Ballade. La mere Diu en conchept tres parfouette
Florent Coppin
Éléments contextuels
1533
xvie siècle
Rouen
Pays de Caux
Édition du texte
Argument
Ballade fouette en le serye
En escoutant canter no femme
Monstrant le conchept sans diffame
De le doulche vierge Marie.
Gentilz vvallans, accourez chy bien rade
Pour paroler et dire en motz parfouetz,
Ainsi que du lieu personne se desrade
No pere Adam et Eve estre refouetz
Par le moyen de mygnonnette anchelle
Quy en conchept toute femme prechelle,
Tant que le fieu d’immense eternitay.
Le fouet huquer vierge en maternitay
Car vil pecquiet n’a se chair putrefouette
Pourchou qu’elle est en grande dignitay,
La mere Diu en conchept tres parfouette.
Or q’ung cacun fache au jourduy pennade,
Puisqua che caup nous sont plusieurs biens fouetz :
Pour no santay avons eu le grenade,
J’entendz Marye exempt de meffouetz.
Plusist a Dieu que parmy le fourchelle
Fussent tappeys Lhuters qui blasment chelle
De qui Normandz font le solennitay !
S’elle a portay, par se benignitay,
Diu sen baron, qui tant belle l’a fouette.
Je le soustiens, par toute humanitay,
La mere Diu en conchept tres parfouette.
Jamoys, jamoys il n’en fut de plus sade
Ne qui eust onc les membres si parfouetz,
Jamoys el n’eust le coteron mausade
De vil pecquiet, qui nous rend tous infouetz
My Dieux, elle est en conchept si fort belle
Qu’elle a courchiet le vieu serpent rebelle
Et contre luy toute seule luytay,
Dont est prouvay qu’elle a bien militay.
Sen arme et corps ne fut trouvay infouette.
Pourchou le dys, sans poinct de vilitay,
La mere Diu en chonchept tres perfouette.
Envoy
Prinche, envoyez de bon cueur et haitay
A voz facteurs, lesquelz ont chy estay
Or ou argent, monnoye en leur deffouette
Et de vo rost qui ne soit nyent vvatay
Et nous prirons pour vostre utilitay,
La mere Diu en conchept tres perfouette.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’original.
Source ou édition princeps
BNF, manuscrits, Français 1715, f° 144 v-145 v.
Édition critique
J. Lafond, « À travers les manuscrits des palinods de Rouen, ‘puys d’amour’ et ‘puy de risée’ », Revue des Sociétés Savantes de Haute Normandie, Histoire de l’art, 1958, 12, p. 9-23.
Denis Hüe, Petite anthologie palinodique (1486-1550), 2002, Paris, Champion, p. 338-339.
Études
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Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
La langue de ce texte possède plusieurs traits phonétiques caractéristiques des parlers d’oïl du Nord-Ouest. Ainsi, l’absence de palatalisation de [k] devant [a] est présente : canter pour chanter, du latin cantare ; cacun pour chacun, du latin vulgaire cascúnum. Le traitement du [k] latin devant un [e] ou un [i], et de -ti- entre consonne et voyelle, est davantage représenté encore : conchept pour concept, du latin conceptus « action de contenir, de recevoir » (de concipere « concevoir ») ; doulche pour dou(l)ce, du latin dulcia ; chy pour cy/ci ; anchelle pour ancelle « servante », « vierge » (relig.), du latin ancilla ; prechelle pour precelle, forme conjuguée du verbe préceller « surpasser », du latin praecellere ; fache pour fasse, forme conjuguée du verbe faire ; che pour ce ; fourchelle pour fo(u)rcelle « creux de l’estomac, poitrine », du latin furcilla ; chelle pour celle ; courchiet pour courcié « raccourci, coupé », du latin *curtiare ; Prinche pour prince, réflexe du latin princeps, cĭpis. Toutes ces formes peuvent être picardes comme normandes.
Les déterminants apparaissent d’ailleurs sous une forme picarde : l’article défini féminin singulier le pour la, l’adjectif possessif féminin singulier se pour sa, l’adjectif possessif masculin singulier sen pour son (toutefois le paradigme men, ten, sen est déjà souvent sorti d’usage en Picardie, tandis qu’il tend à s’imposer depuis les xiiie-xive siècles en Normandie).