De Vienne , le 11 Fevrier 1685.
Les derniers avis de la Haute Hongrie , portent que les Trucs ont fait entrer un nouveau convoy dans Neuhausel : & que le Colonel Heusler en a enlevé vingt-quatre chariots chargez de munitions , & fait prisonniers ceux qui les conduisoient. Une partie de ce convoy étoit de soixante chariots chargez de bois pour bâtir. Les partis de la Garnison font tous les jours , des courses du costé du Vaag : & en enlevent tout ce qu’ils trouvent. On espére que lors que les troupes Impériales qui s’assemblent prés de Lewents , auront joint celles qui forment le blocus de cette place , il sera fort difficile aux Infideles d’y faire entrer d’autres secours & de continüer leurs courses. Le bruit continüe , mesmes depuis l’entrée de ce dernier convoy , qu’il n’y a pas encore assez de vivres dans la place pour faire long temps subsister la garnison : & qu’une partie des troupes qui s’y estoient jettées en sont sorties , de crainte d’y augmenter
la disette
. Les mouvements des Turcs du costé de Gran , font de plus en plus appréhender qu’ils n’en forment le Siége , ou du moins le blocus. La garnison a envoyé demander un renfort de Troupes : mais il sera difficile de le luy envoyer avant l’ouverture de la Campagne. Un Officier arrivé de Croatie , a de nouveau rapporté que
la disette
étoit extrême parmi les Infideles , principalement dans les lieux où les troupes du Grand Seigneur passerent aprés la levée du Siége de cette ville. Toutes les nouvelles qui viennent de la frontiére confirment que les Turcs y font des préparatifs de guerre extraordinaires. On asseure aussi que le Grand Seigneur a résolu de venir à Belgrade , pour se mettre à la teste d’une puissante armée , ou qu’il demeurera dans cette place , pour y donner lui mesme les ordres durant la Campagne.
Un coursier venu depuis quelques jours , de la Haute Hongrie , n’a pas confimé l’avis qu’on reçeut la semaine derniére , touchant les villes d’Epéries & de Cassovie. Le Comte Rabata Général de la Cavalerie & le Comte Schérini qui commande en chef les troupes Bavaroises , sont aussi arrivez de la Haute Hongrie , sans rien sçavoir de la capitulation qu’on disoit que les garnisons de ces villes avoient fait proposer au Général Schultz. Ainsi , on doute d’autant plus de cette nouvelle & de tout ce qui s’est publié de la retraite du
Comte Thékéli
dans la forteresse de Moncatz , que d’autres avis asseurent que les Bourgeois d’Epéries ont tüé un Officier de la garnison , parce qu’il avoit intelligence avec le Général Schultz. On dit que le Baron Baragotzi a batu un parti des Mécontents : & qu’il n’a perdu que quelques soldats en cette occasion. Le Comte Rabata & le Comte Sérini ont eu audiance de
l’Empereur
: & ils l’ont asseuré que les troupes sont en assez bon état , parce qu’elles commencent à trouver des vivres.
Sa Majesté Impériale
, sur les pressantes instances des villes de Hongrie , a ordonné d’en retirer trois régiments : & de leur donner des quartiers dans l’Austriche & dans la Bohéme. On a pareillement fait passer dans la Stirie une partie des Troupes logées dans la Croatie , afin de soulager cette Province qui estoit extrémément incommodée des quartiers d’hyver. Les troupes qui avoient esté logées à Waradin en ont esté pareillement retirées , pour faire cesser les plaintes des habitants. Les différents qui estoient entre le Général Schultz & le Comte de Schérini ont esté accommodez : & on a donné d’autres quartiers aux troupes de Bavière. L’Empereur dans l’extréme besoin qu’il y a ici de bleds , en a fait demander une grande quantité aux Ecclésiastiques de Bohëme , de Silésie , de Moravie & de la Haute Hongrie , pour un prix qui sera réglé : & Sa Majesté Impériale qui sçait que la pluspart en ont des magazins , leur a fait déclarer que s’ils refusent d’en donner par cette voye, Elle en envoyera prendre d’autorité. Le Conseil de guerre est convenu avec le Colonel Klingen Envoyé de
l’Electeur de Saxe
, pour douze grosses piéces de batterie de vingt huit livres de bale , & pour six autres piéces de campagne que
Son Altesse Electorale
donnera à
l’Empereur
, pour la valeur d’autant de métail , dont
Sa Majesté Impériale
payera la fonte. On doit bien tost , incorporer dans les anciens Régiments , neuf mille hommes de recruës qui se trouvent sur pied : & delivrer des commissions & de l’argent à des Officiers pour en faire encore d’autres. L’ordre a esté envoyé dans toutes les Provinces d’y amasser le plus de fourrages qu’il sera possible, sans que les Habitants en soient incommodez. On tient ici des conférences avec les principaux Seigneurs de Hongrie : & on y délibére sur les moyens d’y augmenter & faire substister les troupes. Sa majesté fait toûjours presser les Electeurs & les Princes de luy donner promtement les secours de troupes & d’argent nécessaires : & Elle a envoyé asseurer ses alliez ; qu’Elle veut observer exactement le traité de Ligue qui a esté conclu entr’eux contre les Turcs : de maniére qu’Elle n’entrera en aucune négociation avec ces Infidéles sans leur participation. C’est pourquoy on n’a fait encore aucune réponse à l’Arménien envoyé par le Bacha de Bude , qu’on se contente de faire observer , afin qu’il ne puisse rien apprendre des résolutions de cette Cour. On a fait l’ouverture du testament de l’Archevêque de Gran : & on y a trouvé un grand nombre de legs considérables qui diminuëroient beaucoup les sommes que l’Empereur pourroit tirer de cette succession. Mais
le Fiscal
ou Procureur Général de la Chambre des Comptes de Hongrie prétend qu’il soit cassé : & que toute la succession soit dévolüe au
Fisc
, parce que le défunt n’a pas exécuté plusieurs choses ausquelles il estoit obligé. On a trouvé ici quatre-vingt-onze mille florins en argent comptant qui luy appartenoient : & par Arrest du Conseil d’Estat ils ont esté portez à la Chambre des Finances , pour estre employez aux dépenses de la Campagne. Une partie des trois cent mille florins que le Prince de Schwartzembourg a avancez à l’Empereur , a esté distribüée aux Colonels de cavalerie & d’infanterie , pour faire des recrües dans la Bohéme. On dit ici , que l’ouverture de la Campagne doit se faire le 1r du mois de May , avec trois armées : l’une de l’empereur composée des troupes de Hongrie & d’une partie de cellede l’Empire qui agira dans la Basse Hongrie sous le commandement du
Prince Charles de Lorraine
: la deuxième commandée par le
Comte de Starembert
Maréchal de Camp Général , à la place duquel le Comte Leslé commandera l’infanterie dans l’armée Impériale : la troisiéme composée des troupes auxiliaires de l’Empire & de Baviére , avec quelques Régiments Impériaux , pour agïr en la Haute Hongrie sous les ordres de
l’Electeur de Baviére
: & on fait monter à quarante cinq mille hommes les troupes auxiliaires de Hannover , de Zell , de Cologne , de Paderborn , de Hesse Cassel , de Franconie , du Haut Rhin & de Sijabe. On fait incessamment partir d’ici , une grande quantité de farines & d’avoine pour les magasins qui seront establis à Raab & à Presbourg. Le Comte de Lodron a demandé permission d’aller servir dans les troupes de Baviére. Le Comte Erdedi Ban ou Gouverneur de Croatie , a esté fait Conseiller du Conseil d’Estat de
l’Empereur
: & depuis quelques jours , il a presté le serment de fidélité. Le Comte de Herberstein Commandant de Carlstadt qui n’est pas mort comme le brüit en avoit couru , a esté nommé par le Grand Maistre de Malte pour Général des galéres de la Religion. Le Marquis Carlone Colonel d’un Régiment de Dragons qu’il a levé ici , pour le service de la République de Venise a eu permission d’en lever encore un dans l’Empire : & il est allé à Saltzbourg demander à l’Archevesque un secours de troupes. Il y a des officiers Allemans qui levent , outre cela , deux Régiments d’infanterie sur les terres de l’Empire , pour le service de la mesme République.