De Vienne, le 21 Iuin 1683.
La levée du siége de Neuhausel a causé ici, vne grande consternation. Elle n’est pas moindre dans l’Armée : et les Officiers témoignent leur mécontentement de ce qu’ils ont esté obligez à quitter ce siége. On a sçeu pour nouvelles particularitez, que le Bacha de Neuhausel, afin d’encourager les Turcs, et d’étonner les Impériaux, avoit fait exposer sur les Bastions de cette place, les têtes du Comte Antoine de Taxis, du Baron Silberberg, du sieur Crautz et de plusieurs autres Officiers qui furent tüez dans les approches du 4 et du 5 de ce mois. Les batteries devant la place avoient esté achevées le 6 et le 7 : et le 9, elles avoient fait déja des bréches considérables. Jusqu’alors, les affiégez n’avoient encore fait aucune sortie. Mais ils en firent enfin, vne le 9 : dans laquelle ils tüérent et blessérent vn grand nombre de Soldats, et firent prisonnier le Comte de Cumberg avec plusieurs autres Officiers et Soldats. Le mesme jour, vn Canonier des Assiégeans se jetta du costé des ennemis : et fit pointer leur canon contre les bateries des Impériaux, qui furent ainsi mises en desordre : de sorte qu’on fut obligé de les disposer autrement. En mesme temps, on eut avis que l’Armée Ottomane, de plus de quatre-vingt mille hommes, estoit en marche : et quoy que cette nouvelle ne fût pas encore asseurée, la résolution fut prise de lever le siége : ce qui s’exécuta avec tant de précipitation, que quelques Troupes qui étoient au fourrage n’en ayant pas esté averties, furent presque entiérement taillées en piéces. Trois cens Croates qui avoient esté détachez pour reconnoistre vn parti des ennemis pres de Parkau, furent coupez au retour par la garnison de la ville, et tous furent tüez ou faits prisonniers. On asseure que l’Armée Impériale a esté affoiblie à ce siége, de plus de quinze cens hommes tüez ou faits prisonniers. Les fatigues ont aussi fait quantité de malades : et on en a condüit plus de quatre cens à Comorre. On continüe de publier que le Prince
Charles de Lorraine
a levé le siége par ordre expres que l’
Empereur
luy avoit envoyé sur ce que son Conseil jugeoit plus à propos de conserver l’Armée, que de la fatiguer et de rüiner les Troupes en des entreprises difficiles. Le Comte
Thékéli
, depuis ce mauvais succez, paroist moins disposé à l’accommodement. Il a déclaré qu’il avoit ordre de la Porte, de se saisir de nouveau des villes des Montagnes et des Mines d’argent de l’
Empereur
: et il y a envoyé des Troupes. Il est parti de Cassovie, ayant laissé son Corps d’Armée dans ses-quartiers : et il s’est rendu à Esseck, pour y conférer avec le
Grand Visir
qui a passé le pont d’Esseck à la teste de quatre-vingt mille hommes. On dit qu’il a fait marcher vn Corps de Troupes vers Canischa, pour entrer dans la Styrie, Le Prince
Charles de Lorraine
a fait partir l’Armée d’aupres de Comorre : et il est allé camper dans le Rabau et dans l’Isle de Schut pour s’opposer aux entreprises des Infidéles. Il a détaché les Régimens de Helwich, de Lodron, de Kéry et de Castel pour renforcer vn Corps de Hongrois qui est demeuré vers Neutra sous les ordres du
Comte Esterhasi
Palatin de Hongrie. Le Prince Lubomirski a joint, avec cinq mille Polonois, le Général Schultz pres de Sylain : d’où il veille sur les frontiéres de Moravie, et se tient prest à disputer aux Turcs le passage du Waag. On attend d’autres Troupes Polonoises qui doivent camper séparément aux environs de Zathmar. L’
Empereur
a dépesché plusieurs Couriers en Pologne pour presser l’armement qu’on y fait en exécution de son traité avec le
Roy
, et la République de Pologne, afin qu’il soit prest au mois prochain, pour faire diversion des Ennemis. On continüe d’envoyer d’ici et de Comorre, quantité de vivres pour la subsistance de l’Armée. Le Conseil d’Estat et des Finances délibérent sur les moyens de faire de nouveaux fonds pour les frais de la guerre, et pour les autres dépenses nécessaires. L’
Empereur
et l’
Impératrice
arrivérent ici de Laxembourg le 16 de ce mois : et Leurs Majestez assistérent à la Procession du Saint Sacrement. Les
deux Princes de Neubourg
sont entiérement guéris : et ils sont venus en cette ville, où ils demeureront jusqu’à ce qu’ils ayent repris leurs forces.