Titre :
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Relation du siège et de la prise de la ville et du château de Campredon en Catalogne par l'Armée du roi commandée par le duc de Noailles. Avec la prise de la tour de la Roque et la défaite des Miquelets espagnols
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Nombre de mots :
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2376 mots
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Délai de publication :
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0 jour(s)
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Date d'émission :
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Date de publication :
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08/06/1689
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Lieu d'émission
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Ville :
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Espagne
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Pays :
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Camprodon
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Texte intégral
RELATION DV SIEGE Et de la prise de la Ville et du Château de Campredon en Catalogne, par l’Armée du Roy, commandée par le Duc de Noailles.
Avec la prise de la Tour de la Roque, et la défaite des Miquelets Espagnols.
Le Duc de Noailles Général des Armées du Roy, ayant résolu de faire l’ouverture de la Campagne par le siége de Campredon, et voulant cacher son dessein aux Espagnols, envoya le 12 du mois dernier, vers le passage des montagnes, le Comte de Chazeron Lieutenant Général, sous prétexte d’aller aux bains d’Arles.
En mesme temps, il fit sortir les troupes de leurs quartiers : et leur ordonna de marcher incessamment, pour se trouver le 14, au camp duBoulou à trois lieües de Perpignan, afin de faire croire aux Ennemis qu’il vouloit entrer en Catalogne par le col de Pertus, qui n’en est pas fort éloigné.
Il fit sortir aussi des détachements de la garnison de Bellegarde pour occuper les hauteurs qui sont aux environs du col de Pertus, et y attirer les Miquelets Espagnols, afin que le passage du col d’Ares demeurast plus libre aux troupes qu’il devoit détacher pour investir Campredon.
Le mesme jour 14, il se rendit pareillement au camp du Boulou, avec cinq bataillons qui estoient campez sous Perpignan, six piéces de campagne, deux de seize livres de bale, quatre de vingt quatre, deux mortiers, et tout le train de l’artillerie nécessaire.
Le 15 au matin, il fit la revüe des troupes.
L’apresdînée, il détacha douze cents chevaux et deux mille hommes de pied, avec lesquels le Marquis de Rivarol Maréchal de camp, laissant le col de Pertus à gauche, passa sur le pont de Ceret : et alla joindre le Comte de Chazeron au Fort des bains d’Arles.
Le Comte de Chazeron fit marcher toute la nüit, pour aller investir Campredon. Il passa par Prats de Mollo : et ensüite par le col d’Ares : et le 16, à l’entrée de la nüit, il arriva devant la place, avec le détachement que leMarquis de Rivarol luy avoit amené.
Aussitost qu’il fut arrivé, il fit travailler en diligence à vne grande redoute sur vne hauteur : d’où on pouvoit battre et incommoder considérablement le Château de Campredon.
Le mesme jour 16, le Duc de Noailles marcha à la teste de l’armée : et alla coucher à Arles où il campa.
Le 17, il continüa sa marche : et arriva à Prats de Mollo.
Le 18, il en partit à la pointe du jour, et passa par des montagnes fort escarpées durant vn temps tres incommode de neige et de gresle, avec vn vent si impétüeux, qu’il fit tomber dans les précipices, vn Maréchal des logis de dragons, deux ou trois dragons, et plusieurs mulets chargez de bagage.
Ainsi, les troupes ne pouvant marcher qu’avec beaucoup de peine, furent depuis trois heures du matin jusqu’à dix du soir, à faire seulement deux lieües, qu’il y a depuis Pratz de Mollo jusqu’à Campredon.
Le Duc de Noailles à son arrivée devant cette place, la trouva investie de tous costez. En mesme temps, il visita et régla les quartiers : et il prit le sien à Liénas sur la riviére entre Campredon et la Tour de la Roque.
Les approches se firent avec tant de succez, que dés le soir, il se rendit maistre du Faux--bourg et de la ville : et fit faire vn logement contre le Château, sitüé sur vne hauteur, et composé de quatre bons bastions : où commandoit Dom Diego Rodado, brave officier et fort estimé parmi ceux de sa nation.
La garnison ne fit qu’vn feu assez médiocre de canon et de mousqueterie : mais elle fit rouler sur les travailleurs, quantité de bombes et de grenades, qui ne les empeschérent pas neanmoins, de continüer et de perfectionner le logement.
Le 19, on fit des boyaux pour la communication des attaques et pour la facilité de la tranchée : et on commença à tout préparer pour dresser vne batterie aussitost que le canon seroit arrivé : les mauvais chemins, ayant empesché de le faire avancer plus promtement.
Le Duc de Noailles alla cependant, visiter deux hauteurs aux environs du Chasteau, d’où il jugeoit qu’on pourroit beaucoup incommoder les assiégez : et il y fit poster des Carabiniers du régiment du Plessys-Belliére, qui firent vn feu continüel sur les ennemis, et avec tout le succez qu’il s’estoit proposé.
Il y a vne tour fortifiée en forme de redoute, appellée la Tour de la Roque, à vne lieüe de Campredon, sitüée sur la pointe d’vn roc escarpé, dont il estoit impossible de s’emparer en l’attaquant dans les formes : et en effet,on n’avoit pû s’en rendre maistre au siége de Campredon, qui fut fait il y a quelques années.
Le Duc de Noailles se contenta donc de faire sommer le Gouverneur : qui répondit fiérement, qu’il verroit ce qu’il auroit à faire lors que les assiégeans se seroient rendus maistres de Campredon : et que cependant, il estoit résolu à se bien défendre.
Le mesme jour 19, les Miquelets d’Espagne avec des Sommetins, qui sont les milices du pays, aussi bonnes que des troupes reglées, vinrent attaquer les Miquelets François postez sur la cime des montagnes qui environnent Campredon : où il y a vne Chapelle de Saint Antoine. Ceux-cy reçeurent les autres avec toute la vigueur possible : et l’escarmouche dura plus de deux heures, avec vn fort grand feu de part et d’autre.
Le Duc de Noailles ayant prévû que ce poste qui est important pourroit estre attaqué, avoit fait marcher le matin de ce costé là, vn détachement du régiment du Plessys-Belliére, et des Süisses, avec les munitions nécessaires.
Le sieur Pomerol qui commandoit ce détachement arriva lors que ces Miquelets estoient aux mains avec plus de chaleur : et il répoussa les ennemis et conserva la Chapelle que les Miquelets François commençoient d’abandonner.Le Marquis de Rivarol qui commandoit le quartier au pied des montagnes, avoit aussi envoyé vers le mesme poste, vn détachement de dragons et du régiment de Chapes : ce qui intimida si fort les Miquelets Espagnols, que craignant d’estre entiérement defaits, ils abannérent leur entreprise et se retirérent avec précipitation, faisant neanmoins leurs décharges de rocher en rocher.
Les Miquelets François se retranchérent ensüite, sur la hauteur qui commande les montagnes voisines, et demeurérent en possession de ce poste important, par lequel les Miquelets Espagnols auroient fort incommodé le camp, s’ils en fussent demeurez les maistres.
Le 20, on continüa de préparer du costé du Fauxbourg, deux batteries : l’vne de canon et l’autre de mortiers.
Le Duc de Noailles eut avis que le Gouverneur de la ville de Montaillant, craignant d’estre assiégé, avoit fait sauter les fortifications de la place : et s’estoit retiré plus avant dans le pays.
Il eut aussi avis le mesme jour, que le Colonel des Miquelets Espagnols nommé Trincherie, homme hardi et entreprenant, vouloit se poster au col d’Ares, qui estoit le passage de Prats de Mollo au camp, afin d’arrester les convois des assiégeans, qui ne pou--voient arriver que par cet endroit, et mesme de se saisir du canon ou de l’encloüer. La disposition des lieux estoit entiérement favorable pour l’exécution de son dessein : mais il en forma vn autre plus considérable qui le luy fit abandonner. C’estoit d’attaquer de nüit le camp, en faisant donner par divers endroits. Il s’estoit pour exécuter cette entreprise, retranché avantageusement dans vn village nommé Saint Paul, à vne lieüe et demie du quartier où commandoit le Marquis de Rivarol : et il avoit pres de trois mille Miquelets ou Sommetins, qui devoient estre joints par douze cents autres.
Le Duc de Noailles ordonna de faire marcher des troupes pour fortifier l’escorte qui condüisoit l’artillerie. Il envoya aussi vn détachement de dragons, avec les deux compagnies de grenadiers du Plessys-Belliére et de Chapes, et tous les carabiniers des régiments de cavalerie, pour aller attaquer le Colonel Trincherie dans le village de S. Paul.
Le Marquis de Rivarol qui commandoit ce détachement, partit la nüit, apres avoir reconnu le poste : et le lendemain matin, il arriva pres des ennemis à la pointe du jour. Il détacha en mesme temps, quelque cavalerie qu’il fit défiler au pied de la montagne pour amuser les Miquelets : et il fit marcher l’in--fanterie par derriére, de l’autre costé.
Ces mouvemens se firent si heureusement à la faveur d’vn broüillard, que l’infanterie arriva jusqu’à la hauteur sans estre apperçeue : de maniére qu’elle pût faire vn grand feu sur les Miquelets avant qu’ils eussent le temps de se reconnoistre.
Ils ne laissérent pas neanmoins, de se défendre assez longtemps dans leurs retranchements : mais ils furent forcez l’épée à la main : il en demeura pres de quatre vingts sur la place : et le reste se retira en desordre. Ils ne purent estre coupez dans la retraite, parce qu’ils la firent par des rochers sur lesquels ils sont accoûtumez de grimper avec vne légéreté extraordinaire. Il y en eut cependant vn grand nombre tüez ou blessez à la descente, par les dragons et par les carabiniers.
Ces Miquelets avoient vn grand magasin de vivres, dans deux maisons : où les soldats mirent le feu apres les avoir pillées.
On prit trois baguettes de viguiers qu’ils portoient pour marque de leur autorité, selon la coûtume du pays : et on fit vn butin considérable, qui fut chargé sur trente ou quarante mules aussi prises sur les Miquelets. Il y avoit quantité de fort beau linge, de juste-au-corps, de manteaux de camelot de Hollande et d’écarlate chamarrez d’or et doublez de martre,de vestes fort riches, et d’autres hardes de prix.
Les Miquelets François qui estoient sur la hauteur où est la Chapelle de saint Antoine, ayant entendu le brüit de la mousqueterie, accoururent au village de saint Paul : et quoy qu’il y eût plus d’vne lieuë, ils y arrivérent assez tost, pour avoir part au butin. On n’eut en cette occasion qu’environ vingt soldats tüez ou blessez. Vn Lieutenant du régiment d’infanterie de Chapes et vn Capitaine de Miquelets furent tüez : et vn Capitaine aussi du régiment de Chapes fut mortellement blessé.
Le Marquis de Rivarol y donna de grandes marques de son courage et de sa condüite : et nonobstant le grand feu des ennemis, il les fit charger avec toute la vigueur nécessaire pour les chasser de ces postes, où ils eussent pû se fortifier, ensorte qu’il auroit esté tres difficile de les y attaquer.
Les deux compagnies de grenadiers des régiments du Plessys-Belliére et de Chapes, et le le bataillon de Chapes y firent fort bien leur devoir.
Le Duc de Noailles fit donner trente pistoles au sieur de Bacqueville, autant au sieur Chazelot l’vn et l’autre Capitaines des grenadiers, et vingt à vn Lieutenant qui avoit estéblessé : tous s’estant distinguez en la mesme occasion.
Les douze cents Soumetins Espagnols qui s’estoient mis en marche pour aller joindre les trois mille postez au village de S. Paul, ayant appris leur déroute, en eurent vne telle épouvente, qu’ils se retirérent avec toute la diligence qui leur fut possible, en vn lieu fermé nommé S. Iean de Badesse. Quant à ceux qui avoient esté chassez du village de S. Paul, il n’y avoit aucune apparence qu’ils pûssent se rassembler, du moins si-tost : parce que leurs magasins estoient brûlez : qu’ils ne pouvoient tirer des vivres d’aucun autre lieu : et que d’ailleurs, ils ne sont pas accoûtumez à marcher avec des bagages.
Le 21, les travaux devant le Chasteau de Campredon, furent beaucoup avancez : et six pieces de campagne avec deux mortiers, arrivérent au Camp, de l’autre costé de la ville.
Le Duc de Noailles envoya le sieur du Mesnil pour les faire condüire : et il les fit passer à deux heures apres midy, par le fauxbourg à découvert, à la portée du pistolet du Chasteau, nonobstant le feu continüel des assiégez, qui ne tüa que quatre ou cinq mules. Quelques pieces de campagne furent mises en batterie : et dés le soir, elles commencérent à tirer contre le Château. La grosse artillerie ne pouvoit encore ar--river que dans quelques jours, à cause de la difficulté des chemins : mais on n’en eut pas besoin.
Le Marquis du Plessys-Belliére monta le soir la tranchée, tambour battant et enseigne déployée : et il se rendit maistre d’vne glaciére qui estoit à trente pas du chemin couvert.
Le 22, le Duc de Noailles alla le matin, à la tranchée : et visita tous les postes jusqu’à la teste.
Le mesme matin, le Gouverneur de la Tour de la Roque, qu’il avoit fait sommer vne seconde fois, le jour précédent, à l’arrivée du canon, rendit la place : et il en sortit avec sa garnison, armes et bagage, suivant la capitulation qui luy fut accordée.
Ce poste se trouva fort avantageux pour continüer le siége avec vn promt succez : et on y mit vne garnison suffisante.
Le broüillard empescha les mortiers de tirer contre le Château aussi matin, qu’on le soûhaitoit. Mais il n’eut pas plûtost commencé à se dissiper, qu’on jetta plusieurs bombes, qui firent beaucoup de desordre, et tinrent de telle sorte en respect les assiégez, qu’ils furent assez longtemps sans oser paroistre dans leurs ouvrages.
Sur les quatre heures apres midy, le Gouverneur ne voyant aucune apparence de pou--voir se défendre davantage, et craignant que la place ne fut emportée d’assaut, fit arborer le drapeau blanc et demanda à capituler.
Le 23 au matin, le Duc de Noailles luy accorda qu’il sortiroit avec sa garnison, tambour battant, méche allumée, armes et bagages, avec vne escorte pour estre condüit en trois jours de marche à Girone. Aussitost que la capitulation eut esté signée, il sortit avec environ cinq cents hommes : et les troupes du Roy entrérent dans la place au cinquiéme jour de tranchée ouverte. On y a trouvé beaucoup de munitions de guerre et de bouche et dix pieces de canon de bronze, trois desquelles estoient marquées aux armes de France.
Le Duc de Noailles y mit le sieur Piton pour y commander, jusqu’à ce que le Roy eut disposé du Gouvernement.
Ce succez a esté d’autant plus heureux, qu’il n’y a eu que soixante hommes tüez ou blessez au siége et dans les deux combats contre les Miquelets Espagnols.
Les Marquis de Chapes et du Plessys-Bellier s’y sont particuliérement distinguez : et tous les autres officiers s’y sont signalez à l’exemple du Duc de Noailles.
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