Froyer son treu, quy est plus noir que meure


Anonyme

Éléments contextuels

xve siècle

Non localisé

Non localisé

Édition du texte

BNF FR 1719, f°178v°-179

La Chasse et le depart damours, vues 189-190 de la version numérisée par la BNF



Hemy, compains, comment amours s'aplicque !

Eiz en men ceur, quy de trop bucquier locque,

C’est pour Cuaignon, quy n'est belle ne fricque,

Ains est bochue, et des deux jambes clocque.

J’en suis sy prins que ne sçay que je face.

Quant je raouet sa reguignye face,

Et je rouarde la trappaude enfroignie,

Elle me saime sy trèsfort engaignye,

Que toudys paour qu’elle me queure peure.

Pour cheu me fault, pour eschever meslee,

Froyer son treu, quy est plus noir que meure.


[L]ors je luy tappe, inte le tambrelicque,

Ens le poictron men amoureuse brocque.

Mais de tout cheu elle me fait le nique,

Cuydans toudis que d'elle je my mocque.

Lors je suis suer et elle my racache

De son brodier quy sant orde fumache.

Puis, quant elle est de me queue esmoucquiee,

Se panche sent le trippe rescauffee,

Et dit : « Compains, que je monte desseure ! »

Ainsi me fault comme s'est desrenee

Froyer son treu qui est plus noir que meure.


Puis quant el voit que sy fort li berlique,

Et nos brodiers sonnent hault comme clocque,

Elle my donne ung morcel de flammicque

Et de bodin, qui est deles chy pocque,

Et dyt : « Mygnen, je sens en me crevache

Qui le fauldra reffaire cop à cache. »

Puis me rassault celle vielle enfum[…]ie

Et me brandist sur ce panche pe[…

Disant : « Compains, tappes en ceste he[ure] ! »

Donq suis contrains, comme cose jurée,

Froyer son trau quy est plus noir [que meure.]


Prinche, tant fut che grant lai[…

Chen bruar bouatier de me clocqu[e …

Qu’elle me dist : « Compains, Dieu te s[equeure] !

Se tez haitiez, revyens le matinée

Froyer sen trau quy est plus noir [que meure]. »


Prinche paillart, quant j'eubz ainsi macq[ué

De chen wrancel une grand millee gueullée

Je desmygnyay sur cen groing tan en l'eure,

Et se juray que n'iroie de l'année

Froyer son treu quy est plus noir que meure.

Ballade d’un amoureux picart


Hemy compaings comme amour chafique

A l’amant cueur qui de trop bucquer locque

C’est pour aignon qui n’est belle ne frisque

Anis est bochue et de deux jambes locque

J’en suys si prins que ne scay que j’en fache

Quant je rouchete sa requignée fache

Et je rouarde le crapaulde enfrongnée

Elle me semble si treffort engagnée

Quay tousdis paour qu’elle me coure seure

Pourchou me fault pour eschever merlée

Froier chu trou qui est plus noir que meure.


Lors je luy tappe juste la taberlicque

Au chen poitron mon amoureuse brocque

Et de tout chou elle me fait la nicque

Cuydant tousdis que d’elle je my mocque

Lors je la fiers et elle my raquache

De champ brodier dont sort orde fumache

Mais quant elle est de quelqung esmouquée

Elle sent lors sa trippette escauffée

Puis dit compains tappez jus a ceste heure

Lors suis contraint comme chose esboufée

Froier chu trou qui est plus noir que meure.


Quant elle voit que ainsi le berlicque

Et noz brodier sonne hault comme cloque

Elle my donne ung morcel de flemicque

Et de boudins qu’elle prent en ce pocque

Et dit migner je sens en me crevache

Qui le fauldroit refroidir cop a cache

Lors me rassault celle vieille enfumée

Et me brandit sur che panche pelée

Et dit compains que je monte desseure

Pour chou me fault comme chose jurée

Froier chu trou qui est plus noir que meure.


Prince tant fut che landye froiée

Champ vermatiez de me locque fenée

Puis dit hemy or va dieu te sequeure

Che tu es hayte reviens la matinée

Froiez chu trou qui est plus noir que meure.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur le manuscrit

Source ou édition princeps

BNF FR 1719, f°178v°-179

La Chasse et le depart damours, faict et composé par reverend pere en Dieu messire Octovien de Sainct Gelaiz evesque Dangoulesme et par noble homme Blaise Dauriol bachelier en chascun droit demourant a Toulouze, 1509, Paris, Anthoyne Vérard, vues 189-190 de la version numérisée par la BNF

Édition critique

Pierre Champion, « Pièces joyeuses du xvsiècle », Revue de Philologie française, XXI, 1907, p. 161-220.

Marcel Schwob, Le Parnasse satyrique du quinzième siècle, anthologie de pièces libres, 1905, Paris, H. Welter, p. 16 et 274.

Études

Commentaire historique et contextuel

Le manuscrit Français 1719 de la BNF a été écrit par plusieurs mains. Il contient un grand nombre de poésies issues de la cour de Charles d’Orléans, et donc tout naturellement des œuvres de François Villon. Une partie cependant inclut des œuvres anonymes – des rondeaux et ballades paillardes –, qui ont largement servi de base à la publication du Parnasse satyrique du quinzième siècle de Marchel Schwob en 1905. Le présent texte, ainsi qu’une bonne part des autres ballades et rondeaux du même manuscrit, ont été plagiés par le Toulousain Blaize d’Auriol, qui les a mis sous son nom dans sa Départie d’Amour. Cet auteur a, au passage, ajouté un titre aux ballades : ici Ballade d’un amoureux picard. Le texte du manuscrit 1719 est bien souvent très défectueux.

Commentaire linguistique

Le langage des deux versions possède plusieurs traits phonétiques caractéristiques des parlers d’oïl du Nord-Ouest. Ainsi, l’absence de palatalisation de [k] devant [a] est très présente : bucquer/bucquier pour buschier, dérivé du germanique *busk ; locque pour loche, forme conjuguée du verbe loch(i)er « faire branler, agiter, secouer ; branler, boiter », du germanique *luggi « lâche, détendu, mal fixé » ; reguignye/requignée pour rechignée, dérivé du germanique *kīnan « faire mauvais visage » ; etc. Le traitement du [k] latin devant un [e] ou un [i], et de -ti- entre consonne et voyelle, est aussi représenté : Pour cheu/Pourchou au lieu de pour ce ; bochue pour bossue, dérivé de bosse, de *bottia ; fache pour fasse, forme conjuguée du verbe faire ; fache pour face, du latin tardif facia « portrait », issu du latin classique facies… Toutes ces formes pourraient être picardes aussi bien que normandes.

Pour la morphologie, le déterminant possessif singulier men, pour mon, est en revanche une forme dialectale normande. Elle fut aussi picarde en ancien français, mais selon Gossen (Charles Théodore Gossen, Petite Grammaire de l’ancien picard, 1951, Paris, Klincksieck, p. 102-103), « Dès le début, les formes dialectales sont concurrencées par le type francien mon, ton, son […] » et « Il faut croire que les auteurs et les scribes répugnaient à employer l’adjectif possessif dialectal qui leur semblait peut-être trop vulgaire (pic. mod. min, m’n, ém’n, etc.). » Le paradigme de l’adjectif possessif men, ten, sen est attesté en Normandie dans la Vie du Bienheureux Thomas Hélie de Biville (XIIIe siècle) et il est devenu courant dans les textes normands au xvie siècle (René Lepelley, Le Parler normand du Val de Saire, 1974, Caen, Cahier des annales de Normandie, n° 7, p. 126).