Séance du 6 décembre 2019
Pour sa première séance de l’année 2019-2020, le séminaire Pratiques et Pensées de l’Émancipation a le plaisir d’accueillir Calogero Giametta, Shira Havkin et Jo Sauvaire pour une séance consacrée aux enjeux politiques de l’asile dans le cas particulier des réfugiés LGBT.
La question dont nous discuterons dans le cadre du séminaire et qui nous intéresse, à la fois d’un point de vue théorique et d’un point de vue militant, est celle de la protection des demandeurs et demandeuses d’asile persécutées à cause de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre – c’est à dire des lesbiennes, des gays, des personnes bisexuelles et des personnes trans (LGBT). Notre point de départ est le caractère paradoxal de ce phénomène : comment se fait-t-il qu’à une période caractérisée par une restriction de l’asile et par la montée de politiques anti-migratoires, la protection des personnes LGBT est, au contraire, élargie et institutionnalisée ? Nous aborderons cette question en l’inscrivant dans le contexte plus général de la valorisation de la catégorie LGBT à l’ère néolibérale et de la manière dont celle-ci participe à fixer des distinctions et des hiérarchies entre les pays du Nord global, considérés comme tolérants, et les pays du Sud et de l’Est global, considérés comme homophobes. Nous nous intéresserons à la manière dont cette cartographie schématique de l’homophobie mondiale structure les critères de l’attribution de l’asile et notamment, à la manière dont elle aplanit la complexité des situations politiques locales (ici et ailleurs) et la pluralité des identités queers. Comment, dans ce système, est-il possible de lutter pour la protection et l’accueil des personnes LGBT sans participer à renforcer ces visions schématiques ? Notre discussion portera sur la manière dont ces enjeux apparaissent à la fois dans le cadre d’une réflexion théorique et dans l’action militante d’accompagnement des demandeurs et demandeuses d’asile dans leurs démarches pour obtenir le statut de réfugié.e en France. La séance posera la question de la complémentarité de ces deux dimensions.
Calogero Giametta (LAMES – Laboratoire méditerranéen de sociologie – Université Aix-Marseille) est sociologue. Ses recherches portent sur le genre, la sexualité et l’économie politique de la migration, et se concentrent sur les politiques qui affectent en particulier les refugiés LGBT et les travailleurs et travailleuses du sexe.
Shira Havkin (Ceri – Sciences Po) est sociologue. Ses recherches, à l’intersection de la sociologie politique de l’État, des études des frontières et des migrations et de la sociologie politique de l’économie, se concentrent notamment sur l’étude du (non) statut de réfugié en Israël, ainsi que sur les politiques d’accueil des réfugiés LGBT en France.
Jo Sauvaire est militante à l’Ardhis, association pour la reconnaissance des droits des personnes LGBTQI+ à l’immigration et au séjour. Fondée en 1998, l’Ardhis accompagne les demandeur·se·s d’asile, les étranger·e·s, les exilé·e·s et les couples binationaux et étrangers LGBTI dans leurs démarches administratives et sociales.
Cette séance est discutée par Laure Bourdier (Cerrev).
Séance du 11 avril 2019
L’histoire des décolonisations est remplie de volontés de lier au temps des luttes armées et politiques les expressions mêmes des révolté.e.s contre l’oppression et les systèmes coloniaux. La littérature, la poésie, la peinture, la musique, le théâtre ont accompagnés les décolonisations et attestent de toutes les résistances à l’aliénation arrachées grâces aux mots et à l’art. L’histoire de Mohamed Boudia illustre ces temps mêlés de l’action politique et d’une culture se voulant libératrice. En 1961, en pleine guerre d’Algérie, Nils Andersson et la Cité Éditeur éditent en Suisse deux pièces de théâtre, Naissances et l’Oliver écrites par Boudia alors emprisonné pour son action armée contre le colonialisme français et pour la libération de l’Algérie. Ces deux pièces s’ajoutent alors à toutes les productions culturelles annonçant le futur libéré de l’Algérie et l’incarnent un peu plus dans les prisons françaises et jusqu’en Tunisie. Comment retracer dès lors les fils de cette histoire théâtrale particulière qui nous place à l’intersection des mondes des opprimés en lutte, de ceux des geôles coloniales, ceux des scènes théâtrales et du théâtre classique, et de ceux des « frères et compagnons » soutenant la lutte du peuple algérien ?
En partant de « l’expérience sensible » du théâtre faite par le jeune Mohamed, enfant des rues de la Casbah, jusqu’à Boudia administrateur du Théâtre National Algérien à l’Indépendance, nous pouvons voir à quel point un théâtre politique a existé en Algérie comme pièce maîtresse d’une théorisation et d’une mise en pratique d’une culture nationale populaire et révolutionnaire. Cette culture, se voulant fidèle au contexte politique et au besoin populaire d’un peuple combattant l’aliénation coloniale, a largement irrigué la culture nationale algérienne. Bien plus nous verrons qu’elle ne serait rien sans un perpétuel aller-retour avec un horizon internationaliste. Le théâtre de Mohamed Boudia n’a cessé de se tenir sur cette ligne de crête, utilisant à souhait toutes « les armes » disponibles, du théâtre à la solidarité, de l’édition militante aux « porteurs de valises ».
Luc Chauvin-Bertrand est docteur en sciences politiques. Il travaille depuis des années sur les productions culturelles algériennes et sur leurs liens avec les expériences politiques passées et présentes, de la décolonisation aux luttes pour l’autonomie des jeunes Algérien et Algériennes aujourd’hui. Il a participé à la réalisation et à l’édition des Œuvres complètes de Mohamed Boudia, PMN Éditions, 2017.
Nils Andersson est né en Suisse d’un père suédois et d’une mère française. Très vite animé par la littérature et l’engagement il est responsable du programme culturel suisse au Festival mondial de la jeunesse à Moscou en 1957 et fonde surtout la même année à Lausanne une nouvelle maison d’édition suisse, La Cité Éditeur. En plein guerre d’Algérie, La Cité Éditeur réédite des livres censurés par le gouvernement français comme La Question d’Henri Alleg ou La Gangrène, après sa saisie aux Éditions de Minuit, entre autres. En 1962 il publiera les deux pièces de théâtre écrites en prison par Mohamed Boudia, Naissances et l’Olivier. Il est l’auteur de : Mémoire éclatée. De la décolonisation au déclin de l’occident, Éditions d’en bas, 2016.
Créer des possibles en débordant le(s) cadre(s): (re)composition et indépendance du mouvement social
Séance du 22 mars 2019
Responsable(s) scientifique(s) : Mathieu Uhel
Au programme :
• Le Collectif des Féministes Révolutionnaires, membre du Front Social Paris.
• Théo Roumier (Les Utopiques et Solidaires) à l’initiative de l’appel “On bloque tout !”
• Fabrice Tanguy (SUD CT et Solidaires 14), l’un des porte-parole du Front Social Caen-Calvados.
Avec le surgissement des « gilets jaunes » cet automne mais aussi avec l’affirmation de « cortèges de tête » toujours plus fournis lors des manifestations récentes contre les lois et ordonnances portant sur le travail, les formes prises par les luttes sociales semblent vouloir assumer une radicalité croissante dans l’action collective, qu’il s’agisse de l’occupation de l’espace public, du blocage des voies de communication ou de secteurs stratégiques de l’économie, de la dégradation ou destruction de symboles du capitalisme ou de l’État…
Par ailleurs, ces luttes tendent à émerger hors des cadres organisationnels traditionnels, que l’on songe à l’utilisation des réseaux sociaux dématérialisés (1ers appels contre la loi sur le travail ou le mouvement des « gilets jaunes ») ou à la multiplication de collectifs (tels que le Collectif des Livreurs Autonomes de Paris ou le Collectif des Féministes Révolutionnaires) et de coordinations (telles que les Fronts Sociaux ou les Espaces de Convergence des Luttes).
Enfin, si des revendications classiques, réformistes ou révolutionnaires, sont toujours aussi présentes, il semble que se diffuse un rejet de l’ordre social contemporain, s’appuyant sur des pratiques démocratiques radicales inscrites dans la vie quotidienne et sur une critique des rapports de domination (classe, genre, « race ») saisis dans leur imbrication. Dépassant le clivage entre société et environnement, ces perspectives de l’émancipation intègrent de plus en plus l’impératif écologique, à l’image des récentes grèves pour le climat.
Dans ce contexte social et politique instable tout autant qu’effervescent, nous avons souhaité faire dialoguer, dans cette séance du Séminaire Pratiques et Pensées de l’Émancipation, des militant.e.s de syndicats ou de collectifs autour du thème de la (re)composition et de l’indépendance du mouvement social.
Comment s’organisent aujourd’hui les mobilisations collectives ? Et selon quelles logiques ? Quels sont les mots d’ordre et les modes d’action qui permettent de rassembler, de faire converger des secteurs aux trajectoires sociales différentes ? Quels rapports entretiennent ces initiatives organisationnelles vis-à-vis de la sphère politique institutionnelle ?
Telles sont quelques unes des questions abordées avec les intervenant.e.s, avant d’ouvrir une discussion plus large avec le public.
Séance du 6 mars 2019
Nous vivons dans un monde qui est pressé et qui a transformé cette hâte en une manière de gouverner, une manière d’usurper le temps nécessaire à la constitution d’une citoyenneté critique. Les crises du capitalisme mobilisent en permanence le pouvoir et l’argent dans le monde, provoquant des changements systémiques dans des régions entières de la planète et en soumettant les lieux de la démocratie à un état d’exception continue. Cette conférence présentera une histoire politique de ce conflit entre capitalisme et démocratie moderne. L’objectif est de comprendre la crise systémique du capitalisme actuel et l’importance sociale et politique des mouvements sociaux démocratiques dans les différentes villes du système mondial moderne.
L’intervention en espagnol de Álvaro Moral García sera traduite en français par Renaud Lariagon, ESO-Caen.
Álvaro Moral García est chercheur en histoire politique et urbaine et en histoire de la pensée politique en Europe, en Méditerranée et en Amérique latine. Il est titulaire d’un diplôme en sciences politiques et en sociologie et d’un doctorat en philosophie de l’Université de Grenade (Espagne). Il a par la suite réalisé une recherche postdoctorale à l’Université Nationale Autonome du Mexique, et son ouvrage Espace, politique et modernité. Une histoire critique des villes du sud global, paraîtra prochainement aux éditions Siglo XXI.
Séance du 4 février 2019
Comment, dans les savoirs, le passé peut-il être dépassé? Penser la décolonisation des savoirs et des pratiques intellectuelles, littéraires et artistiques demande à réfléchir sur les lieux et les formes de cette grande transformation. Pour la dire, il faut réfléchir in concreto : elle a déjà commencé. Elle n’est ni devant nous, telle un programme à initier, ni derrière nous, telle un processus achevé. Elle est à l’œuvre mais plus ou moins, de façon différenciée, dans le travail d’écrivains et d’artistes qui irriguent ici la réflexion philosophique. La décolonisation prend ainsi sens dans ses grandes lignes comme son détail. Autrefois, la métropole et la colonie apparaissaient comme deux espaces tout aussi distincts en principe qu’entremêlés en réalité. Les indépendances africaines ont profondément modifié ce paysage, créant des entre-mondes de la philosophie, de la littérature, des arts. Le sud peut déloger le nord. L’étrange(r) voisiner avec le familier, le vivant cohabiter avec le fantôme. Les affranchissements, les franchissements sont multiples, divers. Comment les lignes se déplacent-elles et dans quels mouvements ? Les arts visuels, la musique, la littérature montrent des chemins.
• Seloua Luste Boulbina est philosophe chercheuse (HDR) à l’Université Paris Diderot, ex-directrice du programme « La décolonisation des savoirs » au Collège International de Philosophie (2010-2016). Elle a été professeure à l’université de Pékin et de Brasilia. Théoricienne de la décolonisation, elle travaille sur le colonial et le postcolonial dans leurs dimensions politiques, intellectuelles et artistiques. Elle a collaboré avec des artistes et conçu les Transphilosophies (Alger, New York, Dakar). Elle a publié de nombreux ouvrages dont Le Singe de Kafka et autres propos sur la colonie (2008), Les Arabes peuvent-ils parler ? (2011) ou L’Afrique et ses fantômes (2015).
• Gerty Dambury – dramaturge, metteuse en scène, romancière et poétesse française, membre de l’association Décoloniser les Arts (DLA). Cette association créée en 2015 par des artistes et des professionnel.le.s de la Culture s’est donné pour objectif d’interroger la faible présence d’artistes issu.es des populations minorées sur les plateaux de théâtre et de danse, à la télévision, au cinéma et dans les arts visuels. Elle interroge également les récits dominants dans les lieux de création artistique pour contribuer à une meilleure représentation de larges pans de l’histoire de notre pays et amener dans les débats actuels les questions de décolonisation des esprits et des imaginaires. Pour mieux exprimer les questionnements que pose la place des artistes racisé.es en France ainsi que la nécessaire formation à ces problématiques, DLA a publié un ouvrage, Décolonisons les arts !, paru aux éditions de l’Arche en septembre 2018 et lancé une Université décoloniale qui se tient une fois par mois à La Colonie.