De Vienne, le 11 Iuillet 1683.
Le 7 de ce mois, le Comte de Stirum arriva icy le matin, pour informer l’
Empereur
de l’état de l’Armée. Il rapporta que la Cavalerie estoit campée pres de Kitzée, l’Infanterie dans l’Isle de Schut, le long duDanube jusqu’à Presbourg : et qu’elles estoient dans vn tel desordre, que jusqu’alors elles n’avoient pû se rejoindre. Le mesme jour, le Comte
Caprara
et le Comte Montécuculi arrivérent pareillement ici l’apres-dînée : et ils rapportérent que le
Prince Charles de Lorraine
ayant fait prendre les devants aux bagages lors que l’Armée se disposoit à décamper d’aupres de Presbourg, les Turcs avoient entiérement pillé ceux du Duc de Saxe-Lawembourg, du
Prince Loüis de Bade
, et des Comtes
Caprara
et Montécuculi, apres avoir défait vne partie des Régimens qui les condüisoient. Les Comtes
Caprara
et Montécuculi ajoûtérent que la Cavalerie ayant laissé l’Infanterie dans l’Isle de Schut, parce qu’elle n’avoit pû la joindre, faisoit retraite vers cette ville : que les Turcs, qui marchoient au nombre de cent quatre-vingt mille hommes, faisoient de continüels détachemens pour
piller
et pour
mettre le feu
dans tous les lieux où ils passoient : qu’ils avoient escarmouché avec la Cavalerie jusqu’à quatre lieuës de cette ville, vers laquelle ils s’avançoient : et qu’il y avoit sujet de craindre que profitant du desordre, de la foiblesse et de la
consternation générale
de l’Armée Impériale, ils ne vinssent nous assiéger. On sçeut en mesme temps, que les Tartares, apres avoir défait quelques Régiments, s’étoient avancez jusqu’à deux lieuës de cette ville : et qu’ils avoient fait vn grand dégast, et
mis le feu
à plusieurs villages.
L’épouvante augmenta tellement sur ces nouvelles, qu’on fit fermer les portes
: et l’
Empereur
résolut de partir à neuf heures du soir, avec les deux Impératrices, le
s Archidu
cs et l’Archiduchesse, pour se retirer à Lintz, sans emporter autre chose que des pierreries et des papiers. On ne sçauroit exprimer
la frayeur et la confusion qu’on vid alors parmi les Habitans
. Ceux des fauxbourgs se sauvérent dans la ville, avec tout ce qu’ils purent emporter de meilleur : et les principaux Bourgeois sortirent pour se retirer en lieu de seureté. La Cavalerie arriva ici le 8, à la pointe du jour, en tres-mauvais ordre : et elle se posta à l’entour de la ville entre les riviéres. Le 10, le Régiment d’Infanterie de Schaffemberg arriva aux fauxbourg : et on attend dans deux jours le reste de l’Infanterie, qui ayant pris la route de Presbourg par le Marckfeldt, de l’autre côté du Danube, s’est garentie de l’insulte des Turcs. Le
Prince Charles de Lorraine
envoye souvent des forts partis pour prendre langue des ennemis. Tout ce qu’il a pû faire avant sa retraite, a esté de jetter des Troupes dans quelques places : et il a fait entrer six mille hommes dans Raab, et le Régiment de Castel dans Neustadt. Le brüit court ici, que le Lieutenant Colonel Heusler défit le 9 de ce mois, vn parti de Tartares : que le Régiment de Castel en a batu vn des Turcs pres de Neustadt : et que le Général Schultz avec les Troupes qu’il commande, et les Polonois levez par le Chevalier Lubomirski, a chargé vn parti des Mécontents sur les frontiéres de Hongrie. Mais il y a des nouvelles qui portent que ce Général venant joindre l’Armée Impériale, a esté surpris par les Turcs et par les Mécontents : et qu’il a perdu quelques Soldats en cette occasion. On dit aussi que les Infidéles s’estant avancez deux fois jusqu’aux fossez de la ville de Raab, ils en ont esté repoussez : de sorte qu’enfin ils se font retirez de devant la place, apres avoir
rédüit en cendres
tous les villages et tous les bourgs des environs, avec les grains qui estoient dans les granges et aux champs. Ainsi la misére et la désolation des Habitans de Hongrie est au delà de ce qu’on en peut imaginer. Le
Comte Thékéli
a mis de nouveau des Troupes dans les villes des Montagnes : et il continüe de rédüire sous son pouvoir les places de Hongrie, sans les attaquer. Cependant, il n’y a aucune apparence de donner des bornes à ses progrez ni à ceux des Infidéles sans de prompts et puissans secours. L’
Empereur
à dépêché derechef des Couriers au
Roy de Pologne
et aux Electeurs de
Baviére
, de
Saxe
et des
Brandebourg
, pour les avertir de ses pressans besoins. Il a aussi envoyé ordre à ses Ministres à la Diéte de Ratisbone, de représenter aux Estats de l’Empire le pressant danger qui menace la Hongrie, les Pays Héréditaires et l’Empire mesme, afin qu’ils délibérent promptement sur les moyens les plus seurs pour s’opposer aux progrez des Infidéles.
Sa Majesté Impériale
a envoyé ici de Krembs, le Comte Capliers pour y présider au Conseil de guerre. Le
Comte de Staremberg
nostre Gouverneur y est revenu avec le
Duc de Croy
. On ne sçait pas quand l’armée Impériale pourra se remettre en estat de marcher contre les ennemis. On asseure qu’elle n’est plus que d’environ vingt quatre mille hommes : et qu’elle a fait de grands dégasts par tout où elle a passé. Chacun doit ici prendre les armes et travailler aux fortifications qui sont demeurées imparfaites, parce que les païsans qui y estoient employez, sont retournez chez eux. Nous manquons de toutes les choses nécessaires pour vne vigoureuse défense, parce que plusieurs piéces d’artillerie et les munitions de guerre en ont esté tirées pour l’armée : et qu’il n’y a point aussi d’autre infanterie que celle de la garnison ordinaire. On dit que les Régiments de Picolomini, de Taun, de Saxe-Lavembourg et de Coufstein qui estoient en Bohéme, marchent en diligence pour joindre l’armée.