De Vienne , le 21 Janvier 1685.
Toutes les nouvelles qui sont venuës cette semaine , de la Basse Hongrie , confirment que trois cents chariots chargez de munitions de guerre & de bouche sont entrez dans Neuhausel , avec trois cents chevaux portant chacun un sac de farine. On asseure aussi que la plus grande partie des troupes qui escortoient ce convoy sont entrées dans la place. Seize soldats qui ont esté faits prisonniers lors qu'ils en sortoient , ont déclaré qu'elle auroit esté obligée à capituler dans quinze jours, si elle
n'eût pas reçeu ce secours, parce qu'elle souffroit
une disette extréme de toutes choses
. Mais ils ont asseuré en même temps, que ce convoy avec un renfort considérable de troupes, l'avoit mise en état de ne plus rien appréhender. On apprit le 18 de ce mois , qu'il y estoit entré un second convoy de plus de deux mille sacs de farine : & on a encore depuis sçeu que les Turcs, les Tartares & les Mécontents assembloient de nouvelles troupes , en résolution de faire abandonner le blocus aux Impériaux. Quelques - uns croyent néantmoins , qu'ils peuvent avoir dessein de surprendre Vicegradt : ce qui oblige les Officiers des troupes Impériales à les partager en plusieurs corps , qui n'estant pas assez forts pour tenir la campagne, font exposez à estre enlevez par les partis des Turcs & des Mécontents. Le Comte de Palfi qui commande les troupes nationales de Hongrie , a ordre d'aller incessamment les assembler, & de se joindre au Colonel Heusler , qui n'a qu'environ deux ou trois mille hommes pour garder les avenuës de Neuhausel. Les Turcs continüent d'en faire des sorties avec une entiére liberté, principalement depuis les derniers secours : & ils font des courses jusqu'aux portes de Neutra , de Lewentz , de Schinta , de Schella , & quelques autres places les plus exposées. Les Commandans sont de cette façon, obligez à se tenir incessamment sur leurs gardes, avec une vigilance extraordinaire, particuliérement ceux de Schinta & de Schella , où sont nos principaux magasins. Des Couriers qui furent dépêchez il y a quelques jours , en la Haute & la Basse Hongrie, ont rapporté que le Général Schultz estoit rentré avec ses troupes , en quartier d'hyver : & que le Comte Rabata & le Baron Abelé estoient occupez à visiter les quartiers & à distribüer la paye d'un mois aux Troupes.
La disette de vivres
est toujours extréme dans la Hongrie, à cause que la quantité excessive des neiges a empêché d'en pouvoir faire voiturer : & que les glaces rendent inutiles les moulins à eau. Le Comte Saponara presse les Ministres de luy faire delivrer les sommes qu'il est venu demander pour le payement de la garnison de Zathmar dont il est Gouverneur, & pour le payementdes Troupes qui ont leurs quartiers de:ce côté-là. Les Colonels demandent pareillement avec de fortes instances , l'argent nécessaire pour travailler , aux recruës de leurs Régimens , en sorte qu'ils puissent estre complets au temps de l'ouverture de la Campagne. Le Comte de Hohenloë Envoyé Extraordinaire du Cercle de Franconie presse la Cour Impériale de se déclarer sur la demande qu'il a faite que les troupes auxiliaires de ce Cercle , cavalerie & infanterie , soient condüites en Bohème : & que
l'Empereur
y envoye l’ordre aux Commandans & aux autres Officiers des places, de leur faire fournir des étapes durant la marche. Les Ministres Impériaux travaillent à établir les fonds suffisans pour les dépenses ausquelles on est engagé, afin de pouvoir se mettre en état de rendre la Campagne prochaine plus heureuse que ne l’a esté la derniére. On parle d'exiger
une contribution d'argent
de la Noblesse & de tous ceux qui possedent des biens considérables. L'Empereur espérant avoir un assez grand nombre de troupes, fait proposer à plusieurs Princes de luy envoyer des secours en argent : mais il y en a peu qui s'y trouvent disposez. On travaille à amasser promtement les sommes qui ont esté promises aux Princes de la Maison de Brunsvich , pour les obliger à faire marcher de bonne heure vers la Hongrie, les troupes qu'ils se sont engagez de fournir à
Sa Majesté Impériale
. L'Ambassadeur de Venise a eu permission de lever ici un régiment de Dragons pour le service de la République. L'Arménien arrive ici de la part du Commandant de Bude , eut ces jours passez , audiance du
Prince Herman de Bade
President du Conseil de guerre. Il luy delivra une lettre du mesme Commandant , qui étant en langue Turque a esté mise entre les mains d'un interpréte pour la traduire. Il veut persüader qu'il est venu sçavoir s'il y a quelque disposition en cette Cour , à traiter de Paix avec la Porte : asseurant qu'il a un plein pouvoir & des instructions pour entrer en négociation sur ce sujet. Mais on croit toûjours qu'il n'a esté envoyé sous ce prétexte , que pour découvrir quels sont les préparatifs de guerre , & pour tâcher par des propositions de Paix , d'obliger l'Empereur à se détacher de la ligueconclüe contre les Turcs, entre
Sa Majesté Impériale
, la Pologne & la République de Venise. II y a d'autant plus d'apparence qu'il n’a pas esté envoyé à autre dessein, qu'on apprend de toutes parts, que les Infidéles assemblent des forces extraordinaires , & mesmes qu'ils menacent d'assiéger encore cette ville. Le 14 de ce mois, on eut avis que Georges Széléphani Archevesque de Gran Primat de Hongrie & Chancelier du Royaume, estoit décédé sur ses terres de Moravie , âgé de 82 ans. Il a fait
l'Empereur
héritier de tous ses biens , qui montent à plus de deux millions dont il y a un million en argent comptant. Des Commissaires de la Chambre des finances ont esté nommez pour en aller faire l'inventaire. On a trouvé à Edembourg des sommes considérables qui luy appartenoient , & une grande quantité de grains en Moravie , dont il avoit plusieurs magasins remplis. On les fera amener ici , pour les distribuer aux troupes.
Le Prince Charles de Lorraine
revinst ici le 15 avec la Reyne Doüairiére de Pologne sa femme. Le Comte de Wallestein a fait le rapport de ses négociations auprès du
Roy de Pologne
: & il a recommencé l'exercice de sa charge de Grand Maistre de la Maison de l'Impératrice Eléonor. Le 16, on fit une grande feste au Palais, parce que ce jour estoit celuy de la naissance de l'Impératrice.