Les nouvelles nouvelles


David Ferrand

Éléments contextuels

1638

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Les nouvelles nouvelles yeuxtrettes du Buriau estably sur la Boise de no quartiers, proche du Plat, au bout d’en bas de Saint Nigaize.

Stanches

Pis qu’o z’est crevieux d’entendre les nouvelles

De tout chen qui s’est fait depuis peu dans Roüen,

Je vo z’en veux prosner chinq o six des pu belles,

Partant que les causeurs n’ayent point de quen quen.


Tout chen que je diray ne sera que merveilles

Pour servir d’antidote o z’esprits captieux.

Qui ferment dont le cul et ouvvrent les oreilles,

Et qui ne mouvent pas seulement que des yeux !


Cha vitte, commenchon l’histoire journaliere

Et vayons qui sera prumier su le burel ;

Je me deffy’ desja que queuque pessonniere

No voudret brelanguer queuque sujet nouvel.


Et bien, qu’est qui l’y a ? Jeanne qui toujours pleure,

Dite chen qu’ou z’avez size en votte baquet :

« Qui l’y a, men bon Monsieur, il y a plus de deux heure

Que dans men bagoulier je retiens men caquet.


« Men mary, qu’ou sçavez qu’un vray Gausiaume,

A vendu tout men bien sans me laisser un plat,

Et quand je ly ay dit : Pourquay chela, Guillaume ?

Y m’a dit que ch’estet pour aver un estat.


« Un estat, ce ly fis-je ; quay ! tu n’est qu’une beste

Qui n’a jamais apprins te n’A B C par cœur.

— Tais-tay, morbleu, tais-tay, chen que j’ay à la teste

Y sera fait ; ossi j’en eray de l’honneur. —


« Je devins toute reux et men sang s’en triboüille,

Doutant s’il estet fos ou plein de vin nouvel ;

Je m’assis pres de ly, je le baise et catoüille ;

Bref, je fis chen qui faut pour sçaver un secret.


« Dans tout se z’ergumens, par saint Pierre et ma mie,

Set de pur ou de joüais qu’o sait que les femme ont,

Men caquet s’abaissit, et je tombe espaumie

Et je me laissis quair les quatre pieds dremont.


« Quand y me vit ainchin pasle et defigurée,

Que j’estait queuë en bas, molle coume un drapel,

Y me print sous les bras, et m’ayant relevée

Me replache le cul dessu me n’escabel.


« Y me baise, et me dit : « Agare ! tien, ma fille,

L’estat que je pourcache est d’estre chercuitier,

Car no z’en a crié chinquante en cette ville ;

Je ne sçache à present un pu milleur mestier.


« Je vendron du sallé, chervelats et sauchiches,

Chen que n’ozeront pas faire les patichers ;

Je vendron du gargot, du pain-benist à Suiche ;

Y n’y a rien qu’à s’entendre aveuque les bouchers.


« Les taverniers n’eront besoin de chambrieres

Pour porter de la cher, de netyer leu plats.

No z’enveyra o pluc « plud ». ossite les tripieres ;

Leu matine « matines ». et leu mos ce sera pour les cats. »

« Ayant fait su sermon, y hapit notte porte,

Avallit no degrez et dit resolument :

« Je m’en vois à Paris, » d’où premier qu’il en sorte

Dieu permettra qui set chercuitier à Roüen. »


— Vrayment, dit Louyse ; alors, pis qu’on pale d’office

Me n’homme en era un ossite « essite ». ; y l’est royal ;

Y portera les cornes à la belle jutice

Qu’o pretend installer o bourg de Dernestal.


« Le pretore est loüé, la quaire est à sa cache,

Les proculeux sont faits, ossi les z’avocats,

Et tieux offices n’ont couté une écopache ;

De vray y l’a fallu un ptiot friper les plats.


« Le Juge s’est trouvé plusieurs fois à la feste,

Là où il a fait vair tou ses briborions ;

Vray est qu’ayant esté à d’ocuns à l’enqueste,

No m’a dit qui l’ont eu du feurre sans cochons.


— Hors d’estat, dit Anez, men mary sait bien vivre

Sans qu’un dret annuel ly donne de tourment,

Et li sen trafiq n’est que de rondiaux de cuivre

Que no coupe et yetampe illoq prez S. Vivien.


— Le vela bien plachey. Est-’ty de ste racaille

Qui no forge des double afin d’aver notte or ?

Ches pieches là qui font ne vallent pas la maille ;

Qu’est che qui les voudra fiquer dans son tresor ?


« Si plaist jamais à Dieu qu’o z’ait une criée,

Et que no gratte un ptiot le prurit des galleux,

Biaucoup de gens qu’o sait n’en feront la gohée ;

Phebus pour un licos y rera ses queveux.


— Est che fet ? » dit Lyson, qu’etet toute fachée,

Sans saver sen courroux ny chen qu’o l’y avet fet ;

No z’eut dit qu’a leu sa graode delachée

Comme en se furlufant sen dire a l’aprestet.


« Je ne veux point paler de ses forgeux de cuivre ;

Chen qui me tien o cœur, ch’est de ses candeliers :

J’eus la candelle d’eux hier à six sols la liure,

Et y l’ont rencherie ennuit de huit deniers.


— Qu’i fera-t-on ? Chacun tache à gagner sa vie ;

La marchandise est chere et l’impost est dessus.

— Tu no z’en baille bien, par le jour de ma vie ;

Si l’y a de l’impost, y l’ont fait o Baqus.


« Y no baille du suif fait de chaux de tripieres,

Qui coule tout ainchin que les vers de Ronsart ;

Ossi les Portungais n’usent de leu lumiere,

Car y disent qu’a sent comme un fumet de lart.


— Qu’i feret t’on ? Chequ’un joüe du tire à tire ;

Le povre en a le pire ; et je m’en sens par fais.

J’ay esté su su quay bien chen fais pour le dire,

Sans aver su aver un bardage de bois. »


Adieu ch’est trop prosné ; finissons la gazette,

No verra d’autre cas dedans mes Cans Ryaux.

Allez vous z’en, mettant les mains à vo pouquettes,

Pour saver si queuqu’un n’y a point fait miaux.


Toutefais arrestez ; vechy les filachieres

Qui m’ont mis un factum de leu procez en main,

Qu’est forgé contre ceux qui font des cordelieres ;

Y seront bien chinq chens dans le Palais demain.


Je n’ay point veu leu cas, et si l’affere est nette ;

Je trouve niomains qui doive « doivent ». aver le dret.

Qu’est qui leu baillera du pain à leu souffrette,

Si ne font le mestier que leu Mestresses ont fet ?


Y faut qu’un checun vive, et si l’ieuxperienche

Des cordonniers en teurds, o tant que diablotins,

Qui s’en aillent o piautre aveuque leu scienche !

Y faut que vive ossi de chen qui l’ont apprins.


Si no fet leu mestier, que fera tant de filles

Qui vivent de reteudre, aveuque leu fusiaux ?

Y faudra pour disner qui baillent leu guenilles

O s’en aille en courroux nier de mall z’iaux.


L’y en avet un là haut su le mont de la Boüille

Qui en fezet pu par jour que tout su corps ne fret ;

Mais no ly fit le nez ainchin comme une andoüille,

Et si, sen moulin fut jetté o hariplet.


Les reproches que font les parties à ces femmes,

Ch’est que de leu lissiaux les fils sont differens ;

Mais le tout bien pezé, ce sont là peu de blasmes,

Y leu sera permis mettre le gros dedans.


Y gagneront ossi, quand à chen que j’en pense ;

Mais qui en voudra saver du fond iusqu’o coupiau,

Qui s’en vienne demain à la grand odience ;

L’advocat en dierra pus que may o barriau.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Quatorziesme partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs Ouvrages Facetieux, en langue Purinique, ou gros Normand, 1638, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 168-173.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande,
1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique