Ste missive set donnée à Colas Hen


David Ferrand

Éléments contextuels

1637

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Ste missive set « fut ». donnée à Colas Hen, escolier à la Maresquerie, près d’un petit rissel qui coule à Aubette.

Men fieux, j’avon recheu ten grand papier escrit,

Qui a ten pere et mey tins long-temps en lubie,

Ne sçachant que ch’etet, sans Raux qui l’apportit,

Qui no dit : « Chela est la prise de Corbie. »


Ten pere le luiset, mais ainchin qu’un enfant

Fait sen A bi bo bu à se n’apprentissage ;

May, quand je vis « vi ». chela, j’alis q’rir « j’allis querir », « qurir ». Maistre Jean

Qui à nen pu que ly n’entendet ten langage.


Je l’allions estriquer sans l’homme « home ». de Monsieur

Qui vint à notte barre et le print pour le luire.

Y le luit tout ainchin que si l’eut seu par cœur,

Dont y pissirent tous à leu cauche de rire.


Où y rirent le pu, fut oyant que Gallas

Qust « Qu’eust ». les patins dremont o mitan de l’armée,

Et que Corbie estet faite de canevas,

Où ainchin que du beurre y fourrest leu z’épée.


Mais helas ! o dit vray que la grande joüez

Se veit le pu souvent sieuvir « sieuvie ». de grandes lermes « larmes ». ;

En luisant « lisant ». te n’escrit je fume bien troublez,

Oyant que no criet : « Vechy venir les gensdermes « gens-derme », « genderme ».. »


Helas ! y disest vray ; car deux ou trois goujars

Nu pieds, cousus de faim, grimpirent « grinpirent ». à notte barre,

Et bien tost apres eux vint chinq o six soudars,

Qui commenchire à fere un bien grand tintamarre.


L’un criet : « Cha, me n’oste, enviez vite o vin. »

L’autre notte grand pain happit entre ses pattes,

Qui en couppet des drille o geu de tabourin,

Qui juret comme un peintre en avallant no mattes « matte »..


Ces diantres affamez allirent quand et quand

Prendre un de nos moutons dans notte berquerie.

Las ! de mal-hur ch’etet ten martin nair et blanc,

Qui te crijt adieu, allant perdre la vie.


Nos poules j’avez « j’aves ». mis en gros sous un cuvier,

Pensant les recaper de leu méchantes goules.

Mais notte méchant coq se mit tant « mettant ». à crier

Qui l’enseignit enfin la muche de nos poules.


Y l’en mirent boüillir o pot à hau huvel,

Pu qui n’en eut falu pour en sauler quinze hommes.

Tout leu ptits goujars les choulest du muzel,

Comme à notte grand clos no cochons font les pommes.


Che fut la pitié, car y les camaillest

Aveuq de gros bastons sans pitié ny pitiache ;

Ten pere s’engaignit du grabus qui fesest,

Mais il en fesest cas comme d’une écopache.


Enfin estant bien saux et n’eyant pu de vin,

No baillit du doux baire à faire la totée ;

Mais y l’en burent tant que l’endemain matin

Toute notte meson en estet chandorée.


L’endemain esveillez comme rats en grenier,

Fallut oncor sauller de vin ces langues saffres ;

J’estions ten pere et may à nostre astre à pleurer,

Cependant qu’avallest notte bien ces gallafres.


Enfin le tabourin sounit pou « pour ». desloger,

Et che fut là, men fieux, où y eut « ou y lyut ». bien du foudre,

Car y voulest queux nou tout rompre et saccager,

Si n’avest de l’argent pour aver de la poudre.


Men fieux, j’avions vendu trois de nos vieux moutons,

Esperant en poyer un quartier de la taille ;

Y fallut tout fourrer o gris de ces gloutons,

Et ne nou « nou ». en restit queu nou denier ny maille.


A grand peine estions nou d’eux desenbrenaiquais,

Qu’o no z’en ramenit oncor une trainée.

Men fieux, tout est perdu si je n’avon la paix ;

No n’a brin de repos ichite une journée « trainée »..


No n’enten pu paler que cruë et mandements ;

Le curé en devrede en prosnant à la messe.

Si su regne d’imposts duret oncor long-temps,

On verret les trois tiers sortir de la paresse.


J’avon (ainchin qu’o dit) mangé « mengè ». bas et billots ;

Je gremisson de pur d’engager notte terre.

Notte Monsieur a eu un coin de notte clos ;

Mais je la r’atrairon pour tay apres la guerre.


Men fieux, tien tay heureux « hureux ». d’estre asteure à Roüen « à a Rouen ». ;

Appren bien ta lichon afin que tu pisse estre

Un iour à ste paresse ainsi que Maistre Jean « Jan ». ;

Ch’est le pu doux mestier où je te pissions mettre.


Si tu peux, tu viendras fere aveuq nou tes Rois ;

Si n’y a point de soudars, je fron de la galette.

Si tu sais qu’il y en ait, atten un autre fois

Que j’en sions deubadrez, o que la paix set fette.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Douziesme partie de la Muse normande, 1637, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 138-141.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique