La Gazette de Renaudot

Du Camp devant Neuhausel , le 18 Juillet 1685.

Le 4 de ce mois , l'armée Impériale commandée par le Prince Charles de Lorraine , partit du Camp prés de Barkan : & le 6 , elle arriva au bord de la Schit petite riviére qui tombe dans le Danube prés de Comorre. Elle la passa le 7 : & vint camper devant Neuhausel. Cette place est sitüée dans une plaine remplie de marais , mais dont le
fond est si bon qu’on y passer pressque par tout. Elle est de six bastions revestus d'une bonne maçonnerie. Les courtines sont de différente longueur. Le fossé est plein d'eau , de sept à huit pieds de profondeur , & de dix sept à dix huit toises de largeur. Mais il n'y a pour tous dehors que deux demi lunes de terre qui sont devant les deux portes. On asseure qu'il y a beaucoup de canon dans la place : & que la garnison est de deux milles hommes , quoy que le bruit eust couru qu'elle n'estoit plus que de mille ou douze cents. La riviére de Neutra passe a la portée du pistolet du fossé : & l'armée est campée entre cette riviére & la Schit-Vag , qui sont toutes deux guéables en plusieurs endroits. Le 8 , les troupes des Princes de la Maison de Brunswich arrivérent avec leur artillerie, au nombre de dix à onze mille hommes : & elles campérent sur une ligne à la gauche de l'armée Impériale. Le 9, celles de l'Electeur de Baviére arrivérent aussi, environ au mesme nombre : & elles campérent pareillement sur une ligne à la droite de l'armée. Le 10 , les assiegez qui jusqu'alors, n'avoient fait aucun mouvement pour empêcher les approches, firent une sortie avec cinq cents hommes de Cavalerie & d'Infanterie , pour attirer les Assiégeans sous le feu de leurs remparts, qui fut fort grand Les Princes de Conti & de la Roche Sur Yon y accoururent avec plusieurs volontaires pour repousser les Ennemis : mais les Officiers Généraux vinrent en diligence les faire retirer , & on auroit pû autrement perdre beaucoup de monde en cette occasion. Le Prince de la Roche Sur Yon y courut grand risque : un boulet de canon ayant passé entre les jambes de son cheval. Le Prince de Wirtemberg Colonel des Gardes du Corps du Roy de Danemark , qui estoit volontaire , y fut blessé à mort, d'un coup de mousquet au milieu du front. Le Prince de Commercy en reçeut un dans la cuisse qui ne fit qu'effleurer. Quatre autres volontaires furent blessez légérement. Le même jour , le Prince Charles de Lorraine fit reconnoistre la place de fort prés : & il détermina l'endroit de l'attaque qui est le même où les Turcs firent la leur quand ils assiégerent & prirent cette place en la derniére guerre. Le soir , le Colonel Beck fut détaché , avec deux Lieutenants Colonels , deux Majors , dix Capitaines, autant de Lieutenants & d'Enseignes , & mille hommes pour aller se saisir de plusieurs postes avantageux. Les Ennemis firent grand feu sur eux , mais sans aucun effet considérable. Le 11 , sur les neuf heures du soir , trois mille hommes de pied firent l'ouverture de la tranchée à la saveur d'un fond , de l'autre costé de la riviére : & ils poussérent le travail à quatre vingt pas du fossé. Le Prince de Conti & le Prince de la Roche Sur Yon estoient à l'ouverture de la tranchée : & ils ont depuis , continüé à y passer une partie du jour & de la nuit , exposez au plus grand feu des Ennemis. La nuit du 12 au 13 , on poussa de la droite à la gauche, un boyau semblable au premier : & on commença de dresser deux batteries pour rüiner les défenses de la place. La nuit du 13 au 14 , on perfectionna le travail : & on fit une redoute à chaque teste des deux boyaux , pour les asseurer contre les sorties. La nuit du 14 au 15 , on fit une fausse attaque au costé opposé à celuy de la véritable attaque , pour obliger les Assiégez à partager leurs forces , & pour faciliter la saignée du fossé : & on tira une parallelle au front attaqué qui joignit les testes des deux boyaux. La nuit du 15 au 16 , on poussa les deux attaques sur le bord du fossé. Le 16 , en plein jour , un des esclaves qui sont dans Neuhausel au nombre de pres de deux cents , quoy qu'il eust les fers aux pieds , se jetta de la courtine de l'attaque , sur une Berme qui régné au tour de la place , pour tascher de se sauver au Camp : mais trois Turcs vinrent luy couper la teste. On fit feu sur eux de la tranchée : & deux furent tüez. La nuit du 16 au 17 , les Assiégez firent un fort grand feu. Ils tirérent quantité de fléches : & ils jettérent beaucoup de pierres , dont il y eut quinze hommes tüez & environ trente blessez. Aujourd'huy , ils ont abandonné une Palanque qui couvroit une des portes de la place qui est à la gauche de l'attaque : & ils ont mis en mesme temps , le feu de ce costé-là aux Palissades , sur lesquelles il y avoit trois ou quatre cents testes de Chrestiens. Le Prince de Conti estant à la tranchée pour encourager les travailleurs , les Ennemis ont fait un feu extraordinaire d'artillerie & de mousqueterie : & unboulet a donné fort prés de luy. Les assiégez paroissent principalement occupez à dresser des bateries & des retranchemens dans les deux bastions attaquez. On a intercepté des letres que le Bacha qui commande dans la place , avoit écrites au Bacha de Bude , pour luy demander un Ingénieur & quelques officiers d'Infanterie. Le Prince Charles de Lorraine a fait faire deux ponts sur le Danube prés de Comorre, dans le dessein de marcher contre les Infidéle avec une partie de l'armée en cas qu'ils entreprennent d'assiéger Gran. On vient d'apprendre que le 15 de ce mois , sept mille Turcs de la garnison de Bude surprirent la Basse ville de Vicegrad , qu'ils la pillérent , qu'ils passérent la pluspart des habitants au fil de l’espée & qu'ils y mirent le feu.