De Constantinople, le 3 Mars 1683.
Les préparatifs qui se font en cette ville et dans tous les lieux de l’Empire Ottoman pour la guerre contre la Hongrie, sont plus grands que tous ceux qui ont esté faits depuis vn siécle, par les Turcs contre la Chrestienté. Les principaux Officiers de la Porte sont obligez d’entretenir chacun vn nombre de Troupes : et Hussein Aga Grand Doüanier a reçeu ordre d’entretenir quatre cens hommes. La
Sultane Reyne
et les principales Dames du Serrail ont donné de grandes sommes pour le mesme armement, afin de témoigner ainsi leur zéle pour la Religion Mahométane, et pour l’agrandissement de l’Empire Ottoman. On asseure que le
Grand Seigneur
partira d’Andrinople à la fin de ce mois, pour se rendre à Belgrade au commencement de May. Le Comte Albert
Caprara
Internonce
ou Envoyé Extraordinaire de l’
Empereur
est toûjours gardé fort étroitement à Andrinople. Il a demandé depuis peu avec beaucoup d’instance, la permission d’envoyer des Couriers à Sa
Majesté Impériale
pour l’informer de l’estat de ses négociations : mais elle luy a esté refusée. On ne luy a pas non plus permis de renvoyer quelques-vns de ses domestiques et vn fils du feu Comte Nadasti. On publie ici, que le
Grand Seigneur
a envoyé à l’
Empereur
vne
masse d’armes
, selon la coûtume, pour luy déclarer la guerre. Il est arrivé en ce port, depuis quelque temps, vn vaisseau d’Alger, sur lequel des Députez du Divan de cette ville-là, sont venus pour solliciter du secours à la Porte contre la France. Ils ont aussi demandé que le
Grand Seigneur
envoyât des commandemens à Tunis et à Tripoli, pour obliger ces deux Estats à les secourir. Le
Grand Vizir
leur a refusé absolument le secours : et il leur a dit à l’égard des Tripolins qu’il ne croyoit pas que ces Corsaires osassent rompre avec la France, apres le mauvais succez qu’ils avoyent eu en de semblables ruptures. Ils avoyent pareillement demandé au
Grand Visir
qu’il leur fût permis d’attaquer les Vaisseaux marchands François dans les Ports du
Grand Seigneur
: mais il le leur a défendu sous de rigoureuses peines. Il leur a fait aussi de fortes reprimandes de ce qu’ils n’ont pas envoyé à la Porte depuis quelques années, le Tribut et les Présents accoûtumez : et il leur a fait de grandes menaces, s’ils continüent de manquer à ce devoir. Il leur a seulement accordé la permission d’acheter des poudres et des boulets, dont ils ont témoigné que la ville d’Alger avoit vn pressant besoin. Le Sieur Donato Baïle de Venise a terminé à l’amiable l’affaire que la République avoit avec les Ministres de la Porte, à cause que les Morlaques sujets de la République, avoient tüé en différentes occasions, plus de deux cens Turcs. On luy avoit demandé d’abord la teste du Provéditeur Général de Dalmatie et celles d’autant de Morlaques sujets des Vénitiens, qu’il y a eu de Turcs tüez. On luy a ensuite demandé mille bourses, qui font cinq cens mille écus : mais l’affaire a esté terminée à des conditions plus favorables.