Maistre Pierre Pathelin, texte II (extrait)


Anonyme

Éléments contextuels

1464 ?

xve siècle

Non localisé

Non localisé

Édition du texte

Pathelin

Or cha ! Renouart au tiné !
Bé, dea ! que ma couille est pelouse !
Elle semble une cate pelouse,
Ou a une mousque à miel.
Bé ! parlez a moy, Gabriel.
Les playes Dieu ! Qu’esse qui s’ataque
À men cul ? Esse une vaque,
Une mousque ou ung escarbot ?
Bé, dea ! j’é le mau saint Garbot.
Suis des foyreux de Baieux.
Jehan du Quemin sera joyeul[x],
Mais qui sache que je le sée.
Bée ! par saint Miquiel, je beré[e]
Voulentiers a luy une fes !

Le drappier

Comment peult il porter le fes
de tant parler ? Ha, il s’afolle !

Guillemette

Celluy qui l’aprint a l’escole
Estoit normant ; ainsi advient
qu’en la fin il luy en souvient.

Commentaire sur l’édition

Reprise de l’édition Tissier.

Source ou édition princeps

Édition critique

Richard T. Holbrook, Maistre Pierre Pathelin, farce du xve siècle, 1986, Paris, Champion, v. 886-904.

André Tissier, Recueil de farces (1450-1550), t. VII, Maître Pathelin, 1993, Genève, Droz, p. 272-273.

Études

Jean Dufournet et Michel Rousse, Sur « la Farce de maître Pierre Pathelin », 1986, Paris, Champion, p. 75-78.

Patrice Lajoye, « La Normandie, le cidre, Gargantua et saint Gerbold », Mythologie française, 217, 2005, p. 12-15.

Commentaire historique et contextuel

Voulant tromper le drapier et faignant l’inconscience, Pathelin se met à parler en divers langages, dont le normand. Le « mau saint Garbot » est le « mal saint Gerbold », autrement dit la diarrhée, Gerbold étant un évêque de Bayeux associé à la dysenterie. D’où la mention au vers suivant des « foureux de Baieux », autrement dit des « clichards » ou « foireux de Bayeux », expression toujours connue dans le Bessin au xixe siècle, mais qu’on retrouvait déjà en 1533 dans les Grandes et inestimables cronicques de Gargantua.

Commentaire linguistique

Le langage de la farce possède plusieurs traits phonétiques caractéristiques des parlers normands. Ainsi, l’absence de palatalisation de [k] devant [a] est très présente : vaque pour vache, du latin vacca ; cate pelouse « chenille » pour chatte poilue, du latin catta(m) pilosa(m) ; Quemin pour chemin, du latin vulgaire *camminu(m) ; mouscque pour mouche, du latin musca, de même sens ; escarbot pour escharbot « bousier », du latin scarabaeus ; Miquiel pour Mich(i)el, de l’hébreu Mikael, latinisé. Le traitement du [k] latin devant un [e] ou un [i], et de -ti- entre consonne et voyelle, est aussi représenté : cha pour ça. Ce sont là des phénomènes des parlers d’oïl du Nord-Ouest. Le traitement du ē et du ĭ latins apparaît dans les mots sée pour sois, forme conjuguée du verbe être ; beré[e], pour boirais, forme conjuguée du verbe boire, du latin bibere ; fes pour fois, du latin vĭces. C’est là un phénomène du Grand Ouest.

Pour la morphologie, le déterminant possessif singulier men, pour mon, est une forme dialectale normande.