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Perspectives interdisciplinaires sur la question de la prostitution des mineur(e)s et réflexion institutionnelle

  • Dernière modification de la publication :12 septembre 2024
  • Post category: Actualité

Que retenir ?

Placé sous le signe de l’interdisciplinarité, ce colloque organisé par deux unités de recherche de l’université de Caen Normandie, le CERREV (Centre de Recherche Risques et Vulnérabilités) et le LPCN (Laboratoire de psychologie de Caen Normandie), en collaboration avec le Conseil départemental du Calvados, s’est tenu s’est tenu à l’université de Caen Normandie le 10 juin 2024.

Chargé d’émotions, le phénomène est à l’heure actuelle au centre des préoccupations politiques en matière de protection de l’enfance. En 2021 est sorti le Rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs sous la présidence de Catherine Champrenault ayant donné lieu au Plan national sur la prostitution des mineurs et, tout récemment (2024), la Première stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l’exploitation sexuelle a été lancée par la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les discriminations, Aurore Bergé.

Tous les auteurs s’accordent pour dire qu’il n’existe aucune donnée fiable sur le nombre de jeunes sexuellement exploités que ce soit en Europe (Benavente et al. 2022), aux USA (Franchino-Olsen et al. 2022) ou en Australie (Laird et al. 2020). Cependant, l’idée que le phénomène est en augmentation traverse la littérature. Le risque d’exploitation sexuelle des jeunes comme les situations avérées ont explosé depuis les années 2000 avec l’avènement d’internet et des réseaux sociaux, ce que certains ont appelé la prostitution 2.0. La prohibition de la prostitution des mineurs est rappelée à travers les textes de loi : loi du 4 mars 2002 qui stipule que le mineur en situation de prostitution est déclaré en danger et doit relever de la protection du juge des enfants, le code pénal condamne le proxénétisme et la traite des êtres humains.

Le phénomène est loin d’être nouveau : les mêmes difficultés de quantification se retrouvent dans l’après-guerre à Paris, un même désarroi des travailleurs sociaux et des juges qui s’appuient essentiellement sur la loi contre le vagabondage (1935) pour « enfermer » les jeunes filles considérées comme déviantes dans des internats de rééducation, la définition de la prostitution restant à cette époque floue (V. Blanchard). Aujourd’hui les jeunes filles en situation de prostitution repérées dans les enquêtes quantitatives présentent des parcours de prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance instables, leur placement est tardif et leur rapport à l’institution conflictuel (I. Frechon). Les résultats de la recherche MINEXP (2021) et PARMIN (B. Lavaud-Legendre, C. Plessard, G. Desquesnes, N. Proia-Lelouey, 2023) montre de façon originale comment le phénomène de prostitution des mineurs peut être saisi à travers une analyse relationnelle : à la suite du recrutement qui s’effectue dans le champ de la séduction, les proxénètes et autres personnes impliquées comme « prestataires » dans le réseau organisent un « plan » pour des passes dans un hôtel sur une période déterminée (3 jours). La prostitution par « plans » est une forme d’organisation où les rôles sont interdépendants dans la mise en œuvre de l’activité : patron, prostituée et prestataires. Nos recherches montrent que les jeunes filles en situation de prostitution aujourd’hui présentent un certain nombre de traits communs avec celles des années 1950-1960 : la fugue et « les mauvaises fréquentations » demeurent les principaux facteurs de risque. Pour autant, un portrait unique de leur trajectoire biographique n’existe pas même si elles sont majoritairement issues des classes populaires. Des évènements de vie comme les maltraitances subies, un deuil dans la famille, la désunion ou recomposition parentale peuvent venir accroître leur vulnérabilisation rendue d’autant plus aiguë qu’elles sont en pleine adolescence (G. Desquesnes, N. Proia-Lelouey). Elles se nomment « Escorts » mais sont, comme les nomme S Bigot, avant tout des Naufragées.

La « réputation » de la jeune fille alors même qu’elle est victime d’agressions sexuelles constitue également une condition de la vulnérabilisation. Assignée au statut de « pute » par les autres jeunes, la jeune fille finit par s’auto-assigner ce statut (P. Roman). La prostitution demeure souvent indicible pour ces jeunes filles et met les professionnels de la protection de l’enfance en difficulté. Difficultés renforcées par les dénis multiples, conduits à « lire entre les lignes » des évaluations, ils tentent de « bricoler des solutions » malgré de difficiles articulations entre services.

Les croisements d’approches disciplinaires variées (droit, histoire, sociologie, psychologie) sur le phénomène a révélé toute sa richesse et ouvert des pistes de recherche futures.

Ce colloque est à retrouver en vidéo sur la Forge numérique de la MRSH : https://www.canal-u.tv/chaines/la-forge-numerique/perspectives-interdisciplinaires-sur-la-prostitution-des-mineures-et

Crédit photo : Clémence Leconte

Gillonne Desquenes
CERREV (Université de Caen Normandie)

Nadine Proia-Lelouay
LPCN (Université de Caen Normandie)