De Vienne , le 24 Décembre 1684.
Quelques soldats de la garnison de Weitzen qui se sont sauvez lors que la place a esté reprise par les Turcs , & qui sont arrivez à Freystadt sur le Waag , ont confirmé que la plus grande partie des Allemans & des Hongrois qui en composoient la garnison , ont esté massacrez par les Infideles. On a eu aussi la confirmation de la levée du siége d’Epéries par le Géneral Schultz : y ayant esté obligé par le froid & par la
disette
des choses nécessaires pour la subsistance des troupes. On y a perdu plus de cinq cents soldats qui ont esté tüez ou blessez , avec le Major Blier , deux Capitaines & sept Lieutenants : le Commandant d’Epéries qui est un Colonel Alleman ayant fait souvent des sorties avec de grands détachemens de la garnison composée de deux cents Allemans & de mille Hongrois.
Le Comte Thékéli
n’eut pas plûtôt appris la retraite du Général Shultz, qu’il détacha le St Peterhasi avec deux cents hommes pour reconnoître l’estat de ses troupes : & en même temps , il les suivit en personne à la tête de deux mille chevaux & chargea l’arriére-garde, de maniére qu’il y eut grand nombre de soldats tüez ou faits prisonniers. Le Général Schultz eut ainsi beaucoup de peine à sauver son canon. Il est mort aussi plusieurs soldats par la
rigueur de la saison : & il a ramené les troupes en si mauvais état qu’il sera impossible d’en tirer aucun service avant qu’elles ayent esté rétablies dans de bons quartiers d’hyver. Les derniéres lettres de la Haute Hongrie , ainsi que les précédentes , portent que les troupes Bavaroises ont eu une rencontre avec celles des Mécontents qui leur ont tüé plusieurs Officiers & soldats , & mis le reste en desordre. On n’a pas reçeu de meilleures nouvelles de la Basse-Hongrie. Les Turcs y ont investi Vicegradt : & il y a grand sujet d’appréhender qu’ils ne s’en rendent maîtres aussi facilement que de Weitzen , parce que la garnison n’est pas capable de faire une longue résistance , & qu’il est impossible d’y envoyer assez promtément le secours nécessaire. Cette Cour appréhende pareillement la perte de Barkam. Les Turcs font tous les jours des courses jusqu’aux portes de cette place : & il y a grand sujet de craindre qu’ils ne l’attaquent enfin , parce que la garnison n’étant que de quatre cents hommes , n’est pas en état de soûtenir un long siége. Les Infideles ont encore trouvé le moyen de jetrer un secours de troupes dans Neuhausel : & le brüit court qu’ils ont dessein de faire un effort pour y faire entrer un convoy de munitions de guerre & de bouche. Sur cet avis , de nouveaux ordres ont esté envoyez aux Officiers qui en font le blocus, de faire garder exactement les passages. Le Colonel Heusler qui en a la conduite a mandé qu’il a esté joint par le Comte Zabor avec environ quinze cents Chevaux Hongrois : & qu’il s’est saisi de ving – cinq chariots chargez de grains que des habitans du pays y conduisoient pour les vendre. On mande de plusieurs endroits , que le
Comte Thékéli
a reçeu un secours de troupes Othomanes , & qu’il en attend encore un plus considérable : que tandis qu’il agira en Hongrie , les Turcs entreront dans la Croatie , dans La Carinthie , & dans la Stirie : & qu’ils font travailler à de grands magasins de ce côté là. Les Estats de la Haute & Basse Hongrie continüent de se plaindre des quartiers d’hyver : representant que la cherté & la
disette
des vivres & les
taxes
qui ont esté imposées pour la subsistance des
troupes, obligent la plus grande partie des habitans à se retirer sur les terres qui sont sous la protection du
Comte Thékéli
. On a reçeu des Lettres de Presbourg du 18 de ce mois , qui portent qu’on ne peut exprimer la misére qui est en cette ville-là. On y trouve tous les jours par les rües, plus de soldats
morts de faim
, qu’on n’y trouvoit autrefois de personnes
mortes de la peste
. Les habitans de l’Isle de Schut, d’où on a tiré quantité de grains, sont
reduits à manger des racines , & à moudre des écorces pour en faire du pain. On a trouvé deux femmes prés du jardin de l’Archevêque, qui mangeoient de la chair de cheval
: &
un des soldats logez à Lichtersdorf en l’Isle de Schut a mangé les entrailles du corps mort d’un autre soldat
. Le Baron Abelé a mandé les mêmes choses à l’
Empereur
: ajoûtant que les chiens mangeoient les corps morts dans les rües. D’ailleurs, les soldats estant obligez à s’écarter pour chercher les moyens de subsister, sont souvent enlevez par les Mécontens.
Sa Majesté Impériale
pour
remédier à une si grande désolation a donné les ordres pour amasser & pour acheter dans les pays étrangers, la plus grande quantité de bleds qui sera possible
. On assemble souvent le Conseil de guerre pour déliberer sur les moyens de continüer la guerre avec plus de succez durant la Campagne prochaine : on travaille aux préparatifs , avec toute la diligence possible : & on pourvoit les magasins de toutes sortes de munitions de guerre & de bouche. La Chambre des Finances a commencé de faire un fonds pour renouveller les équipages d’Artillerie , qui ont esté entiérement rüinez au Siege de Bude. Un Ingenieur & d’autres Officiers sont arrivez ici de Flandres : & ils ont proposé une nouvelle invention de feux d’attifice dont ils ont mesme fait l’épreuve . Le Baron Ziérowski cy-devant , l’un des Ambassadeurs Extraordinaires de l’
Empereur
en Moscovie , est parti pour aller en Pologne : & il a ordre d’y demeurer durant la Diéte Générale à la place du Comte de Walestein. Le Baron de Freytag qui doit aller en qualité d’Envoyé Extraordinaire à la Cour de l’
Electeur de Brandebourg
pour y faire les compliments sur le mariage du
Prince
Electoral avec la
Princesse Hanover
, & pour solliciter un secours considérable de troupes de
Son Altesse Electorale
, a esté obligé de différer son départ , à cause que le Vicechancelier & le Secrétaire du Conseil Aulique estant indisposez , n’ont pû expédier ses instructions. Le sieur Séiler Conseiller du Conseil Aulique , est parti pour aller à la Cour du
Roy Tres-Chrestien
, en qualité de Résident.