L’ADRESSE QVI A ESTÉ
PRÉSENTÉE AV ROY DE LA
Grande Bretagne à
Windsor
, par le
Maire
et les
Aldermans
de Londres, sur le sujet des priviléges de la Ville.
Le discours que le
Garde des Seaux
leur a fait au nom de Sa
Majesté Britannique
:
Et les réglements qui leur ont esté proposez sur le mesme sujet.
L’Affaire qui estoit depuis si longtemps entre le
Roy de la Grande Bretagne
et les Bourgeois de Londres, touchant les libertez et les priviléges de la Ville, apres avoir esté plaidée par les Avocats des deux parties, fut enfin jugée à la
Cour du Banc du Roy
, le 1r du présent mois de Iuillet. Le sieur
Iones
vn des Iuges qui présidoit à la place du Chef de Iustice, rapporta en peu de mots, ce qui avoit esté dit pour la défense des droits du Roy par les Avocats de
Sa Majesté
, et particuliérement sur deux chefs d’accusation, qui estoient : que les
Bourgeois de Londres avoient vsurpé l’autorité de lever les deniers sur le peuple
, sous prétexte de l’entretien d’vn marché public : et qu’ils avoient témérairement présenté vne Adresse à
Sa Majesté
pour se plaindre de la prorogation du Parlement tenu à Westminster.
Le
Procureur Général
avoit conclu que ces deux chefs d’accusation suffisoient pour prouver que ceux qui composent le Corps de Ville, avoient abusé de leurs priviléges à la charge du peuple : que ce procédé estoit vne contravention manifeste à l’obligation de leurs charges, qui devoit estre punie selon les loix par la confiscation de ces priviléges. Qu’en présentant la Requeste, ils avoient aussi tasché de rendre la Personne du
Roy
odieuse à ses Sujets, puis qu’ils y déclaroient que la prorogation du Parlement mettoit vn obstacle à l’administration de la Iustice, et empeschoit les délibérations nécessaires pour la seureté de
Sa Majesté
et celle du Royaume.
Les Avocats de la Ville prodüisirent les titres de ses priviléges et libertez, avec les extraits de plusieurs registres, pour faire voir qu’ils estoient fondez sur la
Grande Charte
: et ils rapportérent aussi les Lettres patentes d’Edoüard III et de Richard II. Ensüite, ils tâchérent de
justifier les levées de deniers
, en représentant qu’ils avoient esté employez à l’avantage du public. Enfin, ils essayérent de justifier la Requeste, alléguant que le
Maire
et les
Aldermans
ne l’avoient présentée que par l’appréhension du péril dont le Royaume paroissoit menacé, à cause d’vne
conspiration
dont plusieurs personnes estoient alors accusées.
Le sieur
Iones
, apres avoir rapporté les principaux points de leur défense, dit que l’affaire se rédüisoit à deux chefs. Le premier, Si vne Communauté faisant Corps pouvoit estre condamnée à la perte de ses priviléges. Le second, Si la ville de Londres avoit mérité cette peine par sa condüite.
Il conclut sur le premier point, que selon les loix du Royaume vne Communauté pouvoit estre punie par la confiscation de ses priviléges, lors qu’elle en avoit abusé : Que ceux de la ville de Londres furent ainsi saisis sous le Régne des Roys Iean et Edoüard III. Il apüya ces exemples par plusieurs preuves tirées des Loix : et la principale fut que les Communautez aussi bien que les particuliers, sont comprises dans les Actes du Pardon général que les Roys d’Angleterre accordent de temps en temps à leurs sujets : et que les particuliers estant punis par la confiscation de corps et de biens, les Communautez sont punies par la confiscation des priviléges : ce qui détrüit leur corps et leur établissement. Que si vne Communauté ne pouvoit estre soûmise à la rigueur des loix, cet abus établiroit autant de Républiques dans le Royaume qu’il y auroit de Communautez. Il dit sur le second chef, que la Ville ne pouvoit
justifier la levée des deniers qu’elle avoit faite sur le peuple
: et que comme les Magistrats n’avoient esté établis que pour procurer le bien public, ceux de la ville de Londres avoient agi en cela contre les intentions des Roys qui ont accordé les priviléges : et qu’ainsi ils en estoient décheus.
Enfin, il prononça, de l’avis de tous les Iuges, qui avoit esté communiqué au Chef de Iustice, que la ville de Londres estoit décheüe des priviléges, franchises et libertez contenües dans ses Chartes : et qu’ils estoient justement remis entre les mains du
Roy
.
Le
Procureur Général
requit néantmoins, au nom du
Roy
, que la sentence ne fût pas enregistrée ni mise à exécution, avant que
Sa Majesté
eût fait sçavoir sa volonté sur ce sujet.
Le
Maire
, les
Aldermans
et le Conseil de Ville s’assemblérent aussitost que la sentence eut esté prononcée : et ils dressérent l’Adresse suivante, qu’ils présentérent le 28 du mois dernier, à
Sa Majesté Britannique
, à Windsor.
SIRE,
Les Suppliants représentent tres humblement à
Vostre Majesté
qu’ils ont vne douleur tres sensible et tres sincére de la mauvaise condüite que vostre ville de Londres a fait voir depuis quelques années. Ils reconnoissent qu’ils sont justement tombez dans la disgrace de
Vostre Majesté
: et qu’ils ont mérité le jugement par lequel il a esté déclaré qu’ils sont décheus de leurs libertez et de leurs franchises, et que
Vostre Majesté
peut en disposer comme il luy plaira.
Les Suppliants sont obligez en mesme temps, de reconnoistre avec action de graces, la faveur extréme que
Vostre Majesté
leur fait de permettre qu’ils ayent recours à Elle : et de leur en avoir donné le moyen, en faisant surseoir l’enregistrement et l’exécution de la Sentence.
Profitans donc de la bonté qu’Elle a de considérer le malheureux estat où ils se trouvent, ils se jettent avec vn profond respect à ses pieds, pour implorer sa clémence, pour luy demander grace en faveur de son ancienne ville de Londres, et pour la supplier tres humblement de leur accorder le pardon de leurs fautes.
Ils prient tres humblement
Vostre Majesté
, tant en leur nom qu’au nom de tous les Bourgeois, de vouloir agréer les promesses et les protestations solennelles qu’ils luy font, d’avoir vne obéïssance et vne fidélité inviolable pour Elle et pour ses Héritiers et Successeurs : et de se condüire à l’avenir selon leur devoir, dans tout ce qui régardera le gouvernement de la Ville.
Ils se remettent, SIRE, au bon plaisir de
Vostre Majesté
: ils la supplient tres humblement de leur donner ses ordres : et ils l’asseurent qu’ils les exécuteront avec toute la soûmission qu’ils doivent, ainsi qu’avec toute la reconnoissance possible.
Apres que la lecture de cette Adresse eut esté faite dans le Conseil du Roy, en présence de
Sa Majesté
, on ordonna à
Mylord Maire
et aux
Alderman
s de se retirer dans vne autre chambre pendant que leur Requeste seroit mise en délibération : et ensüite, ils furent rappellez, et le
Garde des Seaux
leur déclara les intentions du
Roy
, par ce discours.
Mylord Maire
.
Le
Roy
m’a commandé de vous dire qu’il a considéré l’Adresse de la ville de Londres : qu’il est persüadé de la fidélité et de l’affection de plusieurs Magistrats et des principaux Bourgeois : et qu’en leur considération, il accordera à cette Ville toutes les graces qu’elle pourra luy demander avec justice.
Sa
Majesté
a esté fort long temps avant que de se résoudre à charger son
Procureur Général
de poursüivre la saisie des Chartes de la Ville, quoy qu’Elle fût bien avertie des discours qui s’y tenoient en divers endroits, et des
libelles qu’on envoyoit en tous les lieux du Royaume, pour décrier le Gouvernement et pour soûlever les peuples
. Elle a longtemps gardé le silence sur les
desordres qui se commettoyent ici publiquement tous les jours
: et Elle a souffert patiemment les injures et les insultes qu’on faisoit à ses Cours de Iustice.
Mais Elle s’est enfin déterminée à faire ce qu’Elle a fait, lors qu’Elle a vû que les
factieux persistoient dans leurs calomnies et dans leurs pernicieux desseins : et qu’ils sembloient vouloir détrüire le Gouvernement de l’Eglise et de l’Estat
.
Ils en estoient venus à vn tel excez, que non contents de commettre toutes sortes d’
insolences
, ils tâchoient mesme de s’appüyer de l’autorité des Magistrats. C’estoit dans cette veüe qu’ils faisoient tout ce qui leur estoit possible dans les Elections, pour faire nommer aux principales charges, les sujets qui avoient comme eux
l’esprit de révolte
: et mesme ils agissoient en ces occasions, avec vne telle violence, qu’ils contraignoient les Bourgeois les plus fidéles à se ranger de leur costé.
La ville de Londres se trouvoit enfin divisée en tant de partis, qu’il ne restoit aucune apparence de pouvoir rétablir les choses dans vn bon ordre, tandis que ces
séditieux
se flateroient de l’espérance de faire élire des Magistrats qui fussent à leur dévotion, et d’obtenir par ce moyen l’impunité de leurs crimes.
Ainsi, il estoit temps de remédier à vn mal qui augmentoit tous les jours, et dont les progrez estoient si fort à craindre : et c’est ce qui a obligé le
Roy
à rechercher les abus qui se commettoient sous prétexte de maintenir les franchises, et à faire des réglements capables de rétablir la Ville dans son ancien et bon gouvernement.
Ce n’a donc pas esté pour punir la Ville, mais plûtost pour luy faire du bien, que le
Roy
a pris cette résolution : et quoi qu’il ait obtenu sentence contre les Bourgeois, il n’a aucune intention de les maltraiter, soit en leurs biens, soit en leurs priviléges. Sa
Majesté
pour témoigner combien Elle les considére, a aussi ordonné à son
Procureur Général
d’empescher qu’on enregistrast si-tost cette sentence, afin de leur donner le temps de faire vne réfléxion sérieuse sur l’estat où ils se trouvent.
Ie ne puis,
Mylord
, m’empescher de vous dire que la Ville n’a pas esté bien conseillée d’avoir tant différé à venir trouver le
Roy
, et d’avoir attendu que les Iuges eussent prononcé sur cette affaire. Ce qu’elle fait présentement auroit esté de meilleure grace, et auroit plû beaucoup davantage à
Sa Majesté
.
Le
Roy
a trop d’affection envers sa Ville pour luy refuser ce qu’elle pourra luy demander de raisonnable dans l’affaire présente : et c’est pour cela que
Sa Majesté
veut vous donner quelque temps pour délibérer sur les choses qu’Elle désire de vous. Il ne faudra pas vne longue délibération, parce que ces choses que le
Roy
m’a ordonné de vous proposer pour le bon gouvernement de la Ville et pour la paix du Royaume, se rédüisent à peu de chefs faciles à exécuter. Voicy en quoi ils consistent : et le
Roy
demande que vous vous y soûmettiez.
I. Aucun Maire, Shérif, Récorder, Commun Sergent, Greffier de Ville, Coroner de la ville de Londres, ou Bailli du fauxbourg de Southwark, ne sera reçeu à l’exercice de sa charge avant que le
Roy
l’ait approuvé par vn ordre signé de sa main.
II. Si Sa
Majesté
fait sçavoir par vne Lettre de cachet, au Maire qui se trouvera en charge, ou en son absence, au Récorder ou au plus ancien Alderman, qu’Elle n’approuve pas le chois qui aura esté fait d’vn sujet pour la charge de Maire, les Bourgeois procéderont à vne nouvelle élection dans le terme de huit jours : et alors si Sa
Majesté
ne l’approuve pas encore, Elle pourra s’il luy plaist, nommer vne personne pour estre Maire l’année süivante.
III. Si le
Roy
desapprouve en la mesme maniére, l’élection des Shérifs, ou de l’vn des deux, Sa Majesté pourra si Elle le juge à propos, désigner aussi ceux qui rempliront ces charges l’année süivante, en vertu de sa Commission.
IV. Néantmoins, on fera toûjours l’élection de ces Officiers selon l’ancienne coûtume, avec cette réserve : que le Maire et la Cour des Aldermans pourront, avec la permission du Roy, destitüer les Aldermans, le Récorder, le Commun Sergent, le Greffier de la Ville, le Coroner et le Bailli de Southwark.
V. Si quelqu’vn de ceux qui seront présentez pour estre Aldermans, est jugé par la Cour des Aldermans incapable de remplir cette charge, la Compagnie du Quartier qui aura proposé ce Sujet, sera obligée sur la déclaration que luy en fera la Cour des Aldermans, d’en nommer vn autre ou plusieurs : et si ce second chois n’agrée pas encore à la Cour des Aldermans, elle aura la liberté d’en choisir d’autres en leur place.
VI. Les Iuges de Paix seront établis en la maniére accoûtumée, süivant vne Commission du Roy que Sa Majesté accordera, si ce n’est dans des occasions extraordinaires, et lors que Sa Majesté jugera à propos d’en vser d’vne autre façon pour son service.
VII. Toutes ces choses seront réglées avec le
Procureur Général
et les Avocats au Conseil du Roy.
Le Garde des Seaux, apres la lecture de ces réglements continüa de parler au Maire en ces termes.
Mylord Maire
. Lors que ces réglements seront arrestez, le
Roy
non seulement cessera sa poursüite, mais il confirmera la Charte de vos priviléges. La Ville doit considérer qu’il luy fait en ceci vne faveur singuliére. Ce qu’il luy demande n’est qu’vne diminution peu considérable de ses priviléges et de ses franchises, qui estoient entiérement remis en son pouvoir : et mesme, cette réforme est autant pour le repos de la Ville que pour le service de
Sa Majesté
.
Si la Ville régarde cette grace autrement qu’elle ne doit la régarder, et si elle néglige de se soûmettre promptement à ces réglements, le
Roy
aura toûjours la satisfaction d’avoir fait ce qu’il a crû devoir faire, en donnant à la Ville des marques de sa bonté, et les moyens d’y établir le repos et la seureté publique.
En cas donc que le jugement qui a esté rendu ait quelques fâcheuses süites, on en pourra blâmer ceux qui n’auront pas bien vsé des graces du
Roy
: et c’est surquoi vous devez faire les réfléxions nécessaires.
Mylord Maire
, Nous serons bientost à la Saint Iean, où on a accoûtumé de nommer quelques vns des officiers dont le
Roy
se réserve l’approbation.C’est pourquoy il entend que vous retourniez en diligence à Londres, et que vous y délibériez avec le Commun Conseil sur ce qui vous a esté proposé, afin que
Sa Majesté
püisse apprendre bientost vos résolutions, et donner ses ordres selon qu’Elle le jugera à propos.
Pour vous faire connoistre qu’Elle veut agir vigoureusement et sans aucun délay en cette affaire. Elle m’a commandé de vous dire qu’Elle a ordonné à son
Procureur Général
de faire enregistrer la Sentence Samedy 3e du mois de Iuillet prochain, si vous ne vous soûmettez dans ce temps là, aux Réglemens dont on vient de vous faire la lecture.
Le 30 de Iuin, le Conseil de la ville de Londres s’estant assemblé, délibéra jusqu’à neuf heures du soir, sur les propositions du
Roy de la Grande Bretagne
: et il fut conclu à la pluralité des voix, que pour mériter les graces de
Sa Majesté
, il falloit se soûmettre à tout ce qu’il luy plairoit d’ordonner.
Le 1r de ce mois de Iuillet, les Shérifs et le Commun Sergent, par ordre du
Maire
et des
Aldermans
, allérent à Windsor porter au
Roy de la Grande Bretagne
cette résolution de la Ville.
Sa
Majesté
leur témoigna qu’Elle en estoit tres satisfaite : et Elle les asseura de l’exécution de ce qu’Elle leur avoit promis.