De Londres, le 10 Fevrier 1689.
Les deux Chambres ont continüe leurs séances en la maniére ordinaire. Les Seigneurs suivant l’vsage, ont établi vn conseil composé de neuf Iuris consultes qui assisteront aux délibérations, et donneront leur avis sur les matiéres de Droit lors qu’ils seront consultez. Ce sont le sieur
Montague
Chef Baron, ou premier Iuge de l’Echiquier, ou Cour des Finances, les Chevaliers
Atkins
et
Dolben
, les sieurs
Holt
Lévines, Nevill, Petit, Bradbury, et Whéeloke. Le 4 de ce mois, les Seigneurs firent interroger le sieur Bradon au sujet de la mort du Comte d’
Essex
: et deux autres personnes furent envoyées par leur ordre, à la prison de Newgate, estant accusées de l’avoir assassiné.
Ils ordonnérent aussi que tous les Catholiques qui se trouveroient en cette ville, fussent arrestez.
Ils résolurent dans la mesme séance, qu’on écriroit incessamment aux Seigneurs absents, qui sont presque en aussi grand nombre, que ceux qui composent l’Assemblée, pour les prier de s’y rendre. Le mesme jour, les Communes employérent vne partie de leur séance à examiner des témoins sur l’affaire du Comte d’
Essex
, et à écouter le rapport du Committé des Priviléges et Elections, pour examiner celles qui estoient contestées. Le 7, les Communes qui avoient desja commencé à délibérer sur l’estat présent du Royaume, résolurent que la Chambre se tourneroit en Committé général, pour traiter plus amplement cette matiére, et le sieur
Hamden
fut choisi pour Président. On mit en délibération si on devoit pourvoir au gouvernement de l’Estat, en l’absence du
Roy
, et en quelle maniére on le pouvoit faire. Il y eut sur ce sujet, de grandes contestations.
Plusieurs des Députez dirent qu’ayant fait serment au
Roy
, ils ne pouvoient rien entreprendre contre son autorité souveraine et les prérogatives Royales, sans violer leur serment, et sans renverser les loix fondamentales du Royaume.
Ils représentérent avec assez de force, les malheurs que la longue rebellion avoit attirez sur la Nation, et ceux qu’elle avoit à craindre enagissant sur des maximes que les Parlements tenus apres le rétablissement du
Roy Charles II
, le Clergé et les Vniversitez avoient detestées comme abominables, et autant contraires au Christianisme, qu’aux Loix du Royaume. Mais ces remonstrances furent fort inutiles : la pluspart des Députez ayant esté choisis du nombre de ceux qui animez de l’esprit de rebellion et nourris dans les maximes des Presbytériens, estoient capables de tout entreprendre.
Ainsi, il fut conclu à la pluralité des voix, que
le Roy Iacques II
, ayant renversé autant qu’il luy avoit esté possible, les loix fondamentales d’Angleterre, et violé le
contract
original qui estoit entre luy et son peuple, et ayant ensüite abandonné le Royaume, avoit laissé par sa retraite, le thrône vacant.
Ces loix fondamentales qu’ils prétendent que
Sa Majesté Britannique
a tâché de renverser, sont les actes de la Reyne
Elisabeth
, et les autres faits en consequence pour établir la forme de la Religion Anglicane, qui par consequent, n’estant pas plus anciens que la Religion Protestante, ne peuvent estre considerez comme fondamentaux, en comparaison des loix établies dans la grande
Charte
, et particuliérement les actes passez sous Edoüard II et Edoüard III, contre les Spencers et d’autres séditieux. Il fut ensuite, résolu que cette conclusion seroit envoyée aux Seigneurs pour leur demander leur consentement, et faire vn résultat général de la résolution des deux Chambres. Le mesme jour 7, les Seigneurs nommérent des Commissaires, qu’ils chargérent de dresser vne priére qui seroit faite dans toutes les Eglises, pour
le Prince d’Orange
. Ils résolurent de le prier de faire amener en cette ville, le Comte de Castelmaine qui est prisonnier à la campagne.
Ils ordonnérent d’arrester tous les Catholiques qui se trouveroient en cette ville.
Le Duc de Southampton prit séance parmi les Seigneurs. Le 8, les Communes envoyérent aux Seigneurs la resolution prise le jour précédent.
La Chambre se tourna en Committé général pour délibérer sur la question qui fut proposée : sçavoir si vn Catholique pouvoit regner en Angleterre, puisque la Religion Catholique estoit incompatible avec le serment de Suprémacie
établi par Henry VIII, et avec les loix passées en d’autres Parlements, depuis le changement de la Religion. Il fut résolu qu’vn Prince faisant profession de la Religion Catholique ne pouvoit estre Roy d’Angleterre, sous prétexte que cette Religion est incompatible avec le bien et la sureté de l’Estat. Quelques personnes bien intentionées alléguérent ce qui s’estoit passé au Parlement tenu à Westminster en 1685, et le grand nombre de déclarations que toutes les villes et tous les Corps de ce Royaume avoient faites par des Adresses présentées au
Roy
contre cette maxime que tous avoient detestée comme abominable, et que les Vniversitez avoient condamnée : attribüant faussement aux Catholiques qu’ils enseignent que la différence de Religion estoit vn prétexte légitime de prendre les armes contre son Roy. Mais l’avis contraire prévalut à la pluralité des voix. Il fut aussi résolu qu’vn Committé seroit établi pour rédiger par articles, tous les points qui doivent estre mis en délibération dans l’Assemblée. Les articles se rédüisent à ces principaux. Que les milices seront mises en si bon estat, qu’elles pourront estre employées pour la défense du Royaume, sans qu’il y ait vn corps de troupes reglées sur pied. Que les chartes et priviléges des Corps ne pourront reçevoir aucune altération. Que le Prince ne pourra dispenser des loix. Que les Iuges ne pourront estre privez de leurs charges, s’ils ne sont juridiquement convaincus d’avoir manqué à leur devoir. Que le serment que les Roys prestent à leur couronnement sera inviolablement observé. Que le Parlement sera convoqué au moins de trois ans en trois ans : et que le Prince s’engagera par vn serment particulier, d’observer tous ces articles. Le mesme jour, les Seigneurs assemblez en grand Committé, dont le Comte de
Danby
fut President, délibérérent sur la forme de Gouvernement qu’on devoit établir dans les conjonctures présentes. Les délibérations ne furent pas précipitées comme à la Chambre des Communes : mais on mit d’abord en question, s’il estoit plus avantageux que le Royaume fust gouverné par vn Régent que par vn Roy. Apres de longues contestations, les Comtes de
Notingham
,et de Rochester : la pluspart des Evesques et d’autres Seigneurs au nombre de opinérent pour établir vn Régent. Le Marquis d’
Hallifax
, le Comte de
Danby
, les Evesques de
Londres
et de Bristol opinérent pour conserver la forme ordinaire du gouvernement : et cet avis passa à la pluralité des voix, cinquante et deux ayant esté de cette opinion. Le Docteur
Sharp
prescha ce jour là, devant les Communes : et à l’ouverture de son Sermon, il pria pour
le Roy
, suivant les termes prescrits par le livre des priéres communes. Le soir, les Communes s’assemblérent. Plusieurs Députez se plaignirent, de ce que le Docteur
Sharp
avoit . Ils dirent que ce Docteur
Sharp
avoit par ce procedé, fait vn affront aux deux Chambres : et ils demandérent qu’il fust arresté. Cependant, peu de Députez furent de cet avis : et on résolut seulement qu’il ne seroit pas remercié de son Sermon. L’Orateur des Communes informa la Chambre, que
le Roy Tres Chrestien
avoit envoyé du secours en Irlande, qu’vn vaisseau François avoit débarqué à Cork, des Officiers, des armes et des munitions : ce qui estoit contre l’interest du Gouvernement présent.
Il fut résolu de présenter vne Adresse au
Prince d’Orange
, de faire arrester tous les vaisseaux Marchands chargez pour France, et de défendre tout commerce avec les François. Le Committé établi pour les affaires de la Religion fut chargé de faire son rapport le 14 : et les Communes s’ajournérent jusqu’au Vendredy 11. Le mesme jour 9, la Chambre des Seigneurs se tourna en grand Committé, pour delibérer sur l’estat général des affaires, et sur le gouvernement de l’Estat.
On y examina d’abord, si suivant le résultat des Communes, on pouvoit dire qu’il y eut vne espéce de
contract
entre le Roy et son peuple, que Sa Majesté l’eût violé.
Cette matiére fut long temps agitée : et quarante trois Seigneurs fondez sur de puissantes raisons, sur plusieurs actes des Parlements, et sur d’anciennes décisions de tous les Tribunaux de ce Royaume, qui ont souvent condamné cette maxime, comme pernicieuse, ne purent empescher que cinquante quatre ne fussent de l’avis des Communes : et ainsi il passa à la pluralité des voix.
On examina ensuite, si la retraite du Roy devoit estre considérée comme vne renonciation à la Couronne, ou comme vne simple desertion : et le second avis passa à la pluralité des voix.
Apres cela les Seigneurs mirent en délibération le résultat des Communes, pour examiner si on devoit s’y conformer entiérement, ou si il estoit à propos d’y faire quelque changement, il n’y eut rien de conclu ce jour là. Le 10, les Seigneurs s’assemblérent, mais la séance n’estant pas encore terminée à huit heures du soir, on ne sçait pas encore quelle a esté leur résolution sur le point le plus important, qui est de sçavoir si le thrône peut estre considere comme vacant. Les dernieres lettres venües d’Irlande, portent que le Comte de
Tyrconnel
avoit présentement plus de quarante mille hommes sous les armes : et que cent cinquante officiers estoient arrivez aupres de luy : et on assure mesme qu’il a receu de l’argent pour payer les troupes, quoy qu’on fasse courir icy vn brüit contraire. Le brüit court aussi que Mylord Granard, qui estoit demeuré fidele au
Roy
et estoit Lieutenant général, s’est retiré dans le Nord, où les Protestans sont en plus grand nombre : mais on n’a aucune confirmation de la surprise de la ville de Siégore.