Trésor de Saint-Germain-de-Varreville, Pièce à Trois Cornières |
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En 2001, à quelques centaines de mètres au sud du village de Saint-Germain-de-Varreville ( Manche ), au lieu-dit la « pièce aux Trois Cornières », des travaux agricoles ont mis au jour un trésor de monnaies romaines de la première moitié du IV e siècle. Conservé dans son contenant d’origine , un vase de forme ovoïde en céramique commune, il constitue, par son état de conservation général, une découverte tout à fait exceptionnelle : aucune brisure et un remplissage intact, composé d’un millefeuille de monnaies plus ou moins concrétionnées, qui ne laissait pas la moindre place à des espaces vides . Le tout pesait 42 kg, dont nous avons retiré le poids de la céramique (estimé à 3,8 kg). La masse monétaire peut ainsi être évaluée à 38,2 kg.
En juillet 2013, un sondage archéologique, réalisé sous la direction de C. Allinne, a été réalisé à l’emplacement de la découverte, dans le but de mieux comprendre son environnement proche dans l’Antiquité. L’emplacement du pot a été retrouvé et l’empreinte arrondie de son contour était conservée dans la terre. Le vase a été enfoui dans un trou tout juste à sa taille ou à peine plus large. Il n’a donc pas été déposé à l’air libre dans le fond d’une fosse. Large de seulement 16,5 cm, l’ouverture de l’excavation ne devait cependant pas être évidente à retrouver sans un élément de signalement en surface. Un bloc allongé en calcaire blanc, ne provenant pas des environs du site, mis au jour à quelques mètres de l’emplacement du pot, pouvait peut-être constituer ce marqueur visuel. La découverte à proximité de la cachette d’un bouchon formé d’un morceau de tuile retaillé en rond laisse enfin penser que le pot lui-même était obturé. À l’exception de l’emplacement de la cachette, aucun vestige antique n’a été découvert lors de l’enquête de terrain (fouille et prospection). Deux points de découverte de poteries et matériaux de construction de l’époque romaine, situés à quelques 250 et 600 m de la « pièce à Trois Cornières », constituent toutefois des indices de la présence d’un habitat . Les alentours directs n’étaient cependant pas occupés, et le trésor a bien été caché dans un endroit isolé.
Un trésor composé de plusieurs dizaines de kilogrammes de monnaies constitue une structure archéologique complexe. Comment étaient rangées les monnaies à l’intérieur du vase ? Étaient-elles disposées en vrac ou soigneusement organisées ? Peut-on identifier des phases successives de remplissage (par épargne) ? La réponse à ces questions a été rendue possible grâce à la mise en place d’une fouille en laboratoire du trésor. Reconnaître les différentes composantes de celui-ci et en restituer la stratigraphie n’ont pas été pour autant des étapes faciles. Cet exercice, qui tient du déshabillage, impose de repérer et de libérer dans la masse feuilletée de monnaies les éventuels ensembles atypiques ou homogènes.
L’ensemble des éléments concernant les formes de la stratigraphie montre bien que le trésor de Saint-Germain-de-Varreville a été constitué en plusieurs phases , représentées ici par ce que nous appelons des « faits » : en somme, des lots monétaires cohérents possédant des limites sûres et bien définies. L’étude de la disposition des monnaies, qui a notamment permis d’identifier au moins un sac de monnaies , couplée aux observations effectuées sur les formations sédimentaires et les débris végétaux révèlent que le remplissage a été progressif et a fait l’objet de plusieurs manipulations au fil du temps. L’étude archéologique ainsi opérée du contenu permet de voir que le vase a servi en quelque sorte de « tirelire » dans laquelle on place, mais aussi on déplace des sacs ou des monnaies pour permettre l’insertion de nouveaux ensembles. L’analyse encore superficielle des nombreux débris végétaux (brindilles, graines diverses, morceaux de feuilles, etc.) que renfermait le pot, entre les couches de monnaies, évoque certainement un paysage ouvert, caractérisé par la présence de fougères, de carottes sauvages, de graminées et autres herbacées. Les brindilles d’arbustes peuvent provenir d’une haie ou d’un buisson proche. Fougère, carotte sauvage et graminées sont des espèces très adaptables mais se développent ensemble dans de bonnes conditions dans les prairies naturelles, pâtures ou fossés bordant les champs et les chemins. La présence des graines de céréales parmi les monnaies indique peut-être un ajout volontaire du thésaurisateur, dans le but d’absorber l’humidité à l’intérieur du contenant.
Après avoir extrait les 14528 monnaies que compte le trésor, il a été nécessaire de les nettoyer. Pour l’heure plus de la moitié des monnaies a été nettoyée. Il est ainsi possible de cerner les grandes composantes du dépôt. Il convient d’emblée de souligner que toutes les monnaies du trésor sont des nummi , à l’exception de quelques très rares imitations radiées. Le monnayage antérieur à la réforme de 318 (principalement au type Soli invicto comiti ) n’est que résiduel. Les émissions des années 318-324 et 324-330, avec les types Victoriae laet princ perp , Beata tranquillitas , Sarmatia devicta , et Providentiae augg / caess , sont mieux représentées, mais restent modestes par rapport au numéraire de la période 330-341. La plus large partie du trésor consiste en effet en nummi offrant le revers Gloria exercitus à une ou deux enseignes, ou l’un des types urbains qui lui sont associés, Urbs Roma et Constantinopolis . Dans cet ensemble, il semblerait que les émissions de la période 330-337 soient néanmoins plus nombreuses. À cela, s’ajoute la présence régulière d’imitations. Parmi celles-ci, les reproductions de nummi aux revers Gloria exercitus (deux enseignes), Urbs Roma et Constantinopolis ont été privilégiées. Enfin, les frappes des années 341-348, au type Victoriae dd auggq nn , qui sont les plus récentes, clôturent le trésor et s’avèrent très discrètes.
La présentation des monnaies suit la stratigraphie établie au moment de la fouille en laboratoire du trésor ; elle se décompose donc par « fait ». Les « couches » associées aux différents « faits » corrrespondent à des groupes de monnaies prélevées dans des ensembles dont les limites n'étaient pas nettement visibles. Cette dernière catégorie d'unité stratigraphique a été utilisée lors de la fouille de lots comprenant un nombre très important de pièces, afin de limiter le risque de mélange de spécimens provenant de groupes différents. À ce jour, l’étude numismatique a permis de cataloguer et d’identifier 3501 monnaies, soit un quart de l’ensemble du trésor.