LA
POMPE DV CONVOY
de la
Reyne
en l’Eglise de Saint Denys : avec ce qui s’est passé à l’exposition du Corps au Château de Versailles, et au transport du Cœur au Val de Grace.
Le 31 du mois dernier, le Corps de la
Reyne
fut ouvert et embaumé : et on en sépara le Cœur et les Entrailles.
Le Cœur fut embaumé et enfermé dans vne boëte d’argent : sur laquelle estoit cette inscription. C’est le Cœur de
Marie Thérese
Infante d’Espagne, Epouse de
Loüis le Grand
XIV du nom, décédée le 30 Iuillet 1683.
Les Entrailles furent aussi embaumées et mises dans vne Vrne.
Le Corps, apres avoir esté embaumé et revestu d’vn habit de S. François, par les Femmes de Chambre de la
Reyne
, fut enfermé dans vn cercüeil de plomb : sur lequel on mit cette inscription. C’est le Corps de tres Haute, tres Excellente et tres Püissante Princesse
Marie Thérese Infante d’Espagne
, Epouse du Roy
Loüis le Grand XIV du nom
: laquelle est décédée au Château de Versailles, le Vendredy 30 Iuillet 1683, âgée de 45 ans.
On le porta dans le grand Cabinet qui estoit tendu de deüil depuis le haut jusqu’en bas, avec trois bandes de velous et quantité d’écussons aux Armes de la
Reyne
: et tandis que les Prestres de la Mission établis dans la Paroisse de Versailles, les Feüillans et les Récollets chantérent le De profundis et les autres Priéres, on le posa sur vne estrade élevée de deux pieds, sous vn dais de velous noir à grandes crespines d’argent, et garni d’écussons aux Armes de la
Reyne
. Le Cercüeil estoit couvert du drap mortüaire de la Couronne, d’or frisé et bordé d’hermines avec des écussons aux Armes de la Princesse défunte, et vne Couronne d’or par dessus, couverte de crespe.
Le Cœur fut posé dans le mesme cabinet, sur vn des deux Autels qu’on y avoit dressez pour célébrer des Messes : et il y avoit autour de l’estrade et sur les Autels, vn tres grand nombre de chandeliers d’argent chargez de cierges.
La chambre de la
Reyne
, l’anti-chambre, la sale, les portes et l’escalier estoyent pareillement tendus de deüil, avec deux lez de velous chargez d’écussons aux Armes de cette
Princesse
.
Quatre Evesques venoient tous les jours assister aux Priéres, estant placez à la droite du Corps : et au dessous d’eux il y avoit quatre Aumôniers de la
Reyne
. La
Marquise de Montespan
Surintendante de la Maison de cette Princesse, la
Duchesse de Créqui
Dame d’Honneur, la Comtesse de Béthune Dame d’Atour, et les Dames du Palais, estoient placées à la gauche : et elles estoient relevées de deux en deux heures, par des Duchesses et par d’autres Dames qu’on avoit invitées.
Deux Hérauts d’armes en robes de deüil, avec leurs cottes et leurs caducées, estoient au pied de l’estrade.
Ils présentoient l’aspersoir aux Princes, aux Princesses, aux Ducs, aux Duchesses, aux Maréchaux de France, aux Officiers de la Couronne, aux Dames du Palais, et aux autres Dames qui alloient jetter de l’Eau-bénîte aux heures qui leur estoient données.
Le 1r de ce mois,
Monsieur
,
Madame
,
Mademoiselle
, le
Prince de Condé
, le
Duc d’Enguien
, le Prince de la Roche-sur-Yon et le Comte de Vermandois allérent le matin, jetter de l’Eaubenîte : et l’apresdinée, la
Grande Duchesse de Toscane
, la
Duchesse d’Enguien
, la
Princesse de Conti
, et
Mademoiselle de Bourbon
s’acquitérent de ce devoir. Ils furent tous reçeus par les Officiers et par les Dames ayant charge dans la Maison de la
Reyne
, et condüits par le
Marquis de Rhodes
Grand Maistre des Cérémonies, et par le
Sieur de Saintot
Maistre des Cérémonies : qui faisoient faire les pas aux Officiers et aux Officiers selon le rang des Princes et des Princesses qu’ils recevoient.
La Duchesse de Verneüil alla aussi quelques jours apres, jetter de l’Eau-bénîte : et elle fut reçeüe comme veuve d’vn Prince légitimé de France.
Le 2 de ce mois, sur le soir, le Cœur fut porté au Val de Grace. Le
Cardinal de Boüillon
Grand Aumônier de France, fit la cérémonie de le lever et de la mettre sur vn carreau de velous noir, couvert d’vne Couronne avec vn crespe. Il le tint ainsi sur ses genoux dans le carosse du Corps de la
Reyne
: où estoient
Mademoiselle
, la
grande Duchesse de Toscane
, la
Duchesse d’Enguien
,
Mademoiselle de Bourbon
, et la
Princesse de Carignan
toutes en mantes. La
Marquise de Montespan
, la
Duchesse de Créqui
, et la Comtesse de Béthune, accompagnoient aussi le Cœur dans le mesme carosse.
Il estoit environné par les Pages et par les Valets de pied de la
Reyne
, par des cent Süisses qui avoient la pointe de leurs halebardes en bas : et il estoit süivi par les Gardes du
Roy
, tous portans des flambeaux de cire blanche.
Il y avoit vn grand nombre d’autres carosses drapez de noir et à six chevaux, de
Monsieur
, de
Madame
, des Princes et des Princesses du Sang, des Seigneurs et des Dames de la Cour, qui devançoient et süivoient le carosse du Corps de la
Reyne
: estant environnez de Valets de pied qui portoient des flambeaux de cire blanche.
On arriva en cet ordre au Val de Grace. Le Cœur y fut reçeu à la porte du Monastére, par l’Abbesse et par les Religieuses, chacune vn cierge à la main.
Le
Cardinal de Boüillon
fit vn beau discours à l’Abbesse, sur le sujet : et elle y répondit avec des témoignages d’vne sensible douleur, et d’vne reconnoissance respectueuse.
Le Cœur fut posé par le
Cardinal de Boüillon
sur vne estrade couverte d’vn poële de deüil, et élevée sous vn dais au milieu du Chœur des Religieuses, qui estoit tendu de noir avec trois lez de velous, et des écussons aux Armes de la
Reyne
.
On dit en mesme temps, les Priéres ordinaires : et le
Cardinal de Boüillon
fit les encensements à l’entour du Cœur.
Le 10, le Corps fut condüit en l’Eglise de S. Denys, avec toute la pompe düe à vne si grande
Princesse
.
Les Compagnies du Régiment des Gardes François et Süisses se rangérent en double haye dans l’avant-cour du Château de Versailles, avec leurs armes traînantes, la bouche du mousquet et le fer des piques en bas, les Drapeaux aussi renversez et pliez, couverts de crespe, ainsi que les tambours qui n’estoient frapez que d’vn seul coup.
Mademoiselle
, la
Grande Duchesse de Toscane
, la
Duchesse d’Enguien
, la
Princesse de Conti
, et
Mademoiselle de Bourbon
, qui estoient arrivées sur les six heures du soir, furent condüites en la chambre de la
Reyne
, où les Dames du Palais s’estoient renduës.
Alors, l’Evesque d’
Orléans
Premier Aumônier du
Roy
, revestu de ses habits pontificaux, ayant esté averty que tout estoit prest pour la marche du Convoy, alla jetter de l’Eau-benîte sur le Corps : et il commença les Priéres qui furent continüées par le Curé et par les Prestres de l’Eglise Paroissiale de Versailles.
Douze Gardes du Corps du
Roy
, condüits par le Comte de Montesson Exempt des mesmes Gardes, montérent sur l’estrade, et teste nüe, levérent le Corps, et le portérent sur le Chariot destiné pour le Convoy.
Il estoit couvert d’vn grand poële de velous noir croisé de moire d’argent, et bordé d’hermine, avec six larges écussons en broderie d’or et d’argent : et tiré par huit chevaux caparaçonnez de velous noir, croisé de moire d’argent, et chargé de quatre écussons, avec vne autre sur le front de chacun des chevaux, le tout en broderie.
Les Entrailles furent portées dans le mesme Chariot, par deux Gardes aussi teste nüe. Cependant, la Musique de la
Reyne
chanta le De profundis : et ensüite, la marche commença par des gens servans dans les sept Offices de la
Reyne
, au nombre de soixante six, qui estoient vestus de drap gris, et qui portoient des flambeaux de cire blanche.
La seconde Compagnie des Mousquetaires du
Roy
, avec ses Officiers à la teste, alloit ensüite. Les Mousquetaires avoient de grandes écharpes noires, avec des cordons de crespe : et ils marchoient quatre à quatre, chacun tenant vn flambeau de cire blanche. Ils avoient leurs mousquets, la bouche en bas : les hautsbois sonnoient d’vn son lugubre : et les tambours couverts de crespe n’estoient frapez que d’vn seul coup.
La premiére Compagnie des Mousquetaires süivoit en la mesme maniére : et le Chevalier deFourbin Capitaine Lieutenant estoit à la teste.
Apres eux marchoient les Chevaux legers de la Garde du
Roy
, aussi quatre à quatre, tous avec des flambeaux : le Duc de Chevreuse Capitaine-Lieutenant à la teste. Ils avoient pareillement des écharpes et des cordons de crespe : qui sont les seules marques de deüil qu’ils ayent en semblables occasions.
Ils estoient suivis par trois cens Officiers des sept Offices de la
Reyne
, vestus de deüil, à pied et portant des flambeaux de cire blanche.
Les Chapelains et les Officiers de la Chambre de cette
Princesse
, au nombre de plus de soixante, avec des manteaux longs et montez sur des chevaux caparaçonnez de noir, marchoient quatre à quatre entre des Valets de pied qui portoient des flambeaux de cire blanche.
Trois carosses du
Roy
et trois de la
Reyne
, drapez et atelez de chevaux caparaçonnez de noir, et couverts de housses traînantes, croisées de moire d’argent venoient apres.
Dans le premier, estoit
Mademoiselle de Bourbon
: dans le second, la
Princesse de Conti
: dans le troisiéme, la
Duchesse d’Enguien
: et dans le quatriéme, la
Grande Duchesse de Toscane
, chacune accompagnée des Dames du Palais. Dans le cinquiéme, estoit
Mademoiselle
, accompagnée de la
Marquise de Montespan
Surintendante de la Maison de la
Reyne
, de la
Duchesse de Créqui
, Dame d’Honneur, et de la Comtesse de Béthune Dame d’Atour. Dans le sixiéme, estoient l’Evesque d’
Orléans
Premier Aumônier du Roy, l’
Evesque du Mans
Premier Aumônier de
Monsieur
, l’Evesque de Constance et l’
Evesque de Lisieux
.
Il y avoit entre ces carosses vn grand nombre de Pages à cheval, et de Valets de pied, qui portoient des flambeaux de cire blanche.
Les Hérauts d’Armes avec le Roy d’Armes, au titre de Mont-Ioye-Saint Denys, tous revestus de leurs cottes d’armes par dessus leurs robes de deüil traînantes, le chaperon rabatu, avec les Caducées couverts de crespe, süivoient à cheval, précédez par quatre trompettes de la Chambre du
Roy
. Le
Marquis de Rhodes
Grand Maistre des Cérémonies, et le
Sieur de Saintot
Maistre des Cérémonies marchoient ensüite, aussi à cheval : et ils estoient environnez de plusieurs Estafiers, qui portoient des flambeaux de cire blanche.
Les Süisses de la Garde de la
Reyne
, vestus de deüil ; la pointe de leur halebarde en bas, et chacun vn flambeau à la main, devançoient le Chariot.
L’Abbé de la Boulidiére, l’Abbé de Chavaudon, l’Abbé de Hautecourt, et l’Abbé Héron Aumôniers de la
Reyne
, estoient aux quatre coins, en rochet, manteau et bonnet carré, montez sur des chevaux caparaçonnez de noir : et ils tenoient les coins du drap mortüaire, attachez avec des cordons.
Ce Chariot estoit aussi environné par les Pages de la
Reyne
, qui portoient des flambeaux de cire blanche pres du Corps, et par les Pages de la grande Ecurie et de la petite Ecurie, les Ecüyers à la teste.
Au costé droit du Chariot, estoit seul le
Duc de la Vieuville
Chevalier d’Honneur, en manteau long, sur vn cheval caparaçonné et couvert d’vne housse traînante.
A la gauche du Chariot, estoit aussi seul le Comte de Montignac, Premier Ecüyer de la
Reyne
, monté de mesme.
Apres le Chariot, marchoit le Comte de Montesson Exempt des Gardes du Corps du Roy, qui servoient aupres de la
Reyne
, et vn autre Exempt à la teste de cinquante autres Gardes, qui avoient esté commandez pour cette marche : ayant des écharpes et des cordons de crespe, et marchant quatre à quatre, chacun avec vn flambeau.
Le Prince de Soubise Capitaine Lieutenant des Gens d’armes de la garde du
Roy
, venoit apres, à la teste de sa Compagnie, aussi avec des écharpes, des cordons de crespe et des flambeaux de cire blanche.
La marche estoit fermée par les carosses du corps de
Mademoiselle
, de la
Grande Duchesse de Toscane
, de la
Duchesse d’Enguien
, de la
Princesse de Conti
et de
Mademoiselle de Bourbon
: et par les carosses de leurs Ecüyers, environnez de Valets de pied portans des flambeaux.
Le Convoy passa par Ville d’Avray, S. Cloud, Boulogne, le long des murailles de Clichy et de Saint Oüin, dont les Curez vinrent avec leur Clergé rendre leurs devoirs au Corps, en disant les Priéres et faisant les encensemens accoûtumez.
On arriva en cet ordre, le lendemain 11e à sept heures du matin, à vn quart de lieüe de S. Denys : où le Convoy estoit attendu par les Récolets de Saint Germain, de Versailles et de Saint Denys, au nombre de plus de six vingt, le Provincial à leur teste, par les Ecclésiastiques de toutes les Paroisses de Saint Denys, par les Chanoines des Chapitres, par les Officiers de la Iustice, et par les Religieux de l’Abbaye, ayant chacun vn cierge à la main.
L’Evesque d’
Orléans
, les autres Prélats, et les Aumôniers qui tenoient les coins du Poële, mirent pied à terre en cet endroit : et l’Evesque d’
Orléans
jetta de l’Eau-benîte sur le Corps, et fit les encensements, pendant que les Religieux dirent les Priéres accoûtumées.
Ensüite, on continüa la marche jusqu’à Saint Denys, dont la porte estoit tendüe de deüil, avec
trois lez de velous, et des écussons aux Armes de la
Reyne
.
Les Prélats süivirent toûjours à pied le Convoy jusqu’à la porte de l’Eglise, dont le dehors et le dedans estoient pareillement tendus de deüil, avec trois lez de velous, couverts d’écussons aux Armes de la
Reyne
.
L’Evesque d’
Orléans
présenta le Corps aux Religieux de l’Abbaye, et leur fit vn discours fort éloquent. Le Prieur y répondit d’vne maniére convenable au sujet : et les Gardes qui avoient mis le Corps et les Entrailles sur le Chariot, les ayant aussi descendus, les portérent au Chœur et les posérent sur vne estrade qu’on y avoit préparée.
Apres que l’Evesque d’
Orléans
eut fait quelques priéres et des encensements, les Princesses qui s’étoient placées autour de la Représentation, se retirérent : et ce Prélat célébra la Messe, qui fut chantée par les Religieux. A la fin de la Messe, il fit encore les encensemens et les aspersions ordinaires.
Le Comte de Montesson Exempt des Gardes du Corps du
Roy
, est demeuré à Saint Denys, avec vingt quatre Gardes, et six des Cent Süisses, pour la garde du Corps, jusqu’au Service solennel, qui se doit faire au commencement du mois de Septembre.