La Gazette de Renaudot

De Vienne, le 15 Fevrier 1683.

L’ Empereur dépêcha le 10 de ce mois, vn Courier au Comte Albert Caprara son Envoyé Extraordinaire à la Porte, dont il attend toûjours des nouvelles avec beaucoup d’impatience, afin de sçavoir en quel état sont ses négociations aupres du Grand Seigneur et du Grand Visir . On se flate encore en cette Cour, d’obtenir vne prolongation de la Tréve, en accordant à Sa Hautesse la plus grande partie de ses prétentions, et y ajoûtant l’offre d’vne somme considérable. Néantmoins cette espérance est presqu’entiérement détrüite par les nouvelles qu’on reçoit de la continüation des grands préparatifs de guerre des Turcs, qui y travaillent avec plus de chaleur que jamais. On fait sans cesse bonne garde sur la frontiére, pour les empêcher de faire quelque irruption à la faveur des glaces. On dit ici, que le Comte Thékéli fait plusieurs contraventions à la derniére suspension d’armes, qui confirment ce qu’il a déclaré dans la Diéte de Cassovie, qu’il ne veut pas se séparer des interests de la Porte : qu’il fait confisquer les biens de tous ceux qui sont demeurez sous l’obéïssance de l’ Empereur dans la Haute Hongrie : et qu’il continüe le blocus de Zathmar. On parle cependant, encore de renvoyer vers luy le Baron de Saponara, avec de nouvelles instructions. Le Prince Herman de Bade Président du Conseil de guerre, partit le 11 de ce mois, pour aller visiter la Forteresse de Raab dont il est Gouverneur : et le Comte Rabata partit aussi ; pour aller donner les ordres sur les frontiéres de Moravie et de Croatie. Cette Cour tâche de pourvoir à toutes les choses nécessaires pour empêcher les Turcs et les Mécontents d’exécuter leurs desseins contre la Hongrie. On est occupé à remplir les magasins de munitions de guerre et de bouche, à mettre l’artillerie en état, et à rendre complets les vieux et les nouveaux Corps, afin que tout soit prest au mois d’Auril. L’ Empereur attend la réponse du Duc Auguste Adolphe de Holstein-Ploën, sur l’offre qu’il luy a fait faire de la Charge de Maréchal de Camp Général : et Sa Majesté Impériale luy destine le Régiment de Dragons qui est vacant, et que devoit avoir le Baron d’Herbeville. Le Baron de Leydel Envoyé de l’ Electeur de Baviére , partit le 10 de ce mois, pour retourner aupres de l’Electeur son Maître : ayant esté régalé d’vne chaîne d’or, avec le portrait de l’ Empereur . Le Comte de Lamberg , qui a esté à la Cour de l’ Electeur de Saxe et à la Cour de l’ Electeur de Brandebourg , en qualité d’Envoyé Extraordinaire de Sa Majesté Impériale , est revenu depuis quelques jours, et a fait le raport de ses négociations. Il a esté suivy d’vn Envoyé Extraordinaire de l’ Electeur de Brandebourg , qui a eu audiance de l’ Empereur : et on publie qu’il est venu représenter de quelle importance il seroit pour le bien des affaires de Sa Majesté Impériale et de celles de tout l’Empire, que ses différents avec la France fussent accommodez. Le Baron de Waldersdorff, qui estoit allé vers les Princes du Rhin en qualité d’Envoyé Extraordinaire de l’ Empereur , est revenu, et a rendu compte de sa négociation. Le Comte Frobénius de Furstemberg Vice-Président du Conseil de guerre, est aussi retourné de Süabe, et a informé cette Cour de l’estat des affaires de ce Cercle. Le Comte

de Windisgratz a depuis quelques jours, fait abjuration du Luthéranisme : et ensüite, il a esté fait Conseiller du Conseil Privé de l’ Empereur . Il épousa le 1r de ce mois, vne des Filles d’Honneur de l’Impératrice Eléonor. On a appris par les derniéres lettres de Hongrie, que presque tous les Habitans de l’Isle de Schut l’ont abandonnée, pour éviter les mauvais traitemens qu’ils recevoient des Troupes de l’ Empereur : que les desordres que commettent les Soldats, obligent les Peuples de Hongrie qui sont encore soûmis à l’ Empereur , à faire de grandes plaintes, et à porter envie à ceux qui obéïssent au Comte Thékéli , qui vivent en repos et joüissent d’vne entiére liberté de Religion et de commerce. On ajoûte que les Turcs deviennent tous les jours plus formidables, par le grand nombre de Troupes qui leur arrivent.