Au XVI e siècle, l’information politique circulant dans l’espace public se trouve dans une phase d’indétermination qui favorise la variété des genres et des supports, dans une confusion significative entre les formes de l’écrit et la sphère de l’oralité. Les registres-Journaux de l’audiencier au Parlement de Paris, Pierre de l’Estoile (1546-1611), fournissent un témoignage remarquable de cette richesse lexicale [1] dont l’usage est précisé dans les dictionnaires de Robert Estienne (1549) [2] , Nicot (1606) [3] , Cotgrave (1611) [4] , Richelet (1680) [5] , Furetière (1690) [6] , Gilles Ménage (1694) [7] , de l’Académie Française (1694) [8] , etc.
Le XVI e siècle est le règne de l’information occasionnelle mais rendue très présente dans l’espace public grâce à l’imprimé, objet de curiosité et de collection pour certains. L’information et le pamphlet s’entremêlent, empruntant à des genres et des formes littéraires différents suivant le type d’information transmise. Les deux termes ci-dessous impliquent l’identification claire de l’auteur ou du destinataire :
La production pamphlétaire a recours à des formes littéraires extrêmement diversifiées :
Ce premier tour d’horizon montre la grande porosité entre l’oral et l’écrit. Sous sa forme matérialisée, l’information est affichée en priorité dans certains lieux politiques comme l’hôtel de ville, le Parlement, ou sur les murs ou la porte de la maison de telle ou telle personnalité. Elle est également criée dans les rues ou carrefours de Paris avant de se répandre dans les rues. Puis très vite, le texte s’échappe de son support primitif, s’envole pour rejoindre la sphère de l’oralité. On « conte » les nouvelles, objets de toutes les métamorphoses et travestissements de la vérité ; le passage à l’oral signifie une relégation vers des genres peu nobles, propres aux gens du peuple : il prend alors la forme de « médisances » (paroles injurieuses et fausses qu’on dit d’une personne), ou de « quolibets » (mauvaises pointes qualifiées de fausses, triviales et misérables).
Dans l’information, tout est mouvement. Lorsqu’elle s’adresse à un destinataire déterminé, la nouvelle « vient », « arrive » par les voies normales de la circulation terrestre. Mais lorsqu’elle s’adresse au public indifférencié de la rue, elle est tantôt « publiée à son de trompe », « affichée », « plaquée » à certains endroits de la ville, tantôt « semée », « divulguée partout », « jettée » puis « ramassée », et alors elle « court partout » et la ville en est « abreuvée ». Elle porte en elle la possibilité du désordre ; ce sont des « bruits » (« grands » ou « mauvais », volontiers menaçants et susceptibles de dégénérer en séditions), ou des « murmures » qui évoquent la plainte encore sourde et confuse de plusieurs mécontents. Les murmures du peuple annoncent une possible sédition que la prudence commande de prévenir : le contrôle de l’information est une question d’ordre public.
Ce court examen de la terminologie en usage au XVI e siècle établit que la nouvelle, fragile, mise en doute et menaçante tout à la fois possède d’incontestables virtualités subversives ; sa réception dans l’espace public montre qu’elle est un excellent révélateur des tensions qui parcourent le corps social.
L’avènement de la périodicité au XVII e siècle, étroitement dépendante de l’amélioration des routes et du réseau postal, se marque dans le vocabulaire employé par Théophraste Renaudot, fondateur de la Gazette . Dès 1611, Cotgrave voit l’origine du mot « gazette » dans une pièce vénitienne de faible valeur qui a donné son nom aux petits bulletins de nouvelles que Venise envoie chaque mois dans toute la chrétienté. Le terme est peu flatteur : au XVII e siècle, il désigne aussi la « causeuse », cette femme qui rapporte à l’extérieur toutes les nouvelles de son quartier. C’est là une forme de transgression du secret qui se rapporte à l’idée longtemps admise qu’en matière de politique, il est autant défendu de « parler sûr », que de « parler contre ».
Pour Furetière, à la fin du XVII e siècle, c’est essentiellement le peuple qui est fort curieux des nouvelles de la Gazette (alors que le lectorat habituel est d’abord formé des élites urbaines [9] ). La nouvelle est fille de la poste et de l’imprimerie ; acheminée par des « courriers » (messagers qui tiennent une certaine route et portent plusieurs paquets de lettres dans une valise sur la croupe de leur cheval), dans des « lettres », des « correspondances » (termes qui sous-entendent un échange, une relation réciproque), elle est imprimée sur des « feuilles », en référence à l’activité de l’imprimeur, qui transforme les feuilles en « feuillets » selon la grandeur du volume (une feuille de papier imprimée donne quatre feuillets pour un in-4°).
Les gazettes établissent une mise en ordre, un classement géographique et chronologique de l’information, ainsi que des hiérarchies : la Gazette de Renaudot se veut être le « journal des rois et des puissances de la terre » [10] : il est fréquent que les autorités « fassent savoir », « mandent que » (ordonnent) que « soit publié ». L’information respecte les hiérarchies d’une société holiste qui atteint par capillarité les couches inférieures de la population : il n’en fallait pas davantage pour donner à la Gazette une réputation de presse officielle que l’analyse approfondie nuance considérablement [11] .
Au cours du XVII e siècle, de nombreux périodiques spécialisés voient le jour [12] , avec de nouveaux dispositifs formels et des appellations diversifiées en rapport avec le contenu, l’origine géographique, le rythme de publication, le genre littéraire, le style, etc. :
Un adjectif accolé au titre du périodique en précise l’orientation thématique, géographique, ou bien l’esprit : général, véritable, royal, fidèle, universel, céleste, désintéressé, souterrain, historique, savant, politique, etc. Il en indique éventuellement la périodicité, le qualifiant d’ « ordinaire » en référence au « courrier qui va en poste et porte les lettres » (Richelet, 1680), ou bien d’ « extraordinaire », qui signifie moins une publication occasionnelle qu’un « Courier […] qu'on envoye exprés et en diligence pour quelque affaire pressée » (Furetière, 1690). La Gazette publie environ un extraordinaire par semaine au milieu du XVII e siècle.
Preuve de son succès, la presse périodique voit également se développer, surtout à partir du milieu du XVII e siècle, des formes satiriques dont la fonction première est moins d’informer que de divertir : le périodique est alors qualifié de « babillard », « burlesque », « extravagant », « poétique », « galant », « héroï-comique », « plaisant », etc.
On peut conclure sur l’absence de désignation professionnelle des rédacteurs de nouvelles, le plus souvent anonymes et masqués, qui jouent parfois avec des identités multiples ; c’est une activité dont on ne se vante guère avant la fin du XVIII e siècle où la fonction permet de prétendre éclairer son lectorat [13] . En attendant, « gazetier » et « nouvelliste » sont des appellations peu flatteuses, frappées d’un certain discrédit durant la plus grande partie de l’Ancien Régime, conformément à un genre littéraire longtemps méprisé par les littéraires, délaissé par les historiens.
Bibliographie
Cotgrave Randle, A Dictionarie of the French and English tongues, compiled by Randle Cotgrave , London, printed by A. Islip, 1611.
Estienne Robert, Dictionnaire françois-latin, autrement dict les mots françois, avec les manières d’user d’iceulx, tournez en latin. Corrigé et augmenté. [Par R. Estienne.] , Paris, impr. de R. Estienne, 1549.
Furetière Antoine, Dictionaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et des arts..., 1: A-E , À La Haye, chez A. et R. Leers, 1690.
Gazette , Paris, Bureau d’adresse, 1631.
Haffemayer Stéphane, L’information dans la France du XVIIe siècle : La Gazette de Renaudot de 1647 à 1663 , Paris, Honoré Champion éditeur, 2002.
Haffemayer Stéphane, « Un relais de l’innovation en province : le Journal de Normandie de Jean-Baptiste Milcent à la veille de la Révolution », in Un siècle de journalisme culturel en Normandie et dans d’autres provinces : 1785-1885 , Catriona Seth et Eric Wauters (éd.), Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2011, p. 25–40.
L’Estoile Pierre de, Registre-journal du règne de Henri III, Tome I: 1574-1575 , Genève [Paris], Droz [diff. Champion], coll. «Textes littéraires français», 1992, 287p.
Le Dictionnaire de l’Académie Françoise, dédié au Roy , Paris, Vve J.-B. Coignard, 1694.
Ménage Gilles, Dictionnaire étymologique, ou Origines de la langue françoise, par M. Ménage. Nouvelle édition... avec les Origines françoises de M. de Caseneuve ; un Discours sur la science des étymologies, par le P. Besnier,... et une liste des noms de saints qui paroissent éloignez de leur origine... par M. l’abbé Chastelain,... , Paris, J. Anisson, 1694.
Ranconnet Aimar de, Thresor de la langue francoyse, tant ancienne que moderne. Auquel entre autres choses sont les mots propres de marine, venerie, & faulconnerie, cy devant ramassez par Aimar de Ranconnet, vivant conseiller & president des enquestes en Parlement. Reveu et augmenté en ceste derniere impression de plus de la moitie ; par Jean Nicot, vivant conseiller du roy, & Me. des requestes extraordinaire [sic] de son hostel. Avec une grammaire françoyse et latine, & le recueil des vieux proverbes de la France. Ensemble le Nomenclator de Junius, mis par ordre alphabetic, & creu d’une table particuliere de toutes les dictions. Dedié à monsieur le president Bochart, sieur de Champigny, &c , A Paris, chez David Douceur, libraire juré, ruë Saint Jaques, à l’enseigne du Mercure arresté. M. DC. VI, 1606.
Richelet Pierre, Dictionnaire françois, contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise... avec les termes les plus connus des arts et des sciences... par P. Richelet , Genève, J.-H. Widerhold, 1680.
Sgard Jean (dir.), Dictionnaire des journaux: 1600-1789 , Paris Oxford, Universitas Voltaire foundation, coll. «Dictionnaire de la presse», 1991, 1209p.
Notes
[1] L’Estoile Pierre de, Registre-journal du règne de Henri III, Tome I: 1574-1575 , Genève [Paris], Droz [diff. Champion], 1992, 287p.
[2] Estienne Robert, Dictionnaire françois-latin, autrement dict les mots françois, avec les manières d’user d’iceulx, tournez en latin. Corrigé et augmenté. [Par R. Estienne.] , Paris, impr. de R. Estienne, 1549.
[3] Ranconnet Aimar de, Thresor de la langue francoyse, tant ancienne que moderne. Auquel entre autres choses sont les mots propres de marine, venerie, & faulconnerie, cy devant ramassez par Aimar de Ranconnet, vivant conseiller & president des enquestes en Parlement. Reveu et augmenté en ceste derniere impression de plus de la moitie ; par Jean Nicot, vivant conseiller du roy, & Me. des requestes extraordinaire [sic] de son hostel. Avec une grammaire françoyse et latine, & le recueil des vieux proverbes de la France. Ensemble le Nomenclator de Junius, mis par ordre alphabetic, & creu d’une table particuliere de toutes les dictions. Dedié à monsieur le president Bochart, sieur de Champigny, &c , A Paris, chez David Douceur, libraire juré, ruë Saint Jaques, à l’enseigne du Mercure arresté. M. DC. VI, 1606.
[4] Cotgrave Randle, A Dictionarie of the French and English tongues, compiled by Randle Cotgrave , London, printed by A. Islip, 1611.
[5] Richelet Pierre, Dictionnaire françois, contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise... avec les termes les plus connus des arts et des sciences... par P. Richelet , Genève, J.-H. Widerhold, 1680.
[6] Furetière Antoine, Dictionaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et des arts..., 1: A-E , À La Haye, chez A. et R. Leers, 1690.
[7] Ménage Gilles, Dictionnaire étymologique, ou Origines de la langue françoise, par M. Ménage. Nouvelle édition... avec les Origines françoises de M. de Caseneuve ; un Discours sur la science des étymologies, par le P. Besnier,... et une liste des noms de saints qui paroissent éloignez de leur origine... par M. l’abbé Chastelain,... , Paris, J. Anisson, 1694.
[8] Le Dictionnaire de l’Académie Françoise, dédié au Roy , Paris, Vve J.-B. Coignard, 1694.
[9] Haffemayer Stéphane, L’information dans la France du XVIIe siècle : La Gazette de Renaudot de 1647 à 1663 , Paris, Honoré Champion éditeur, 2002.
[10] Gazette , Paris, Bureau d’adresse, 1631, p. 4.
[11] Haffemayer Stéphane, L’information dans la France du XVIIe siècle , cit.
[12] Sgard Jean (dir.), Dictionnaire des journaux: 1600-1789 , Paris Oxford, Universitas Voltaire foundation, 1991, 1209p.
[13] Haffemayer Stéphane, « Un relais de l’innovation en province : le Journal de Normandie de Jean-Baptiste Milcent à la veille de la Révolution », in Un siècle de journalisme culturel en Normandie et dans d’autres provinces : 1785-1885 , Catriona Seth et Eric Wauters (éd.), Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2011, p. 25–40.