La mère de ville


Anonyme

Éléments contextuels

1540 ?

xvie siècle

Rouen

Pays de Caux

Édition du texte

Farce nouvelle a cinq personnages

C’est a sçavoir la mère de ville, le valet, le garde-pot, le

garde-nape et le garde-cul

La mère de ville commence

Il n’a rien qui ne s’avanture,
Dict le Parmentier, bon pilote,
C’est par trop mys, je vous asure,
Quant on court après sa plote.
Les uns me nomment Mère sote,
Despourveue de sens, peu abille ;
Mais, malgré eulx et leur cohorte,
Sy serai ge mère de ville.


Je congnoys les loix de droicture,
Ut sol la my la et la note,
J’ey regenté et faict lecture
A Potiers bonne ville forte.
Je suys vive et non morte,
J’ey sancté, poinct ne suys débille ;
Quelque propos qu’on me raporte,
Sy serai ge mère de ville.


On dict qu’il y aura murmure
Et en danger qu’on ne me frote.
Je n’y prétens gain ny usure,
Mais que l’ommage on m’en raporte.
Je congnoys un porteur de hote,
Un sifleur pourveu par stille.
D’acord suys que la teste on m’ote
Sy je ne suys mère de ville.


Prince, que je face ouverture
De saisine judicature
Et, sy je faulx, qu’on me gredille.
Dont se seroyt contre nature
Sy je n’estoys mère de ville.


Sousyclet y fault qu’on t’étrille,
Car devers moy tousjours tu faulx.
Ou sont mynutes et défaulx
Délaictz et lestres de respit ?
De ses oficiers sy despis
Nouveaulx tu te faictz décorer
et peult estre les mains dorer.
Sergens tu prens pour leur excuse.
Je meure sy je ne t’acuse
En te présentant a la gayne !
Tu congnoys qui j’ey tant de peine
Pour tenir justice royalle,
Et tu me mais en intervalle
De tous ceulx que je t’ay nommés.


Le varlet

O deable je les ay sommés.
O l’ont trestous bien cault o feses,
O craignent leurs partis adverses
Comme la galle de sainct Job.


La mère de ville

Mais où sont y ? Il mectent trop.
Y fault que contre toy j’étrive.


Le varlet

Mon sauvour, qu’estes vous hastive
Vous n’avés pet de pacience !
Ne soyés pet caulde en sentence :
Se serèt pour vous desplacher.
On vous feroyt aler prescher
Pardon a la court souverainne.
Les oficiers de se demayne,
Venés au son de la trompille
Parler a la mère de ville
Sur paine d’estre tous forfaictz !


Le garde-nape entre.

Pugny seray par mes méfaictz
Sy je suys trouvé variable.
Hélas ! Que je suys misérable
Que je n’ay aquicté mes droictz !
J’ey ofencé en mains endroictz,
Et sy j’ey mout favorisé,
Tant le monde est lors divisé,
Qui peult avoir lasché la tierre,
Q’une femme se mecte en chaire
Pour adjurer les gardéans ?


Le varlet

Entrés facilement céans.
Dame, tenés vous sus vos gardes,
Vecyne un de vos nouveaulx gardes :
I fault qu’i soyt de vous examiné.
A c’est quelque maistre domine,
C’est quelque lavour de cullers !
Tant j’ey veu de telz sougoulliers
Estre mauvais aulx povres gens !


Le garde-nape

Dame, le dieu des pasiens
Vous garde de fortune grande !
De cœur a vous me recommande.
Vostre commys nous a sommés
Comme gens très mal renommés,
Se n’avons faict nostre debvoir.


La mère de ville

Vien ça a moy ; je veulx sçavoir
De quel estat est ton estrape.


Le garde-nape

Madame, je suys garde-nape.


Le varlet

Garde-nape ?


Le garde-nape

Ouy, garde-nape.
Je l’ay gardée cheulx le pape,
Cheulx cardinaulx, cheulx leurs esvesques,
Que cherbons volans ne flamèsques
Ne souillasent leur sacré linge.


Le varlet

Myeulx te vauldroict garder un singe
Sans horeilles, sans nés, sans coue,
Que cela de quoy tu te loue.
garde-nape, quel estat esse ?


Le garde-nape

Devant eulx, ny tache, ny gresse,
Ny ordure, ne vilénye :
Veu que leur personne est bénye,
Leur cœur ne seroyt endurer.


La mère de ville

Garde toy de te parjurer.
Es tu garde sy bien sçavant,
Soyt en buvant, soyt en mengant,
De les garder de salissure ?


Le garde-nape

A ! S’il y a quelque brouillure
Mauvaise a lieurs estrangers !
Pour escus pesans ou légers,
Ilz vous les font blans comme fouaches.


La mère de ville

Se sont laveurs de male taches.
Quelz desgresseurs ! A ! Mes amys.
Les abus au monde sont mys.
Gare le bec pour le héron !


Le varlet

Et ! Men serment s’yl est laron !
C’on me l’emprisonne a la gaule
Et c’on me le late et le gaulle
Sy ferme qu’i luy en souvyenne,
Et que jamais il ne revienne !


La mère de ville

Sans tribut va t’en, je te prye.
Soucyclet, c’un aultre on me crye
Et que cestuy sy se sépare !


Le varlet

Il e plus ame qui compare,
Soyt de Lompain ou de Carville,
Venés vers la mère de ville
Afin que soyes despeschés.


Le garde-pot

J’ey tous les peulx du cul dresés
De craincte et de peur véhémente
Car ceste femme qui régente
Et qui tient le lieu de bailifve
Me semble asés vindictative.
Mais s’el me debvoyt escorcher,
Sy me fault il d’elle aprocher,
Quoy qu’el ayt eu de moy raport,
Je suys le garde, garde-pot,
Je suys le garde, garde espée,
Je suys le garde bras, le fort,
garde robe, garde poupée.
Sy sera le de moy pipée,
Sy je puys, car pour tous tribus
N’aura de moy sinen abus.
Quoy ! Mathiolus le Bigame
A il permys c’une femme
Tienne siège et qu’el préside ?
A ! C’est par trop lasché la bride !
G’y voys, en peyne qu’el me tue.


Le varlet

Voecyne quelque un qui s’ague :
Vertu bieu, qu’il a d’astivelles !
C’est Genim qui de tout se melle.
Il est plus dangereulx c’un leu.
Dame, examinés le un peu.
O, deable ! Il est gendermatique !


La mère de ville

Vien ca, dy moy de quel pratique
Tu es ; ne me faictz plus le sot.


Le garde-pot

Moy, dame, je suys le garde-pot,
Garde robe, garde poupée,
Garde bras, ausy garde espée,
Garde boyre et garde menger.


La mère de ville

Tu es gardien estranger.
Et qui jamais vist de tezl gardes :
Gardes canons, garde bombardes,
Garde espieulx, gardes alebardes,
Garde espées et garde bras ?
Jamais le vailant Fierabras
N’eust tant de charges que tu as.


Le varlet

Il a gardé Garguentuas
Quant il trebuca aulx enfers.


La mère de ville

Dictz donc quelz gens c’est que tu sers
Et m’en faictz icy le raport.


Le Garde-pot

Je suys le garde, garde-pot
De madame Relision :
Je garde que le marmiton
Et la marmite qui est creuse,
Qui n’y ayt quelque maleureuse
Personne qui la veuille abatre
Je faictz acroyre de troys quatre
Et de feing faulxche que c’est feurre.
Je faictz acroyre que le beurre
N’est poinct bon au pouesson salé.
Je dix que tel est très sallé
Qui est plus sain que moy deboult.
Et tousjours ma marmyte boult,
Jamais ne me sens de cherté.


La mère de ville

Pour épargner la vérité
Et faire du faulx le certain
Tu as tousjours le ventre plain.
Voela comment plusieurs en font.
Je m’esbays que tout ne font,
Au fort, c’est le règne qui court,
Tant a la ville comme a la court :
Se Monsieur dict, bien est soutenu.
Va t’en comme tu es venu,
N’entre en mon pretoyre jamais.


Le varlet

De ceulx qui viendront désormais,
Non prendrès vous nules pécunes ?
De quoy vivrons nous donc ? De prunes ?
Par la vertu saincte Venise !
Se j’avoys une telle ofice,
Comme vous, ou telle prébende,
Je les taxerès en amende
Sy fort qui seroyent desbauchés.
Pès ! Alés pleurer vos pêchés
Au fosés de la grand bastille.


La mère de ville

Une bonne mère de ville
Ne doibt prendre denier aucun
Tant du riche que du commun,
Se n’est par don d’onnesteté.


Le garde-cul entre.

Je croys que chascun a esté
Examyné, fors que moy seul.
Me fera’lle mourir de deuil ?
Fera’le de mon faict calcul ?
Je suys le garde, garde-cul
Sur toult le sexe femynin.
Doibz je craindre d’entrer ? Nenin,
Car, puys qu’el est de mère ville,
El sçayt bien, quant el estoyt fille,
Comme le sien estoit gardé.
G’y voys, tout veu et regardé,
Et dusai ge estre asacage.


Le varlet

Vecyne un demy aragé
D’entrer : c’est quelque bon payeur.
Je croys que nous sommes en heur
De gens aulx testes a l’estourdille.


Le garde-cul

Ou esse qu’est la mère de ville ?
Je veulx un peu parler a elle.


Le varlet

Toult doulx, ne soyés si rebelle,
Ne faictes du gendermerel.
Je vous jugeroys maquerel
A ver vostre fachon de fere.


Le garde-cul

Faict moy donq parler a la Mère
De ville.


Le varlet

Qu’estes vous caluroulx ?
Et ! Mon seigneur, deportés vous ;
Faire la pourriés sammeller.


La mère de ville

Qu’esse qui veult à moy parler ?
Sousyclet, n’en refuse nul.


Le varlet

Qui estes vous ?


Le garde-cul

Je suys le garde-cul,
Ausy chault que le cherbon de forge.


Le varlet

Garde-cul ! Vertu sainct George !
Garde-cul ! Vertu sainct Crespin !
Vous gardés un friant lopin
Quant les veneurs sont afamés.
Sa sa, jurés et afermés
Et veuilés la verite dyre.
S’y n’y a sceu vous que redire
Ne tremblés pet, asurés vous.
Or ains estiés sy calouroulx ;
Estes vous refroyde deisja ?


Le garde-cul

Jurer ? Je ne jureray ga.
J’aymeroys myeulx perdre la veue.


La mère de ville

Sus quelz gens faictz tu ta reveue ?
Puys que tu as posession
De ceste domination,
Quelz droictz te sont de droict escus ?


Le garde-cul

Je vous donneray dis escus,
Madame, et une jocondale,
Et que jamais on ne m’en parle
De ceulx dont je suys gardéans.


La mère de ville

Ma foy, vous le dires céans
Devant que du lieu vous partés !


Le Garde-cul

Prenés or, et vous departés
De l’enqueste que vous me faictes.


Le varlet

Et ! Ort garde-cul que vous estes,
Pourquoy ne confeserés vous ?
Je vous prendray par les genoulx,
Ou vous mectray a la torture !
Garde-cul vilain, plain d’ordure,
N’aurons nous ja de vous le boult ?


Le garde-cul

Pour argent on apaise toult.
Prenés mon or et le contés
Et pour se jour vous deportés
Des lieux ou c’est que je visite.
Parole vault myeulx tue que dicte :
Cela est escript au Decrect.


Le varlet

Le garde-cul est fort segret,
Madame, chascun le congnoyt,
Et pieux, le lieu n’est pas trop nect :
Il garde l’ort, et gardons l’or.


La mère de ville

Eschapé y n’est pas encor.
Est il pas de faulse nature
Qui n’acuse sa forfaicture
Qu’i treuve sur sa garderye ?


Le garde-cul

Deportés vous, je vous en prye.
J’e donne sent couronnes haultes,
Et ne vous dementés des faultes :
Laisés garder qui gardera.


La mère de ville

Et qui t’en recompensera ?


Le garde-cul

N’ayés soulcy qui se sera ;
Cela ne m’est pas une herbete.
Y ne fault c’une berbiete
Bien empraincte d’un lou servin
Pour avoir sent escus de vin.


Le varlet

N’enquerés pet ou bon vin creust
Car sur tous estas y sont grupt.


Le garde-cul

Il ne fault c’une seur Fesue
Ayant vouloir estre pansue
De quelc’un qui l’ayt regardée,
Et sy je l’avoys engardée,
Alors je perdroys mes profis.


La mère de ville

C’est dont là où tu te fis ?


Le garde-cul

Sy je voys quelque bequerelle
Segrète, g’iray apres elle.
Se son vouloir vouloys garder,
Elle me feroyt desgrader :
J’aroys un licol espouse.


La mère de ville

Tu es un garde trop rusé.


Le garde-cul

Ses chamberieres de chaloinnes,
Dont j’en congnoys quatre dousainnes,
S’en vont jouer hors les fauxl bours
Pour acomplir leurs plaisans tours.
Et, eulx au logis revenus,
Feront des deesses Venus,
Rouges comme poules a fleur.
Et s’y survient quelque moqueur,
Descroteur de chaulse ou semelle,
Et s’y leur dict, « Monsieur s’en melle,
Que vostre veu est sy loingtain »,
Il l’appelleront segretain.
Et luy diront, « Grande pécore,
Capelain vostre langue doré.
Dict a monsieur, ains qui s’ingere,
Que tu luy sers de ménggère,
Tailant vers luy des deulx cotés. »
Prenés mon argent, et m’otés
Du rôle ; j’ey asés parlé.


Le varlet

Il deust avoir le bec sellé !
Plus dict en a que je ne veulx.


La mère de ville

Qui recueilira mes aveulx ?
Faictes venir la garde-nape,
Et le garde-pot, qui n’échape,
Afin que je soys aseuré
D’estre en saisine demourée.
Pour lors, c’est la façon commune,
S’yl y a quelque un ou quelqu’une
Qui veuile joysance prendre
D’ofice, on le viendra reprendre,
Disant qu’il n’a pas asés leu
Pour congnoistre se mal faict veu.
Donc, gardes, oués ma sentence
Qui n’est pas de grand conséquence :
Se contre vous je n’ay peu resister
Me cuydés vous garder d’y asister ?
gardes ingras, eféminés de cœur,
En lieu plaisant pour dechaser l’ereur
S’on me repune et on me tient rigeur,
Dictes a ceulx dont leur langue vacile
Que je ne crains leur cruelle douleur,
Prenés en gre de la mère de ville.
En prenant congé de ce lieu,
une chanson pour dire adieu.

Finis IIIcc lxix lignes

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur le manuscrit par Joanne Lehoux

Source ou édition princeps

BNF, manuscrits, Français 24341, manuscrit de Rouen, dit de La Vallière, f° 144 v-149.

Édition critique

Marie Bouhaïk-Gironès, Jelle Koopmans et Katell Lavéant, Recueil des sotties françaises, t. 2, 2022, Paris, Classiques Garnier.

Études

Joanne Lehoux, Étude de l’invisibilisation des femmes dans des farces et sotties normandes du xvie siècle tirées du recueil de Rouen, Mémoire de Master 2 Recherche en Histoire médiévale sous la direction de Christophe Maneuvrier, 2022, Université de Caen.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique

On observe dans cette sottie une claire distinction des personnages par le langage. La Mère de ville parle un français standard correct, tandis que son valet parle en normand.

Ce texte comporte des traits phonétiques caractéristiques des parlers d’oïl du Nord-Ouest. Ainsi, l’absence de palatalisation de [k] devant [a] est très présente : cault pour chau(l)t, forme conjuguée du verbe chaloir « chauffer », du latin calere, et caulde pour chaude, du latin calida, de même sens ; flamèsques pour flammèches, du germanique occidental *falawiska « cendre chaude », sous l’influence de flamme ; trebuca pour trébucha, dérivé, à l'aide du préfixe tré- (latin tardif tra- pour le latin classique trans- « au-delà de, par-delà ») et de la désinence verbale -er, du substantif de l’ancien français buc « tronc du corps », issu du francique *būk « ventre » ; Capelain pour chapelain, forme dérivée du nom chapelle par suffixation, du latin vulgaire capella, diminutif de capa « manteau à capuchon », etc. L’absence de palatalisation de [ɡ] devant [a] est aussi présente : gaule pour geôle, du latin tardif caveola, diminutif du latin classique cavea « cage », avec un changement de consonne initiale (le mot est attesté en 1101-1106 sous la forme gaiole). Le traitement du [k] latin devant un [e] ou un [i], et de -ti- entre consonne et voyelle, est également bien attesté : fouaches pour fouace, du latin populaire *focacia, substantif féminin issu du neutre focacium « pain cuit sous la cendre », dérivé du latin classique focus « feu » ; fachon pour façon, du latin classique factionem, accusatif de factio « pouvoir, manière de faire », initialement forme participiale du verbe facere « faire »… Il ne figure pas dans ce texte de phénomènes phonétiques des parlers d’oïl du Grand Ouest, hormis une fermeture de [ar] en [ɛr] dans cherbons pour charbons. Nous trouvons ainsi pouesson et non pesson, pour poisson ; la prononciation [wɛ] semble confirmée par d’autres mots, comme Voela pour voilà. Il n’est pas possible en revanche de déterminer assurément si les formes verbales Veu, sceu ou deust conservent un hiatus [ǝy], si elles correspondent à une réduction à [y] ou si elles comportent une forme dialectale normande [ø].

Pour la morphologie, le déterminant possessif singulier men, pour mon, est très certainement une forme dialectale normande. J’aroys, pour j’aurais, est une forme de conjugaison du conditionnel du verbe avoir propre aux parlers d’oïl du Nord-Ouest (Normandie, Picardie, Wallonie) aux xve et xvie siècles, avec une réduction de [awr] à [ar].

Nous ne sommes pas en mesure d’expliquer certaines formes, comme Vecyne / Voecyne (pour voici) ; sauvour, lavour (qui paraissent très archaïques) ; les peulx du cul (avec une forme originale pour le mot poils, un hapax en l’état actuel de nos connaissances).