Missive du bon fieux Gringore Flacul


David Ferrand

Éléments contextuels

1637

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Missive du bon fieux Gringore Flacul à sa bonne mere Lorenche, demeurant queux la bonne mere Sara, pres la porte o saffran à une ptite rulette à Rouen.

[Stanches]

Ma mere, il y a aurains trais ans que j’estudie,

Et que su men Regent je vois sair « vais soir ». et matin ;

Mais, quand j’estudirais tou le long de ma vie,

Je ne seray jamais su dogue de latin.


J’ay biau me haracher et haller la caruë,

Pour attraper la canche à queuque vieux Docteur,

Je n’avanche à nen « non ». pu qu’une « q’une ». vesse de gruë ;

Je ne seray jamais un grand predicateur.


Y n’y a su la mer pyrate, ny forchaire

Qui sait pu labitay, et y oncor men remors

Ch’est que no me supren en tritre par driere,

Sans me donner laisir de deffendre men corps.


Poure cu ! poure cu ! que tu as en ta vie

Recheu de horions sans l’aver meritay ;

Qu’il a souvent pleuvy dessus ta mercerie,

Et qu’il y pleuvira s’on n’a pitié de tay !


Ma mere, vo veyais une piteuse plainte,

Mais cheluy qui l’envaye est chent fais pu dolent.

Le sair que je recheus vo lettres de Jan Cointe,

J’avais le povre cul oncore tout saignant.


Il y a bien huict mais « mois ». environ « ou viron ». su temps chite

Que je vo z’ieucrivis un gobet de mes maux ;

Mais, pour recommancher, ste lettre est trop ptite,

Car de tieux catimens « catiment ». je rechez à men saux.


Pour aver dit un mot, su Regent en cholere

Dit : « Accede mihi statim correctorem ;

Prodi in medium, Flacu « Flaccu »., vidon d’affere ;

J’en orron aujourd’huy le biau du Tu Autem. »


Pour lors, un grand fesseux, aveuq « avecq ». un bras de diable « dieble ».,

Que tu’ret un torel d’un seul de ses regars,

Lasche un foudre de bois dessu men povre rable,

Qui me fait élinguer le sang de toutes pars.


Y sont à tou momens pendus à men driere,

Ainchin que si ch’tet queuque morchel friand ;

Veulent t’y point ossi y fere une miniere,

Où y deivent trouver les tresors du Ponant ?


Vo diriais à les vair quand y me tienne « tiennent ». à quatre

De nouviaux conquerants « conqueteurs ». dessu la toizon d’or,

Tant y sont acharnais à m’en povre desastre,

Disant : « Tange, tange. » Chela veut dire oncore.


A ches mots dégainais « dégaizez ». la bataille redouble ;

Je crie : « O meudre, o meudre ; à l’ayde ; [je] sis mort « à l’ayde sis mort ». ».

Lors qu’un chetif satis vient appaiser su trouble,

Et ramene ma nef toute brisaye au port.


De montrer à ces gens la moindre resistanche

Cha est assez commun ; mais y n’y fait pas bon.

L’y en eut devanthier un qui « devanthier qui ». se mit en deffenche,

Mais y fut estrillay en double carrillon.


Quand j’ay eu men paquet, je ramonte mes cauche,

Bien hureux d’estre oncor quitte « quite ». à si bon marchay « marchey ».,

En regardant tousjours su fesseux d’un œil gauche,

Ly fesant mille veux pour sa prosperitay.


Asnes, qu’o z’estes hureux d’estre hors de ste peine « pain ».,

No ne vo z’etert point si souvent le garet ;

Vo n’estes point subjects à la culler de quesne,

Cum qua chabulamur, et à gauche, et à dret.


De me faire carleux n’y a point d’apparenche,

Car clie sont « che son ». des Docteurs qui sont trop glorieux.

Pauure cul ! resous tay a faire penitenche

Jusqu’à tant qui te sait arrivay un ptiot mieux.


Je say bien o qu’il y a une pu grasse escuelle,

O je serais traitay aveuque mains de frais ;

Mais y fodret torcher le cul à Madmoiselle,

Je laisse cha à faire à Messieurs les Ouyvets.


Quand vo viendrais ichy, venais vair le colliege « college ». ;

Amenais aveu vou men ptit frerot Colas ;

Y verra dans no clache un armaye de siege ;

Mais pour vous autre femme, creyez may, n’y entrais pas.


Che n’est pas toutefais nullement qu’on les craigne,

O bien qu’on « q’on ». ait pur d’eux, aveu leu bavolet ;

Mais chais gens qui apragne à paler et qui enseigne,

Craigne qui ne les trouble aveuque tout leu plet.


Boutais pourtant le nais dedans ste grande plache,

Laquelle est tout ainchin faitte que notte cour ;

Prenais que la sixiesme est notte estable à vache,

Et que le portier est comme dans notte four.


J’en dirais bien oncor et chent fais davontage,

Mais y ne faut hober ; le dernier est sonney.

Que sert tant de fratel ? Y n’est que le village ;

Le pain y est milleur qu’à la ville un patay.


N’y a rien de nouvelle o brit « nouvelle brit ». de la Gazette,

No ne remerque rien qui set digne a conter « coter »..

Gallas, et Jan le Vert ont perdu leu mazette,

Et si, leu canon est enterré pour st’yver.


Ayais tousjours fiquay dedans votte memoire,

Votte fieux qui se tuë à forche « force ». d’estudier,

Et trachais un petiot dans notte vieille aumoire

Si l’y a point un bonnet pour ma teste st’yver.

Vostre tres-amer Fieux et yescolier.

Jean Flaccu.

Fin.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Douziesme partie de la Muse normande, 1637, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 142-146.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique