Lettre de Dame Perrette


David Ferrand

Éléments contextuels

1640

xviie siècle

Rouen

Non localisé

Édition du texte

Lettre de Dame Perrette

à sen fieux Roland, demeurant chez un Libraire, devant la grande porte du Colliege.


Man fieux, je t’anvayons dedans chette besache

Un poy des reliquas de la neuche à Fleurant,

Une tarte, un tourtel et deux bribes de foüache ;

Je t’eussions bien manday, mais je crains ten regant.


Selon note almanac la Typhagne s’avanche ;

Je t’anvayrons cheu ly la part de ten gastiau.

Roland, si tu es Ray, je plege ta presenche,

Et coulas te promet de crier comme un viau.


Sais d’un bon naturel et haïs les querelles

Et fique tay tousjours dans le run des premiers,

Que j’attendions de tay queuques bonnes nouvelles ;

O mains, si tu n’es bon, ne sais point des derniers.


Mais un certain Pierrot estant avec ten pere,

Il y a queuque tamps, dedans nostre gardin,

Qui selon sen discours dit que tu ne vaux guere,

Et que dedans Rouen tu fais trop du badin.


Tu bats ten Dequion s’il te met à la table,

Tu n’apporte ten thiesme et n’apprens ta lichon ;

Pis, quand le regent vient, on visite ten rable ;

Ne seras tu jamais queuque gentil garchon ?


Tantost tu viendras tart, tantost tu feras gille,

Ou tantost tu n’eras ni livres ny panson ;

Si tu ne fais du mal, il faut que tu babille ;

Bref, tu es plus leger mille fais qu’un moison.


Il en a biaucoup dit ; il le donnais o vere

A grands et à petits aveuque sen fratel ;

Je l’eusse mieux aimay dans notte chimetiere

Que de le vair si bien causer dedans l’hostel.


Tu es trop rigoureux à l’endret de tes fesses ;

Ne te tanne tu point de tousjours recheuer ?

Tu te peux exempter de semblables caresses

En faisant gentiment che qu’est de ten dever.


Tu as tantost vint ans et n’es qu’en la chinquiéme ;

Tu es un Golia parmy tous ses morveux ;

Si tu pouvais happer chet an la quatriesme,

No patienterions encor un an ou deux.


Si tu ne veux changer tu n’as qu’à nous le dire,

Sans nous faire couster tant de bien tous les ans ;

Tu nous pourrais servir sçachant lire et escrire,

Soit à cacher les porcs ou labourer les cams.


Ou putost ten parrain a perdu depis gueres

Le fieux au grand Coulas qu’on surnommet Goret ;

Je t’envairay chez ly ; regarde à te n’affaire ;

Je t’aime mieux carleux qu’un grand coupe garet.


Tu nous resjouirais tant, si dans note village

Tu marchais afflubay de queuque long mantel ;

Ten pere, te voyant dans un tieul équipage,

Joyeux n’en pourret pas s’en tenir à l’hostel.


Je finiray ichy aveu chette reproche,

Que tu veux mogray mau vivre comme un coquin,

Que tu m’as renvayay ten pere de galoche,

Pense tu piaffer dessu du marroquin ?

Commentaire sur l’édition

Édition faite sur l’édition Héron.

Source ou édition princeps

Saiziesme partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facetieux, en langue Purinique, ou gros Normand, 1640, Rouen, David Ferrand.

David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.

Édition critique

A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 218-220.

Études

Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.

Commentaire historique et contextuel

Commentaire linguistique