De Vienne, le 18 Iuin 1683.
Le Bacha de Bude est en marche depuis le 17 de ce mois, avec trente cinq mille Turcs et cinq mille Tartares, pour aller du costé de Gran : et on dit qu’il a ordre d’agir en deça du Danube, avec les Troupes des Mécontents, et celles des Transsylvains, des Moldaves et des Walaches. Vn Corps de quarante mille Tartares est arrivé pres de Waitzen : et il doit estre suivi d’autres Troupes de la mesme nation, pour faire vne invasion dans les Païs Héréditaires. Le Bacha de Bosnie a passé le Pont d’Esseck avec seize mille hommes. Le
Grand Visir
l’a aussi passé à la teste de son Armée, qu’on asseure estre présentement de cent cinquante mille hommes : et il est attendu au commencement du mois prochain à Stul-Weissembourg ou Albe Royale, où il se rendra ensuite d’vn Conseil de guerre. Il y a desja fait condüire le gros canon avec vne quantité prodigieuse de munitions de guerre et de bouche. Le
Comte Thékéli
a conféré avec luy à Esseck : et il luy a présenté le Comte Herberstein, le Baron Ioannelli et le Baron Cohari ci-devant Gouverneur de Filleck qu’il tenoit prisonniers. Ce premier Ministre la reçeu tres favorablement : et l’a asseuré que le
Grand Seigneur
avoit dessein de le faire couronner Roy de Hongrie, à condition qu’il maintiendroit les Hongrois dans leurs priviléges, leurs biens, leurs loix et leurs libertezLe
Comte Thékéli
a depuis fait sçavoir à cette Cour par ses Députez, qu’il ne pouvoit plus continüer la suspension d’armes : et il a desja commencé les hostilitez. Le Baron Hoffman Ayde Major Général est venu le 22 de ce mois, rendre compte à l’
Empereur
de l’estat de l’armée. Il a raporté que si elle n’estoit promptement secouruë de vivres et de munitions, il luy seroit impossible de tenir la campagne et de faire teste à l’Armée Othomane. Le Prince
Charles de Lorraine
, apres avoir fait condüire dans les villes frontiéres, le gros canon, dont quatre piéces ont esté condüites à Léopolstadt avec des munitions : et aprés avoir visité avec le Comte Leslé les principales places, fit marcher l’Armée, et alla camper au pied de la montagne de Canischa, en attendant le Gouverneur de Carlstat avec cinq mille Croates. Mais il apprit que le
Grand Visir
avoit dessein de faire camper son Armée sur la hauteur de la mesme montagne, pour incommoder la nostre par son canon. Il fut ainsi, obligé à changer de poste : et il fit passer son Armée par le pont pres de Comorre, dans l’Isle de Schut : d’où elle alla camper dans le Rabau, sur l’avis donné par des espions, que le
Grand Visir
marchoit vers Albe-Royale, avec l’Armée Othomane. On croid présentement, que le Prince
Charles
a passé à Schaina, ou Scaiday, sur le pont au dessus de Raab, et qu’il est campé dans le Païs Feudataire : où il demeurera jusqu’à ce qu’il ait des avis certains des mouvemens et des desseins des Turcs. On dit qu’ils veulent attaquer la Ville et Forteresse de Copranitz : et que la Croatie et la Stirie en sont beaucoup alarmées. Le
Comte Esterhasi
Palatin de Hongrie a reçeu derechef, ordre de défendre les frontiéres de Moravie et le passage du Waag : et quoy qu’il eût asseuré que son Corps d’Armée luy suffiroit pour cela, le Prince
Charles de Lorraine
luy a encore envoyé les Régimens de Dragons de Castel et de Herbeville, et ceux de Croates de Lodron et de Kéri, sous le commandement du Colonel Palfi. LeChevalier Lubomirski est du costé de Trentschin avec le Général Schultz : où ils ont vn Corps d’environ huit mille hommes. On travaille nüit et jour aux fortifications de Comorre, sur la crainte qu’on a que les Ennemis n’ayent aussi dessein d’assiéger cette place. Les bords du Raab ont esté fortifiez aux endroits où les Turcs le passérent dans la derniére guerre, et où ils furent défaits en 1664, le 1r Aoust, avec le Secours que le
Roy Tres Chrétien
avoit envoyé à l’
Empereur
: et ces bords sont gardez par six mille Hongrois, sous les Comtes Draskowitz et Budiani, postez de telle sorte qu’ils pourront se joindre à l’armée Impériale en cas que les Turcs viennent l’attaquer. Cette armée et les corps qui sont commandez pour la défense des frontiéres, ont ordre de se tenir seulement sur la défensive, et d’éviter toutes les rencontres et les occasions de combattre. Le Conseil de l’
Empereur
l’a ainsi jugé à propos, de crainte de risquer toute la Hongrie, en cas que le succez d’vn combat ne fût pas avantageux. Le 26 de ce mois,
Sa Majesté Impériale
dépescha encore vn Courier en Pologne, pour presser le départ des troupes que le
Roy
est obligé à fournir par le traité de ligue, et pour tâcher de l’engager à venir en personne au secours de la Hongrie. On continüe de travailler aux fortifications de cette ville, où trois compagnies d’infanterie du Régiment de Keiserstein sont employées : et on fait tous les préparatifs nécessaires pour la mettre en estat de défense, si les Infidéles en forment le siége. On fait toûjours courir le brüit que cette Cour espére encore que les affaires s’accommoderont avec les Turcs et avec les Mécontents : et mesme que le Comte Albert
Caprara
vient avec vn Chaoux apporter le projet d’vn traité de paix ou de prolongation de la tréve. Mais on a sçeu que ce
Comte
se disposant à partir avec la permission du
Grand Visir
, a esté reserré de nouveau plus étroitement. Le sieur Scheller Conseiller du Conseil Aulique partit d’ici en poste le 24, pour aller à Breslaw, assister au nom de l’
Empereur
à l’élection d’vn Evesque.