De Vienne, le 6 Novembre 1689.
Vn courier vint donner avis il y a quelques jours, que
le Prince Loüis de Bade
avoit appris de divers endroits, que les Tartares au nombre d’environ trente mille, s’estoient avancez vers la Bulgarie et la Hongrie, sur les instances des Turcs, à dessein de luy donner combat, ou de faire diversion : sur quoy il attendoit les ordres de
l’Empereur
, touchant ce qu’il devoit faire en cette conjoncture. Mais on a publié ici, qu’il y avoit d’autres avis qui portoient que les Tartares estant arrivez sur les frontieres de Walaquie, avoient esté informez des avantages remportez sur le Seraskier par l’armée Impériale : et qu’ils estoient retournez en diligence vers le Budziac, faisant le degast en tous les lieux de leur passage. On ne sçait encore que croire sur des nouvelles si contraires : et on en attend l’éclair--cissement avec impatience. Suivant les derniers avis de l’armée de Hongrie,
le Prince Loüis de Bade
faisoit fortifier Widin pour mettre la place en estat de défense : et ajoûter aux fortifications quelques nouveaux ouvrages des deux costez du Danube. Il avoit envoyé cependant, le Comte de Schlick, vers le Hospodar et les Estats de Walaquie, pour regler avec eux les contributions et ce qu’ils doivent fournir aux troupes Impériales qui y seront logées. Il estoit resolu en cas qu’ils fissent difficulté d’en convenir, d’aller de ce costé là, avec vne partie de l’armée pour les y contraindre. Vn courier fut dépesché d’Ausbourg le 2 de ce mois, pour luy porter l’ordre de differer l’execution du dessein qu’il avoit formé pour attaquer Nicopoli, qui est à quinze lieuës de Widin : et de faire la repartition des quartiers d’hyver à ses troupes, ainsi qu’il le jugeroit à propos, et le plus qu’il sera possible, au soulagement de la Hongrie. On dit que le Comte Picolomini Gouverneur de Nissa et des lieux qui en dépendent, qui a environ cinq mille chevaux et quelque infanterie sous ses ordres, a écrit du camp de Precopia le 15 du mois dernier, qu’il marchoit vers la Macedoine, avec quatre ou cinq mille Allemans, Hongrois ou Rasciens, pour tascher de se rendre maistre de Thessalonique. Mais ceux qui font courir ce brüit, sont mal informez de la difficulté des passages et de la grande distance de cette ville, qui rendent l’execution de ce projet impossible.
Le Comte d’Herbeville a mandé qu’il avoit trouvé les fortifications d’Orsowa en assez bon estat : mais que la plus part des maisons avoient esté brûlées et qu’il seroit difficile d’y loger des troupes
, sans les exposer à souffrir durant l’hyver, de grandes incommoditez.
Les dernieres lettres de la Haute-Hongrie portent que la disette estoit toûjours fort grande à Temeswar : mais cet avis s’est trouvé si souvent faux, qu’on a d’autant plus de peine à y ajouster foy
, que la contenance de la garnison Turque paroist tousjours la mesme. Ces lettres portent aussi qu’vne partie des Spahis de cette place voulant se jetter dans Giula et Ieno, estoient tombez entre les mains des Hussars de Caransebes et de Lugar,qui en avoient tüé et fait plusieurs prisonniers. Le Comte Corbelli continuë le blocus du Grand Waradin : et le Comte Budiani celuy de Canischa. Mais la garnison de cette derniere place ne témoignoit pas estre disposée à demander si tost à capituler, ainsi qu’il l’avoit plusieurs fois fait esperer. Vn courier a rapporté que le peuple s’estoit mutiné à Posséga dans l’Esclavonie : et le Baron de Miglio Commissaire des guerres y est allé en poste, pour tâcher d’appaiser le desordre. Les Envoyez de la Porte ont fait sçavoir aux Ministres de
l’Empereur
, que Mustafa Aga leur avoit apporté des pouvoirs moins limitez pour reprendre les negociations de la paix. Mais comme les Commissaires Impériaux qui en avoient esté cy-devant chargez, sont la pluspart absents, on croid qu’elles seront remises jusqu’au retour de
Sa Majesté Impériale
en cette ville, afin que cependant, les Ambassadeurs de Pologne et de Venise puissent recevoir les instructions et les pouvoirs necessaires. Ces Envoyez ont obtenu des passeports pour renvoyer à Belgrade, environ soixante officiers Turcs prisonniers dont ils ont payé la rançon. Le 12 du mois dernier, vn courier de Rome passa icy, allant porter ordre au sieur Cantelmi Nonce du
Pape
à la Cour de Pologne, de venir icy en la mesme qualité. Le Marquis Negrelli cy devant Envoyé de
l’Empereur
à Rome revint il y a quelques jours : et il partit en mesme temps, pour se rendre à Ausbourg.