Stances envoyées à Nicolas Plicat, drapier, sur la misere du temps


David Ferrand

Éléments contextuels

1640

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Stances

envoyées à Nicolas Plicat « Plicot »., drapier, sur la misere du temps.


Queu meschant temps est chy ! quelle entremengerie !

Qu’est che que no tripotte aveuq tout su tracas ?

Quand le loup sret « seret ». entré dans notte berquerie,

No ne pourret pas faire un tieul sabat à cas.


Dans le tiers de z’ouvreux, y n’y a loquet de laine ;

O ne no lesse ossi d’autre part en repos ;

S’on travaille par fais, no z’est poyé à peine,

Ch’est pourquay su la boise un chacun devient ros.


Asteure y semble à vair que tout le monde grongne ;

Le pu hupé no dit qui n’a pille ny croix ;

Quand o no vient payer le sair notte besongne,

Ainchin comme en Coëresme un chaqu’un « chacun ». court o pois.


La femme o grand Drien qu’o z’apelle Lorenche

Pour pezer une pieche a ne prend qu’un denier ;

Essite a gagne pu aveuque sa balanche

Que ne fait sen mary qu’est maistre chavetier.


Chent drapiers tou les sairs no vait à sa boutique,

Qui vont querir à baire aveuque leu vessel,

Et qui n’a vn denier à poyer sa pratique,

Sa pieche est ossi-tost étriquée o rissel.


A l’a fait de grands frais, dit-alle « elle »., pour st’afaire ;

A l’a dans sen cofret mille ajutorions,

Et sen fils qu’estudie asteur’chy en grammaire,

Calcule et no z’en dit tous les fidelions :


« Y s’en faut là huit grains, une pite « pipe ». et jambolle,

Douze valent trais blancs et semy pris o gros » ;

Et sieuvant sen papier qu’est fait quemen un rolle,

Y no broüille si bien que j’en devenon fos.


Chennela ne no sert nen « non ». pu qu’une écopache ;

Car quand j’allon o pain, ou bien queu le boucher,

En leu baillant o pris, pain et vin y l’arrache,

Et de devant leu z’vis « huis ». y no font denicher.


Y faut mogré no dents, pour aver de quay vivre,

Leu fiquer notte argent tout à leu mesme taux ;

Et si, Dieu sait quement sont leu morciaux de cuivre,

Car de chent tribuchets « tribuchez ». y n’y en a deux d’égaux.


L’on dit que l’en qui vient j’éron d’autres nouvelles ;

Y faut bien qui l’en vienne ou je somme perdus.

Que tou ceux qui à rogner ont apris les modelles

La haut à su gibet fussent t’y tous pendus !


Ces rongneux là sont cause, allant à la tauerne,

Qu’on ne trouve une pieche à poyer se n’escot « son escot ».,

Car aveuque leu poix si mal on no gouverne,

Qu’o no dérobe et si je n’ozons dire mot.


Ch’est pourquay, Nicoulas, je t’adreche ma plainte ;

Chennela comme à may te cause un grand tracas.

Mais je te dis adieu ; ma candelle est esteinte ;

Pis je m’en vois plaquer tout nu entre deux dras.

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Saiziesme partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facetieux, en langue Purinique, ou gros Normand, 1640, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 216-218.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique