J’ay tout perdu, ma povre Asne est ernée


David Ferrand

Éléments contextuels

1640

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

L’Autheur, pour depeindre l’oppression et la pauvreté du commun peuple, feint que sa pauvre Asne est acrevantée souz les fardeaux qu’on luy faict journellement porter, et que les riches s’en exemptent à cause de leurs grandes faveurs.

Cant Rial


Bon sair, me n’otte et vostre compagnie !

Je viens ichy querre deux s’ecriteaux,

L’un pour plaquer dessu votte escurie,

L’autre o gardin, car je n’ay point d’envie

D’y pu semer ny herbes, ny poriaux.

Je ne veux pu de votte maisonnette,

Pour me loger, que la basse salette,

Et yencor est che à unze sols pour mois.

Je ne sis seul qui se restraint st’ennée,

Et che qui pu me met en tieux abbois :

J’ay tout perdu, ma povre Asne est ernée.


Je doute oncor avec sa maladie

Qu’a peut aver un rentrait de boyaux ;

Ste povre beite asteure n’est nourrie

Comme o vieux temps, quand à l’étet cherie

De ses monteux qui ne troublaist « troubleint ». ses z’iaux.

Et pis a l’a, aveuque sa souffrette,

Tant eu de mal courant la « le ». bouguenette,

Mettant à l’aise un eschain de mattois

Qui l’ont couruë et souvent bastonnée,

Que je peux dire encor, quand je la vois :

J’ay tout perdu, ma povre Asne est ernée.


Vous ne sçavez bien que l’Asne s’humilie,

Et que jamais ne jette ses fardiaux ;

Si, trop pezans, queuque fais elle plie,

Au veil du maistre ossi-tost se rallie,

Et ne fait rien que soufler des naziaux.

Ainchin me n’Asne encor que je regrette,

Quand no l’a mise à courir la mazette,

Et que sus elle o n’a mis le harnois,

De sen fardiau jamais ne s’est lassée

Et ne m’a point fait dire hors des loix :

J’ay tout perdu, ma povre « Tout est perdu ma pauvre ». Asne est ernée.


A l’a porté de notte drapperie

Ses furlufez, ces fendeux de naziaux,

Qu’esperest bien troubler la foulerie

Et yatrainer tout à leu fantaisie

Dans les moulins les draps et les cresiaux.

Et qui la mist ainchin comme un squelette,

Ch’est qu’a portit anten o Haguignette

Les Gassions qui venest « venests ». de l’Artois,

Là où Dieu sçait comme a fut mal menée.

Depis j’ay dit tourjous « tousjours ». à men patois :

J’ay tout perdu, ma povre Asne est ernée.


Dieu sçait par tout comme apres elle o crie ;

Si l’un en veut desja tenir les piaux,

L’autre voudret la vair à la voirie,

Et bien qu’o gratte assez sa pelterie

A n’oze braire aveuque tous ses maux.

Partant j’espere oncor la revair drette ;

Sen goust est bon, se n’esquine s’apreste

Pu que jamais o service françois.

« Le Ciel (dit alle « elle ».) à chla m’a destinée. »

May, d’autre part, je ne dierray ses Roys :

J’ay tout perdu, ma povre Asne est ernée.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Saiziesme partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facetieux, en langue Purinique, ou gros Normand, 1640, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 212-214.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique