De Londres, le 6 janvier 1689
Le 18 du mois dernier, le Prince de Galles fut ramené de Porsmouth à Whitehall.
Le Chevalier Talbot & le Colonel
Sarsfield
furent détachez avec quelques troupes pour aller du costé du Nord, chercher Mylord de la Mere & le combatre. Les Grands Jurez s'estant assemblez le premier jour du terme, receurent plusieurs Bills présentez contre des Seigneurs Catholiques : & ils déclarérent bien fondée, l'accusation intentée contre les Comtes de Salisbéry, de
Sunderland
, de Péterborough & quelques autres. Ils reçûrent aussi diverses plaintes sur les logements des gens de guerre : & ils déclarérent que c'étoit un fardeau insupportable aux peuples, dont il les falloit promptement soulager. On eut
avis que les Seigneurs qui ont pris les armes dans le Nord avoient mis garnison dans Hull : & que Mylord
Lovelace
avoit condüit trois cents chevaux à l'armée du
Prince d'Orange
. Mylord
Lumley
& Mylord Dumblaine allérent le trouver il y a quelques jours, de la part des autres qui sont armez dans le Nord, pour conférer ensemble sur les affaires presentes. On attendoit avec impatience des nouvelles de la négociation du Marquis d'
Hallifax
, du Comte de
Notingham
, & de Mylord
Godolfin
Commissaires envoyez par
le Roy
pour conférer avec
le Prince d'Orange
. Le 9, un courrier rapporta que le jour précedent, ils avoient veu ce Prince à Hungerford : qu'ils avoient eu une conférence avec le Maréchal de
Schomberg
, le Comte d'Oxford & le Comte de
Clarendon
ses Commissaires : & qu'elle s'estoit terminée sans rien conclure. On sçeut aussi le mesme jour, qu'un détachement des troupes du
Prince d'Orange
, avoit attaqué deux compagnies des gardes, six régiments de cavalerie & un d'infanterie des troupes du
Roy
, qui estoient en quartier à Réading : & qu'il les avoit obligées d'abandonner ce poste, & taillé en piéces quelques dragons Irlandois, qui apres avoir fait une vigoureuse résistance, défendirent encore un autre passage, qui condüisoit à Maidehead. Ce desavantage, la desertion continüelle des officiers, la retraite de plusieurs Seigneurs, qui comblez des bienfaits du
Roy
, devoient avoir pour luy une fidélité singuliére, &
les
, furent résoudre
Sa Majesté
à pourvoir à la sureté de
la Reyne
& du Prince de Galles. Il les fit secretement partir de Whitehall la nüit du 19 au 20 : estant accompagnez du Comte de
Lauzun
, de quelques Gentilshommes François, & d'un tres petit nombre de domestiques : & ils arrivérent heureusement pres de Gravesend, où ils s'embarquérent pour passer en France. Le mesme jour,
le Roy
révoqua la Proclamation & les lettres circulaires envoyées dans les Provinces pour la convocation du Parlement. On ne sçeut pas le lendemain, l'évasion de
la Reyne
: on dit que
Sa Majesté
estoit incommodée & qu'elle ne vouloit voir personne ce jour là. Le 21, à deux heuresapres minüit,
le Roy
qui avoit la veille soupé en public, partit accompagné seulement du Duc de
Berwick
& de deux ou trois personnes pour se retirer en France. Les Seigneurs qui se trouvoient icy s'assemblérent aussitost dans la grande salle de la maison de Ville : & y firent une déclaration par laquelle apres avoir dit que comme ils estoient dans l'attente du Parlement libre qui leur avoit esté promis,
ils avoient appris que
le Roy
s'estoit absenté, apparemment dans le dessein de sortir du Royaume. Qu'ainsi, ils estoient resolus de se joindre au
Prince d'Orange
, qui avoit exposé sa personne à tant de périls, & s'estoit engagé à une si grande dépense pour leur procurer un Parlement libre, & les preserver presque sans effusion de sang, du Papisme & de l'esclavage : que suivant cette resolution, ils assisteroient
ce Prince
, pour obtenir au plutost un Parlement, qui pût mettre les loix & les libertez du Royaume hors d'atteinte, aussi bien que l'Eglise Anglicane en particulier, laissant neanmoins aux Protestants Nonconformistes, la liberté de conscience qu'ils pouvoient raisonnablement soûhaiter. Que cependant, pour assurer le repos de cette ville, ils auroient soin de faire desarmer les Catholiques, & d'arrester les Prestres & les
Jésüites
. Cette Déclaration fut signée par les Archevêsques de
Cantorbery
& d'York, les Evesques de Winchester, de S. Asaph, d'Ely, de Rochester, & de Peterborough : par les Comtes de Pembroke, de Dorfer, de Mulgrave, de Thanet, de Carüsle, de
Craven
, d'Aylesbury, de Burlington, de Sussex, & de Rochester : & par les Mylords Berkley, Newport, Weymouth,
Wharton
, North, Chandois,
Montague
, Jermyn, Vaughan, Culpeper, Crew & Ofulston. Ils resolurent ensuite, d'envoyer quatre députez au
Prince d'Orange
pour luy porter cette déclaration, & luy demander ce qu'ils avoient à faire de plus. Ces Députez furent le Comte de Pembroke, Mylord Weymouth, l'Evesque d'Ely, & Mylord Culpeper. Ils nommérent Mylord Lucas pour commander dans la Tour, à la place du Colonel
Skelton
. Le Corps de Ville fit une semblable déclaration : & envoya douze Députez au
Prince d'Orange
.
On vid bientost par toute la ville, des séditieux courir les armes à la main, pour piller les maisons des Catholiques, sous prétexte de les desarmer.
Ils commencérent par l'Hostel de Dom Pédro
Ronquillo
Ambassadeur d'Espagne, sans avoir aucun egard au droit des gens
: & apres avoir commis mille insolences, ils emportérent ses meubles, sa nombreuse bibliotheque, & tout ce qu'il y avoit généralement dans la maison, brûlant ce qui estoit le moins précieux, & partageant le reste. Ils en firent autant chez l'Envoyé de Toscane, & presque en tous les endroits de la ville. Mylord Maire a offert à l'Ambassadeur d'Espagne une grande somme pour le dédommager de cette perte : mais il l'a refusée avec mépris. Le mesme jour 21, le Comte de
Feversham
Lieutenant Général, licencia suivant l'ordre qu'il en avoit reçû du
Roy
, toutes les troupes qui estoient sous son commandement, dont une partie s'est débandée, & les autres se sont jointes au
Prince d'Orange
. Le 22, Mylord Georges
Jeffreys
Chancelier d'Angleterre, fut arresté à Wapping, voulant se sauver deguisé en matelot : & il fut envoyé à la Tour, par ordre des Pairs, assemblez avec quelques Conseillers d'Estat. Le 23, on sçeut par un courrier dépesché de
Feversham
, par le Compte de
Winchelsey
, que
le Roy
avoit esté arresté pres de
Feversham
, sur un petit bastiment, que le mauvais temps avoit obligé de relâcher à la coste. Les Pairs assemblez ordonnèrent au Comte de
Feversham
d'y aller avec une brigade des gardes à cheval, & aux principaux officiers de la maison du Roy, d'y aller reçevoir les ordres de
Sa Majesté
. Le 21,
le Prince d'Orange
coucha à Abingdon : & il devoit le 22, coucher à Oxford, dans le Collége de Christ, où l'Université luy avoit fait préparer un repas magnifique. Mais l'avis qu'il eut de la retraire du
Roy
& de
la Reyne
, luy fist haster sa marche vers cette ville.
Le Prince
&
la Princesse de Danemark
allerent à Oxford, accompagnez de plusieurs Seigneurs.
L'Evesque de Londres
marchoit avec les autres gentilshommes en habit seculier. Il y avoit des étendarts portez à la teste des Milices, où estoient ces mots : .
Ils y furent traitez avec toute la magnificence possible. Le Duc d'
Ormond
, les Comtes d'Oxford, de
Shrewsbury
d'Abingdon & quelques autres, se trouvant accompagnez d'un grand nombre de Gentilshommes, proposérent de dresser un acte d'association, qu'ils voulurent mesmes faire signer aux Principaux des Colleges. Quelques uns le signerent : & d'autres refuserent de le faire. Le 24,
le Prince d'Orange
alla à
Windsor
. Il fit publier une declaration, pour ordonner aux officiers des troupes de les faire vivre dans une bonne discipline. Les Pairs assemblez à la maison de Ville en firent une particuliere pour ordonner aux soldats & aux officiers Irlandois de se rendre tous sous leurs drapeaux, & pour établir un fond nécessaire pour leur subsistance jusqu'à nouvel ordre. Le 25, ils nommérent des Commissaires pour aller à la Tour, interroger Mylord Chancelier : & pour luy demander le grand Sceau. Il leur répondit qu'il l'avoir rendu au
Roy
. Plusieurs personnes ont été arrestées en voulant passer la mer, entre autres les Comtes de Salisbéry, de Peterborough & de Thanet. Le 26,
le Roy
revient en cette ville, aux acclamations du peuple, qui fit des feux de joye en plusieurs endroits.
Le mesme jour,
Sa Majesté
envoya le Comte de
Feversham
à
Windsor
, où estoit encore
le Prince d'Orange
, qui le fit arrester. Sur les dix heures du soir, il envoya de ses troupes qui se saisirent de Whitehall & de Saint James : & y établirent des corps de garde. On reçeut toute cette nüit, plusieurs messages de ce Prince, qui fit entendre au
Roy
qu'il estoit à propos que
Sa Majesté
se retirast de Londres, & qu'elle allast à Ham ou à Rochester. Le Roy choisit Rochester & s'y rendit par eau le lendemain, vers les onze heures, estant accompagné du Comte de
Dumbarton
, & du Comte d'
Arran
. Des gardes du
Prince d'Orange
en plusieurs bastimens, alloient autour de la berge où estoit
le Roy
. Le 28, à quatre heures du soir,
le Prince d'Orange
entra dans cette ville, & vint descendre au Palais de S. James : & il y eut des feux de joye par toute la ville. Le 30, il fut complimenté au nom du Corps de Ville, par le Chevalier Georges
Tréby
, Mylord Maire estant indisposé. Il a depuisreçû les compliments de tous les Corps : & on commence à luy présenter des Adresses.
Le Prince
&
la Princesse de Danemark
sont revenus icy : & ont esté visitez par
le Prince d'Orange
. Le 1er de ce mois, les Pairs qui sont en cette ville, s'assemblérent au nombre de soixante sept dans la Chambre des Seigneurs. Ils mandérent quatre fameux Jurisconsultes, qui sont les sieurs
Mainard
,
Holt
,
Polixsen
, & Bradbury, pour consulter avec eux ce qu'ils pouvoient faire selon les loix dans les conjonctures presentes. Ils ordonnérent aussi que plusieurs officiers Irlandois fussent arrestez pour servir d'ostages, sur
le brüit que des séditieux ont répandu que les Catholiques avoient commencé à massacrer les Protestans en Irlande
: & que les Catholiques sortissent de cette ville, avec défense d'en approcher plus prés que de dix mille. Le 2,
le Roy
se sauva de Rochester, par une porte de derriére : & estant entré dans un bateau de pescheur, avec le Duc de
Berwik
, il partit pour se retirer hors du Royaume. On apprit cette nouvelle le mesme jour. Le 3, le sieur de
Barillon
Ambassadeur Extraordinaire de France, partit pour y retourner. Le mesme jour, les Pairs s'assemblerent dans leur Chambre : & dresserent une Adresse pour prier
le Prince d'Orange
, de prendre le Gouvernement du Royaume, & d'envoyer des lettres circulaires dans les Provinces afin que le parlement se pust assembler le 1er de Février. Le 4, les Seigneurs signerent cette Adresse.
Le Prince d'Orange
ordonna que tous ceux qui ont esté députez aux Parlemens tenus sous
le feu Roy
, le Maire, les Aldermans & le Conseil de Ville s'assemblassent pour delibérer sur ce qu'il y avoit à faire dans les conjonctures présentes. Le 5, il leur donna audience à Saint James. Il leur communiqua le resultat de l'assemblée des Seigneurs pour l'examiner. Ils s'assemblérent le mesme jour, dans la Chambre des Communes : & résolurent de s'y conformer. Le 6, ils présentérent sur ce sujet au
Prince d'Orange
, une Adresse pleine de remercimens, sur laquelle il doit demain, leur donner réponse.