L’Esmotion roüennoise. Dialogue
David Ferrand
Éléments contextuels
1623
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
L’esmotion « L’emotion ». roüennoise
Dialogue.
Alixis, Dieu te gard ! Quement « Quemeut ». te va, biau « beau ». sire ?
De queu pays viens-tu, que tu es si hesqueux ?
Je ne t’avions brin veu du depis la Sainct « saint ». Gire,
Que j’estais ainchin souz « saux ». oprés ses Chatrieux.
— Du depis su tens là j’ay bien eu su men « su meu ». hiaume ;
J’ay bien raudé la coste en yeuxtresme douleur « doulleur ».,
J’ay trainné la rapiere en un chertain « certain ». riaume,
Où ch’est que j’ay cudé trespasser de frieur.
— Alixis, me n’enfant, tout le corps « tou le cords ». no frechonne,
Tout note sans « sens ». gremit de su piteux effect « effet ». ;
Mais, si tu as laisir, prens la quaire à Yvonne,
Et no desrengle là l’histoire tout à fait.
— Tu l’orras, si tu veux avair la patienche ;
La memoire « memore ». me fait venir la lerme à l’œil ;
Toutefais, s’ou voulez me donner du silenche,
Je vo dieray « diray ». comment arrivit su cabeüil « se cabeüil »..
J’estais en guernison dans Rotho l’artisaine,
Quand ch’est qui vint un brit parmi tous les quartiers « tou les quartiez ».
Que nos alét lever la sepmaine prechaine
Je ne sçay queul impots dessus les vivandiez.
Comme no z’apperchet que st’affaire s’avanche,
Le quemun en murmure « murmule ». et se veut engaigner,
Va dret o quemandeux dire aveu doulianche « o commandeux dire avec douliancœe ».
Que no ne pourret pu sa povre vi’ « vie ». gaigner.
Les femmes, qui n’avest à la gueulle la cranque,
Y courest enflambez comme un rouge tison,
Le queveux esboulez « éboullez »., le poing dessus la hanque « hanqhe ».,
Disant : « Par saincte « sainte ». Barge on no fera raison.
« Qu’ez qu’o no veut brasser ? queux affaire son chloque ?
Songe point accueillis « acœillis ». d’assez de povretez ?
Avonge point assez de poux et de freloque
Sans que je sions oncor de rechef labitez ? »
Les quemandeux veyant une tieule « une telle ». hesmée
Dirent bien promptement a ste quemunauté « communauté ». :
« Ne vo furlufez point, car ch’est chose assurée
Que no vo fera dret, justice et esquité « jutice et équité ».. »
Mais quay ! ste populache oncor pu fort s’éfouche « s’eforche », « s’éforche ».,
Rognonne entre ses dens d’une estrange fachon,
Et pis se va jetter comme beste « bète ». farouche
Su deux ou « deux o ». trois maisons dont on « dont a ». avet soubchon.
« Ceux chy, disest d’ocuns, sont su note registre « regitre ». ;
Avanchez vous, garchons ; que no se montre preux,
Qu’on se glinche dedans, qu’on fache « qu’on faehe ». du bigistre « bigitre ».
Et qu’on baive sen saux de nouvel et du vieux. »
Il entre donc tretous de grand esquilbourdie « de grand’ équilbourdée ».
Et vont dret o chelier enfondrer un tonnel,
Et alors sans godet avecq leur industrie « sans godet ny sans tasse dorée ».
Beuvest « Buvest ». à reposez à mesme leu « leur ». capel.
Mais les pus « plus ». avisez furent rincher l’aumere,
Non chelle « Non celle ». de Cerés, mais la sienne à Midas,
Et tout subtilement « subtillement ». fique dans leu « dans leur ». bresliere
Quatre o chinq long saquest où estet le goumas.
Tou le menu fretin accourut à l’envie,
Et checun se forchant d’en rabler « d’arabler ». sen morcel,
No veyet « voyet ». emporter une robe, une scie,
Un coffre, un caperon, une table, un mantel.
Un parpoint « pourpoint »., un gredil, une espée, une chouque ;
Un tapis, un coutel, un croq, un viollon,
Une marmite, un gond, une robe, une pouque,
Un corset, un bonnet, un lict « lit »., un morillon.
Un cauderon, un broc, une vieuille « vieille ». lanterne,
Un rechaut « reschaut »., un baril, une queire, un soufflet,
Une couche, un habit, du fil « un lit »., une quinterne,
Une cage, un linot, une celle « un gredil »., un buffet.
Mais de quay je ris bien, che fut de vair Noüelle
Qui perdit sen garcul et un de ses chabots,
Et n’eut pour tout butin que deux bous de candelle,
Un paquet d’alumette et chinq « cinq ». o six chibots.
Su jour là se passit, et l’endemain les ritres
Venest « Venez ». de tous costez se bouter à mouchel
Et disest à par eux : « J’estions hier bien blistres
Que je n’eusme tretous note part o gatel. »
Chequ’un dit sa palée et s’en vindrent d’engaigne
O chelier pu prechain de su bel estandart
O no veit chez guerrieux du tens de Charlemaigne
Qui sont quatre affourquez su le cheval Bayart.
Ils enfondrerent là les poinchons « poinçons ». de rudesche,
Et gapillest le vin ne pu ne mains que l’iau ;
Mais en petiot de tens il y eut si grand presche
Que tieu « Que rien ». n’en reportit que demiart dans un sciau.
O d’un autre costé il estest davantage
Qui esguchest leu gris pour plumer un oisel,
Oisel qui se sceut bien rebifer dans sa cage
Premier que s’envoller dret dans le vieux catel.
A l’hostel de la Pelle « de la Pule », « de la Piele ». on poursieut « on poursuit ». la ruine
S’escauffant là dedans en joüeux de tripot ;
Mais d’ocuns, pour avair « avoir ». fleuré dans la cuisine,
Ont ressentu les coups de la cueiller à pot.
La derraine maison où ch’est qui s’adrechirent,
Che fut à che qu’on dit o quartier « au quartier ». à poriaux
Où ch’est que les pus drus à mouchiaux s’enrichirent,
Happans et entrainans « Happant et entrainant ». les quaines et joyaux.
Durant tout « tou ». su « le ». cabeüil, la Justice « Jutice ». et genderme
Varoüillest jour et nuict « nuit ». pour y remedier,
Mais les autre « les autres ». alurquis n’avest brin pur de z’erme,
Mais aveu des cailloux faisest tout foudrier.
No le z’ut bien blecher, vere mis sur la plache :
Mais quail no z’avet « no avet ». pur de les trop engaigner ;
Et pis y faiset mal, estant tout d’une rache,
De bailler o fossiez de l’argent à gaigner.
La balanche estait là « estant là ». elle mesme en balanche,
Veyant un tieu sabat par chez gens sans raison ;
Toutefais a l’usit d’une grande prudenche,
Faisant happer « haper ». plusieurs qu’on boutit en prison.
Le z’autres effritez s’en piquent o vilage,
Par la port à navets, pa « par ». la porte à l’ognon,
Pa la porte o poriaux « Par la porte o poriaux »., pa la porte o fromage,
Pa la porte o saffran, et par chelle o cresson.
Je dréche « dresche ». o mesme temps me z’ieux « les zieux ». devers la nuë,
Rendant grace o bon Dieu de n’aver point grippé « gripé.,
Aymant « aimant ». mieux mille fais qu’on vaige « qu’on veye ». ma piau nuë
Que d’aler gravoüiller et pis me vair happé « hapé »..
Pis je crains les frechons et qu’un valet de cambre
N’eut le quemandement pour un mal si cruel « ne fut enfin forché pour. »
De me frotter le dos de serviette de canvre
Pliée à la fachon de queuë de pourchel.
Helas ! y vaut bien mieux n’aver qu’un ptiot de miche
Que d’en reprendre ainchin tant et le regosiller,
Ou bien estre nercis à jamais d’une ecmiche
Qui dait la conscienche à l’homme resveiller.
Vela, mes bons amis, la pu grande parchelle
Et le pu princhipal de tout che que « ce que ». je sçay.
O s’ou z’avez chinq sous, baillez les à Michelle,
Pour l’enveyer o vin, car j’estrangle de say.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
La Premiere et seconde Muse normand ou Recueil de plusieurs ouvrages facetieux en langue purinique, ou gros Normand. Recueillis de divers autheurs, s. d., Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. I, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 24-29.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
Le soulèvement populaire dont il est question ici eut lieu le 16 novembre 1623, et continua le lendemain. La foule voulut se plaindre devant le Parlement d’un huissier nommé Le Mercier, venu de Paris vérifier l’application d’un édit sur la création de plusieurs nouveaux offices. Dans un soucis d’apaiser la foule, Le Mercier fut emprisonné à la Conciergerie du Palais du Parlement.
Commentaire linguistique
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