Présentation du programme

Pour un inventaire régulier des trouvailles monétaires : numismatique et archéologie

Dédié à l’inventaire des trouvailles monétaires des périodes antique, médiévale et moderne, le programme Nummus est une initiative déjà ancienne. Portant le nom d’une célèbre monnaie romaine, il a été mis en place dans les années 1970 par Mme J. Pilet-Lemière, alors responsable du service de numismatique du Centre Michel de Boüard-CRAHAM. Par le soin apporté à la description et à la localisation des trouvailles monétaires déposées au service pour étude, c’est toute la valeur d’un inventaire systématique associant aux dépôts monétaires les découvertes isolées de monnaies de sites qui retient précisément l’attention. Ce qui, vers cette époque, mobilisait d’ailleurs l’immense labeur des spécialistes, en Allemagne notamment avec l’admirable recueil des Fundmünzen der römischen Zeit in Deutschland Gebhart et alii 1956. Le projet FMRD a pu présenter sa première publication en 1960. (FMRD). Et l’on ne peut que s’étonner du peu de part pris à ce mouvement par les numismates français. Pourtant l’archéologie livre, chaque année, de nombreux dépôts monétaires et autres monnaies isolées. Les causes sont multiples mais, entre autres, augmentées par le caractère interrégional de l’archéologie et la rareté des numismates à même d’identifier et de cataloguer les trouvailles monétaires. En principe, l’on aurait pu attendre beaucoup de la collection Corpus des Trésors Monétaires Antiques de la France Loriot, Nony, Huvelin 1982-. (TAF). Cependant, les dépôts monétaires y sont préférés au détriment des monnaies isolées mises au jour à l’occasion de fouilles archéologiques, comme ils le sont encore dans la récente chronique de « trouvailles » initiée par la Bibliothèque nationale de France À paraître sous la direction de V. Drost dans la Revue Numismatique 2022. . Il faut alors remarquer que, dans ce contexte, la Chronique numismatique paraissant annuellement dans la Revue du Nord depuis 1981, est un très bel effort interrégional pour publier l’ensemble des trouvailles monétaires des Hauts-de-France et territoires limitrophes.

Loin de rendre l’action de J. Pilet-Lemière caduque, le temps l’a, en somme, plutôt favorisé, pour une raison simple : l’absence d’inventaire régulier et national des trouvailles monétaires, quelles que soient leur nature et les circonstances de découverte, représente une perte indéniable pour éclairer et enrichir notre vision de la monnaie. Plus généralement, le constat invite les archéologues et les numismates à travailler ensemble. Cela est d’autant plus vrai que l’apport scientifique d’un matériel spécifiquement contextualisé est aujourd’hui largement admis Voir le bilan dressé Martin 2015. . Les questions relatives aux usages monétaires en sont un, indubitable et précieux pour aborder la monétarisation des sociétés, les pratiques économiques et sociales structurant la vie d’une communauté ou encore la longue circulation des monnaies, avec parfois des phases de décri et de rétablissement dans les circuits monétaires. Depuis les colloques précurseurs des années 1970-1980 Casey, Reece 1974 ; Brunaux, Gruel 1987 ; Clarke, Schia 1989. , les relations entre numismatique et archéologie n’ont eu de cesse de se développer Entre autres : Dubuis, Frey-Kupper 1995 ; Sheedy, Papageorgiadou-Banis 1997 ; Dubuis, Frey-Kupper, Perret 1999 ; Horsnæs, Moesgaard 2006 ; Kaenel, Kemmers 2009 ; Kemmers, Myrberg 2011 ; Duyrat, Grandjean 2016 ; Pardini, Parise, Marani 2018. Il faut également citer la revue Journal of Archaeological Numismatics (2011-) qui est spécialement consacrée à ces problèmes (J.-M. Doyen, dir.). . Autrement dit, il ne s’agit plus de considérer la monnaie de façon autonome, mais de l’identifier – lorsque cela est possible – dans un contexte déterminé, en lien avec son utilisation.

Ce n’est donc pas le moindre mérite de cette perspicacité générale que d’avoir directement accompagné le premier référencement contextualisé des trouvailles monétaires – toutes périodes confondues – entrées au Centre Michel de Boüard-CRAHAM pour étude. Une direction de recherche était forgée, dans le souci de réunir un matériel étendu, quoique destiné, au départ, à un usage strictement interne, propriétaire, et limité par l’absence de standardisation des données qui rend toute entreprise de référencement et de comparaison des trouvailles ardue.

Genèse du programme numérique « Nummus » : Nummus 1 (2010-2020)

Pour que l’enquête alors entreprise devint l’hommage que méritait J. Pilet-Lemière, il fallait en fixant nos propres règles de conduite, établir les normes à imposer à notre matériel de sorte qu’il fût homogène et facilement accessible, tout en permettant d’appréhender aisément un important volume de données. Satisfaire à cette exigence revenait à poser, à l’heure des Humanités numériques, la question de l’utilisation de ce matériel Wigg-Wolf, Duyrat 2017. . La variété des modes de présentation invitait à réfléchir à une solution susceptible d’être la plus utile, non seulement aux numismates, mais à la communauté plus large des historiens et des archéologues. Pour remplir cet objectif, la création d’une base de données en un format plus ouvert, que celle initiée par J. Pilet-Lemière Ainsi, les données collectées furent d’abord consignées sur des fiches papier, avant d’être converties sur des bandes magnétiques, puis versées dans un fichier FileMaker. , et plus facilement consultable fut la condition première. En la matière, nous devons beaucoup à ceux qui, avant nous, se sont investis dans le traitement et la diffusion en ligne des trouvailles monétaires. On s’en convaincra sans peine en consultant des projets d’inventaire apparus pour des secteurs différents de la numismatique : romaine ( Coin Hoards of the Roman Empire https://chre.ashmus.ox.ac.uk , Antike Fundmünzen in Europa http://afe.dainst.org/en/ ), médiévale ( Corpus of Early Medieval Corpus Coin Finds https://emc.fitzmuseum.cam.ac.uk ), transpériode ( Portable Antiquities Scheme https://finds.org.uk , Inventaire des trouvailles monétaires suisses https://www.trouvailles-monetaires.ch ).

Dans ce contexte de systématisation de l’information, nous nous sommes employés à valoriser le témoignage apporté par les milliers de monnaies recueillies par les archéologues et étudiées depuis plusieurs décennies au service de numismatique du CRAHAM. De premiers coups de sonde furent donnés à partir de 2010 avec la création d’une interface de visualisation et de recherche. Celle-ci avait pour but de présenter sur Internet une série de trouvailles monétaires selon plusieurs niveaux d’approfondissement tenant compte à la fois de la description des monnaies et de l’organisation des données archéologiques. D’un point de vue technique, le langage XML ( eXtensible Markup Language ) a été adopté. Il s’agit d’un langage informatique de balisage, au format ouvert et reconnu internationalement pour toutes les données textuelles. En l’absence de standard XML pour l’archéologie et la numismatique, nous avons fait le choix d’une grammaire permettant d’interroger les données descriptives. La grammaire retenue a été l’EAD ( Encoded Archival Description ), qui est généralement utilisée dans le cadre de description de fonds d’archives ou de collection de manuscrits. Au cours des années 2000, une tentative d’adaptation de l’EAD à la numismatique fut cependant essayée, dans une optique certes différente de la nôtre, plus muséographique qu’archéologique, par l’Université de Virginie pour décrire son médaillier Gruber 2009. . Tout l’enjeu de Nummus a précisément résidé à établir une équivalence entre les usages de la description numismatique, de la description du contexte archéologique et les possibilités offertes par le vocabulaire de l’EAD Guihard, Bisson 2012. . De ce travail résulta une première base de données qui fut mise en ligne en 2013.

Développement du programme numérique « Nummus » : Nummus 2 (2020-)

L'idéal, à vrai dire, eût été de développer un modèle plus spécifique pour les trouvailles monétaires. C’est à quoi s’est employée une convention de recherche conclue pour la période 2017-2019 avec le Département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et en collaboration étroite avec le pôle Document numérique de la MRSH de Caen. Outre le souhait d’impulser à l’échelle nationale un vrai travail collectif de signalement des trouvailles monétaires, ce partenariat s’était fixé, dans un premier temps, diverses intentions techniques. Parmi celles-ci, la conception et le développement d’un prototype de base nationale de données, aligné sur les technologies développées dans le cadre du programme Nummus, fut au cœur de nos travaux. Diverses solutions furent alors trouvées, notamment au niveau du modèle de données (structure des données, intégrité des données, procédure de transformation des données, etc.). Pour l’essentiel, les objectifs d’un outil commun furent précisément définis et colligés dans un cahier des charges en vue d’une exploitation plus large. C’est cet outil que nous reprenons aujourd’hui sous une forme beaucoup plus approfondie, car, faute de vue commune sur la manière de s’interroger sur la nature et sur la valeur du témoignage apporté par les trouvailles monétaires, nous avons dû remettre à plus tard la poursuite de notre collaboration avec le Département des Monnaies, médailles et antiques de la BnF. Reculer pour mieux sauter, tant les moyens techniques développés dans le cadre de cette convention permettent désormais de rendre facilement interopérables les données acquises pour un futur projet de base nationale.

C’est ainsi qu’en 2020, un nouveau projet de référencement a vu le jour au CRAHAM ; il a été intitulé Nummus 2 dans la continuité de la première base de données. À l’origine de ce projet réside la volonté de mieux ajuster l’analyse des monnaies de toute nature et de toute provenance. La condition nécessaire et suffisante du jeu fut par conséquent la mise au point d’un outil d’un genre nouveau, permettant de décrire toute trouvaille monétaire, de quelque période qu’elle fût, par des combinaisons de termes désignant chacun un trait distinctif particulier, strictement défini et normalisé par des listes de référentiels. Un modèle de données unique fut alors préparé, afin d’enregistrer et de traiter de manière standardisée aussi bien des dépôts monétaires mal documentés que des ensembles issus de fouilles récentes ou encore des médailliers de musées pour lesquels les provenances des monnaies sont rarement connues.

Le format de traitement retenu pour ce nouvel outil est la TEI ( Text encoding initiative ), qui est généralement utilisée pour décrire des données textuelles. Mais, ce format, selon nous, a pour le défendre une double valeur. Il permet d’abord un balisage extrêmement fin pour une interprétation scientifique plus détaillée que le format EAD. Il propose ensuite un module ( msDesc ) qui est parfaitement adapté pour décrire et identifier des monnaies isolées ou faisant partie d’un ensemble plus vaste (comme un dépôt monétaire). Au final, la TEI offre la capacité d’une indexation rigoureuse des données à travers plusieurs attributs et une liste étendue de valeurs possibles, le but recherché étant de composer un corpus scrupuleusement ordonné. L’importance que ce vocabulaire accorde aux métadonnées de description n’est pas non plus négligeable et en fait un format particulièrement adapté pour l’archivage dans le temps du matériel réuni et l’échange d’informations en rendant possible une connexion directe vers d’autres projets tels que nomisma.org par le biais de Linked Open Data .

Dans un contexte où il n’existe aucun organisme centralisateur pour le référencement des trouvailles monétaires, Nummus 2 est aussi et surtout une base ouverte aux personnes et aux institutions désireuses de pérenniser leur documentation archéo-numismatique. Elle n’est pas, par conséquent, limitée à une présentation des seules trouvailles monétaires qui sont étudiées ou qui ont été étudiées au Centre Michel de Boüard-CRAHAM depuis les années 1970.

Le moyen pratique pour permettre un enregistrement large et collaboratif des données est, d’une part, la mise à disposition d’une fiche de saisie XML-TEI unique – en d’autres termes une interface d’enregistrement direct des données – et, d’autre part, la possibilité de charger et de transférer un tableur (au format excel par exemple) normalisé. À plus long terme, le programme Nummus 2 est ainsi destiné à fédérer au sein d’un consortium (chacune des parties composant le consortium à un représentant au sein du Comité de pilotage : voir la page Contacts ) d’autres compétences et moyens pour valoriser la coopération et le dialogue entre des groupes de chercheurs.ses de diverses régions engagé.e.s dans le signalement et l’étude des trouvailles monétaires réalisées en France. Répondre à cette exigence revient à considérer Nummus 2 comme un lieu dont la vocation est de :

  • réunir au sein d’un outil adapté et interopérable un matériel étendu,
  • harmoniser la description et le référencement des trouvailles monétaires,
  • fédérer des groupes de chercheurs.ses de diverses régions autour d’un outil d’inventaire central,
  • orienter les études numismatiques vers certains thèmes qui pourraient faire l’objet de recherches simultanées,
  • être utile à des non spécialistes intéressés par l’histoire monétaire, économique ou financière.

À travers le programme Nummus 2, nous avons par conséquent le souci de proposer un inventaire régulier, sans ségrégation aucune, des trouvailles monétaires révélées par l’archéologie ou conservées dans les collections publiques. Si l’exploitation historique des trouvailles monétaires est au cœur de notre programme, elle doit permettre en amont de constituer un large réseau de contributeurs et contributrices attaché.e.s à la normalisation de nos pratiques d’enregistrement transpériode des monnaies. Dans ces conditions, l’inventaire reste ouvert à toutes les additions ou modifications.

Données qui peuvent être versées

Plusieurs catégories de trouvailles peuvent être versées dans Nummus 2, avec néanmoins quelques restrictions. Le périmètre d’exercice de ce programme de référencement des trouvailles monétaires est le suivant :

Trouvailles Statut trouvaille Base Nummus 2
1…anciennes, publiées ou non (XVIIIe-1980/2000 env.). Documentation souvent en lien avec des musées ou des correspondances d’érudits. Légal Oui
2…collections publiques sans provenance. Légal Oui
3…archéologiques (XIXe…1950-2024). Légal Oui
4…fortuites vraies (1980/2000-2024) déclarées ou pas. Si pas déclarées, accompagnement vers SRA avant versement dans Nummus 2. Légal Oui
5…issues de prospection illégale mais déclarées en SRA (1980-2024). Légal Oui
6…issues de prospection illégale judiciarisée (1980-2024). Légal Oui
7…issues de prospection illégale non judiciarisée, mais publiée (1980-2024). Illégal À discuter
8…issues de prospection illégale, non judiciarisées, et non publiées (1980-2024) Illégal Non

S’agissant des trouvailles faites dans le cadre d’opérations archéologiques, le versement dans la base ne peut se faire qu’après rendu du rapport d’opération et son expertise par la CTRA compétente.

Sont exclues les trouvailles issues de prospections illégales non judiciarisées, non publiées (1980-2024), point 8. Le point 7 sera abordé par le Comité de Pilotage du consortium, afin de permettre une discussion collective sur le sujet. Cette décision s’appuiera sur la demande d’une expertise juridique avant tout vote concernant la prise en compte de ces données.

Pour aller plus loin, vous pouvez télécharger ici un article dédié au programme Nummus

Pierre-Marie Guihard et Thibault Cardon

1. Gebhart et alii 1956. Le projet FMRD a pu présenter sa première publication en 1960.

2. Loriot, Nony, Huvelin 1982-.

3. À paraître sous la direction de V. Drost dans la Revue Numismatique 2022.

4. Voir le bilan dressé Martin 2015.

5. Casey, Reece 1974 ; Brunaux, Gruel 1987 ; Clarke, Schia 1989.

6. Entre autres : Dubuis, Frey-Kupper 1995 ; Sheedy, Papageorgiadou-Banis 1997 ; Dubuis, Frey-Kupper, Perret 1999 ; Horsnæs, Moesgaard 2006 ; Kaenel, Kemmers 2009 ; Kemmers, Myrberg 2011 ; Duyrat, Grandjean 2016 ; Pardini, Parise, Marani 2018. Il faut également citer la revue Journal of Archaeological Numismatics (2011-) qui est spécialement consacrée à ces problèmes (J.-M. Doyen, dir.).

7. Wigg-Wolf, Duyrat 2017.

8. Ainsi, les données collectées furent d’abord consignées sur des fiches papier, avant d’être converties sur des bandes magnétiques, puis versées dans un fichier FileMaker.

9. https://chre.ashmus.ox.ac.uk

10. http://afe.dainst.org/en/

11. https://emc.fitzmuseum.cam.ac.uk

12. https://finds.org.uk

13. https://www.trouvailles-monetaires.ch

14. Gruber 2009.

15. Guihard, Bisson 2012.