Ste lettre missive
David Ferrand
Éléments contextuels
1639
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Ste lettre missive
sait « soit ». fidellement donnaye à ma mere Olive, fame de men povre feu pere Tienne Fichu, à qui
Dieu daint bonne « bone ». vie, demeurant au bout de la ruelle qui est tout vis à vis du prainseus de note village
de Revenesi.
Ma povre chere mere, helas ! que j’ay d’angoisses,
Et de labit o cœur aveuque le latin ;
Devant qui sait un an, je n’eray pu « pas ». de fesses,
Et vo verrais men cu s’en « s’en s’en ». aller brin à brin.
Si j’eusse bien pensay qu’on fiquist par driere
A grands coups de balay le latin comme on faict,
Su taboureur du cul « taboureurs de cux »., su tailleurs de croupiere,
N’eut jamais eu l’honneur de vair men petit faict.
Je vo contis anten, si j’ay bone memore,
Comme j’estais ichy diablement étrillay ;
Mais, helas ! su temps là che n’estait rien oncore,
Car y m’est empiré de la fine métiay.
A grand poine « peîne ». o matin ay-je ouvert la paupiere
Qu’on entend brimbaler, pain perdu, pain perdu ;
« De pis sait faict de tay » (dis je tout en colere)
En sautant de men lit et me grattant le cu.
Alors tout époustay et tout hors de mey-mesme « may-mesme ».
Je ramasse à tâtons vistement mes souliais,
Prends un quignon de pain, men capel et men thiéme,
Pis je m’en cours ainchin « ainchi »., contrefezant le niais.
Seigneur, assiste may ! me vla où faut que j’aille,
O putost pour mieux dire o fin fond de l’enfer,
Où je suis martiray aveu de la marmaille « marmille ».,
Qui faict un tieul sabat qu’on ost pas Dieu tonner.
Dedans chez « ches ». Decuris « Decutis ». no s’entre-haquebute,
L’un crie : « Hague le dos, » l’autre crie le z’A A ;
Stichy saigne « saine ». du nais, l’autre fait la culbute ;
Vla tout le passetans et le plaisir qu’on z’a.
Mais che n’est pas là tout ; ch’est bien la dieblerie ;
Quand y fault rechiter, j’ay un gros Cu de Lyon,
(Dis je un Decurion) qui me faict belle vie
Si par hazard je fourche un ptiot à ma lichon.
Il a un petit feuillet « un feuillet ». o qu’il escrit o tiltre :
Taboura ultieme Decures O sentis,
Pis y met : Jean Fichu neschit se z’eclotrite,
Ny des ptits « despits ». patez ronds, neque Biberonis.
Entendais vou bien cha ? je m’en vois vo le dire.
Y mit de patez ronds pour Depotirion ;
Ch’est un petit livret o no z’apprend à luire ;
Neque Biberonis pour dire Quiqueron.
Il a dit ten talon rendant sa lichon grecque « greque ».
O lieu de Gandolin, car o trou pro Caton,
Marcou pro Marmitin, ch’est à dire une aresque,
Vo z’entendais bien cha, et miaut pro pion.
Vla de quay bien donner tantost de l’exercice
A su docteur en QQ, aveuque sen boulot ;
Mais j’espere pourtant que le ptit pain d’épice
Que je ly donnis hier l’adouchira un ptiot.
Je ly promets étout deux belles éguillettes
Qui m’ont fort bien coustay quasiment un denier,
Que je ly donneray le jour des Haguignettes
Si faict de la faveur à men kalendrier.
Mais laissons su tyran, qui no faict tant la cache.
Palon asteur ichi de la grade que j’ay ;
Je ne serais aver une pu haute plache,
Car je sis au timon du souliay éculay.
Ch’est à dire en franchais, comme dit fort bien Pline,
Que je sis vltiemus vltieme Decuriè,
Grade que j’ay gagnay « gaignay ». dans tant et tant d’épine
Que j’en ay quasiment le cul « cu ». tout écorchay.
Regardez le profit que j’ay faict à z’école
Depis queuque dix ans ou douze qu’il y a
Qu’o « Que ». me fesiais aller dessus Maistre Nicole
Aprendre à decliner hic hæc « kœc ». his « hic ». hoc, Musa.
Ossi note Regent m’a assais dit qui m’ayme,
Et que, quand j’ay le foüet, che n’est rien qu’amitié,
Et qui me baudrerait ossite « office ». pour ma poine
Queuque chose de biau comme j’ay meritay.
Il adjoustit de pus que tout le Colliaige
Estait bien redevable à ma fichuitay,
Et, d’autant que j’estais pu vieux que tous les siaige « saige ».,
Y m’allait respectant pour me n’antiquitay.
Che n’est pas oncor tout ; y saquit une histore
Du devant de sa robe o qui boutit o bas :
Fichu, bon garchonus, rechais cha en memore
De tua Mangretion, signay Renaut Gourras.
Mais laisson cha à part, j’eron bien tost vacanche ;
Envayais may un ptiot notte « note ». grand limonnier,
Epis je vo dierray toute les circonstanche
Qui se passire ichi o pillage dernier.
Jamais, o grand jamais, de pis qu’on est o monde,
No n’avait ouy parler une tieule émotion ;
Seulement ceux qu’estaist deux chents lieux à la ronde
Durant su tintamarre avaist bien le frechon.
Roüen estait fremay ; trous les bourgais « bourgeois ». en erme ;
Tout le monde estait fos ; no se barricadait,
No riait, no pleurait, et dans tout su vaquerme
Diantre s’on sçavet dire à qui no z’en avet.
Tout che que je gaignis à mesme su pillage,
Ch’a estay du papier pour faire mes pensons,
Quatre double rognez, du sel, et une cage
Que je brulime o sair chinq ou sept que j’estions.
Hormis cha, je n’eus pas une petite étrique,
Je tournijs assais otour des patagons,
Mais chez meschants gruyaux, forts comme satalique,
Allaist tout enfournant dans leu « les ». cauche à plain fond.
Votre tres-cher fieux sans malice et reverentieux
Jean Fichu
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
Quinziesme partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facetieux, en langue Purinique, ou gros Normand, 1639, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 192-196.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
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