De Vienne, le 20 Fevrier 1689.
Le Comte de Stubemberg est arrivé en poste de Sighet : et il a rapporté que la garnison Turque en estoit enfin sortie. Lors qu’elle partit, vn officier de la garnison de Canischa vint par ordre du Bacha, s’informer si la capitulation estoit bienobservée : ce qui donne sujet d’esperer qu’il pourra se resoudre à se rendre bientost, aux mesmes conditions.
Le Comte Thekeli
est tousjours à Wildin, avec vn corps de quatre à cinq mille hommes : et il a envoyé demander du secours aux Tartares. Il les a fait assurer qu’il seroit en estat de faire quelque entreprise considerable contre les Impériaux, parce qu’ils estoient obligez à faire marcher vers le Rhin, la plus grande partie de leurs forces et des troupes auxiliaires. On publie qu’il y a des avis certains de Hongrie, de Walaquie, de la Bossine et mesmes d’Andrinople, que les Turcs ne travailloient aux preparatifs de la Campagne que fort lentement. Ces nouvelles ont esté repanduës avec beaucoup d’affectation, quoy qu’elles paroissent fort incertaines, puis que suivant plusieurs avis, ils continüent à assembler secretement des troupes sur la frontiere. Mais on espere que si ces avis sont véritables, ils pourront faciliter le succez de la negociation avec les Envoyez de la Porte, nonobstant les difficultez qui s’y trouvent. Les Envoyez ont communiqué leurs lettres de creance et leurs pouvoirs aux Ministres de Pologne et de Venise : qui attendent les ordres de leurs Maistres sur les contestations survenuës avec les Commissaires Impériaux.
L’Empereur
leur fit declarer dans la troisiéme conference qui se tint le 15 de ce mois, que quand ils n’assisteroient pas aux conferences, il ne se concluroit rien sans vne satisfaction entiére des Alliez. Mais ils témoignerent n’estre pas satisfaits de cette reponse : disant qu’on ne leur promettoit rien qui ne fust spécifié dans les traitez d’alliance : et que
Sa Majesté Imperiale
avoit le mesme interest que la Pologne et la Republique de Venise à ne pas faire connoistre aux Envoyez de la Porte, l’impatience qu’on avoit de conclure la paix. A la seconde conference, Dulficar Effendi et Mauro Cordato proposérent vn partage des places conquises en Hongrie et dans la Bossine, dont les vnes demeureroient à
l’Empereur
, et les autres seroient restitüées aux Turcs. Mais la proposition fut absolument rejettée. On dit qu’ils se relâcherent sur cette demande, dans la troisiéme conference : et mesmes qu’ils firent esperer que le
Grand Seigneur
pourroit consentir que
le Prince
et les Estats de Transylvanie fussent déchargez du serment qu’ils ont fait autrefois à la Porte, etqu’ils demeurassent tributaires de
l’Empereur
et sous sa protection. Ils offrirent aussi de ceder à la Republique de Venise les Isles et les places qu’elle a conquises : mais ils dirent qu’ils ne pouvoient faire aucunes propositions à l’égard de la Pologne pour des raisons qu’ils n’expliquerent pas. Ils ajoûterent seulement que ces offres estoient inutiles puis que les Ministres n’avoient pas les instructions necessaires : et qu’il falloit leur prescrire vn terme dans lequel ils seroient obligez de les representer. Ils assurerent que durant ce terme, les Turcs ne commettroient aucune hostilité contre la Pologne. Les Commissaires Impériaux le reglerent à six semaines : et ils declarerent en mesme temps, que
l’Empereur
et la Republique de Venise estoient resolus de ne se point séparer des interests de la Pologne. Ils firent de nouvelles instances aux Envoyez pour les obliger à donner sur ce sujet, vne réponse moins generale : leur representant que vray-semblablement ils n’étoient pas partis sans sçavoir les intentions du
Grand Seigneur
. Ils répondirent qu’ils délibereroient sur cette proposition : et qu’ils s’expliqueroient davantage dans la quatriéme conference. Elle se tint le 17 de ce mois : et il y en eut vne cinquiéme le jour suivant. Mais les Envoyez témoignerent derechef, qu’ils ne pouvoient donner aucune réponse positive sur ce qui concernoit les interests de la Pologne. Les Commissaires Impériaux apres plusieurs contestations, leur dirent que s’ils persistoient à ne se point vouloir expliquer sur cet article, il estoit inutile de pousser plus loin la negociation, puis que
l’Empereur
estoit absolument resolu à ne pas conclure la paix sans la participation de cette Couronne. Les Envoyez répondirent qu’ils ne pouvoient lever cette difficulté, ny exceder leurs pouvoirs : et que si on vouloit leur permettre de dépescher vn courier à Andrinople pour en informer
le Grand Seigneur
et recevoir les instructions dont ils avoient besoin, ils en pourroient estre éclaircis avant que les Ministres de Pologne et de Venise eussent receu les pouvoirs, sans lesquels on ne pouvoit negocier avec eux. Cette permission leur fut refusée sous pretexte que dans la derniere guerre, on la refusa au Baron de Goëtz, et avant la rupture de la treve, au Comte
Caprara
Envoyez de
l’Empereur
à la Por--te. Les Commissaires Impériaux proposérent de faire porter leurs lettres par vn Expres, jusqu’à Belgrade ou jusqu’à la premiere place de l’obéïssance du
Grand Seigneur
: d’où elles pourroient estre envoyées à Andrinople, par les Commandants : qui feroient ensuite, tenir la réponse à Belgrade. Les Envoyez accepterent cet expedient. Le Comte de Kinski premier Commissaire leur declara en mesme temps, que
l’Empereur
desiroit qu’ils retournassent à Pottendorff, en attendant le retour du Ministre de Pologne qui partit hier en poste, pour aller demander le plein pouvoir et les instructions dont il a besoin. On dit qu’ils luy manderent de grand matin, par vn billet, que
le Grand Seigneur
abandonneroit aux Polonois les conquestes qu’ils ont faites sur les Turcs durant cette guerre : mais qu’on ne pouvoit leur rendre Kaminietz qu’apres en avoir rüiné les fortifications. Ils demanderent aussi que le terme de six semaines donné aux Envoyez de Pologne fût limité à trois. On a depuis resolu qu’ils demeureroient icy, pour traiter séparément avec eux. On fait tousjours quelques preparatifs de guerre pour la Hongrie, mais si foibles qu’ils font assez connoistre l’impatience que le Conseil Impérial a de conclure la paix avec les Infideles. Les grands preparatifs se font pour l’armée qui doit agir sur le Rhin.