plus tard à quatorze heures, le jour X — 1, jour précédant l’attaque ; et il admet, en outre, avoir précisé que l’heure fixée pour cet incident devait être telle que les conditions atmosphériques fussent favorables au vol. Avec les spécialistes de la propagande, il s’entretint des « tâches communes imminentes » résultant notamment des violations du Droit international par l’Allemagne, de leur exploitation par l’ennemi et de leur réfutation par les Allemands, « tâches » que Jodl jugeait « particulièrement importantes ».
Après Munich, Jodl écrivait :
« La Tchécoslovaquie a disparu en tant que puissance... Le génie du Führer et sa détermination à ne pas reculer, même devant une guerre mondiale, ont permis à nouveau de remporter la victoire, sans recourir à la force. Nous gardons l’espoir que les incrédules, les faibles et les hésitants sont maintenant convertis et le resteront. >’
Peu après l’occupation des Sudètes, Jodl fut détaché dans une unité. Il ne devint chef de l’État-Major d’opérations de l’OKW qu’à la fin du mois d’août 1939.
Le 12 décembre 1939, Jodl discuta de l’invasion de la Norvège avec Hitler, Keitel et Raeder ; son journal est rempli de notes postérieures sur le rôle qu’il avait joué dans les’ préparatifs de cette attaque. Jodl explique que son commentaire selon lequel Hitler cherchait encore une « excuse » pour entrer en action, signifiait qu’il attendait des renseignements dignes de foi sur les plans britanniques et il justifie l’invasion comme une opération nécessaire pour prévenir l’exécution de ces plans. Son témoignage montre que, depuis le mois d’octobre 1939, Hitler projetait d’attaquer les nations de l’Ouest en passant par la Belgique, mais ne pensait pas pouvoir envahir la Hollande avant la mi-novembre. Le 8 février 1940, Jodl, son représentant Warlimont et Jeschonnek, chargés des questions stratégiques aériennes, discutèrent la « nouvelle idée » d’attaquer la Norvège, le Danemark et la Hollande, tout en garantissant la neutralité de la Belgique. La plupart des dix-sept ordres qui, pour différentes raisons, notamment à cause des conditions atmosphériques, remettaient au mois de mai 1940, l’attaque à l’Ouest, furent signés par Jodl.
Il s’occupa activement des préparatifs d’attaque contre la Grèce et la Yougoslavie et parapha l’ordre d’intervenir en Albanie qu’avait donné Hitler le 11 janvier 1941. Le 20 janvier, quatre mois avant l’attaque, Hitler, au cours d’une réunion des généraux allemands et italiens à laquelle assistait Jodl, déclara que les troupes allemandes rassemblées en Roumanie devaient être utilisées contre la Grèce. Le 18 mars, Jodl était présent encore lorsque Hitler dit à Raeder que toute la Grèce devait être occupée avant qu’une solution ne pût, intervenir. C’est en sa présence également que, le 27 mars, Hitler déclara, devant le Haut Commandement, que la Yougoslavie devait être anéantie avec une « rigueur impitoyable » et que Belgrade devait être bombardée sans déclaration de guerre.
Jodl a déclaré que Hitler craignait une attaque de la Russie et que c’est pour cette raison qu’il attaqua le premier. Ces préparatifs avaient commencé presque un an avant l’invasion Dès le 29 juillet 1940, en effet, Jodl invita Warlimont à dresser des plans en lui disant que Hitler avait décidé d’attaquer ; plus tard, Hitler dit à Warlimont qu’il’ avait pris cette décision dès le mois d’août 1940, mais qu’il en avait retardé l’exécution pour des raisons militaires. Jodl parapha la directive de Hitler du 12 novembre 1940, selon laquelle les préparatifs ordonnés verbalement, devaient être poursuivis et, le 18 décembre, parapha également le « Cas Barbarossa ». Le 3 février 1941, Jodl discuta avec Hitler et Keitel de l’invasion et, le 14 juin, il était présent lorsque furent faits les derniers rapports sur le « Cas Barbarossa ».
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Le 18 octobre 1942, Hitler édicta l’ordre sur les commandos et, le lendemain, fit une note explicative supplémentaire à l’intention des officiers seulement. Le mémorandum qui accompagnait cet ordre était signé par Jodl et les avant-projets avaient été établis par ses services et d’accord avec lui. L’accusé a déclaré dans sa déposition qu’il était fermement opposé à l’esprit de ces directives au point de vue moral et juridique, mais qu’il ne put refuser de les transmettre. Il insiste sur le fait qu’il essaya d’amoindrir les effets de ces mesures en ne faisant pas connaître à Hitler les cas où elles n’étaient pas exécutées. Il parapha le mémorandum de l’OKW, en date du 25 juin 1944, qui maintenait l’ordre après les débarquements de Normandie.
La directive relative au « Cas Barbarossa » contenait un plan d’élimination des commissaires soviétiques, d’après lequel ces derniers pouvaient être exécutés sans jugement, sur la seule décision d’un officier. Un projet, contenant une note manuscrite de Jodl, suggérait que de telles mesures fussent présentées comme mesures de représailles. L’accusé a soutenu néanmoins dans sa déposition que, par la façon dont il a rédigé cette note, il a tenté de s’opposer à l’exécution de cet ordre.
Quand Hitler, en 1945, envisagea de dénoncer la Convention de Genève, Jodl lui fit remarquer qu’il en résulterait plus d’inconvénients que d’avantages. Le 21 février, il lui déclara que le fait d’avoir signé la Convention ne gênait pas la conduite de la guerre et lui cita, en exemple, le cas d’un navire-hôpital anglais coulé en représailles, et qu’il qualifia d’erreur. Il a affirmé avoir adopté cette attitude, parce que c’était la seule que Hitler pût prendre en considération et que les arguments moraux ou légaux ne servaient à rien ; il prétend avoir ainsi empêché Hitler de dénoncer la Convention.
Les preuves montrant que Jodl se serait occupé activement du programme de travail obligatoire ont été peu nombreuses. Il eut, en effet, à s’absorber dans ses préparatifs stratégiques. Cependant, dans son discours aux Gauleiter, le 7 novembre 1943, il affirma la nécessité d’obliger, avec une vigueur et une résolution impitoyables, les travailleurs du Danemark, de la France et des Pays-Bas à construire le « Mur de l’Atlantique ».
Par un télétype du 28 octobre 1944, Jodl ordonna l’évacuation de tous les habitants de la Norvège septentrionale et l’incendie de leurs maisons pour les empêcher d’aider les Russes. Jodl affirme qu’il était opposé à ces mesures mais qu’elles furent ordonnées par Hitler et ne furent d’ailleurs pas totalement exécutées. Un document émanant du Gouvernement norvégien déclare pourtant que cette évacuation de la Norvège septentrionale a bien eu lieu et que trente mille maisons d’habitations ont été endommagées.
Le 7 octobre 1941, Jodl signa un ordre communiquant la décision de Hitler de ne pas accepter la reddition de Leningrad ni celle de Moscou, qui d’ailleurs ne furent jamais offertes ; l’accent était mis au contraire sur la nécessité qu’il y avait de raser ces villes. Jodl prétend que cette décision était dictée par la crainte qu’elles ne fussent minées par les Russes comme l’avait été Kiev.
Sa défense repose, dans ses grandes lignes, sur la théorie des « ordres supérieurs » qui a été rejetée par l’article 8 du Statut. Aucune circonstance atténuante ne peut être invoquée en sa faveur. Aucun soldat n’a jamais été tenu de participer à de tels crimes et Jodl ne peut se justifier de les avoir commis, en s’abritant derrière la mystique d’une obéissance militaire aveugle.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que Jodl est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
VON PAPEN
Von Papen est inculpé des crimes visés par les premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation. Il fut nommé Chancelier du Reich le 1er juin 1932 et remplacé par von Schleicher le 2 décembre suivant. Il devint le 30 janvier 1933 vice-chancelier dans le cabinet formé par Hitler et le 13 novembre plénipotentiaire pour les affaires sarroises. Le 26 juillet 1934, il fut nommé ministre à Vienne, d’où il fut rappelé le 4 février 1938. Le 29 avril 1939, il fut nommé ambassadeur en Turquie. Il revint en Allemagne quand la Turquie rompit les relations diplomatiques avec son pays en août 1944.
Crimes contre la Paix.
En 1932 et 1933, von Papen employa son activité à aider Hitler à former un ministère de coalition et favorisa sa nomination de chancelier le 30 janvier 1933. Au cours de cette année, comme vice-chancelier dans le ministère, il participa à la consolidation du pouvoir nazi. Toutefois, le 16 juin 1934, von Papen prononça à Mai-bourg un discours dans lequel il dénonçait les efforts entrepris par les nazis pour supprimer la liberté de la presse et de l’Église ; il dénonça aussi le régime de terreur et la confusion que faisaient les « nazis 150% » entre « brutalité » et « dynamisme ». Le 30 juin 1934, au cours de la vague de violence qui accompagna ce qu’on appelle le putsch de Roehm, von Papen fut emprisonné par les SS. Son personnel fut arrêté et deux de ses secrétaires dont celui qui avait participé à la préparation du discours qu’il avait prononcé à Marbourg, furent assassinés. Von Papen fut relâché le 3 juillet 1934.
Malgré l’assassinat de ses collaborateurs, von Papen accepta le 26 juillet 1934, au lendemain de l’assassinat de Dollfuss, le poste de ministre en Autriche. Sa nomination lui fut communiquée par une lettre dans laquelle Hitler lui donnait mission de faire en sorte que les relations entre les deux pays suivent « un cours normal » et l’assurait de sa « confiance entière et sans réserve ». Comme ministre en Autriche, von Papen déploya tous ses efforts pour ’renforcer la situation du parti nazi autrichien et pour faciliter l’Anschluss. Au début de l’année 1935, il assista à une réunion tenue à Berlin, au cours de laquelle fut fixée la politique consistant à éviter tout ce qui pourrait donner l’impression d’une intervention allemande dans les affaires intérieures autrichiennes. Cependant, il fit envoyer deux cent mille mark par mois aux « nationaux-socialistes persécutés en Autriche ». Le 17 mai 1935, il communiqua à Hitler les résultats d’un entretien qu’il avait eu avec le capitaine Léopold, chef des nazis autrichiens, et il insista auprès de Hitler pour que ce dernier fît une déclaration reconnaissant l’indépendance nationale de l’Autriche. Von Papen prévoyait que cette déclaration pourrait aider à la formation d’une coalition contre Starhemberg entre les chrétiens sociaux de Schuschnigg et les nazis autrichiens. Le
27 juillet 1935, il fit connaître à Hitler qu’à son avis la réunion de l’Autriche à l’Allemagne ne pourrait pas être opérée par une pression venant de l’extérieur, mais seulement par la force du mouvement national-socialiste. Il proposa que le parti nazi autrichien changeât son caractère de parti centralisé dans le Reich et devînt un centre de ralliement pour toutes les personnes de race allemande.
Dans différentes circonstances, von Papen prit part à des démonstrations politiques nazies, appuya l’action de la propagande, envoya des comptes rendus détaillés de l’activité du parti nazi et fit des ’rapports réguliers concernant les installations militaires autrichiennes. Sa politique vis-à-vis de l’Autriche eut pour conséquence l’accord du 11 juillet 1936, qui restaurait, en apparence, les relations entre ce pays et l’Allemagne sous une « forme normale et amicale », mais qui était suivi d’un appendice secret prévoyant l’amnistie pour les nazis autrichiens, la suppression de la censure pour leurs publications, la reprise de l’activité politique de leur parti et la nomination d’hommes favorables aux nazis dans le Cabinet Schuschnigg.
Après la signature de cet accord, von Papen offrit sa démission, mais celle-ci ne fut pas acceptée. Il continua par la suite à exercer une pression permanente sur le Gouvernement autrichien afin d’obtenir que des nazis soient appelés au sein du Cabinet Schuschnigg et qu’ils soient investis de fonctions importantes dans le « Vaterländische Front », seul parti autorisé en Autriche. Le 1er septembre 1936, von Papen écrivit à Hitler pour l’avertir que certains adversaires du national-socialisme qui se trouvaient dans le ministère autrichien de la Sécurité freinaient l’infiltration des nazis dans le Gouvernement et pour lui recommander « d’intensifier peu à peu la pression exercée en vue d’obtenir un changement de régime ».
Le 4 février 1938, au moment où von Fritsch, von Blomberg et von Neurath étaient révoqués, von Papen fut informé qu’il était rappelé de son poste de ministre en Autriche. Il fit part à Hitler de ses regrets d’avoir été démis de ses fonctions alors qu’il avait essayé, depuis le mois de novembre 1937, d’amener Schuschnigg à rencontrer Hitler et que Schuschnigg s’était déclaré disposé à le faire. Suivant les instructions de Hitler, von Papen revint alors en Autriche et prépara la rencontre qui eut lieu à Berchtesgaden le 12 février 1938. Von Papen y accompagna Schuschnigg et donna à ce dernier, à la fin de l’entrevue, le conseil de céder aux demandes de Hitler. Le 10 mars 1938, Hitler ordonna à von Papen de rentrer à Berlin. Celui-ci se trouvait à la Chancellerie le 11 mars quand l’ordre d’occuper l’Autriche fut lancé. Il n’a pas été prouvé que von Papen était partisan de cette occupation par la force et il a affirmé à l’audience qu’il avait insisté auprès de Hitler pour qu’elle n’eût pas lieu.
Après l’annexion de l’Autriche, voni Papen se retira de la vie publique et aucune preuve n’a été apportée qu’il ait dès lors pris une part quelconque à la politique. En avril 1939, il accepta le poste d’ambassadeur en Turquie, mais aucune preuve n’a été fournie au Tribunal tendant à établir que, pendant qu’il occupait ce poste, von Papen ait manifesté une activité permettant de l’impliquer dans des actes criminels.
Aucun doute ne peut subsister sur le fait que ses desseins, au cours de sa mission en Autriche, étaient de saper le régime de Schuschnigg, d’accroître la force des nazis autrichiens et d’arriver par ces moyens à l’Anschluss. Pour réaliser ce plan, il eut recours à la fois à des intrigues et à des manœuvres d’intimidation. Mais aux termes du Statut, ces infractions à la morale politique, si graves soient-elles, ne constituent pas un crime. D’après le Statut, von Papen ne pourrait être considéré comme coupable que s’il avait participé à la préparation d’une guerre d’agression. Or, rien ne montre qu’il ait joué un rôle dans le plan général en vertu duquel l’occupation de l’Autriche n’était qu’une étape vers des opérations agressives ultérieures, voire même dans le plan consistant à occuper l’Autriche pour une guerre d’agression, si elle s’avérait nécessaire. Un doute subsiste donc sur ses véritables intentions et le véritable caractère de son activité ; en conséquence, le Tribunal ne peut retenir qu’il ait fait partie du plan concerté visé par le premier chef de l’Acte d’accusation, ou qu’il ait participé à la préparation des guerres d’agression visées par le deuxième chef de l’Acte d’accusation.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé von Papen n’est pas coupable des crimes visés par l’Acte d’accusation,
Et ordonne : Que l’officier attaché au Tribunal prenne toutes dispositions pour que von Papen soit mis en liberté dès que l’audience sera levée.
SEYSS-INQUART.
Seyss-Inquart est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Seyss-Inquart, avocat autrichien, fut nommé conseiller d’État en Autriche en mai 1937, à la suite de la pression allemande. Depuis 1931 il avait collaboré au parti nazi autrichien avec lequel il eut de nombreuses difficultés ; il n’adhéra effectivement au parti nazi que le 13 mars 1938. Il fut nommé ministre de la Sûreté et de l’Intérieur d’Autriche et investi de pouvoirs sur la Police ; c’était l’une des conditions que Hitler avait imposées à Schuschnigg lors de la conférence de Berchtesgaden du 12 février 1938.
Activité en Autriche.
Seyss-Inquart participa à la dernière phase des tractations qui précédèrent l’occupation de l’Autriche par l’Allemagne et fut nommé Chancelier d’Autriche à la suite de menaces d’invasion par les troupes allemandes faites à ce pays.
Le 12 mars 1938, Seyss-Inquart rencontra Hitler à Linz et prononça un discours souhaitant la bienvenue aux Forces allemandes et prônant la réunion de l’Allemagne et de l’Autriche. Le 13 mars, il obtint la promulgation d’une loi suivant laquelle l’Autriche devenait une province de l’Allemagne et il succéda à Miklas dans la fonction de Président de la République lorsque ce dernier préféra démissionner plutôt que de signer la loi. Le titre de Seyss-Inquart fut changé en celui de gouverneur d’Autriche pour le Reich le 15 mars 1938, et le même jour il reçut le grade de général SS. Il fut nommé ministre du Reich sans portefeuille le 1er mai 1939.
Le 11 mars 1939, il se rendit à Bratislava où il rencontra les membres du Cabinet slovaque qu’il amena à déclarer l’indépendance du pays ; cette déclaration fut effectuée en coordination étroite avec l’offensive lancée par Hitler contre la Tchécoslovaquie.
En tant que gouverneur d’Autriche, Seyss-Inquart institua un programme de confiscation des biens juifs. Pendant qu’il était au pouvoir, les Juifs furent forcés d’émigrer, furent internés dans des camps de concentration et furent victimes de pogroms. Enfin il coopéra avec la Police de sûreté et le SD à la déportation de Juifs d’Autriche vers l’Est. Pendant qu’il était gouverneur d’Autriche, des adversaires politiques des nazis furent envoyés dans des camps de concentration par la Gestapo, maltraités et souvent tués.
Activité criminelle en Pologne et aux Pays-Bas.
En septembre 1939, Seyss-Inquart fut nommé chef de l’administration civile de la partie sud de la Pologne. Le 12 octobre 1939, il devint l’adjoint de Frank, Gouverneur Général de la Pologne. Le 18 mai 1940, il fut nommé commissaire du Reich pour les Pays-Bas. Dans ces trois fonctions, il administrait des territoires occupés à la suite de guerres d’agression. Ce rôle était d’une importance primordiale pour les autres guerres déclenchées par l’Allemagne.
En sa qualité d’adjoint au Gouverneur Général pour le Gouvernement Général de la Pologne, Seyss-Inquart approuva les méthodes utilisées pendant l’occupation de ce pays. En novembre 1939, au cours d’un voyage d’inspection dans le Gouvernement Général, Seyss-Inquart déclara que l’administration ! de la Pologne devait aboutir à l’exploitation de ses ressources économiques au profit de l’Allemagne. Il préconisa aussi la persécution des Juifs ; il eut connaissance d’ailleurs de début de « l’action AB » qui entraîna l’assassinat d’un grand nombre d’intellectuels polonais.
En sa qualité de commissaire du Reich pour les territoires occupés des Pays-Bas, Seyss-Inquart appliqua impitoyablement des mesures de terreur destinées à réprimer toute opposition à l’occupation allemande, programme qui, disait-il, était destiné à « annihiler » ses adversaires. En collaboration avec les chefs locaux des SS et de la Police, il joua un certain rôle dans les exécutions d’otages effectuées à l’occasion de délits commis contre les autorités d’occupation, et dans l’envoi dans des camps de concentration de tous ceux qui étaient suspects d’opposition à la politique d’occupation, y compris les prêtres et les professeurs. Sous la menace de représailles contre leurs familles, de nombreux policiers hollandais furent contraints à prendre part à l’exécution de ce programme. Les tribunaux hollandais durent également y participer, mais quand ils montrèrent leur répugnance à prononcer des peines d’emprisonnement qui conduisaient le plus souvent à l’assassinat du prisonnier, on généralisa l’emploi des tribunaux d’exception.
Du point de vue économique, Seyss-Inquart administra les Pays-Bas au mépris des règles posées par la Convention de La Haye qu’il considérait comme périmée. Bien plus, une politique d’exploitation maxima du potentiel économique du pays fut adoptée et appliquée sans aucun égard ou presque pour les répercussions qu’elle pouvait avoir sur ses habitants. Un pillage généralisé des biens publies et privés fut effectué pat) Seyss-Inquart qui lui donna par ses ordonnances un semblant de légalité, et qui fit procéder à des manipulations financières destinées à faciliter ce pillage.
En sa qualité de commissaire du Reich pour les Pays-Bas, Seyss-Inquart commença immédiatement à envoyer des travailleurs forcés en Allemagne. Jusqu’en 1942, le service du travail était volontaire en principe, mais en réalité rendu obligatoire par la forte pression économique et gouvernementale qui était exercée. En 1942, Seyss-Inquart décréta formellement le service du travail obligatoire et utilisa la Police de sûreté et le SD pour empêcher qu’on pût se soustraire à son ordre. Pendant l’occupation, plus de cinq cent mille personnes furent envoyées des Pays-Bas dans le Reich comme travailleurs et une très faible proportion seulement fut réellement volontaire.
L’une des premières mesures de Seyss-Inquart en sa qualité de commissaire du Reich pour les Pays-Bas consista à mettre en vigueur une série de lois économiques d’exception visant les Juifs. Puis vinrent des décrets exigeant qu’ils soient recensés, les obligeant à vivre dans des ghettos et à porter l’étoile de David ; ils furent également arrêtés périodiquement et détenus dans des camps de concentration, et finalement, sur la proposition de Heydrich, déportés en masse : près de cent vingt mille Juifs sur les cent quarante mille qui vivaient en Hollande furent envoyés à Auschwitz en vue de la « solution finale ». Seyss-Inquart admet qu’il a connu leur destination, mais il prétend qu’il avait entendu dire, de personnes qui avaient été à Auschwitz, que les Juifs y étaient relativement bien traités et qu’il croyait qu’on les retenait là en vue d’un transfert dans un autre pays, après la guerre. A la lumière des preuves, et étant donné la position officielle qu’il occupait, il est impossible d’ajouter foi à cette affirmation.
Seyss-Inquart prétend qu’il n’est pas responsable de la plupart des crimes commis au cours de l’occupation des Pays-Bas parce qu’ils étaient soit ordonnés par le Reich et exécutés par l’Armée, sur laquelle il n’avait aucun contrôle, soit ordonnés par le chef allemand des SS et de la Police qui, affirme-t-il, n’en rendait compte qu’à Himmler. Il est vrai que l’Armée porte la responsabilité de certains des excès commis, et que le chef des SS et de la Police, bien qu’il fût à la disposition de Seyss-Inquart, pouvait toujours envoyer directement ses rapports à Himmler. Il est également vrai que Seyss-Inquart s’opposa parfois aux mesures violentes prises par d’aulnes organismes ; ainsi, il réussit dans une large mesure à empêcher l’Armée de se livrer à une politique de « terre brûlée », et insista auprès de chefs des SS et de la Police pour que soit réduit le nombre des otages à fusiller. Mais le fait demeure que Seyss-Inquart participa, volontairement et en connaissance de cause, aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité qui ont été commis au cours de l’occupation des Pays-Bas.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Seyss-Inquart n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Seyss-Inquart est coupable des crimes visés par les deuxième, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
SPEER.
Speer est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. En 1932, il adhéra au parti nazi. En 1934, il fut choisi comme architecte par Hitler et devint son conseiller intime. Peu après, il fut nommé chef du Service du Front du travail, et chargé officiellement, dans l’État-Major du délégué du Führer, de tout ce qui concernait la construction. Il occupa ces postes jusqu’en l’année 1941. Le 15 février 1942, après la mort de Fritz Todt, Speer fut appelé à la tête de l’Organisation Todt et nommé ministre des Armements et Munitions du Reich (des Armements et de la Production de guerre après le 2 septembre 1943). A ces postes, s’ajoutèrent ceux qu’il occupa à la suite de ces nominations, en mars et avril 1942, comme Plénipotentiaire général pour les Armements et membre du Comité central du Plan, postes qui, tous deux, dépendaient du Plan de quatre ans. Speer fut député au Reichstag de 1941 jusqu’à la fin de la guerre.
Crimes contre la Paix.
Le Tribunal estime que les activités de Speer ne comportaient pas l’initiative ou la préparation des guerres d’agression, ni la participation à un complot ourdi à cet effet. Il prit la tête de l’industrie des armements longtemps après que toutes les guerres eurent été déclenchées. Comme chef de la production de guerre allemande, il favorisa l’effort de guerre, tout comme les chefs d’entreprises privées peuvent le faire. Mais le Tribunal n’estime pas qu’il ait, par là, participé ni au plan concerté en vue de poursuivre une guerre d’agression ni à la conduite d’une telle guerre, au sens des premier et second chefs de l’Acte d’accusation.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Les preuves présentées contre Speer pour étayer les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation sont toutes relatives à sa participation au programme de travail forcé. Speer lui-même n’avait pas de pouvoirs administratifs directs dans l’exécution de ce programme. Bien qu’il ait préconisé la nomination d’un plénipotentiaire général pour l’utilisation de la main-d’œuvre, parce qu’il désirait ne passer que par une seule autorité centrale pour traiter ces questions, il n’obtint pas que Sauckel fût placé administrativement sous son contrôle. Sauckel fut nommé directement par Hitler en vertu du décret du 21 mars 1942, qui le rendait responsable devant le plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans, c’est-à-dire devant Görîng.
Comme ministre du Reich pour les Armements et les Munitions et comme plénipotentiaire général aux Armements dans le cadre du Plan de quatre ans, Speer exerçait des pouvoirs étendus sur la production. Au début, il était chargé de la direction de la construction et de la fabrication d’armes pour l’OKW. Son autorité fut progressivement étendue aux armements navals, à la production civile et, enfin, le 1er août 1944, à l’armement aéronautique. Il occupait une situation prédominante dans le Comité central du Plan qui jouissait de l’autorité suprême sur les plans de l’économie allemande, ainsi que sur la répartition des matières premières et l’augmentation de leur production. L’attitude adoptée par Speer consista à affirmer que le Plan avait le pouvoir, pour les industries se trouvant sous son contrôle, de donner à Sauckel des instructions concernant le recrutement des ouvriers ; malgré les objections de ce dernier, Speer réussit à faire prévaloir sont point de vue. En pratique, Speer indiquait à Sauckel le nombre approximatif des travailleurs nécessaires ; Sauckel obtenait la main-d’œuvre et la répartissait dans les différentes industries d’après les instructions transmises par Speer.
Quand Speer adressait ses demandes à Sauckel, il savait qu’on lui fournirait des travailleurs étrangers recrutés par la force. Il prit part à des conférences où une extension du programme de travail obligatoire fut envisagée pour satisfaire à ses demandes. Du 10 au 12 août 1942, il assista à une conférence avec Hitler et Sauckel, au cours de laquelle il fut convenu que les travailleurs des territoires occupés seraient envoyés de force, par Sauckel, là où c’était nécessaire pour les industries placées sous le contrôle de Speer. De même, Speer assista à une conférence tenue au Quartier Général de Hitler, le 4 janvier 1944, au cours de laquelle il fut décidé que Sauckel devrait obtenir « au moins quatre millions de nouveaux travailleurs provenant des territoires occupés », afin de fournir la main-d’œuvre exigée par Speer, alors que Sauckel prétendait qu’il ne pourrait y parvenir qu’avec l’aide de Himmler.
Sauckel informait constamment Speer et ses délégués du fait que les travailleurs étrangers étaient recrutés par la force. Le 1er mars 1944, le représentant de Speer reprocha vivement à Sauckel de ne pas être en mesure d’envoyer, des territoires occupés, les quatre millions de travailleurs qui devaient être fournis. Dans certains cas, Speer exigea qu’on lui envoyât des travailleurs en provenance de pays étrangers déterminés. Ainsi, à la conférence tenue du 10 au 12 août 1942, Sauckel reçut l’ordre de fournir à Speer encore « un’ million de travailleurs russes pour l’industrie allemande d’armement, d’ici la fin octobre 1942 ». Au cours d’une réunion qui eut lieu au Comité central du Plan, le 22 avril 1943, Speer examina les plans qui devaient permettre de fournir des travailleurs russes pour les mines de charbon et rejeta catégoriquement la proposition tendant à combler le déficit de main-d’œuvre par des travailleurs allemands.
Speer a prétendu qu’il avait préconisé une réorganisation de la main-d’œuvre dans le but d’augmenter l’utilisation des travailleurs allemands dans la production de guerre en Allemagne et d’utiliser la main-d’œuvre des territoires occupés pour la production locale de denrées de consommation fabriquées auparavant en Allemagne. Speer prit des mesures dans ce sens en instituant dans les territoires occupés ce qu’on appela les « industries bloquées » qui produisaient des marchandises destinées à être ensuite expédiées en Allemagne.
Le personnel de ces industries était exempté de la déportation pour le travail forcé, et tous les travailleurs qui avaient reçu l’ordre de partir pour le Reich pouvaient éviter la déportation en travaillant dans les « industries bloquées ». Ce système, qui était un peu moins inhumain que la déportation en Allemagne, était cependant illégal. D’ailleurs, les industries bloquées ne jouèrent qu’un rôle de peu d’importance dans le programme général de travail forcé ; néanmoins, Speer voulut coordonner leur utilisation avec l’exécution de ce programme dont’ il connaissait parfaitement les modalités d’application. Officiellement, il en était le principal bénéficiaire et en demandait constamment l’extension.
Eh. sa qualité de chef de l’Organisation Todt, Speer intervenait également de façon directe dans l’utilisation des travailleurs forcés. L’Organisation Todt fonctionnait surtout dans les territoires occupés, pour des travaux tels que la construction du « Mur de l’Atlantique » et de routes stratégiques ; Speer a reconnu qu’il comptait sur le service obligatoire pour maintenir des effectifs suffisants dans cette organisation. Il recourut aussi à la main-d’œuvre des camps de concentration pour l’utiliser dans les industries placées sous son contrôle. Au début, il ne fit appel à cette source de main-d’œuvre que pour de petites usines isolées et, plus tard, craignant de voir Himmler s’immiscer dans son domaine, il s’efforça d’employer un nombre aussi réduit que possible de travailleurs des camps de concentration.
Speer fut impliqué aussi dans l’emploi de prisonniers de guerre dans les industries d’armements, mais il prétend qu’il a seulement employé des prisonniers de guerre soviétiques dans les industries couvertes par la Convention de Genève.
La position de Speer était telle qu’il n’a pas eu une part directe dans les mauvais traitements résultant de l’application du programme du travail forcé, bien qu’il ait connu leur existence. Par exemple, aux réunions du Comité central du Plan, il fut informé que ses demandes concernant les travailleurs étaient si considérables qu’elles nécessitaient des méthodes violentes de recrutement. A une réunion du Comité central du Plan, le 30 octobre 1942, Speer émit son opinion que nombre des travailleurs forcés étant portés malades n’étaient que des simulateurs et il déclara : « Il n’y a rien à dire contre les SS et la Police qui prennent des mesures rigoureuses et mettent ceux qui sont connus comme fainéants dans des camps de concentration ». Speer, cependant, insistait pour qu’il soit donné aux travailleurs forcés une nourriture suffisante et pour que les conditions matérielles soient telles qu’ils puissent fournir un travail efficace.
Il convient de retenir à sa décharge que l’institution de Speer, relative aux industries bloquées laissa beaucoup de travailleurs dans leurs foyers et qu’au moment des phases finales de la guerre il fut un de ceux qui eurent le courage de prévenir Hitler que la guerre était perdue, et de prendre des mesures pour éviter la destruction insensée des moyens de production, à la fois en territoires occupés et en Allemagne. Il s’opposa à la politique hitlérienne de « la terre brûlée », en Allemagne et dans certains pays de l’Ouest, en la sabotant délibérément, prenant ainsi un risque personnel considérable.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Speer n’est pas coupable ides crimes visés par les premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Speer est coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
VON NEURATH.
Von Neurath est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Diplomate de carrière, il a rempli les fonctions d’ambassadeur d’Allemagne en Grande-Bretagne de 1930 à 1932. Le 2 juin 1932, il fut nommé ministre de Affaires étrangères dans le Cabinet von Papen, et il garda ce poste dans les Cabinets de von Schleicher et de Hitler. Le 4 février 1938, von Neurath donna sa démission de ministre des Affaires étrangères et devint ministre du Reich sans portefeuille, président du Conseil de Cabinet secret et membre du Conseil de Défense du Reich. Du 18 mars 1939 au 27 septembre 1941, il fut protecteur de Bohême-Moravie. Il avait le grade d’Obergruppenführer honoraire dans les SS.
Crimes contre la Paix.
En tant que ministre des Affaires étrangères, von Neurath assista Hitler de ses conseils en ce qui concerne le retrait de l’Allemagne de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nattons le 14 octobre 1933, la décision de réarmer, la promulgation de la loi sur le service militaire obligatoire le 16 mars 1935 et la loi secrète sur la défense du Reich le 21 mai. C’est lui, principalement, qui mena les négociations de l’Accord naval conclu entre l’Allemagne et l’Angleterre le 18 juin 1935. Il joua un rôle important auprès de Hitler quand celui-ci décida de réoccuper la Rhénanie, le 7 mars 1936, et il prédit que l’occupation pourrait s’effectuer sans que les Français réagissent. Le 18 mai 1936, il déclara à l’ambassadeur des États-Unis en France que la politique étrangère du Gouvernement allemand se bornait à ne pas bouger jusqu’à ce que « la Rhénanie fut digérée » et qu’une fois les fortifications de la Rhénanie achevées, les pays d’Europe centrale, se rendant compte que la France ne pouvait pas entrer en Allemagne à sa guise, « envisageront leur politique étrangère d’une façon toute différente, et que de nouvelles sphères d’influence pourront être alors établies ».
Von Neurath prit part à la « Conférence Hossbach » du 5 novembre 1937. Il a dit, dans sa déposition, que les déclarations de Hitler l’avaient tellement impressionné qu’il avait eu une crise cardiaque. Peu après, il offrit sa démission, qui fut acceptée le 4 février 1938, à l’époque même où von Fritsch et von Blomberg furent destitués. Tout en connaissant les plans d’agression de Hitler, il conserva un lien officiel avec le régime nazi en ses qualités de ministre du Reich sans portefeuille, de président du Conseil de Cabinet secret et de membre du Conseil de Défense du Reich. Il assuma la direction du ministère des Affaires étrangères au moment de l’occupation de l’Autriche et affirma à l’ambassadeur de Grande-Bretagne que cette occupation n’était pas due à un ultimatum allemand ; il déclara à ce moment-là au ministre de Tchécoslovaquie que l’Allemagne avait l’intention de respecter sa convention d’arbitrage avec ce pays. Von Neurath a pris part à la phase des négociations qui précédèrent l’Accord de Munich ; il prétend qu’il n’avait participé à ces discussions que pour obtenir de Hitler que ce dernier évitât le recours à la guerre dans la solution des différends.
Activités criminelles en Tchécoslovaquie.
Le 18 mars 1939, von Neurath fut nommé protecteur de Bohême-Moravie. La Bohême-Moravie fut occupée par la force armée. Le consentement de Hacha, qui fut, comme on le sait, obtenu par la force, ne peut suffire à justifier cette occupation. Un Protectorat fut établi sur ce pays par le décret de Hitler en date du 16 mars 1939, qui déclarait en outre que ce nouveau territoire « appartiendrait désormais au Reich allemand », ce qui supposait que la République de Tchécoslovaquie avait cessé d’exister. Mais le statut de la Bohême-Moravie, tel qu’il était défini par cette proclamation, s’inspirait également de la thèse suivant laquelle ces pays conservaient leur souveraineté dans la mesure où les intérêts de l’Allemagne représentés par le Protectorat n’y étaient pas contraires. En conséquence, même s’il admettait que la doctrine de l’incorporation puisse s’appliquer à un territoire occupé à la suite d’un acte d’agression, le Tribunal ne déduirait pas pour autant de cette proclamation que l’incorporation ainsi effectuée ait été suffisante pour justifier l’application de cette thèse. Il y a donc lieu de considérer l’occupation de la Bohême et de la Moravie comme une occupation militaire soumise aux lois de la guerre. Bien que la Tchécoslovaquie n’ait pas adhéré à la Convention de La Haye de 1907, les lois de la guerre sur terre énoncées dans cette Convention constituent l’expression du Droit international tel qu’il existait à l’époque, et sont par conséquent applicables en l’espèce.
En sa qualité de protecteur du Reich, von Neurath institua en Bohême-Moravie une réglementation semblable à celle ’de l’Allemagne. La presse libre, les partis politiques et les syndicats furent supprimés. Tous les groupements qui pouvaient être utilisés par l’opposition furent interdits. L’industrie tchèque fut incorporée dans le cadre de la production de guerre allemande et exploitée au profit de l’effort de guerre. La politique d’antisémitisme fut également introduite dans la législation. Les Juifs furent exclus des positions importantes qu’ils occupaient au Gouvernement et dans les affaires.
En août 1939, von Neurath publia une proclamation mettant la population en garde contre le sabotage, et déclarant que « la responsabilité de tout acte de sabotage ne retomberait pas seulement sur ses auteurs pris individuellement, mais sur l’ensemble de la population tchèque ». Lorsque la guerre éclata, le 1er septembre 1939, la Police de sûreté arrêta huit mille notables Tchèques et les mit en détention préventive. Un grand nombre de ceux-ci sont morts dans des camps de concentration à la suite des mauvais traitements qu’ils avaient subis.
En octobre et novembre 1939, les étudiants tchèques organisèrent une série de manifestations. A la suite de ces dernières, sur l’ordre de Hitler, toutes les Universités furent fermées. Douze cents étudiants furent jetés en prison et les neuf meneurs de la manifestation furent fusillés par la Police de sûreté et le SD. Von Neurath a dit au cours de sa déposition qu’il n’a pas été prévenu à l’avance de cette action qui fit ensuite l’objet d’une proclamation portant sa signature et affichée dans tout le Protectorat. Il affirme toutefois que cela fut fait à son insu.
Le 31 août 1940, von Neurath remit à Lammers un mémorandum qu’il avait rédigé, sur l’avenir du Protectorat, et un autre concernant la même question, écrit par Karl Hermann Frank, qu’il avait approuvé. Tous deux traitaient du problème de la germanisation et proposaient que la majorité des Tchèques fussent assimilés à la race allemande. Tous deux recommandaient l’élimination de l’« intelligentzia tchèque » et d’autres groupes susceptibles de se montrer hostiles à la germanisation ; von Neurath, quant à lui, préconisait l’expulsion et Frank l’expulsion ou le « traitement spécial ».
Von Neurath a prétendu que les mesures de répression furent, en fait, exécutées par la Police de sûreté et le SD, qui se trouvaient placés sous les ordres de son. secrétaire d’État, Karl Hermann Frank ; ce dernier avait été nommé sur la proposition de Himmler et lui rendait directement compte de son activité de chef des SS et de la Police. Von Neurath allègue en outre que les mesures antisémites et celles qui permirent l’exploitation économique du pays, furent mises en vigueur dans le Protectorat à la suite de décisions prises par le Gouvernement du Reich. Quoi qu’il en soit, l’accusé fut le principal haut fonctionnaire allemand dans le Protectorat à une époque où il était important que ce territoire soit administré en corrélation avec la conduite des guerres d’agression menées par l’Allemagne à l’Est. Et von Neurath n’ignorait pas qu’à ce moment-là des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité étaient couverts par son autorité.
Il convient de retenir à sa décharge qu’il intervint auprès de la Police de sûreté et du SD pour faire relâcher une grande partie des Tchèques qui avaient été arrêtés le 1er septembre 1939, et des étudiants emprisonnés quelques semaines après. Le 23 septembre 1941, Hitler fit venir von Neurath et lui reprocha son manque de fermeté ; il lui annonça également qu’il envoyait Heydrich dans le Protectorat pour combattre les groupes de résistance tchèques. Von Neurath essaya de dissuader Hitler d’envoyer Heydrich mais en vain. C’est pourquoi il offrit sa démission. Celle-ci ne fut d’ailleurs pas acceptée ; il partit néanmoins en congé le 27 septembre 1941 et refusa ensuite de reprendre ses fonctions de Protecteur. Sa démission fut acceptée officiellement en août 1943.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé von Neurath est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
FRITZSCHE.
Fritzsche est inculpé des crimes visés par les premier, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. Il était particulièrement connu comme commentateur de la radiodiffusion allemande qui émettait son programme personnel hebdomadaire : « Hans Fritzsche parle » où il traitait des événements d’actualité. Il commença ses émissions en septembre 1932 ; en cette même année, il fut nommé directeur du Service du Journal parlé qui dépendait du Gouvernement du Reich. Quand, le 1er mai 1933, les nationaux-socialistes incorporèrent ce service au ministère de l’Éducation nationale et de la Propagande, Fritzsche devint membre du parti nazi et entra dans ce ministère. En décembre 1938, il devint directeur de la Section de la Presse nationale au ministère ; en octobre 1942, il fut promu au rang de directeur ministériel. Après avoir servi quelque temps sur le front de l’Est dans une compagnie de propagande, il fut, en novembre 1942, nommé directeur de la Section de radiodiffusion au ministère de la Propagande et plénipotentiaire à l’Organisation politique de la radiodiffusion de la Plus Grande Allemagne.
Crimes contre la Paix.
En sa qualité de directeur de la Section de la Presse nationale, Fritzsche contrôlait l’ensemble de la Presse allemande, c’est-à-dire deux mille trois cents journaux quotidiens. Dans l’exercice de cette fonction, il tint chaque jour des conférences de presse pour trans-mettre à ces journaux les directives du ministère de la Propagande. Il était cependant subordonné au chef de la Presse du Reich, Dietrich, qui était lui-même sous les ordres de Goebbels. C’était Dietrich qui recevait de Goebbels les directives destinées à la presse ainsi que celles d’autres ministres du Reich, et les rédigeait sous forme d’instructions qu’il transmettait ensuite à Fritzsche à l’intention de la presse.
De temps à autre, les Paroles quotidiennes du chef de la Presse du Reich — telle était la désignation de ces instructions — ordonnaient à la Presse d’entretenir les lecteurs de certains thèmes, tels que le « Führerprinzip », le problème juif, le problème de l’espace vital ou autres idées nazies classiques. Une campagne vigoureuse était menée avant chaque acte d’agression de quelque importance ; ainsi pendant la période où il fut à la tête de la Section de la Presse nationale, Fritzsche instruisit les journalistes de la façon dont ils devraient présenter les manœuvres ou les guerres menées contre la Bohême et la Moravie, la Pologne, la Yougoslavie et l’Union Soviétique. Fritzsche n’avait aucune autorité pour l’élaboration de cette propagande. Il servait simplement d’agent de transmission aux instructions remises par Dietrich pour la Presse. Ainsi, en février 1939, et avant l’incorporation de la Bohême et de la Moravie, par exemple, il reçut de Dietrich l’ordre de porter à l’attention de la presse les efforts entrepris par la Slovaquie pour maintenir ’son indépendance, ainsi que les méthodes et la politique antigermaniques du Gouvernement de Prague de l’époque. Cet ordre que reçut Dietrich émanait du ministère des Affaires étrangères.
La Section de radiodiffusion, dont Fritzsche devint le chef en novembre 1942, était l’une des douze sections du ministère de la Propagande. Au début, Dietrich et d’autres chefs de section usaient de leur autorité pour orienter la politique que devait suivre la radio, Vers la fin de la guerre, cependant, Fritzsche devint le seul à exercer un pouvoir en matière de radiodiffusion au ministère. En cette qualité, il composa et publia les « Paroles » quotidiennes de la radio destinées à tous les services de propagande du Reich et conformes à la politique générale du régime nazi ; elles étaient soumises aux directives de la section politique de radiodiffusion du ministère des Affaires étrangères ainsi qu’au contrôle personnel de Goebbels.
Fritzsche, de même que d’autres fonctionnaires du ministère de la Propagande, assista aux conférences quotidiennes que Goebbels tenait avec ses collaborateurs. L’objet de ces conférences était de renseigner les assistants sur les nouvelles et sur la propagande du jour. Après 1943, Fritzsche tint quelquefois lui-même ces conférences, mais seulement quand Goebbels et ses secrétaires étaient absents. Et même alors, sa seule fonction consistait à transmettre les directives de Goebbels qui lui étaient données par téléphone.
Tels sont, rappelés brièvement, les postes que Fritzsche occupa et l’influence qu’il exerça au sein du IIIe Reich. Il n’eut jamais une situation assez importante pour assister aux conférences où furent élaborés les plans qui menèrent à la guerre d’agression ; il n’eut certainement jamais aucune conversation avec Hitler, car sa propre déposition en ce sens n’a pas été réfutée au cours des débats. Rien ne prouve non plus qu’il ait été informé des décisions prises au cours des conférences qui viennent d’être mentionnées. En conséquence, les activités de l’accusé ne peuvent pas être comprises dans la définition du plan commun de guerre d’agression ainsi qu’il a déjà été exposé plus haut.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Le Ministère Public a soutenu que Fritzsche avait incité et encouragé la perpétration de crimes de guerre en falsifiant sciemment des nouvelles pour exciter dans le cœur des Allemands les passions qui les conduisirent à commettre les atrocités visées par les troisième et quatrième chefs d’accusation. Son poste et ses responsabilités officielles n’étaient cependant pas assez importants pour faire supposer qu’il participa à l’élaboration et à la rédaction des campagnes de propagande.
Des extraits de ses discours ont été cités à l’audience qui montrent un antisémitisme convaincu. Ainsi, il déclara à la radio que la guerre avait été provoquée par les Juifs et que le sort de ceux-ci était devenu « aussi malheureux que le Führer l’avait prédit ». Mais ces discours ne poussaient pas à la persécution ou a l’extermination des Juifs. Rien n’établit qu’il ait connu leur extermination dans l’Est. En outre, il a été prouvé qu’il essaya par deux fois de faire cesser la publication du journal antisémite Der Stürmer, mais sans succès.
Dans ces programmes radiodiffusés, Fritzsche répandit quelquefois de fausses nouvelles, mais il n’a pas été prouvé qu’il les connût comme telles. Par exemple, il déclara qu’il n’y avait aucun sous-marin allemand dans le voisinage de l’Athenia quand celui-ci fut coulé. Cette nouvelle était fausse, mais Fritzsche, l’ayant reçue de la Marine allemande, m’avait aucune raison de la croire inexacte.
Il semble que Fritzsche ait quelquefois au cours de ses émissions fait des déclarations énergiques qui n’étaient autre chose que de la propagande. Mais le Tribunal n’en infère pas pour autant qu’elles aient eu pour but d’inciter les Allemands à commettre des atrocités sur les peuples conquis. On ne peut donc pas l’accuser d’avoir participé aux crimes en question. En fait, il cherchait plutôt à susciter un mouvement d’opinion favorable à Hitler et à l’effort de guerre allemand.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Fritzsche n’est pas coupable des crimes visés par l’Acte d’accusation.
Et ordonne : Que l’officier attaché au Tribunal prenne toutes dispositions pour que Fritzsche soit mis en liberté dès que l’audience sera levée.
BORMANN.
Bormann est inculpé des crimes visés au premier, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti national-socialiste en 1925, fit partie de l’État-Major du Commandement suprême des SA de 1928 à 1930, fut chargé du Fonds de secours du Parti et occupa le poste de Reichsleiter de 1933 à 1945. De 1933 à 1941, il fut chef de Cabinet du délégué du Führer et, le 12 mai 1941, après la fuite de Hess en Angleterre, il fut nommé chef de la Chancellerie du Parti. Le 12 avril 1943, il devint secrétaire du Führer. Il était chef politique et technique du « Volkssturm » et général des SS.
Crimes contre la Paix.
Bormann, qui au début, avait dans le Parti un rang assez inférieur, s’éleva peu à peu jusqu’à un poste de direction et, particulièrement vers la fin du régime, exerça une grande influence sur Hitler. Il prit une part active à l’accession du Parti au pouvoir et une part encore plus active à la consolidation de ce pouvoir. Il consacra une grande partie de son activité à la persécution des Églises et des Juifs en Allemagne.
Les preuves ne montrent pas que Bormann ait eu connaissance des plans de Hitler qui visaient à préparer, à déclencher ou à mener des guerres d’agression. Il n’assista à aucune des importantes conférences où Hitler, peu à peu, révéla ses plans d’agression, et l’on ne peut déduire, à coup sûr, des fonctions occupées par l’accusé, qu’il ait été tenu au courant de ces plans. Ce fut seulement lorsqu’il devint chef de la Chancellerie du Parti, en 1941, et secrétaire du Führer, en 1943, qu’il put assister à la plupart des conférences de Hitler.
Le Tribunal, suivant en cela l’opinion qu’il a déjà exprimée à propos de la guerre d’agression, et devant l’insuffisance des preuves, déclare que Bormann ne peut être inculpé des crimes visés par le premier chef d’accusation.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
En vertu du décret du 29 mai 1941, Bormann succéda à Hess dans les postes que ce dernier occupait et hérita de ses pouvoirs. Par décret du 24 janvier 1942, ceux-ci furent étendus jusqu’à lui permettre de contrôler toutes les lois et directives émanant de Hitler. Il porte ainsi la responsabilité des lois et des ordres promulgués postérieurement à cette date. Le 1er décembre 1942, tous les Gaue devinrent des « districts de défense » du Reich, et les Gauleiter du Parti, responsables devant Bormann, furent nommés commissaires à la Défense du Reich, ce qui revenait à soumettre à leur administration tout l’effort de guerre de la population. Leur rôle s’étendait non seulement à l’Allemagne, mais aussi aux territoires conquis et incorporés au Reich.
Grâce à ce système, Bormann dirigeait l’exploitation impitoyable de la population qui était sous ses ordres. Son ordre du 12 août 1942 met toutes les agences du Parti à la disposition de Himmler pour l’exécution, par la force, de son programme de colonisation et de « dénationalisation » des habitants des pays occupés. Trois semaines après l’invasion de l’Union Soviétique, il assista à la conférence du 16 juillet 1941, qui eut lieu au Quartier Général d’opérations de Hitler et à laquelle assistaient également Göring, Rosenberg et Keitel. Le rapport de Bormann montre qu’on y dressa des plans détaillés visant à réduire en esclavage et à exterminer la population de ces territoires. Le 8 mai 1942, il discuta avec Hitler et Rosenberg du transfert en Lettonie de nationaux hollandais, du programme d’extermination des populations soviétiques et de l’exploitation économique des territoires de l’Est. Il fut mêlé aussi, dans ce territoire, à la confiscation d’œuvres d’art et d’autres biens. Par une lettre du 11 janvier 1944, il demandait la création d’une vaste organisation chargée de prendre dans les territoires occupés ce qui pourrait être utile aux Allemands victimes des bombardements.
Bormann joua un rôle actif dans la persécution des Juifs, tant en Allemagne que dans les pays occupés. Il prit part aux discussions qui conduisirent à transférer en Pologne soixante mille Juifs de Vienne, avec l’aide des SS et de la Gestapo. Il signa le décret du 31 mai 1941 qui étendait l’application des lois de Nuremberg aux territoires annexés de l’Est. Dans un ordre en date du 9 octobre 1942, il déclara que l’élimination permanente des Juifs des territoires de la Plus Grande Allemagne ne pouvait plus être effectuée par l’émigration, mais seulement par l’emploi d’une « force impitoyable » dans les camps spéciaux de l’Est. Le 1er juillet 1943, il signa une ordonnance qui privait les Juifs de la protection des tribunaux ordinaires et les plaçait sous la juridiction exclusive de la Gestapo de Himmler.
Bormann joua un rôle prépondérant dans le programme de travail forcé. Les chefs du Parti contrôlaient, dans leurs Gaue respectifs, les questions s’y rapportant, y compris l’embauchage, les conditions de travail, de nourriture et de logement. Par sa circulaire du 5 mai 1943, adressée au Corps de chefs politiques du Parti et transmise même aux Ortsgruppenleiter, Bormann donna des instructions pour le traitement des travailleurs étrangers, en soulignant qu’ils devaient être placés sous la direction des SS, quant aux questions de sécurité, et ordonna de mettre fin aux mauvais traitements qui leur étaient infligés jusqu’à ce moment. Un rapport du 4 septembre 1942, concernant le transfert de cinq cent mille ouvrières de l’Est vers l’Allemagne, montre que la direction de ces opérations appartenait à Sauckel, Himmler et Bormann. Sauckel, par un décret en date du 8 septembre, ordonna aux Kreisleiter de contrôler la répartition et l’affectation de ces ouvrières.
Bormann envoya également aux chefs du Parti une série d’ordres relatifs au traitement à infliger aux prisonniers de guerre. Le 5 novembre 1941, il interdit d’enterrer décemment les prisonniers de guerre russes. Le 25 novembre 1943, il ordonna aux Gauleiter de lui rendre compte des cas dans lesquels les prisonniers de guerre étaient traités avec mollesse. Le 13 septembre 1944, il ordonna aux Kreisleiter de se mettre en rapport avec les commandants des camps pour déterminer comment il était possible d’utiliser les prisonniers de guerre dans le cadre du programme de travail forcé. Le 29 janvier 1943, il transmit aux chefs qui lui étaient subordonnés, les instructions de l’OKW autorisant les punitions corporelles et l’usage des armes à feu contre les prisonniers de guerre récalcitrants, ce qui était contraire aux règlements relatifs à la guerre sur terre.
Le 30 septembre 1944, il signa un décret qui transférait de l’O’KW à Himmler et aux SS la compétence pour les questions ayant trait aux prisonniers de guerre.
Bormann est responsable du lynchage d’aviateurs alliés. Le 30 mai 1944, il interdit de prendre des mesures de police ou d’exercer des poursuites pénales contre les personnes qui avaient participé au lynchage de ces aviateurs. Parallèlement, Goebbels poursuivait sa propagande d’excitation pour inciter le peuple allemand à agir de cette façon contre les aviateurs. Une conférence fut tenue le 6 juin 1944, au cours de laquelle on discuta des règles relatives à l’application du lynchage.
L’avocat de Bormann, dans sa tâche difficile, n’a pas réussi à réfuter toutes ces preuves En face des documents qui portent la signature de Bormann, il ne semble pas d’ailleurs que la présence même de l’accusé aurait facilité une telle réfutation.
Le défenseur de Bormann a prétendu que ce dernier était mort et a dénié au Tribunal le droit de se prévaloir de l’article 12 du Statut qui permet de poursuivre une procédure par contumace. Mais cette mort n’ayant pas été prouvée de façon irréfutable, le Tribunal, ainsi qu’il l’a déjà déclaré, a décidé de juger Bormann par contumace.
Au cas où Bormann serait encore en vie et viendrait à être arrêté, le Conseil de contrôle pour l’Allemagne pourrait, en vertu de l’article 29 du Statut, examiner tout fait atténuant et modifier ou réduire la condamnation s’il le juge convenable.
Conclusion.
Le Tribunal déclare : Que l’accusé Bormann n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ; Que l’accusé Bormann est coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
Avant de prononcer les condamnations encourues par les accusés, le Tribunal profite de la présence de ces derniers pour leur faire connaître que les requêtes aux fins de diminution de peines adressées au Conseil de contrôle, devront être remises au Secrétaire général dans un délai de quatre jours à compter d’aujourd’hui.