Ste missive soit fiquaye entre les pattes de Gervaise et Jeane du Fiquet
David Ferrand
Éléments contextuels
1640
xviie siècle
Rouen
Non localisé
Édition du texte
Ste missive soit fiquaye
entre les pattes de Gervaise et Jeane du Fiquet, habitantes et bourgaises de notte
village du Mesnil Raux.
Ma cousine Gervaise et ma cousine Jeane,
Par le present porteux je vo z’envay chinq sous ;
C’est pour aver du fain à madame votte ane,
Qui mengit avant hier un carrel de nos chous.
Je me sieux relequay o haut de Saint Nigaise,
Dans un trou o les rats me grugeront les piais ;
Je sieus incommoday des poux et des punaises,
Mais j’endure chela : ce sont fleurs d’escoliais.
Vous sçavez qu’avant hier, à ste derraine feste,
Je bus tant de froc ras qu’enfin y me toquit ;
Je ne sçavais marcher, je montis su ste beste,
Mais ptiot ne s’en fallut qu’a ne m’esbredoüillit.
A gambadet en l’air des deux piais de driere
Si bien qu’à la parfin a rompit tout sen bas,
Et pi, quand a n’u pu de changle et de croupiere,
A m’alit etriquer dans la mare à Coulas.
J’y pensis demeurer, car men cœur se triboüille ;
J’avais l’esprit troublay de me vair dans se z’iaux ;
Quand je vins à crier, j’avalle une grenoüille
Qui faisait cro cro croc entrant dans mes bouyaux.
De hazard y passit la vesine Driane,
Qui m’aidit ossi-tost affin de me raver ;
Oncores, en m’aidant, a laissit quair sa cane,
Et jamais du depuis a ne la sut trouver.
Me vla bien rafraischy ; le diesble empor ste mare « Me vela bien rafraischy le diesble emporte ste mare ». !
Mes cauches pissaient l’iau comme fait un moulin,
Et j’avalis pu d’iau, chen qui m’estait bien rare,
Que je ne bus de doux à la neuche à Colin.
Je rafourque pourtant pour aller vair me n’oste ;
Me n’asne en retournant revoullait gambiller,
Mais je refraichis tant chez grand chienne de coste
Qu’a n’u pu le laisir « laissir ». de se tant veziller.
A peine commenchaise à piquer à me n’aize
Men baudet revoltay, qui falut devaler ;
Se falut maugré may (pardy ne vo deplaize)
Aller faire qua qua ; je ne pouvais durer.
Ste raine, su fro ras, st’iau et ste bos ensemble
Criaient dans les bouyaux harau, double harau,
Lors je dis à par moy : « Je veux que no me changle
Si jamais y m’avaient de baire de nouviau. »
Quand je fus à l’ostel, no me cauffe un vieux linge
Qui servait autrefais à torcher les souliais ;
Vo m’eussiez vraiment prins pour le poutrait d’un singe,
So z’eussiez veu pour lors comme je rechignais.
Cha ne se passait point ; alors notte maistre entre
Qui me vit adoubay o cornet de sen feu ;
Y m’entendit crier : « Le ventre, à gue le ventre. »
Et che fut à st’eure là tout le pu biau du jeu.
« Va, va, di t’y, solart ; retourne à ten village ;
Ossy bien tou les jours y faut que tu sois sous.
Va dans notte gardin ; tu verras le carnage
Que ten baudet a fait o parmy de nos chous. »
J’alis vair chennela, mais la chose estait telle ;
J’en vis bien le defaut, ch’est que tou no z’ennons,
A cause qui l’estaient o gardin premier qu’elle,
Avaient desja grugeay le reste des querdons.
Je sortis asteure la, et je quittis st’estable,
Esperant m’en aller demeurer autre part ;
De hazart j’ay trouvay une meilleure table,
O je mange à disner tous les jours de bon lart.
Je vo z’envaye ichy un pacquet d’eguillette,
Deux paire de chabots aveu du cresiau ras ;
Je vo z’envaye ossi la nouvelle gazette,
Aveuque le poutrait de la ville d’Arras.
Mais à propos d’Arras, j’eusse bien eu envie
De sçaver chen qui s’est passé en vos cartiais ;
Pour nous toute la nuit je fisme telle vie
Qui n’y a pu quasi de bois en no greniais.
Su Phlippe Hardillon et su Jacque de Liesble
Beuglaient o tour su feu ainchi comme des viaux,
Et criaient d’une voix qui ut fait pur o diesble :
« O cat, o rat, o cat, miaux, miaux, miaux. »
Alors che dit tout haut su grand Robin Turlure :
« Queu marcous sont che-la ? sont y point du levant ?
— Vrayment y le faut bien, dit Jeane Soupesure,
Jamais les cats d’ichy n’ont la queüe o devant. »
No crijt pour bauffrer chez diesble de gouliffre,
Mais y montrirent bien qui l’estaient de vrais cats,
Car y jouoient si bien et des patte « pattes ». et des griffe
Qui cudirent avalle la table aveu les plats.
Adieu, mes bien aimais et mes cheres cousine,
Vla « Vela ». tout chen que j’avais pour steure à vo mander ;
Vo diray seulement à ma bone ante Bine
Qu’a garde sa migots, et que j’yaray st’iver.
Commentaire sur l’édition
Édition faite sur l’édition Héron.
Source ou édition princeps
Saiziesme partie de la Muse normande, ou Recueil de Plusieurs ouvrages Facetieux, en langue Purinique, ou gros Normand, 1640, Rouen, David Ferrand.
David Ferrand, Inventaire general de la Muse normande, divisée en XXVIII. parties. Où sont descrites plusieurs batailles, assauts, prises de villes, guerres estrangeres, victoires de la France, histoires comiques, esmotions populaires, grabuges, & choses remarquables arrivées à Roüen depuis quarante années, 1655, Rouen, David Ferrand.
Édition critique
A. Héron, La Muse normande de David Ferrand, publiée d’après les Livrets originaux, 1625-1653 et l’Inventaire général de 1655, t. II, 1891, Rouen, Espérance Cagniard, p. 221-224.
Études
Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand : poète dialectal rouennais du xviième siècle, auteur de La Muse normande, 1992, thèse soutenue à l’Université de Caen sous la direction de René Lepelley.
Commentaire historique et contextuel
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Commentaire linguistique
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