[Lettre d’une mere à son fils]


David Ferrand

Éléments contextuels

1638

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

[Lettre d’une mere à son fils]

Stanches

[…] Le titre et la première stance sont manquant dans toutes les éditions.


Je l’ouvris et luisis à travers des ruines

Des letres que la gresse et les dais effachaiz

Chez quatre mots latins su le seüil de matines :

Domine labria millia peries.


Je m’aprestais à luire encore queuque chose,

Mais j’avais biau ouvrir le z’yeux et le gavion,

Tout y estait si nair qu’apres une grand poze

Je n’y sus debagler qu’un adjutorion.


Je te voulions brasser pour passer ten Coresme

Queuque petit baril d’excellente bechon ;

Mais si je l’y en feson, dime nou à no mesme,

Y pouayera six fais autant que sa ranchon.


Mande nou chen qu’on dit de la guerre et des troubles,

Si no ne pale point d’aver bien tost la paix,

Et d’où vien que no vait asteure tant de doubles

Qui pour estre tous neufs sont si mal étampaiz.


Sçache etou un petiot, men fieux, et no le mande,

Si le sel est oncor ossi cher qu’il estait.

Pour may « moy »., je ne sçais pas, si en bref y n’amende,

Comme je pourron vivre à la chertay qui faict.


Je prijs l’autre jour ma vaisine Noüelle

Qu’a m’en eust pour un soult o fond de sen chabot ;

Je te jure ossi vray que vela la candelle,

Y n’y en avet point pour saler note pot.


Il a estay un tams que j’avions une etrape ;

Mais je somme etrapais comme des videcos,

J’avon taille, rebiots, soudarts, emprunts, etape,

Et pas une quemise à note povre dos.


Oncor si che n’estait su prelart secourable

Qui veille incessamment pour notte bien à tous,

Pour may, ie ne sçay pas dans su temps miserable,

Parmy tant de malheurs che que serait de nous.


Note peti Dauphin… ; mais, à propos de botte,

Queque no fi de bel par devers tes quartiais ?

Je fime un si grand feu de note vieulle hoste

Qui j’en brulis quasi le bout de mes souliais.


Je n’oüyme jamais un aintieul tintamarre ;

Tous les canons fesaist baux daux, baux daux, baux daux ;

Et pis, quand no z’etait grimpay su note barre,

No z’en vayait de loin sortir de gros flambiaux.


No dit qu’a St. Germain l’y avet des fontaines

O le vin brouissoit à travers les tuyaux,

Que no z’en emportait de grandes canes plaines

Et qu’on l’abandonnoit à la pillemiaux.


Bien que je ne sais point une astrologneresse

Et que je n’aye point consultay le devin,

Je devon esperer un regne plein de gresse

De ces rissiaux si doux qui vomissent le vin.


J’avon dans note seule une vieulle baissiere,

Que ten pere enfoncit et boutit su le cu,

O no venet pucher ainchin qu’à la riviere

Tout le sair jusqu’à tant que no n’en trouvit pu.


Note maistre disait hier essair à ten pere

Que se n’estat estait asteur…, foin qu’est chy ?

J’ay desja oubliay : ch’est un mot comme here ;

Mais il y a asteur bien du revenezy.


Car y n’ont pas estay lontans hereditaires ;

O dietre ! Vla le mot que je trachais tantot,

Piqu’o n’a reboutay le palot en lumiere

Et qu’asteur on est pris comme de vrays palots.


Tant pus j’allon avan, tant pus y no z’empire,

Et, dans les grands malheurs o je somme embourbais,

J’erions meilleur besoin, si le fault ainchi dire,

D’aver des curedents que tant de chercuitiais.


Mais que dit Jean de Verth dans le bois de Vinchenne ?

Tient y bien là dedans tousjours sa gravitay ?

J’apprins hier à la faire, en vendant no revenne,

Qui cudit s’ecaper, mais qui fut retrapay.


Ch’est un affreux matin comme il est en peinture :

Je le vime a l’otel de monsieur le Curay ;

Mais j’en ris tou men sault de vais sa grosse hure

Et sa gueule qui tient un arpent en carray.


Il a de gros yeux gars, un minois effroyable,

La fache historiaye et le trais rubicond,

Les jos et le menton et la barbe de diable ;

Bref y n’a rien de bel qui ne sait furibond.


Mais je m’amuse ichy et laisse men menage,

Et causerais chent ans sans qui m’en ennuyit.

Ch’est pourquay je te dis sans flanner davantage.

Adieu, men povre fieux, ma lessive s’enfit.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Quatorziesme partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs Ouvrages Facetieux, en langue Purinique, ou gros Normand, 1638, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 174-177.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique