RELATION
DU COMBAT DONNÉ
PAR LES VAISSEAUX
DU ROY,
COMMANDEZ PAR LE COMTE de Chateaurenault, Lieutenant General des Armées navales de Sa Majesté, contre la Flote Angloise commandée par le Vice-Amiral
Herbert
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PAR PRIVILEGE DU ROY.
RELATION
DU COMBAT DONNÉ
PAR
LES VAISSEAUX DU ROY,
Commandez par le Comte de Chateaurenault Lieutenant General des Armées navales de Sa Majesté, contre la Flote Angloise commandée par le Vice-Amiral
Herbert
.
Les Vaisseaux de Sa Majesté au nombre de vingt quatre, deux Fregates et dix Brulots partirent de Brest, le 6 de ce mois par vn temps fort obscur qui continüa jusqu’au lendemain : et ils arriverent à la veuë de la terre d’Irlande entre le Cap de Clare et Kinsale, le 9 à la pointe du jour.
En y arrivant le Comte de Chateaurenault fit donner la chasse à trois Vaisseaux qui estoient auvent à luy, que l’on connut depuis estre des Vaisseaux de guerre Anglois.
Ces trois Vaisseaux se retirerent sans qu’on pût les joindre : et il envoya ensuite vne Chaloupe à terre qui luy amena vn Colonel du pays, qui luy apprit que les trois Vaisseaux à qui il avoit donné la chasse, estoient de l’avantgarde de la Flote Angloise qui se tenoit depuis quinze jours à la veuë de Kinsale au nombre de vingt sept Vaisseaux.
Comme le vent estoit contraire pour aller à Kinsal, le Comte de Chateaurenault trouva à propos d’entrer le 10 au matin dans la Baye de Bantrie, tant, pour debarquer promtement le secours de troupes, de munitions et d’argent qu’il portoit en Irlande et se mettre par là plus en estat de combattre, que pour se trouver au vent des Anglois, en cas qu’ils se servissent du vent d’Est qui souffloit alors, pour s’opposer à ce debarquement : et pour n’y estre point surpris il laissa dehors deux Vaisseaux de garde.
Aussitost qu’il fut arrivé dans cette Baye, il fit debarquer des Vaisseaux et charger sur les deux Fregates, six Brulots et deux Vaisseaux Marchands qui l’avoient suivis, les troupes, les munitions et l’argent, pour estre portez à Balgoben, à huit lieuës dans les terres.
Cinq heures apres, le debarquement n’estant pas encore achevé, les deux Vaisseaux de garde firent signal qu’ils voyoient la Flote Angloise : et le Comte de Chateaurenault fit mettre incontinentà la plus prochaine terre, le reste des troupes qu’on n’avoit pû embarquer sur les bâtiments que l’on avoit destinez pour cela, et fit mettre tous les Vaisseaux en estat de combattre.
Le 12. à la pointe du jour, les vaisseaux de garde firent encore le signal pour donner avis qu’ils voyoient les vaisseaux Anglois : et peu de temps apres, la Flote parut composée de vingt-deux Navires de ligne, et de six autres Bastimens, le Commandant ayant le Pavillon au grand mast.
Elle entra en cet estat, dans la Baye, et elle trouva les Vaisseaux du Roy à la voile, au vent à elle. Le Comte de Chasteaurenault voulant donner le temps aux Bastimens sur lesquels on avoit remis le secours, de profiter de la marée pour se mettre hors de la portée de l’armée Angloise, fut occupé jusques à onze heures à faire mettre tous les Vaisseaux en ordre de bataille, en cas qu’on le vint attaquer, quoy que la guerre ne fût point declarée entre la France et l’Angleterre. Mais le Vice Amiral
Herbert
s’avançant toûjours, et son avant garde commençant à se mesler avec celle de l’escadre des Vaisseaux du Roy, le Comte de Chasteaurenault donna le signal pour le combat.
Le sieur Gabaret Chef d’Escadre qui commandoit l’avantgarde, arriva avec sa Division sur celle des Anglois, et le sieur Pannetié qui estoit à la teste, sur vn Vaisseau de quarante-quatre pieces de canon, s’avança jusqu’à la petite portée du mousquet du premier Vaisseau de l’avant-garde des Anglois, quiestoit de soixante et dix pieces, et commença le combat pour se servir de sa mousqueterie, voyant la grande difference qu’il y avoit de son artillerie à celle de ce Vaisseau. Cela reüssit si bien, que le Vaisseau Anglois fut obligé de fermer ses sabords et laissa au sieur Pannetié le moyen de le combatre avec avantage.
Toute la division de l’avant-garde fit la mesme manœuvre. Les Vaisseaux des autres divisions se mettoient aussi en ligne dans leur poste par la contre-marche, et faisoient grand feu sur les Vaisseaux Anglois qui se trouvoient par leur travers.
Le Comte de Chasteaurenault avoit l’Amiral des Anglois qui estoit au corps de bataille, par son travers : et il arriva sur luy et sur le corps de bataille des Anglois avec sa division. Le sieur Forant Chef d’Escadre qui commandoit la division de l’arriere-garde, arriva aussi sur l’arriere-garde de la Flote Angloise.
Pendant que tous les Vaisseaux qui estoient en ligne combattoient, deux Vaisseaux Anglois qui estoient sous le vent du reste de l’armée, et qui faisoient leurs efforts pour entrer dans la Baye, furent vigoureusement receus par quelques Vaisseaux de l’arriere-garde qui estoient sous le vent, et qui n’avoient pû encore prendre leurs postes.
Apres que le combat eut duré quelque temps, ces deux Vaisseaux plierent, et firent vent arriere. Les deux Armées combattoient en cet ordre, jusqu’à ce qu’en courant le mesme bord, la teste desdeux Armées se trouva si proche de terre, qu’il fallut revirer le bord. La pluspart des Vaisseaux de celle des Anglois revirerent en pliant, et faisant vent arriere. Le Comte de Chasteaurenault poussant toûjours vigoureusement leur Admiral, le fit plier et revirer aussi à son tour, faisant vent arriere.
Depuis, il continua à plier, et à faire force de voiles. Le Comte de Chasteaurenault le suivit toûjours : ce qui fit qu’ils se trouverent tous-deux quelque temps aprés, à la teste de leurs lignes. Les deux Commandans combattirent encore quatre heures, par le travers l’un de l’autre ; mais comme l’Admiral des Anglois plioit tousjours, et faisoit vent largue, le Comte de Chasteaurenault fut plus de deux heures dans la ligne des Vaisseaux Anglois, afin de le pouvoir combattre. Les deux autres divisions faisoient aussi plier celle qui leur estoit opposée, et de cette maniere on les poursuivit, en les combattant six heures durant, et on les chassa jusques à sept lieuës au large, d’où le Comte de Chasteaurenault trouva à propos de retourner dans la Baye de Bantrit achever le débarquement : perdant toute esperance de pouvoir engager les Anglois dans une affaire décisive, parce que le vent rafraichissoit beaucoup, et qu’ils faisoient force de voiles.
Il arriva un accident, pendant ce combat, à un des Vaisseaux de l’Armée du Roy, par un coup de canon, qui mit le feu aux grenades et aux gargousses qui estoient dans la chambredu Conseil, qui firent sauter la Dunette avec les Gardes et les Mousquetaires qui estoient dessus. Le Chevalier de Coëtlogon qui commandoit le Vaisseau, repara dans le moment, le desordre que cet accident avoit causé : et cela n’empescha pas qu’il ne se remist aussitost dans son poste, et qu’il ne suivist de fort prés, pendant toute l’action, le Comte de Chasteaurenault.
Les Vaisseaux du Roy n’ont perdu dans cette action que quarante hommes, y compris sept Gardes de la Marine. Il y a eu aussi quatre-vingt-treize blessez, parmy lesquels il y a trois Officiers ; sçavoir le Sieur de Machaut Capitaine blessé legerement, le Sieur de la Treille Lieutenant, qui a eu une jambe emportée, et le Sieur de Rechac-Saujon blessé à l’épaule.
Le Comte de Chasteaurenaud repartit le 14 de la Baye de Bantrit, pour visiter les costes d’Irlande, et y chercher les Anglois, en cas qu’ils y fussent retournez : mais n’en ayant appris aucunes nouvelles, il a pris le party de revenir à Brest, avec toute son Escadre.
Il a trouvé sur sa route, sous le vent à luy, sept Navires Hollandois qui revenoient de Curaçao : Ils ont esté pris par quelques Vaisseaux qu’il avoit détachez pour les aller reconnoistre et amenez dans le Port de Brest.