OUVERTURE DU PARLEMENT D’ANGLETERRE AVEC LA HARANGUE DU ROY, & la Déclaration du
Comte d'Argile
.
LE
Roy de la Grande Bretagne
avoit déclaré à ses sujets, par une proclamation publiée dés les premiers jours de son Régne , qu'il estoit résolu d'assembler promtement le Parlement du Royaume. Il fit peu de temps apres , publier les Lettres circulaires ,qui furent envoyées dans toutes les Comtez , afin que les assemblées Provinciales & celles des Villes & des Bourgs se fissent pour l'élection des Députez qui devoient entrer à la Chambre Basse. Toutes les élections ont esté faites à la satisfaction de Sa Majesté
& la pluspart des Communautez du Royaume ont élû des personnes recommandables par leur probité , par leur attachement à l'Eglise Anglicane , & par leur fidélité pour le service de la Maison Royale.
Le 29 , jour de la Convocation , le
Roy
s'estant rendu au Palais de Westminster , se revestit de ses habits Royaux : & la Couronne en teste & le Sceptre à la main , il entra dans la Chambre des Seigneurs où il s'assit sur son Thrône. Le Garde des Seaux , le Grand Trésorier , le Président du Conseil & les autres officiers de la Couronne , prirent leur place aupres du Thrône. Les Archevesques & les Evesques qui sont les Pairs Ecclésiastiques , les Ducs , les Marquis , les Comtes , les Vicomtes & les Barons qui sont les Pairs Séculiers , prirent leurs places selon le rang de leur création.
Les Communes s'assemblérent dans la Chambre Basse , qui est composée des Députez des Provinces , des Villes & des principaux Bourgs des villes des Cinq Ports , de la Principauté de Galles , & des Universitez d'Oxford & de Cambridge.
Le
Roy
envoya la Chambre Basse le Gentilhomme Huissier à la Verge noire , qui dit aux Communes que
Sa Majesté
leur ordonnoit de se rendre à la Barre de la Chambre des Seigneurs pour apprendre ses intentions.
Les Députez des Communes s'y rendirent aussitost , & Mylord
North
Garde du Grand Seau leur dit que le
Roy
vouloit que les Membres des deux Chambres prestassent les serments de Fidélité , de Suprémacie & du
Test
, ordonnez par les précédents Parlements : & qu’ensüite ,
Sa Majesté
leur déclareroit sa volonté sur les affaires qui devoient estre mises en délibération.
Il leur déclara aussi que le
Roy
vouloit qu'ils allassent à leur Chambre pour élire un Orateur , & qu'ils le présentassent à
Sa Majesté
le jour mesme , à quatre heures apres midy. Ils se retirérent, & ils élûrent d'un consentement général le Chevalier Joan Trévor Avocat du Conseil du Roy : & s'estant rendus le soir mesme , à la Chambre des Seigneurs , ils le présentérent à
Sa Majesté
.
L'Orateur s’estant approché du Thrône se mit à genoux : & le
Roy
approuva le choix que les Communes avoient fait de sa personne. Il demanda ensüite à
Sa Majesté
, qu'il luy plust confirmer les priviléges & les franchises des Députez , ce qu'Elle accorda.
Ces priviléges sont de ne point estre arresté sous aucun prétexte durant la Séance du Parlement , de ne point estre recherché pour debtes , d'avoir leurslettres franches avec plusieurs autres exemptions.
Le Parlement fut ensüite , ajourné jusqu'au 1r de ce mois.
Ce jour là , le
Roy
se rendit à la Chambre des Seigneurs & s'assit sur son Thrône. Le Gentilhomme Huissier à la Verge noire alla à la Chambre des Communes : & il leur ordonna de se rendre à la Barre de la Chambre des Seigneurs, pour apprendre les intentions du
Roy
, qui leur fit le discours süivant.
MYLORDS & GENTILSHOMMES,
Lors qu'il plut à Dieu de disposer du
feu Roy
, mon tres cher Frére , & de m'établir sans opposition, sur le Thrône de mes ancestres , je pris en mesme temps la résolution de convoquer un Parlement , dans la pensée que je ne pouvois mieux faire , pour jetter les sondements d'un régne aussi doux & aussi heureux que le mien le doit estre pour vous.
Je veux bien vous répéter ce que je déclaray à mon Conseil Privé , la premiére fois que je m'y rendis : j'y fis connoistre assez au long quels estoient mes sentitiments touchant les maximes de l’Eglise Anglicane. Les Membres de cette Eglise se sont toûjours tellement signalez dans les temps les plus fâcheux par une fidélité inviolable , soit en défendant mon
Pére
, soit en secondant les intentions du
feu Roy
mon Frére , d'heureuse mémoire , que je ne cesseray jamais de la défendre & de la protéger.
Je feray tous mes efforts pour maintenir les loix qui sont aujourdhuy , établies dans l'Eglise & dans l'Estat : & comme je ne permettray jamais qu'on viole en aucune maniére les prérogatives de la Couronne, aussi je ne feray tort à personne , ni dans ses biens ni dans ses droits. Et puis que par le passé j’ay hazardé souvent ma vie pour la défense de ma Nation , vous ne devez pas douter qu'à l'avenir , je ne m'employe autant qu'aucun de vous à luy conserver tous ses priviléges.
J'affecte de vous parler dans les mesmes termes que ceux dont je me servis à mon avénement à la Couronne , afin que vous soyez persüadez que j'avois fait réflexion sur ce que je dis alors , & que je ne parlay pas purement par hazard : & afin que vous püissiez compter sans crainte , sur une promesse que je fais si solennellement.
Mais apres vous avoir donné des asseurances du soin que j'auray de vos droits & de vostre Religion , il me semble que je dois espérer quelque reconnoissance de vostre part : & je me flatte detrouver en vous autant de zéle & d’amitié que j'en puis raisonnablement attendre dans cette occasion où il s'agit principalement de m'asseurer un revenu pendant ma vie , ainsi que vous l'avez pratiqué à l'égard du
feu Roy
mon Frére.
Je pourrois apporter sur ce sujet plusieurs raisons : & les avantages qui se tirent du commerce , l'entretien de la flote , les besoins de la Couronne , & l’interest de l'Estat que je ne dois pas gouverner en suppliant , m'en fourniroient de suffisantes pour faire voir la justiçe de cette demande. Mais vous estes si accoûtumez à connoistre par vous mesmes ce qui est juste & raisonnable , que vous n'avez besoin que de vos propres lumiéres pour voir clairement & sans peine , ce que je pourrois ajoûter sur cette matiére.
Cependant , comme je prévois qu'on peut alléguer contre ma demande un argument fort ordinaire , qui est que pour se conformer à l’inclination des Peuples pour de fréquents Parlements , il seroit plus à propos de m’accorder de temps en temps ce que l'on jugeroit nécessaire , je suis bien aise d'y répondre une fois pour toutes, puisque c'est la premiére à laquelle je vous parle comme Roy. Je vous déclare donc qu'il faut agir avec moy d'une autre maniére : & que le meilleur moyen pour m’engager à vous assembler souvent est de me traiter bien. Ainsi, j'espére quevous m’accorderez ce que je vous ay demandé , & que vous me l’accorderez promtement , afin que cette séance ne dure pas long temps , & que nous püissions nous revoir une autre fois, à vostre satisfaction.
Mylords & Gentilshommes , il faut que je vous fasse part des nouvelles que j'ay reçeües ce matin. J’apprends qu'
Argile
a mis pied à terre dans la Haute Escosse du costé du Couchant , avec tous ceux qu'il a amenez de Hollande : & qu'on y a publié deux déclarations , l’une sous son nom , & l'autre au nom de ceux qui sont en armes. Il faudroit trop de temps pour vous informer du contenu de ces déclarations , je me contenteray de vous dire qu'on m'y traite d'usurpateur & de tyran. J'ay donné ordre qu'on vous communiquast la plus courte. Je prendray les meilleures mesures que je pourray , .pour ne pas laisser la
déclaration de ces rebelles
sans la punition qu'elle mérite : & je ne doute pas que cela n'augmente encore le zéle que vous devez avoir pour la défense du Parlement , & que vous ne m'accordiez sans delay , le revenu que je vous ay demandé, & comme je vous l'ay demandé.
Le
Roy
a fait ensüite , communiquer aux deux Chambres la déclaration süivante.Déclaration d’
Archibald Comte d’Argile
, Seigneur de Kenlire , de Campbell & de Lorne Sherif héréditaire & Gouverneur des Provinces d’Argile & de Turbin : Juge héréditaire & Général desdites Provinces , des Isles Occidentales & autres : Avec ordre a ses vassaux & habitants desdites Provinces , & autres qui sont sous la jurisdiction , de concourir avec luy pour la défense de leur Religion, de leurs vies & de leurs biens.
Je ne feray ici aucune mention de mon Factum, imprimé & publié en Latin , en Flamand & plus amplement encore en Anglois. Je n'ay pas dessein non plus de répéter la Déclaration imprimée ou publiée par plusieurs Seigneurs , Gentilshommes & autres Escossois & Anglois qui sont présentement en armes. Mais comme il y est fait mention de ce que ma famille & moy avons souffert, j’ay trouvé à propos de déclarer qu'ayant pris les armes avec ceux qui m'ont choisi pour estre leur Chef , ce n'a esté pour aucunes fins particuliéres ou personnelles , mais seulement pour celles qui sont contenües dans cette déclaration que j'ay concertée avec eux & que j’pprouve. Aussi je ne prétens pas faire valoir aucunes nouvelles prétentions ni d'autres droits que ceux que j’avois avant la Sentence de confiscation de corps & de biens rendüe contre moy & contre ma famille , sur lesquels la justice de ma causee est suffisamment établie.
Je déclare donc que je pardonne volontiers & comme Chrestien , toutes les injures personnelles faites à moy ou à ma famille, à ceux qui ne s'opposeront point à nous , mais qui se joindront , & concoureront avec nous , dans la présente entreprise pour les fins mentionnées dans la mesme Déclaration : & je m'oblige par ces présentes de ne jamais les poursüivre en Justice , ni de m'en faire raison par les voyes de fait.
Je déclare de plus , qu'ayant une fois obtenu la possession paisible des biens qui appartenoient à mon
pére
& à moy, avant les prétendües Sentences de confiscation , je payeray toutes les debtes de mon pére & les miennes , ainsi qu'un héritier ou un créancier est obligé de faire : Et comme ma fidélité pour le
feu Roy
& son Gouvernement a suffisamment paru à tous ceux qui ne sont pas prévenus par d’injustes préjugez , aussi je reconnois avec douleur , que j'ay eu trop de complaisance & de condescendance à l’égard des mesures que l'on prenoit pour nous rédüire à l'estat auquel nous nous trouvons présentement , quoy que Dieu me soit témoin que je n'ay jamais eu part à de tels desseins.J'ay par la grace & l’assistance divine souffert patiemment la Sentence injuste qui a esté rendüe contre moy , & le bannissement de trois ans & demy , sans m'estre jamais mis en estat d'exciter aucune sedition , ou de me defendre par les armes en troublant la paix pour mes interests particuliers. Mais puisque le
Roy
est mort & que le
Duc d'York
ayant levé le masque a entrepris de rüiner nostre Religion qu'il a abandonnée , & d'envahir nos libertez dans la résolution de s'attribüer l'autorité supréme & de l’exercer contre les loix , je croy que non seulement il est de la justice , mais qu'il est aussi de mon devoir envers Dieu & envers ma Patrie , de faire tous mes efforts pour m'opposer à son usurpation & à sa tyrannie.
Estant donc assisté & généreusement secouru par plusieurs bons Protestants , & accompagné de plusieurs personnes de l'une & de l'autre Nation , qui m'ont prié d'estre leur Chef , j'ay résolu de me servir de leur assistance de quelque maniére que ce soit , pour exécuter les desseins exprimez dans la-dite Déclaration , autant qu'il plaira à Dieu de m'en donner le pouvoir.
J'exhorte donc par ces présentes , & je prie instamment tous les honnestes Protestans , & particuliérement tous mes amis & mes parents , de concourir avec nous , touchant ce que porte ladite Déclaration : & comme j'ay écrit plusieurs lettres, & que je n’ay point d’autres voyes de faire sçavoir mes intentions , je requiers par ces présentes tous mes vassaux , en quelques lieux qu'ils soient , & tous ceux qui sont dans mes diverses jurisdictions de prendre les armes avec les gens capables de les porter : qui sont sous leur commandement : & de se joindre à nous ainsi que porte nostre Declaration , à peine d’en repondre à leurs périls & fortunes : & d’obéir aux ordres particuliers qu’ils recevront de moy de temps en temps.
LEs Seigneurs & les Communes estant retournez à leurs Chambres, résolurent d'abord d’un consentement unanime , de rendre de tres humbles graces au
Roy
de son discours & de sa déclaration favorable qu'il leur avoir faite. Ensüite , les Communes mirent en delibération ce que Sa
Majesté
leur avoit dit touchant l'establissement d'un revenu suffisant pour les dépenses de l'Estat. Il fut résolu presque ausstost d’un consentement unanime , que le revenu accordé au
feu Roy
durant sa vie , seroit continue à
Sa Majesté
aussi durant sa vie : & que le Bill ou projet d’Acte seroit dresse par les Commissaires qui en furent chargez. Le soir mesme , les deux Chambres en corps , se rendirent à la sale des Festins , & firent leurs remerciments au
Roy
.Le mesme Jour , les Seigneurs s'estant rassemblez dressérent un résultat , qui convient que le
Roy
ayant eu la bonté de leur faire part de l'avis qu'il avoit eu qu’Archibald , ci-devant , Comte d’
Argile
declaré coupable de Haute Trahison , a fait une
descente en Escosse avec plusieurs rebelles ses complices
: il est ordonné par les Seigneurs Ecclesiastiques & Seculiers assemblez en Parlement que la Chambre iroit le 2 de Juin à cinq heures apres midy , trouver le
Roy
à Whitehall dans la Sale des banquets , pour remercier cette affaire à la Chambre : & luy offrir leurs vies & leurs biens contre ces rebelles & tous les autres ennemis.
La Chambre des Communes apres avoir oüi la lecture de la déclaration du
Comte d’Argile
, resolut d’un commun consentement d’offrir au
Roy
ses vies & ses biens pour le service de Sa Majesté contre ces rebelles , & de porter cette résolution à Sa Majesté : ce que les deux Chambres éxécutérent le jour mesme. On lut aussi pour la premiére fois le Bill pour accorder au Roy durant sa vie le mesme revenu dont joüissoit le
feu Roy
.