Maistre Pierre Pathelin, texte I (extrait)
Anonyme
Éléments contextuels
1464 ?
xve siècle
Non localisé
Non localisé
Édition du texte
Maistre Pathelin
De cha ! Renouart [au] tiné !
Chu marme n’est-il à la rue ?
Men quien, men quat et ma quarue,
Ma querette et ma grant choucque,
Ung escarbot et une mouscque !
Par l’arme Dieu de quarantain,
En chu boc à Vugny d’auten,
Par ce mor, je ne pas menty.
Je ung golet de porc hay :
C’est une bonne guerbonnée
À la bonne galimafiée ;
Et du chidre ou du peré.
Mydieux, men frere, j’en beré,
Pa che mor, une bonne foys !
Le drappier
Comment peut-il porter le fays
De tant parler ! Las ! Il s’affolle.
Guillemette
Celuy qui l’aprint à l’escole
estoit norment, et se devient
À la fin il luy en souvient.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur le manuscrit par Anaëlle Malheuvre et Patrice Lajoye
Source ou édition princeps
BNF, Français 25467, f° 73 v°-74.
Édition critique
André Tissier, Recueil de farces (1450-1550), t. VII, Maître Pathelin, 1993, Genève, Droz, p. 272-273.
Études
L.-E. Chevaldin, Les Jargons de la farce de Pathelin, 1903, Paris, Fontemoing, p. 342-377.
Commentaire historique et contextuel
Voulant tromper le drapier et faignant l’inconscience, Pathelin se met à parler en divers langages, dont le normand. La version de ce passage en normand contenue dans le manuscrit est totalement différente de celle des imprimés.
Commentaire linguistique
Le langage de Maistre Pathelin possède plusieurs traits phonétiques caractéristiques des parlers normands. Ainsi, l’absence de palatalisation de [k] devant [a] est très présente : quien pour chien, du latin cane(m) ; quat pour chat, du latin cattu(m) ; quarue et querette pour charrue et charrette, dérivés du latin carru(m) ; choucque pour souche, du germanique *tsŭkka, de même sens ; escarbot pour escharbot « bousier », du latin scarabaeus ; mouscque pour mouche, du latin musca, de même sens. Le traitement du [k] latin devant un [e] ou un [i], et de -ti- entre consonne et voyelle, est aussi bien représenté : che et cha pour ce et ça ; choucque pour souche, du germanique *tsŭkka, de même sens ; en revanche chidre pour cidre, du latin sicera « liqueur forte », est un hyperdialectalisme. Ce sont là des phénomènes des parlers d’oïl du Nord-Ouest. Le traitement du ē et du ĭ latins apparaît dans les mots peré pour poiré, dérivé du latin pira, ainsi que beré, pour boirai, forme conjuguée du verbe boire, du latin bibere. C’est là un phénomène du Grand Ouest. Il en est de même de la fermeture de [ar] en [ɛr] dans les mots querette pour charrette et guerbonnée pour charbonnée (avec une absence de palatalisation de [k] devant [a] et une sonorisation de la consonne initiale [k] en [ɡ]) ; ce phénomène phonétique est ici assez précoce puisqu’il est généralement daté des XVe-XVIe siècles.
Pour la morphologie, le déterminant démonstratif masculin singulier Chu, pour ce, et le déterminant possessif singulier Men, pour mon, sont deux formes dialectales normandes.