Monnaies de Tourouvre, Bellegarde |
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Le trésor monétaire de Tourouvre ( Orne ) a été découvert au lieu-dit « Bellegarde » en 2010, au cours d’une opération de diagnostic archéologique conduite sous la direction de Guy Leclerc .
Implanté sur une petite butte entourée de grands fossés, le site domine presque en vis-à-vis le manoir de Bellegarde. Depuis le XIX e siècle, la configuration des lieux a permis à quelques exégètes locaux d’y reconnaître l’installation d’un « camp militaire » d’époque romaine. L’intervention archéologique avait pour but de préciser la nature de l’occupation.
D’après les données de fouilles, les structures reconnues n’ont pas livré d’éléments de construction en place. Seules ont été répertoriées des fosses dont les comblements sont constitués prioritairement de matériaux de démolition (moellons, argile, tuile, etc.). L’ensemble des vestiges se révèle être en position secondaire et pourrait être lié selon les fouilleurs à un établissement cultuel .
Enfermé dans deux bouteilles en verre, le trésor de Tourouvre constitue un bon exemple d’enfouissement à cachette multiple . Certes moins répandue que les contenants en terre cuite, l’utilisation de réceptacles en verre est connue par quelques découvertes. Parmi celles-ci, on peut citer l’ensemble monétaire du III e siècle apr. J.-C. mis au jour à Avezé (Sarthe), qui était contenu dans une bouteille en « verre verdâtre ».
Au moment de l’extraction des monnaies, la précaution a été prise
de ne pas mélanger le contenu des bouteilles. La composition des
deux lots a ainsi pu être analysée séparément. La première bouteille
contenait
Composées de 130 et 277 monnaies exclusivement en argent et en billon (84 deniers et 323 antoniniens), les deux bouteilles découvertes à Tourouvre constituent des ensembles de petite taille, d’autant plus utilisables qu’ils sont conservés dans leur intégralité. L’une et l’autre ont certainement été enfouies au même moment, comme semblent l’indiquer les monnaies terminales. En effet, les deux ensembles se clôturent avec la même troisième émission d’antoniniens de Trèves sous Victorin (revers aux légendes PAX AVG et INVICTVS). Au premier abord, cette spécificité permettrait de conclure à l’existence d’un unique trésor, réparti pour des questions de place entre plusieurs réceptacles. Pourtant, un élément contraint à nuancer l’analyse du contenu des deux bouteilles. Il est ainsi singulier de remarquer que l’une et l’autre ne couvrent pas le même arc chronologique, révélant des différences dans le processus d’épargne .
La bouteille I se caractérise par un arc de thésaurisation assez court (fig. 5). Composé de 130 antoniniens, l’ensemble réunit des exemplaires allant du règne de Gordien III (238-244) à celui de Victorin (269-271). La monnaie la plus ancienne est un antoninien antiochène frappé en 242-244, les plus récentes sont trois billons appartenant à la troisième émission trévire de Victorin émise en 270. L’absence de toute monnaie antérieure à 238 est normale dans un ensemble constitué après la généralisation de la circulation de l’antoninien. À l’inverse, la ventilation du lot par période permet de constater la très nette prédominance des frappes de 260-269 (Gallien-Postume) qui rassemblent plus des trois quart des exemplaires (79,9 %). L’importance numérique et l’état de conservation de ces monnaies laissent penser que la thésaurisation a réellement commencé dès les années 260, à un moment où le monnayage antérieur au règne de Gallien était déjà en voie d’élimination. Clairement ici le contenu de la bouteille I pourrait correspondre à un prélèvement ponctuel, constitué sur un bref laps de temps, dans la circulation monétaire.
L’une des spécificités de la bouteille II est de présenter un terminus identique à celui de la bouteille I. À comparer les contenus du trésor dans son entier, une autre évidence s’impose: celui-ci (bouteille II) coïncide assez fidèlement avec la composition de celui-là (bouteille I), du moins pour les deux tiers des séries comprises entre 238 et 270, car il s’en sépare au début. La bouteille II regroupe en effet un tiers d’émissions antérieures à Gordien III, remontant pour les plus anciennes aux Flaviens, avec notamment un denier au nom de Domitien frappé en 81. Au total, il apparaît que le profil de la bouteille II couvre un arc chronologique nettement plus large que celui de la bouteille I. Le denier des années 81-237 conserve donc un haut pourcentage (29,7 %), mais il a tendance à être relayé par de l’argent plus frais, émis sous Gordien III et Philippe I (16,9 %). En proportion de règnes plutôt courts (238-249), les apports de Gordien III et de Philippe I seraient assez élevés, révélant, de manière parallèle, un gonflement de la vitesse de circulation de l’antoninien. Toutefois, le monnayage suivant, de Trajan Dèce et de Trébonien Galle, est loin de tenir une place aussi grande.
L’enfouissement du trésor peut être situé au cours de l’année 270. Les deux tiers des monnaies ont été frappés entre 238 et 270. Le tiers restant se caractérise par des émissions antérieures à Gordien III, qui remontent pour les plus anciennes aux Flaviens. La ventilation par période permet de constater la prédominance des antoniniens de Gallien et de Postume. Aux monnaies étaient également associées un anneau et un pendentif .