De Passau, le 25 Aoust 1683.
L’
Empereur
a esté indisposé pendant quelques jours : mais il est présentement en parfaite santé. Il a reçeu des lettres du
Comte de Staremberg
, qui ont esté apportées par vn Officier déguisé en Turc, et sorti de Viennependant le desordre et la confusion des attaques que ces Infidéles donnent à la Ville. Le
Comte de Staremberg
est guéri de la blesseure qu’il avoit reçeüe, et de la dysenterie dont il a esté malade durant quelque temps : de sorte qu’il continüe d’agir et de défendre la place avec vne valeur singuliére, et avec tout le succez qu’on en pouvoit espérer. Les Turcs apres avoir esté repoussez à l’assaut qu’ils donnérent le 12 de ce mois, essayérent le lendemain, de regagner l’épée à la main les Postes dont ils avoient esté chassez. Le
Comte de Staremberg
les fit aussi-tost attaquer : et ils furent encore chassez des logements qu’ils avoient faits au pied de la Bréche du Ravelin par laquelle ils avoient donné l’assaut le 12. Ils ne laissérent pas d’y revenir en même temps que les Impériaux furent retirez : ce qui leur fut facile, parce qu’aussi-tost qu’ils se sentirent poussez, ils se mirent à couvert de leurs ouvrages de terre qu’ils ont élevez comme des montagnes autour de la Contrescarpe, du costé de leur attaque, et dont ils enfilent le fossé. Le
Comte de Staremberg
fit faire cependant, des püits jusqu’au fondement de la pointe du Ravelin et autour des Bastions vis-à-vis de l’attaque principale de ces Infidéles, avec plusieurs autres ouvrages qui les empeschérent de s’avancer. Ils demeurérent logez sur le bord de la Contrescarpe jusqu’au 14 : et ce jour là, ils firent la descente dans le fossé devant le Bastion de Lebbel. La nuit suivante, ils firent vn grand logement dans le fossé : où ils se retranchérent avec d’autant plus de facilité qu’ils ne pouvoient estre incommodez du canon ny de la mousqueterie de la Place, à cause de la profondeur du fossé, et parce qu’ils estoient à couvert des montagnes de terre qui leur donnoient vne communication libre pour avancer leurs travaux. Cela fit résoudre le
Comte de Staremberg
à faire pointer du canon contre ces montagnes : et à les faire attaquer le jour suivant l’épée à la main. La premiére attaque se fit en plein jour : et les Ennemis furent mis en desordre apres vne heure de combat. Mais les Impériaux furent obligez de se retirer presque en mesme temps,
parce qu’il n’avoient pas vn assez grand nombre de pionniers pour rüiner leurs travaux. Le soir mesme, le
Comte de Staremberg
y envoya plus de monde : et on ruïna la moitié de leurs ouvrages. La nuit suivante, les Assiégez firent vne sortie : et ils achevérent de rüiner les travaux des Assiégeans. Ils mirent le
feu
à leurs gabions : et le vent estant fort violent, ils furent presque tous brûlez, avec la plus grande partie de leur galerie. Les Turcs n’ont fait depuis, aucune attaque du côté de ce Ravelin. Le 17, ils firent joüer vne mine sous le Ravelin : mais elle donna par derriére, sans l’endommager beaucoup. Le
Comte de Staremberg
a fait faire au milieu de ce Ravelin vn retranchement, avec vn fossé. Il a aussi fait faire des retranchemens doubles aux deux Bastions de Lebbel et de la Cour : et suivant les derniéres nouvelles, on commençoit à travailler par ses ordres, à vn grand retranchement derriére ces deux Bastions, afin que les Assiégez pussent s’y défendre en cas que les Infidéles s’en rendissent maîtres. Le 18, on amena au
Comte de Staremberg
vn Janissaire qui avoit esté fait prisonnier dans le Ravelin. Il dît que dans l’assaut que les Turcs donnérent le 12 de ce mois, ils avoient perdu pres de onze mille hommes : parmi lesquels il y avoit vn grand nombre de Janissaires, plusieurs Officiers, et les Bachas de Mésopotamie et d’Albanie. Le 18 au soir, les Turcs firent joüer vne mine sous le Ravelin : et ils vinrent à l’assaut par la bréche, avec environ mille hommes d’élite soûtenus par vn plus grand nombre. Ils furent extrémement maltraitez par le feu continüel du canon et de la mousqueterie de la place. Ils abandonnérent la bréche, apres avoir perdu plus de trois cens hommes : et ils se logérent au pied du Ravelin. Le 19, les Assiégez mirent le feu à vn fourneau, dont l’effet fut tel, que la pluspart de ceux qui se trouvérent dans ce poste furent ensevelis : et les autres furent chassez l’épée à la main. Les Impériaux perdirent environ deux cens hommes et quelques Officiers en ces derniéres occasions. On a appris par des prisonniers, que les Turcs continüoient de souffrir beaucoup à cause de la
disette
des vivres et de fourages et des maladies qui sont dans leur camp. Ils y attendoient vn grand convoy de Bude : et le
Comte de Staremberg
en a donné avis au
Prince Charles de Lorraine
, afin qu’il tasche de le couper. Les prisonniers ont asseuré que le
Grand
Visir
seroit obligé de lever le siége si ce convoy estoit enlevé, parce que l’armée ne pouvoit plus long temps subsister autour de Vienne, n’y trouvant plus de vivres ni de fourages, et n’y en pouvant plus recevoir par le Danube. On a aussi appris par les prisonniers que le
Grand
Visir
vouloit faire donner vn assaut général le 22 de ce mois : et qu’il obligeroit les Spahis de mettre pied à terre pour soûtenir les Ianissaires qui commencent à se rebuter. On en attend des nouvelles avec impatience : et on a fait ici ce jour là des priéres et des processions pour implorer le secours de Dieu. L’
Empereur
et les principaux Seigneurs de sa Cour y ont assisté. Les huit mille hommes des troupes du Cercle de Franconie sont arrivez à Crembs : où est le rendez-vous général des troupes. L’
Electeur de Saxe
passa pres de Prague le 19 de ce mois. Les troupes de Vétéravie, celles du Duc de Saxe-Gotha et quelques autres sont aussi en marche pour se rendre à Crembs. Vn Gentilhomme du
Roy de Pologne
arriva ici le 21 : et il apporta à l’
Empereur
vne lettre de
Sa Majesté Polonoise
, par laquelle on apprend que son armée passa le 13, à Troppau : que le Petit Général avoit pris les devants avec les Hussarts et la cavalerie : qu’il passa le 17, à Olmutz : qu’on espéroit qu’ils seroient au rendez-vous le 22 ou le 23 : et que le
Roy de Pologne
s’y rendroit le 27, avec le reste de l’armée. L’
Empereur
a envoyé les ordres aux Estats d’Austriche pour recevoir le
Roy de Pologne
, et pour faire fournir à ses troupes les choses nécessaires. Il a aussi ordonné qu’on préparast incessamment à Crembs, du pain de munition sur le pied de quatre vingt mille rations par jour.
Sa Majesté Impériale
est partie aujourd’huy, pour se rendre à Lintz : où Elle attendra l’arrivée du
Roy de Pologne
et la jonction des troupes auxiliaires. Ensüite, l’
Empereur
et le
Roy de Pologne
tiendront à Crembs vn grand Conseil de guerre, pour délibérer sur le secours de Vienne, et si on doit attaquer l’armée Othomane. Le Cardinal Bonvisi suivra l’
Empereur
à Crembs, pour y distribüer selon les intentions du
Pape
, les sommes qu’il areçeües depuis peu, de
Sa Sainteté
. Le 19, le Secrétaire du
Comte Thékél
i, vn Bourgmestre, le Maistre des Postes de Presbourg et quelques autres Hongrois furent amenez en cette ville : et ils ont esté emprisonnez dans le Château. Ils sont accusez d’avoir favorisé la sortie du
Comte Thékéli
, lors que le
Prince Charles de Lorraine
approcha de Presbourg avec la cavalerie Impériale. Le Comte de Zeil est parti pour aller en qualité d’Envoyé Extraordinaire de l’
Empereur
, vers les Electeurs et les Princes du Rhin, pour leur demander du secours contre les Infidéles au nom de
Sa Majesté Impériale
. Le Baron de Plittersdorf est nommé pour aller en la mesme qualité solliciter vn semblable secours auprés des Princes de Lunebourg. Les Directeurs du Cercle de Franconie ont écrit à l’
Empereur
, le 21 de ce mois, pour le presser de conclure l’establissement de la paix avec la France. On a sçeu que le Comte Albert
Caprara
est parti du camp des Infidéles sans avoir eu la liberté de le considérer, et sans avoir eu audiance du
Grand
Visir
.