De Francfort, le 15 Iuillet 1683.
Vn Courier Extraordinaire parti de Vienne le 10 de ce mois, a passé par cette ville. Il a rapporté que le 6, l’armée Othomane estoit venüe camper à Altembourg, qui n’est qu’à dix lieües de Vienne. Que vingt mille Tartares s’estant avancez du costé de Laxembourg avoient brûlé plus de deux cens villages, et tüé ou fait esclaves tous ceux qu’ils y avoient rencontrez. Qu’on voyoit de Vienne toute la campagne en feu : et que l’
Empereur
en estoit parti le jour mesme, et qu’on l’attendoit le lendemain à Lintz, avec les Impératrices, les
Archiducs
et l’Archiduchesse. Que les personnes de qualité, les principaux Bourgeois et les Marchands commençoient à sortir de Vienne, de crainte que les Infidéles n’en formassent le Siége. Que le Prince
Charles de Loraine
estoit parti avec précipitation de son camp pres de Raab, pour faire passer l’infanterie dans l’isle de Schut sur vn pont de bateaux pres d’Altembourg, et pour la faire marcher de là, vers Presbourg : et qu’il s’estoit allé poster avec la cavalerie derriére la riviére de Leite pour
observer les mouvements de l’armée Othomane. Que pendant qu’il séparoit la Cavalerie de l’Infanterie, les Turcs détachérent vn corps de dix-sept mille hommes, qui tombérent sur les bagages : Qu’ils furent d’abord vigoureusement reçeus par plusieurs Régimens Impériaux, et mesme par le Prince
Charles de Lorraine
qui s’y trouva en personne. Mais que ces Infidéles obligérent enfin les Impériaux de se retirer et d’abandonner l’Infanterie et le bagage. Que quelques Régiments furent défaits : et entr’autres celuy de Savoye qui fut taillé en piéces, et le Chevalier de Savoye blessé en divers endroits. Ces nouvelles furent rapportées à l’
Empereur
, comme il estoit sur le point de sortir de Vienne. Le
Comte Esterhasi
Palatin de Hongrie est revenu eu cette Ville, accompagné seulement de ses domestiques, apres avoir esté abandonné par les six mille Hongrois qu’il commandoit sur les frontiéres de Croatie, qui ont pris parti avec le
Comte Thékéli
. On apprend aussi que la pluspart des villes de Hongrie ont ouvert les portes au
Comte Thékéli
, que la ville de Presbourg a voulu chasser la garnison Impériale : mais que le Commandant du Château la retenoit encore avec beaucoup de peine dans le devoir.