On n’a pû informer plûtost le public des particularitez de la
conspiration découverte depuis peu en Angleterre
, à cause de la maniére différente dont elles ont esté rapportées. Ceux qui dans des occasions moins importantes ont fait paroistre au seul nom de Conspiration vn zéle extraordinaire pour la Religion Anglicane et pour la seureté de la personne du
Roy
, ont affecté de faire révoquer en doute les principales circonstances de cette derniére Conspiration. Mais on n’en peut plus douter, apres la déposition de plusieurs témoins, et la confession que trois des conjurez ont faite en mourant. Ils ont asseuré que l’auteur de cette détestable entreprise estoit Mylord
Shaftsbury
. Le projet d’association qui fut trouvé parmy ses papiers et qui estoit entiérement conforme à la fameuse
ligue d’Ecosse
, ne pouvoit avoir vne suite moins funeste. Ce
Seigneur
, ayant évité par des intrigues contraires à toute forme de justice, la punition qu’il méritoit selon les loix, avoit depuis continüé ses pratiques dangereuses, pour engager plusieurs personnes dans la Conspiration. Mais apres que le
Roy de la Grande Bretagne
eut par vn soin particulier, pour le repos de ses peuples, réformé les abus qui estoient la source de plusieurs desordres, parmy lesquels ces
séditieux
trouvoient l’impunité de leurs crimes, Mylord
Shaftsbury
se retira en Hollande où il est mort. Ceux qu’il avoit engagez dans son dessein continüérent à chercher les moyens de l’exécuter. Ils
firent pour cet effet, plusieurs assemblées secrétes : ils préparérent des armes : ils amassérent de l’argent : et ils résolurent d’assassiner le
Roy
et le
Duc d’York
sur le chemin de Newmarket
: d’où Sa
Majesté
revenoit ordinairement peu accompagnée. Ils avoient préparé des hommes armez qui devoient attendre le Roy dans vn passage estroit, tüer ses gardes s’ils faisoient la moindre résistance,
assassiner
Sa
Majesté
aussi bien que le
Duc d’York
, et
changer la forme du Gouvernement
. Mais Dieu qui veille à la conservation des Souverains, et qui a préservé en plusieurs occasions le
Roy de la Grande Bretagne
des entreprises de ses
sujets rebelles
, en prit encore soin en cette occasion. Vn
incendie
arrivé par hazard à Newmarket, obligea
Sa Majesté
à revenir à Whitehall plûtost qu’Elle n’avoit résolu : et ainsi les Conspirateurs ne purent exécuter leur abominable dessein. Ils délibéroient encore sur d’autres moyens de l’exécuter, à la Comédie, ou en quelque autre lieu public, lors que quelques vns des
complices touchez de l’horreur de leur crime, déclarérent au Sieur Ienkins Secrétaire d’Estat, les principales circonstances de la Conspiration
.
Plusieurs furent
emprisonnez
: les autres furent mis à la garde des Sergents d’armes : d’autres moins coupables furent obligez à donner caution : et plusieurs des principaux complices prirent la füite.
Les Grands Iurez apres avoir reçeu les Bills ou actes d’accusation contre la pluspart des prisonniers, les déclarérent véritables, et l’accusation bien fondée.
Le 22, le
Capitaine Walcot
fut amené à l’
Old Baily
: où les témoins déposérent qu’il s’estoit trouvé à plusieurs assemblées secrétes, avec les conjurez : qu’il avoit esté destiné pour attaquer les gardes du Roy, qu’il avoit amassé des armes et préparé des chevaux pour l’exécution de cet attentat.
Iean Rouse
et
William Hone
furent aussi convaincus d’avoir eu part à ce dessein : et apres qu’ils eurent esté déclarez coupables, on leur prononça la Sentence par laquelle ils estoient
condamnez a estre pendus et mis en quartiers
.
Mylord Russel
fut amené le lendemain à l’
Old Baily
. Le
Colonel Rumsey
déposa que ce Seigneur s’estoit trouvé chez vn Marchand de vin avec plusieurs des conjurez : qui apres avoir eu de longues conférences, envoyérent ce Colonel à Mylord
Shaftsbury
, pour sçauoir des nouvelles des troupes qu’il avoit promis de tenir prestes au nombre de mille hommes de pied et de quatre mille chevaux : Qu’il leur avoit rapporté que cette levée ne pouvoit estre si tost faite, parce que la pluspart de ceux qu’on vouloit armer faisoient difficulté de s’engager avant que d’avoir meurement délibéré sur l’entreprise.
Le mesme Marchand déposa que ce
Seigneur
estoit venu à sa maison avec les autres : qu’ils luy avoient demandé vne chambre retirée : et qu’il avoit entendu qu’ils y parloient d’
exciter vne rebellion
, et de se saisir des Gardes du Roy.
Mylord
Howard d’Escrik
accusa aussi
Mylord Russel
, et déclara fort au long le dessein des Conspirateurs. Il dit que Mylord
Shaftsbury
leur avoit asseuré qu’il avoit dix mille hommes dans Londres à sa disposition : qu’il les avoit souvent pressez d’agir : et qu’il s’estoit retiré lors qu’il avoit veu que la lenteur de quelques complices, et quelques autres difficultez retardoient l’exécution du dessein. Qu’ils avoient dépesché en Escosse
Aaron Smith
pour
exciter la Noblesse à la révolte
: et qu’ils avoient nommé six Commissaires qui devoient avoir la direction de toutes les affaires : et que
Mylord Russel
estoit du nombre : Qu’ils avoient amassé de l’argent, et qu’ils attendoient encore de grandes sommes de plusieurs endroits.
Mylord Russel
fit à tous ces chefs d’accusation, des réponses qui ne satisfirent pas les Iurez : et ils le déclarérent coupable. Les Iuges le déclarérent aussi atteint et convaincu du
crime de Haute Trahison
: et ils le condamnérent à
souffrir la peine portée par les loix
.
Le 30 Iuillet, le
Capitaine Walcot
sur vne claire,
Iean Rouse
et
William Hone
sur vne autre, furent condüits à Tyburne, lieu de l’exécution. Quand ils y furent arrivez on les fit monter sur vne charette. Le Docteur Cartwright Chapelain du
Roy
qui les assistoit, exhorta le
Capitaine Walcot
à découvrir ce qu’il sçavoit de la Conspiration. Il leut vn papier : et apres avoir fait vne longue déclaration de sa créance, il avoüa qu’il avoit esté présent à plusieurs assemblées, où on avoit délibéré d’attenter sur la personne du
Roy
et sur celle du
Duc d’York
: que les conjurez avoient coûtume de désigner par des noms supposez. Il témoigna vne sensible douleur de son crime. Mais il fit paroistre vne grande indignation contre ceux qui l’avoient accusé, comme estant aussi coupables que luy. Il déclara qu’il méritoit la mort pour n’avoir pas découvert les particularitez qu’il avoit apprises de la Conspiration : qu’il avoit esté séduit par les promesses de ceux qui l’y avoient engagé : et que le prétexte de toutes leurs assemblées secrétes estoit la défense de leurs libertez, et la conservation de la Religion Protestante.
Iean Rouse
confessa presque les mesmes choses touchant les assemblées secrétes. Il dit qu’il y avoit entendu tenir des
discours injurieux
contre le
Roy
et le
Duc d’York
: mais il déclara qu’il n’en sçavoit pas toutes les particularitez, quoy qu’il d’eust avoir part à l’exécution de leur dessein, dans lequel il avoit esté engagé par Mylord
Shaftsbury
: qu’il avoit sçeu qu’on amassoit des armes et de l’argent : qu’on
délibéroit pour changer la forme du Gouvernement
: et quoy qu’il déclarast qu’il estoit innocent de quelques chefs de l’accusation contenüe dans les dépositions des témoins, il avoüa néantmoins qu’il méritoit la mort, et témoigna vne douleur sincére de son crime.
William Hone
déclara d’abord qu’il estoit coupable, selon toutes les loix divines et humaines, pour avoir
conspiré contre le Roy
. Il dit qu’il ne s’estoit pas trouvé aux assemblées secrétes : mais qu’il s’estoit souvent rencontré dans les
Café-houses
avec les principaux conjurez, où il les avoit entendus parler de leur abominable dessein : qu’il avoit esté choisi pour estre du nombre de ceux qui devoient attenter à la Personne du
Roy
et du
Duc d’York
.
Apres ces derniéres déclarations ils firent leurs priéres : ils donnérent des marques d’vne sensible douleur de leur crime : ils demandérent plusieurs fois pardon au
Roy
: et ils exhortérent les spectateurs à profiter de leur exemple : apres quoy ils furent
exécutez selon la Sentence
.
Le lendemain 31, sur les neuf heures du matin, les Shérifs se rendirent à Newgate, où
Mylord Russel
estoit prisonnier. Ils luy demandérent s’il estoit prest : et ce Seigneur ayant pris congé de sa femme et de ses amis, monta dans son carrosse, fut amené à la place de Lincolns-Inn-field, où estoit l’échafaut, couvert de noir selon la coûtume. Quand il y fut monté, il salüa le peuple : et il dit au Shérif que comme il avoit crû qu’il auroit de la peine à estre entendu, à cause du grand brüit que faisoit la multitude, il avoit mis par écrit les choses dont il avoit crû devoir conserver la mémoire apres sa mort, et il luy donna le papier. Il dit n’avoit jamais eu dessein d’attenter à la personne du
Roy
, ni de changer la forme du gouvernement : et qu’il prioit Dieu pour la conservation de l’vn et de l’autre. Il ajoûta qu’il avoit appris que le
Capitaine Walcot
avoit dit quelque chose sur son sujet dans sa derniére déposition : mais qu’il ne le vouloit pas croire, puis que jamais il n’avoit parlé à luy, ni mesmes il ne l’avoit jamais vû. Il fit de nouvelles protestations de son innocence : et il asseura qu’il n’avoit connoissance d’aucune conspiration contre le
Roy
ni contre l’Estat. Il pria que les Protestans divisez par de grandes animositez, se pussent réünir. Il pardonna à ses ennemis : et il déclara enfin, qu’il mouroit innocent.
Il se mit ensüite à genoux : et il fit quelques priéres avec des Ministres. Il en fit d’autres en particulier : puis il osta sa perruque, sa cravate et son juste-au-corps, et mit vn bonnet. Il donna quelque argent à l’exécuteur : et il luy dit qu’il fist son office sans attendre de signal. Il embrassa les Ministres : et il
mit la teste sur le billot. L’exécuteur ne la luy coupa qu’au troisiéme coup. Il la montra au peuple selon la coûtume
: et le corps fut laissé à la disposition de ses parents et de ses amis, ainsi que le
Roy
l’avoit accordé, en modérant la peine portée par la Sentence.
On a depuis publié l’écrit de
Mylord Russel
: et en voici la substance.
Il déclare d’abord, qu’il se trouve tellement disposé à la mort, qu’il est entiérement détaché de toutes les pensées de ce monde. Il remercie Dieu des graces qu’il luy a faites, par les avantages de la naissance et de la fortune : et de la bonne education et des sentiments de piété qui luy avoient fait souffrir la prison sans peine, et attendre la mort sans appréhension.
Il dit qu’il mouroit dans la Religion Protestante en laquelle il avoit vescu, et dans la communion de l’Eglise Anglicane, quoy qu’à cet égard, il avoüe qu’il n’eust pas esté assez exact, selon l’opinion de quelques personnes trop passionnées contre les Nonconformistes. Qu’il souhaitoit que tous les différents touchant la Religion fussent promptement terminez : que les Sectateurs de l’Eglise Anglicane fussent moins sévéres, et que les Nonconformistes fussent moins scrupuleux.
Il déclare que la haine qu’il avoit toûjours témoignée contre les Catholiques, luy avoit fait prévoir depuis longtemps, qu’il avoit sujet de tout craindre. Mais que cette crainte n’avoit jamais esté assez forte pour luy faire entreprendre aucune action basse ou crüelle : qu’il avoit réglé sa condüite en toute occasion, selon les maximes du Christianisme et des loix du Royaume : et à ce sujet il proteste qu’il n’a eu aucun mauvais dessein contre le
Roy
ni contre l’Estat.
Il déclare qu’il prie Dieu pour la conservation
du
Roy
: et qu’il souhaite que la Religion Protestante püisse estre maintenüe sous le Régne de
Sa Majesté
, dans vn estat florissant. Il avoüe que la crainte qu’il a toûjours eüe de voir changer la Religion en Angleterre : luy a fait faire beaucoup de choses, et que ce seul motif l’a engagé à faire de grands efforts dans les derniers Parlements, pour y faire passer l’acte d’exclusion du
Duc d’York
. Il tasche de justifier cette condüite par les raisons que la pluspart des Membres de la Chambre Basse employoient alors, pour soûtenir vn procédé si extraordinaire, et que tous les fidéles sujets du
Roy
ont desavoüé dans les Adresses présentées à
Sa Majesté
, comme contraires aux régles du Christianisme, et à toutes les loix du Royaume.
Les témoins avoient déposé qu’il s’estoit trouvé dans vne maison où l’on avoit parlé de se saisir des gardes du
Roy
. Il dit qu’il ne s’y est trouvé qu’vne fois : qu’on n’y parloit pas des moyens d’exécuter ce dessein : mais de la facilité qu’il y avoit à le faire : qu’on avoit tenu souvent de semblables discours chez Mylord
Shaftsbury
: qu’il les avoit oüis avec horreur et qu’il s’estoit aussitost retiré : qu’il s’estoit trouvé chez vn des
conjurez avec quelques Seigneurs
, mais plûtost pour empescher le desordre que pour avoir aucune part à vne si énorme entreprise.Il soûtient qu’en cela, il n’avoit rien fait qui dûst estre puni de mort selon les loix : mais qu’il pouvoit estre seulement accusé d’avoir celé ce qu’il sçavoit de la Conspiration. Il se plaint de la sévérité des Iuges, de la facilité des Iurez, et de l’infidélité des témoins : et il dit qu’il auroit pû aisément sauver sa vie en les imitant, mais qu’il avoit mieux aimé la hazarder que de la mettre en seureté en accusant les autres. Il conclut enfin, par de grands reproches contre les Iuges : et il déclare qu’il meurt innocent.
La publication de cet écrit a donné lieu à plusieurs différentes réfléxions. Ceux qui s’interessent à contester la vérité d’vne
Conspiration prouvée par des témoins irréprochables
, et avoüée par les principaux complices, prétendent qu’il ne contient rien que de véritable. Les personnes indifférentes jugeant au contraire, qu’il est difficile que ce Seigneur, en se préparant à la mort, se soit étendu sur ses propres loüanges : qu’il ait accusé les Iuges du plus noir de tous les crimes, qui est de faire périr vn innocent par des subtilitez de chicane : et qu’il ait nié par écrit ce qu’il n’a pû nier en Iustice, croyent que ce discours a esté supposé. Mais quelque jugement qu’on en fasse, il contient des preuves suffisantes pour justifier la condüite des Iuges envers ce Seigneur, puis qu’il avoüe qu’il a entendu plusieurs fois parler des
moyens d’attaquer les gardes du Roy
: ce qui ne ne se peut faire sans prendre les armes, ny sans dessein contre la personne de
Sa Majesté
. Cette action a toûjours esté considérée comme vn
crime de Haute Trahison
, ainsi que les Iuges appüyez sur plusieurs exemples, l’ont prononcé.
La crainte de quelque innovation en matiére de Religion, par laquelle
Mylord Russel
prétend se justifier, a toûjours esté le prétexte des entreprises séditieuses contre le
Roy de la Grande Bretagne
et contre l’Estat. Le fameux
Convenant
ou la ligue d’Escosse, les projets de ligue faits par les Fanatiques, et celuy de l’association faite par Mylord
Shaftsbury
, avoient le mesme fondement. Mais ces prétextes ne peuvent plus servir à justifier de semblables desseins, apres que toutes les Villes et toutes les Communautez d’Angleterre ont déclaré par leurs Adresses, qu’ils étoient la cause des derniers troubles, de la mort de plus de cent mille personnes, du
parricide exécrable
commis en la personne du
Roy Charles I
, et de la rüine d’vn nombre infini de familles.
Il y a encore quelques prisonniers à la Tour et à Gatehouse, et d’autres sous la garde des Messagers, dont le procez sera terminé aux prochaines Assises.