De Vienne, le 28 Décembre 1682.
Toutes les nouvelles qu’on reçoit ici, confirment les précédentes, touchant les préparatifs extraordinaires des Turcs contre la Hongrie. Ils font des magasins de toutes sortes de grains : et on a eu avis qu’ils en ont rempli à Bude, trois Eglises et plusieurs maisons, de mesme que l’Eglise des Religieux de S. François à Pest. Ils font faire vn très-grand nombre de sacs à porter de la terre : et ils en font remplir de laine quantité d’autres. Ils continüent de faire avancer des Troupes formidables sur nos frontiéres : et d’en faire entrer dans toutes leurs places, pour en rendre les garnisons aussi fortes qu’est présentement celle de Neuhausel, qui est de plus de neuf mille hommes. Quelques - vns de leurs principaux Officiers publient que le
Grand Seigneur
n’accordera point la prolongation de la Tréve, quelques offres d’argent et de places qu’on puisse luy faire : voulant tirer de la force de ses armes et de la foiblesse de la Hongrie, tous les avantagesqu’il peut espérer. On confirme que le Comte
Tékéli
a convoqué vne Diéte dans la Haute Hongrie : et on ajoûte qu’il a enjoint aux principaux de la Noblesse, d’y venir assister en personne, sous peine de confiscation de leurs biens, au profit de la Chambre de Cassovie. Il fait, cependant,
lever des contributions
sous prétexte qu’il est obligé de payer de grosses sommes aux Turcs, à cause de la protection qu’ils donnent aux Mécontents. Il est souvent, en conférence avec les Bachas de Bude et de Belgrade, sur les moyens d’exécuter les grands desseins qu’ils ont formez pour la campagne prochaine. Un Courier arrivé ici de l’Isle de Schut, le 26 de ce mois, a rapporté qu’vn grand parti de la garnison de Neuhausel en sortit le 20, pour ravager le païs, et pour empêcher la continüation de quelques ouvrages que les Officiers Généraux des Troupes Impériales faisoient faire à vn gué du Danube, par lequel les Turcs pouvoient entrer dans cette Isle. Mais que les Régimens de Grana et de Castel qui y sont logez, s’estoient assemblez, et avoient obligé les ennemis à se retirer. Le lendemain, les Turcs de la mesme garnison passérent le Danube : et il y eut vne rude escarmouche, dans laquelle les Turcs furent encore repoussez, et se retirérent apres avoir perdu environ quatre vingt hommes : Mais nous en avons perdu plus de quatre cens en la même occasion. Le Commandant de l’Isle de Schut a fait demander par le mesme Courier, vn renfort de Troupes. Les principaux Seigneurs de Hongrie sont arrivez ici, pour délibérer sur les moyens de défendre le Royaume : et l’
Empereur
a envoyé à Edembourg le Comte Esterhasi Palatin de Hongrie, pour faire assembler les Estats de la Basse Hongrie, et pour prendre avec eux les résolutions nécessaires sur le mesme sujet. On a enjoint à tous les Colonels qui ont des Régimens sur pied, de les tenir complets pour le 1r jour du mois de Mars. Le Comte de Berner Lieutenant de l’artillerie a esté aussi nommé pour l’vn des Colonels des nouveaux Régimens d’Infanterie qui seront levez l’année prochaine. Les Commissions pour cette levée et pour celle de six Régimens de Cavalerie, furent expédiées le 18 de ce mois. Les Colonels des Régimens de Cavalerie ne sont pas encore nommez. On parle de faire deux Régimens de celuy de Lorraine : et de lever encore quatre Régimens de Croates. L’
Empereur
prétend que ces nouvelles levées se fassent dans l’Empire hors des Païs Héréditaires : mais on ne sçait pas si cela luy sera accordé. Le brüit court que
Sa Majesté Impériale
auroit dessein d’avoir vn puissant Corps de réserve qui camperoit aux environs de cette Ville, pour la tenir, ainsi que tout le païs, à couvert de l’invasion des Turcs : et qu’Elle voudroit aussi rendre son Armée en Hongrie beaucoup plus forte, afin qu’elle fût en estat de s’opposer aux armes des Turcs et des Mécontents. Mais il se trouve de grandes difficultez à l’exécution de ce dessein : et la principale est le besoin d’vne grande somme d’argent pour soûtenir ces dépenses extraordinaires. La levée du centiéme denier se fait fort lentement, parce qu’il y a toûjours beaucoup d’oppositions. On dit que le Comte de Schwartzembourg et trois autres Ministres de cette Cour offrent d’avancer quatre millions, à condition que le Domaine du Duché de Teschen en Silésie, leur sera engagé pour la seureté de cette somme. On a envoyé ordre aux Païsans de tous les villages voisins d’abattre les chesnes pour faire des pallissades, et de les amener en cette ville : aux fortifications de laquelle on continüe de travailler. Les propriétaires des maisons qui sont dans les fauxbourgs, ont reçeu ordre de faire vuider leurs caves pour les remplir de terre : et on conservera les maisons jusqu’à ce qu’il soit nécessaire de les abattre, en cas que les Turcs et les Mécontents entreprennent le siége de cette ville. Le Comte de Kaunitz partit d’ici, il y a quelques jours, pour aller vers l’
Electeur de Baviére
, en qualité d’Envoyé Extraordinaire de l’
Empereur
. Le Comte de
Windisgrats
va aussi en la mesme qualité, vers les Electeurs et les Princes des Cercles de la Basse Saxe et de Westphalie, pour tâcher de les faire entrer avec l’
Empereur
, dans les moyens nécessaires pour la conservation de la Hongrie. L’
Empereur
a aussi dépesché vn Expres au Comte Albert
Caprara
son Envoyé Extraordinaire aupres du
Grand Seigneur
. On croid que c’est pour luy porter l’ordre de revenir : sa négociation pour la prolongation de la tréve, n’ayant pas eu le succez qu’on en avoit espéré. Sa
Majesté Impériale
paroist irrésolüe pour son voyage à Ratisbone : jugeant qu’il luy sera facile d’informer par ses lettres, la Diéte de ses intentions, et des besoins qu’Elle a d’estre secourüe. Le Comte Strasoldo qui s’est retiré au Convent des Carmes, veut remettre sa charge et son Régiment entre les mains de l’
Empereur
. Le corps du
Comte de Lamberg Grand Maréchal
a esté enterré en l’Eglise des Cordeliers : et les Ministres estrangers et les Seigneurs de cette Cour, ont assisté à ses obséques qui ont duré trois jours.