S. Haffemayer, octobre 2013
Le système d’information de la Gazette dans les années 1680
Annexe 1 : Volume des nouvelles publiées dans la gazette
Bibliographie
Notes et références
Le texte qui suit est une version remaniée de l’article paru dans Le Temps
des médias en 2013 :
Haffemayer Stéphane, « La Gazette en 1683-1685-1689 : analyse d’un système
d’information »,
Le Temps des médias
, n° 20, 2013, p. 32–46.
Dans les années 1680, le marché européen de l’information comprend une vingtaine de gazettes francophones : la Gazette de Renaudot (1631-1792), les Relations véritables (Anvers, 1652-1741), les gazettes d’Amsterdam (1663-1795), la Gazette de Londres (1666-1705), la Gazette de Toulouse (1673-1752), la Gazette de Leyde (1677-1811), la Connaissance des temps (1679-1789), les Nouvelles solides et choisies (1683-1689), l’ Histoire abrégée de l’Europe (1686-1688), le Mercure historique et politique (1686-1782), les Affaires du temps (1688-1689), les Considérations politiques (1688-1690), les Lettres sur les matières du temps (1688-1690), la Gazette de Liège (1688-1794), la Quintessence des Nouvelles (1689-1730), la Gazette de Berne (1689-1787), la Gazette d’Utrecht (1689-1787).
A côté de cette information politique au rythme hebdomadaire, on trouve des journaux littéraires ou scientifiques publiés chaque mois comme les Lettres en vers de Boursault (1665-1691) ou de Laurent (1676-1689), le Journal des Savants (1665-1792), le Mercure galant (1672-1710), les Nouvelles de la République des lettres (1684-1718), la Bibliothèque universelle et historique (1686-1693), les Lettres pastorales (1686-1694).
Ce ne sont là que les publications les plus connues ; on trouve également une bonne douzaine de fondations éphémères, ainsi qu’un marché actif de l’information manuscrite plus ou moins confidentielle, dérivée des Avvizi , dont les Nouvelles ecclésiastiques compilées par l’évêque d’Agde, Louis Fouquet 1 constituent un exemple célèbre. Entre l’imprimé et le manuscrit se livre un jeu complexe et subtil de secret, de dévoilement ciblé comme en témoigne le dictionnaire de François Moureau.
Les années 1680 voient naître une trentaine de périodiques en langue française, soit le double de la décennie précédente. On en connaît depuis longtemps l’intérêt : beaucoup, notamment en provenance de Hollande, font entendre la « voix de l’hétérodoxie 2 » et concurrencent les grandes gazettes nationales. Dans le traitement de l’événement, les nuances sont flagrantes et reflètent des orientations nationales nettement différenciées. Parfois, on y débat avec passion de l’actualité politique européenne, n’épargnant pas aux princes d’expertes leçons de politique 3 .
Ce continent peu exploré de la presse d’Ancien Régime défie l’analyse et suppose une forme d’inventivité méthodologique 4 . A ce jour, de rares monographies ont livré les secrets de gazettes « nationales » comme celles de Leyde 5 , Lisbonne 6 ou Amsterdam 7 . La voie choisie consiste à combiner une approche sérielle et qualitative, comme cela a été fait pour l’analyse de la Gazette au milieu du XVII e siècle 8 . L’analyse de la structure interne du périodique nécessite une instrumentation électronique, seule capable de traiter les milliers de données constitutives d’un système d’information (pour en savoir plus, Haffemayer, 1997) 9 .
Cette édition électronique sur internet constitue l’aboutissement d’une recherche méthodologique concernant l’analyse de la presse d’Ancien Régime. La mise en ligne ne représente toutefois qu’une facette d’une instrumentation plus ambitieuse qui constitue la nouvelle en séries et permet de l’analyser sous l’angle statistique. L’avantage de cette restructuration est de redonner à la nouvelle toute sa singularité ; saisie individuellement, elle retrouve son identité de « marchandise » circulant sous des formes multiples à l’intérieur de l’espace européen. Les recherches récentes sur la presse d’Ancien Régime ont mis l’accent sur ce phénomène de la circulation de l’information politique en Europe 10 ; n’en doutons pas, l’analyse comparée des ensembles de nouvelles est la clé de la compréhension de l’enchevêtrement des systèmes d’information dans l’Europe moderne : chaque nouvelle est un isolat qui, de sa naissance manuscrite à sa réception, subit des métamorphoses dans le temps et dans l’espace ; à la manière de Protée, sa publication l’amène à se couler dans des configurations éditoriales variant selon les dynamiques nationales ; elle circule, s’adapte au gré des traductions, des formes orales, manuscrites, ou imprimées qu’elle est susceptible de prendre tour à tour. C’est cette matière vivante qu’il s’agit de soumettre à l’analyse statistique et pas seulement discursive.
La publication des trois années de la Gazette (1683, 1685 et 1689) forme un ensemble de 2 118 pages et 2 232 nouvelles. L’actualité européenne est particulièrement propice au développement du marché de l’information. En 1683, les troupes ottomanes attaquent la chrétienté à Vienne ; en 1685, la cause protestante européenne recule avec la succession catholique en Angleterre et la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV ; en 1689, la Glorieuse Révolution chasse Jacques II et place l’âme de la coalition contre Louis XIV, Guillaume d’Orange, sur le trône des Stuarts.
D’après le Dictionnaire des journaux 11 , la décennie voit la naissance de trente périodiques francophones contre dix-sept dans les années 1670 (vingt-six dans les années 1690). En 1680, la Gazette n’est réimprimée que dans six villes (Paris, Rouen, Lyon, Bordeaux, Tours et Toulouse) ; entre 1686 et 1699, seize villes supplémentaires diffusent ce produit de l’information nationale 12 . Il faut en effet lutter sur le terrain de l’information contre l’opposition virulente suscitée en Hollande par la politique de Louis XIV et répondre à une forte demande publique d’informations 13 .
Toutefois, c’est essentiellement d’information internationale qu’il s’agit ; la presse d’Ancien Régime traite essentiellement d’une actualité européenne qui franchit facilement les frontières 14 ; les nouvelles intérieures sont réduites à la portion congrue d’une information de célébration fortement liée aux actes souverains. Dans le cas de la Gazette , si l’on globalise les années 1683, 1685 et 1689, l’information étrangère représente 87,5% du nombre de nouvelles 15 et 89,2% de son volume 16 . Il s’agit de répondre à la curiosité des lecteurs pour les affaires du monde et de justifier un tant soit peu la coûteuse politique étrangère de la monarchie.
Le périodique est entre les mains d’un expert en communication proche de la Cour, l’abbé Eusèbe III Renaudot, petit-fils du fondateur 17 . Théologien et orientaliste lié au clan Colbert, il avait ses entrées chez le prince de Condé et les deux princes de Conti. D’après Niceron, « le roi même trouva bon que ses ministres lui communicassent certaines affaires & lussent ses mémoires au Conseil 18 ». Le département des affaires étrangères tenu par Colbert de Croissy lui permettait de bénéficier de quelques facilités relationnelles au sein du milieu diplomatique, ce qui ne l’empêchait pas de manquer régulièrement de nouvelles, notamment en provenance du sud de l’Europe (Espagne, Portugal) 19 . La fourniture de nouvelles dépend davantage du réseau personnel du gazetier que d’une correspondance diplomatique vouée au secret.
Etait-ce le fait de la concurrence internationale sur le marché de l’information et de la montée en puissance des gazettes néerlandaises ? Depuis la fin de la guerre de Hollande, la Gazette connut un déclin progressif avec un effondrement de près de 50% de son volume entre les années fastes de la Guerre de Hollande (1240 pages) et la fin des années 1680 (638 pages en 1689). Même la guerre de la Ligue d’Augsbourg n’eut aucune incidence sur le volume annuel de l’information, désormais stable autour de 624 pages. Sans doute y avait-il là de quoi achever de ternir la réputation du périodique et de favoriser l’attirance du lectorat vers les gazettes francophones périphériques.
Une partie de l’explication tient dans un changement de stratégie éditoriale avec un repli sur l’information « ordinaire », en référence à la voie postale qui part et arrive à jour fixe. Les Extraordinaires qui faisaient les beaux jours de la Gazette au milieu du XVII e siècle, rejoignent les Suppléments du Mercure Galant de Donneau de Visé 20 . Ils offraient un autre type de journalisme, plus narratif et voué à la célébration des actes du souverain : sur les huit Extraordinaires publiés par la Gazette en 1683, trois sont consacrés à l’Angleterre, un au bombardement d’Alger, quatre à la mort de la reine de France, Marie-Thérèse ; en 1685, sept traitent de la Grande-Bretagne, trois de l’Empire ottoman, et un de la France - un mariage princier ; il n’y en a plus que deux en 1689 à propos des victoires françaises contre les Anglais et les Espagnols. Pour la Gazette , c’est la fin d’un double système de l’information qui avait fait son succès au milieu du siècle, partagé entre récits de célébration et nouvelles brèves de type AFP.
Dans un contexte pourtant favorable au marché international des nouvelles, la Gazette restreint son offre d’information avec une baisse de près de 30% du nombre de nouvelles entre 1683 et 1689 21 . Vieil artifice éditorial, les nouvelles s’allongent 22 et se resserrent sur un noyau dur de capitales européennes, centres majeurs de diffusion de l’information européenne. 65% des localités qui apparaissent dans la Gazette ne font qu’une apparition furtive 23 ; le reste, un ensemble stable d’une vingtaine de localités apporte à elles seules 90% de l’information du périodique ( carte 1 et graphique 1 ) : la plupart alimentaient déjà la Gazette au milieu du XVII e siècle et constituaient des capitales de l’information européenne 24 . En réalité, rien de commun entre la prolixité de Londres ou de Vienne et la présence régulière mais insignifiante de Liège ! A la différence des années 1630 et 1640, les réseaux de la Gazette se sont amoindris, centralisés et resserrés autour d’un nombre très restreint de localités qui constituent l’ossature du périodique. De même, dans les années 1640, l’Italie inondait le marché européen de l’information et les nouvelles de Venise, Rome, Naples, Gênes et Milan dominaient la Gazette 25 ; ce n’est plus le cas dans les années 1680 où l’emporte très nettement l’information impériale 26 ( graphique 2 ). Fait significatif, l’information nationale poursuit un déclin déjà relevé par maints observateurs, dans un appauvrissement à la fois qualitatif et quantitatif.
Le graphique ci-dessous met en évidence cette adaptation de l’information à l’évolution de la conjoncture internationale, le fait marquant étant la forte empreinte éditoriale que constitua l’irruption de l’Angleterre au moment de la Glorieuse Révolution.
En quantité, l’information en provenance de l’Empire domine la publication
; l’attraction est double, entre les tensions nées de la politique des réunions
(annexions en pleine paix : prise de Strasbourg et blocus de Luxembourg en
1681, entrée de troupes françaises aux Pays-Bas) et la menace turque contre
la chrétienté. Dès la fin de l’année 1682, l’information viennoise s’inquiète
des préparatifs de guerre des Ottomans, que l’on pense alors être dirigés
contre la Hongrie. Elle se maintient à un niveau élevé jusqu’au départ de
la famille royale début juillet ; la préoccupation majeure est la mobilisation
des finances et des troupes, ainsi que la quête d’alliances. Comme on pouvait
s’y attendre, le siège provoque une interruption totale de nouvelles jusqu’à
la mi-septembre. Celles qui parviennent de Lintz, où s’est réfugiée la famille
impériale, sont plus brèves et surtout très irrégulières. Lorsque l’empereur
Léopold revient dans sa capitale le 14 septembre, deux jours après la victoire
du Kahlenberg, la ville est en proie à des épidémies ; désormais, les nouvelles
se font plus rares : l’information viennoise ne présente plus le même intérêt
: 75% de son volume, concentré sur les six premiers mois de l’année, confirment
l’idée que les bruissements de la préparation d’une guerre sollicitent bien
davantage l’information que la guerre elle-même, somme de petites actions
plus que de grandes batailles.
La carte des nouvelles de l’année 1683 ( carte 2 ) révèle d’autres centres de gravité de l’information européenne. Paris centralise la plus grande part de l’information du royaume et rapporte les faits et gestes du pouvoir : déplacements de la famille royale, divertissements et actes de dévotion royaux, réceptions diplomatiques, arrêts du conseil d’Etat, exemples de recul du protestantisme, offensives militaires (Alger, région rhénane), etc. Mais c’est bien la rubrique « carnet mondain » qui l’emporte : naissances, mariages, décès, etc., participent à cet affadissement critiqué par les contemporains. La mort de la reine Marie-Thérèse déroule le scénario habituel des funérailles royales et résonne pendant plusieurs mois des services funèbres célébrés dans tout le royaume. Mais à la différence du milieu du XVII e siècle, où 47% des provenances étaient situées dans un royaume en proie à la Fronde, l’information provinciale a, cette fois, quasiment disparu : dans un contexte de guerre civile, elle participait à l’affirmation de la nécessaire unité territoriale derrière son souverain ; ce n’est plus nécessaire dans les années 1680 : l’information provinciale venant de Brest, Toulon, Dunkerque est essentiellement de nature militaire ; les autres se partagent entre l’annonce nécrologique et des cérémonies locales à la gloire du souverain.
En troisième position, l’information londonienne est animée par la découverte de la tentative d’assassinat manquée contre Charles II et son frère (complot de Rye-House, découvert en juin 1683). L’échec du régicide fit l’objet d’un extraordinaire de douze pages le 19 août 1683 qui ne cacha pas l’ambition révolutionnaire des conjurés : au nom de la défense du protestantisme, ils voulaient « changer la forme du gouvernement » ; le périodique suivit le feuilleton des révélations sur le déroulement du complot, le réseau des complicités et les exécutions.
La présence de Stockholm dans la Gazette s’explique largement par les velléités absolutistes de Charles XI : affaiblissement de la diète, fiscalité au détriment de la noblesse, armement sur terre et sur mer contre la Norvège, révoltes antifiscales, réceptions diplomatiques des ambassadeurs de Moscovie, etc., reflètent la politique active d’un royaume du Nord, allié depuis peu des Provinces-Unies (octobre 1681) et de l’Empire (avril 1682), qui prend une orientation de plus en plus indépendante et s’engage peu à peu contre la France.
En 1685 ( carte 3 ), l’intérêt que la chrétienté porte à la reconquête historique de la plaine danubienne par les Impériaux contre les Turcs explique que Vienne se soit hissée à la première place. Les nouvelles témoignent de l’acharnement des Turcs à ne pas céder si facilement du terrain, des conditions extrêmes de la campagne hivernale en Haute Hongrie, dans l’eau et la boue jusqu’à la ceinture, dans un contexte de désolation provoquée par la famine : on y raconte qu’aux alentours de Presbourg, les chiens mangent les corps morts dans les rues ; les habitants mangeaient des racines et faisaient du pain avec des écorces ; des femmes furent découvertes mangeant de la chair de cheval ; un soldat fut surpris à manger les entrailles du corps mort d’un autre soldat 27 ; la progression des troupes impériales s’accompagne d’autres cas d’anthropophagie 28 . Dans cette guerre orientale et lointaine, propice à la rumeur, l’information s’apparente à une forme archéologique du reportage de guerre et produit des effets de dramatisation bien éloignés du modèle littéraire de la guerre héroïque.
L’entrée de Venise dans la guerre de Morée (1684-1699) explique sa 3 e place ; la cité-Etat a ouvert l’année précédente un front maritime contre les Turcs, dans le Péloponnèse, donnant une forte impulsion à l’information vénitienne. En dehors d’un Extraordinaire de douze pages relatant la prise de Coron le 11 août, réputée la meilleure place de la Morée 29 , les nouvelles vénitiennes ont la particularité d’être beaucoup plus brèves que leurs homologues allemandes. Est-ce une question de nature des sources ? On sait que dans ce marché de l’imprimé, les périodiques se nourrissaient en partie d’eux-mêmes, de recopies multiples : nouvelles à la main provenant des officines vénitiennes d’un côté, gazettes allemandes de l’autre, expliquent peut-être cette différence dans le traitement de l’actualité.
En 1689, avec la Glorieuse Révolution, le relais est pris par Londres avec un volume jusqu’alors jamais atteint par aucune provenance. Cette année-là, elle est quatre fois plus bavarde que Paris, à la fois fascinée par cette nouvelle « révolution » (le mot apparaît dans la nouvelle du 17 février) et favorable à la cause jacobite. Comme cela a déjà été noté 30 , l’information introduit un vocabulaire politique nouveau lié à l’équilibre des pouvoirs entre le roi et son peuple. Comme en 1649 avec la guerre civile et l’exécution de Charles I er , la mutation du langage politique en Angleterre n’épargne pas la France et induit de nouvelles formes de politisation, de réflexion sur la nature du pouvoir. L’usage des mots « liberté », « nation », « droits », « loix », etc., révèle un processus rapide d’acculturation politique par le vocabulaire, que l’on ne retrouve dans aucune autre nouvelle européenne. En cette fin du XVIIe siècle, la presse européenne est incontestablement le premier vecteur de diffusion d’un vocabulaire politique aux virtualités révolutionnaires. Au cours des dix années suivantes, Londres conserve cette première place dans la Gazette , attentive à l’évolution d’un régime dont elle espère la chute.
Il reste à dire un mot du temps de cette information à travers les délais de publication. Dans l’ensemble, les délais entre l’acheminement d’une nouvelle et sa publication sont marqués par une régularité métronomique largement déterminée par la qualité des réseaux postaux : neuf jours pour Londres, onze pour Cologne, quinze pour Hambourg, vingt pour Vienne, vingt-cinq pour Rome, etc. Le clivage nord-sud est incontestable : plus l’information vient du Sud (Madrid, Venise, Lisbonne), plus les délais augmentent ; alors que l’information en provenance des villes du Nord (Londres, Amsterdam, Bruxelles, La Haye) voit ses délais de publication diminuer. En cause, le service postal et les considérations stratégiques qui guidèrent son organisation sous la surintendance de Louvois 31 : dans les années 1680, une liaison quotidienne relie Paris à Bruxelles et Anvers par la route de Valenciennes et trois liaisons hebdomadaires par la route de Lille. En revanche, avec l’Italie, les liaisons sont assurées par le bureau de Lyon qui compte deux liaisons hebdomadaires : le passage en Italie se fait par la Provence ou par le col du Mont Cenis, ce qui rend les délais plus aléatoires. Avec l’Espagne, il y a deux liaisons hebdomadaires, qui empruntent deux routes, par Irun ou par Oloron. Pour la plupart des villes méridionales, Paris n’entretient qu’une seule liaison hebdomadaire jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Bien évidemment, la guerre peut jouer un rôle dans l’allongement des délais : les nouvelles de l’Empire (Cologne, Hambourg, Ratisbonne) ont des délais supérieurs en 1689 par rapport à 1683.
Ainsi la presse dépend-elle aussi de principes d’unité territoriale ; les zones de frontières instables au Nord et à l’Est suscitent une information attentive à ce qui se passe sur des espaces en voie de consolidation, rattachés depuis peu au royaume de France. Inversement, l’information méridionale est plus apaisée. Il y a donc un rapport étroit entre la production d’information et les zones d’incertitude. La Gazette des années 1680 réagit à l’ouverture du marché international de l’information par une volonté de contrôle, un repli sur une information géographiquement moins diversifiée, des nouvelles moins nombreuses mais plus bavardes, probablement inspirées d’imprimés locaux, comme dans le cas de Londres. Mais elle a beau passer sous le contrôle du département des affaires étrangères, elle n’en confirme pas moins sa passion pour l’actualité politique anglaise, laissant filtrer un vocabulaire appelé à servir d’étendard dans la France du XVIII e siècle.
L’instrumentation électronique donne de précieuses indications sur les structures d’un périodique, son identité (réactions à l’actualité internationale, priorités de la politique étrangère, inquiétudes territoriales, etc.). En somme, malgré une forme de déclin, que devrait éclairer la comparaison avec le traitement de l’actualité dans les autres périodiques européens, la Gazette conserve une forte sensibilité à l’actualité. Toutefois, l’évolution vers un journalisme de plus en plus institutionnel, proche du réseau diplomatique des affaires étrangères, s’accompagne d’une polarisation croissante autour d’un nombre de plus en plus restreint de capitales européennes dont le texte s’allonge au fil des pages.
Volume des nouvelles publiées dans la Gazette(nombre de mots), par ensembles politiques en 1683, 1685 et 1689 (cf. graphique 1 ).
Ensembles politiques | Années | Total | ||
1683 | 1685 | 1689 | ||
Empire | 78749 | 81203 | 73889 | 233841 |
Italie | 49618 | 53341 | 30301 | 133260 |
Angleterre | 26508 | 44599 | 56858 | 127965 |
France | 30989 | 25332 | 22134 | 78455 |
Provinces-Unies | 13048 | 10291 | 6644 | 29983 |
Pologne | 7736 | 11388 | 10599 | 29723 |
Empire ottoman | 2509 | 13977 | 889 | 17375 |
Espagne | 7591 | 7534 | 1749 | 16874 |
Portugal | 4691 | 2597 | 317 | 7605 |
Suède | 5527 | 707 | 328 | 6562 |
Pays-Bas espagnols | 2572 | 1328 | 2461 | 6361 |
Danemark | 3562 | 807 | 0 | 4369 |
Cantons suisses | 119 | 137 | 452 | 708 |
Total | 233219 | 253241 | 206621 | 693081 |